Interview de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, à France Info le 17 novembre 2015, sur les moyens de la police et de la gendarmerie dans le cadre de la lutte antiterroriste, l'éventualité du port d’une arme par les fonctionnaires de police en dehors du service et le projet de réforme constitutionnelle visant à clarifier les régimes d’exception en cas de crise.

Prononcé le

Texte intégral

FABIENNE SINTES
Bonjour Bernard CAZENEUVE.
BERNARD CAZENEUVE
Bonjour.
FABIENNE SINTES
Ministre de l'Intérieur, invité de France Info ce matin, avec
Jean-François ACHILLI et Guy BIRENBAUM, autour de la
table. La première question, c'est vous Jean-François.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Bernard CAZENEUVE. La traque se poursuit, Salah
ABDESLAM, huitième membre présumé du commando, est
toujours en fuite. Où en est l'enquête, Bernard CAZENEUVE,
de ce que vous pouvez en dire ce matin ?
BERNARD CAZENEUVE
Je m'exprime peu sur cette enquête, parce que c'est au
procureur de la République de le faire, et que toutes les
informations qui sont communiquées, doivent être
précisément vérifiées, et si l'on veut que ce soit le cas, c'est
au procureur de la République, qui conduit l'enquête, en
fonction de l'ensemble des auditions, des investigations, qui
doit s'exprimer. Ce que l'on peut dire, c'est que cette enquête
avance rapidement, qu'un certain nombre de ceux qui ont été
engagés dans la préparation ou dans la commission de cet
attentat, sont désormais identifiés. Ce que l'on sait
également, c'est que cet attentat a été planifié, conçu à partir
de la Syrie et de la Belgique, que la plupart de ceux qui ont
été engagés dans la préparation et la commission de cet
attentat, étaient inconnus de nos services, et ce que l'on sait
aussi, c'est que beaucoup de ceux qui ont commis cet attentat,
étaient Français, ne résidant pas en France, résidant depuis
longtemps en Belgique et engagés dans des groupes
radicalisés, islamistes et en lien avec d'autres réseaux.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, nos confrères de RTL parlent ce matin d'un septième
kamikaze identifié par les enquêteurs. Est-ce que vous
confirmez cette annonce ?
BERNARD CAZENEUVE
Je ne conforme rien du tout, c'est au procureur de la
République de le faire. J'ai bien entendu des informations, je
confirme que l'enquête avance, que les investigations se
poursuivent, qu'elles permettent d'élucider une grande partie
des fais qui se sont produits, mais c'est au procureur de la
République de communiquer.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bernard CAZENEUVE, il y a une très grande émotion
nationale, évidemment, voire au-delà, autour de ces attentats
survenus vendredi. Le président de la République s'est
exprimé hier devant le Congrès, et parmi ces annonces il y a
celle-ci : 5 000 policiers et gendarmes ainsi que 1 000
douaniers et des personnels de la pénitentiaire
supplémentaires. Ils vont être nommés dans… mais ça va
prendre des mois, des années. Est-ce cela la réponse à
apporter au défi des terroristes ?
BERNARD CAZENEUVE
Il nous manque des moyens, et nous n'avons cessé de les
rehausser depuis maintenant trois ans, c'est 500 emplois qui
ont été créés chaque année, 1 500 emplois après le plan de
lutte antiterroriste du mois de janvier, mais le président de la
République, le Premier ministre, sur la base des propositions
adressées par mon ministère, ont décidé de créer des emplois
en nombre, pour faire en sorte que dans le domaine du
renseignement, de la sécurité publique, nous puissions faire
face à la situation de guerre à laquelle nous sommes
confrontés et dont on sait qu'on devra la mener aussi à
l'intérieur. C'est la raison pour laquelle ces annonces de
créations de postes ont été faites hier, c'est la raison pour
laquelle nous allons ouvrir très rapidement les recrutements
dans les écoles, et c'est la raison pour laquelle aussi, nous
allons procéder à une remise à niveau, je l'ai indiqué hier aux
politiques de la BAC qui sont intervenus au Bataclan, une
remise à niveau rapide de l'ensemble des matériels, boucliers,
gilets lourds de protection, armes, etc.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous voulez dire que les policiers aujourd'hui ne sont pas
assez équipés face à la menace, c'est ça ?
BERNARD CAZENEUVE
Les crédits qui permettaient l'équipement des policiers, ont
diminué de 17 %, dans une période de 2006/2012. Donc moi
je veux absolument remettre à niveau rapidement les
équipements de la police et de la gendarmerie, investir
également dans les équipements et les moyens numériques,
et informatiques, pour faire en sorte que face à des acteurs
terroristes qui dissimulent la commission de leurs actes, en
utilisant des moyens cryptés sur Internet ou dans l'espace
numérique, nous soyons au meilleur niveau d'efficacité. Donc
nous sommes dans une remise à niveau rapide, de manière à
pouvoir être efficace dans la lutte contre le terrorisme, parce
que les services de sécurité ont besoin de force dans le
contexte.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous pensez qu'on peut parler de faille ? C'est une question
que ceux qui nous écoutent aujourd'hui se posent, de faille
dans la surveillance. On sait que les potentiels terroristes
sont activement surveillés aujourd'hui, mais comment est-ce
possible, comment est-ce imaginable ce qui s'est produit
vendredi ? Tout le monde se pose la question, Bernard
CAZENEUVE.
BERNARD CAZENEUVE
Mais, nous avons cessé, avec le président de la République et
le Premier ministre, de dire la vérité sur l'état de la menace
terroriste, et prenons les attentats de vendredi. Les attentats
de vendredi ont été préparés, conçus en dehors des frontières
nationales, et ils ont mobilisé une équipe, située elle aussi en
dehors du territoire national, même si elle a pu bénéficier de
complicités en France, qui était située en Belgique. Et la
plupart de ceux qui, en Belgique, ont préparé et actionné cet
attentat, en liaison avec des acteurs syriens, étaient
inconnus de nos services. Donc, j'appelle l'attention de
chacun qui s'emploi parfois à faire des commentaires
hasardeux ou à essayer de susciter des polémiques, de
regarder les faits. Cet attentat a été préparé et organisé par
des cellules qui sont en dehors du territoire national, et
mobilisant des individus qui n'étaient pas connus de nos
services. Et même si certains d'entre eux l'étaient, parce qu'il
y a eu des complicités françaises, ils l'étaient non pas en
raison de leur implication dans des activités à caractère
terroriste, mais en raison de la fréquentation de lieux de
culte radicalisés, et je veux dire que depuis maintenant des
mois, nous procédons…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
On a bien compris Bernard CAZENEUVE…
BERNARD CAZENEUVE
… nous procédons à des investigations, nous arrêtons ceux
qui reviennent de Syrie, nous procédons à la neutralisation de
ceux qui veulent commettre des attentats. Je rappelle quand
même que pendant l'été, ce sont six attentats du type de celui
qui a eu lieu, que nous avons déjoués…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Qui ont été déjoués, mais…
BERNARD CAZENEUVE
Mais le risque zéro, face à des acteurs qui ont déclaré la
guerre à notre pays et à l'Europe, parce que d'autres capitales
européennes peuvent être touchées, ça n'existe pas.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Jean-Christophe LAGARDE, le député-maire de Drancy, lui,
parle de ratés, il ne vous met pas en cause directement, mais
il dit que, vous savez, l'un des kamikazes, Samy AMIMOUR,
s'était radicalisé dans une mosquée de Blanc-Mesnil, c'est ce
que raconte cet élu, et son père aurait tenté de le récupérer
en Syrie. Ce que dit Jean-Christophe LAGARDE, c'est que
personne n'a aidé cette famille.
BERNARD CAZENEUVE
Non mais il faut que Christine LAGARDE dise des choses
précises, et il a évoqué ce sujet avec moi hier, et je lui ai
apporté les précisions en lui disant qu'il fallait faire attention,
dans le contexte, à ce que chacun disait. Pour ce qui concerne
d'AMIMOUR, de quoi s'agit-il ? Il s'agit d'un personnage qui
veut partir au Yémen, en 2012. Dès lors, il fait l'objet d'un
contrôle judiciaire, et il est donc suivi par la justice, son
dossier est judiciarisé, et lorsqu'un dossier est judiciarisé, ce
sont les acteurs judiciaires et non plus les services de
renseignements qui procèdent à leur suivi. Il s'en va, à ce
moment-là il y a un mandat d'arrêt international qui est émis
par les services de la justice, ce qui est tout à fait normal, il
n'y a pas la faille, et son retour, parce qu'il a sans doute
utilisé des faux documentaires, il est sans doute rentré sur le
territoire national avec une fausse identité, n'a pas été
détecté.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous voulez dire que c'est imparable, c'est ça en fait.
BERNARD CAZENEUVE
Non, ce que je veux dire, c'est que quand on parle de faille, il
faut être extrêmement précis. Moi j'estime qu'il est du rôle de
l'exécutif de rendre compte de l'action des services de l'Etat, à
chaque instant. Et moi je suis prêt à le faire, devant les
commissions de l'Assemblée nationale, devant le Parlement et
devant les journalistes aussi. Je dis simplement que dans le
contexte de crise terroriste qui prévaut, une grande partie de
la résilience de notre pays, dépend aussi de sa capacité de
confiance et d'unité. Et par conséquent, quiconque s'exprime
sur ces sujets-là, je le suggère, mais chacun fait ce qu'il veut,
doit être précis, rigoureux, parce que chaque propos aléatoire
sur ces questions, suscite des inquiétudes dans le pays, et le
pays a besoin d'être fort, rassuré, rassemblé.
FABIENNE SINTES
Bernard CAZENEUVE, une question de Guy BIRENBAUM.
GUY BIRENBAUM
Précis, rigoureux, combien de forces de l'ordre sont
mobilisées, Monsieur le Ministre ?
BERNARD CAZENEUVE
Nous avons mobilisé 115 000 policiers, gendarmes, militaires,
sur le territoire national, sur l'ensemble du territoire
national, pour assurer la protection des Français. Le ministre
de la Défense, avec lequel je travaille de façon extrêmement
étroite, a proposé une augmentation de la mobilisation des
militaires sur le territoire national, dans le cadre du contrat
de sécurité que nous avons ensemble et que nous mobilisons
ensemble, et je l'en remercie. Ces militaires travailleront en
étroite liaison avec la police et la gendarmerie, parce que
nous sommes dans un contexte où nous devons mobiliser
toutes nos forces, dans les rues des viles, dans nos
campagnes aussi, pour assurer la sécurité des Français. Donc
la mobilisation des forces de sécurité intérieures et des
militaires, est générale, et forte, sur le territoire national,
pour assurer la protection des Français.
FABIENNE SINTES
Monsieur CAZENEUVE, concernant les policiers, puisque vous
parliez d'effectifs, on en avait un tout à l'heure sur France
Info, qui parlait de légitime défense, et assez content des
mesures qui sont prises et qui dit : « Il faut que les policiers
qui ne sont pas en service, puissent garder leur arme de
service, en ces temps plus difficiles. Est-ce que vous êtes pour
ou contre ?
BERNARD CAZENEUVE
Moi je souhaite que l'on prenne des mesures qui soient
proportionnées et efficaces, parce que j'entends aussi toutes
les propositions qui peuvent être faites, et qui doivent toutes
être examinées avec la plus grande attention, surtout si l'on
veut créer des conditions d'unité nationale, mais l'unité
nationale elle repose aussi, elle doit reposer aussi sur la
volonté de l'ensemble des acteurs politiques, de prendre des
mesures qui, un, soient efficaces, deux, permettent de
conforter la République et non pas de nous éloigner d'elle, et
trois, permettre aussi de faire en sorte que nos forces de
sécurité qui sont mobilisées, aient les moyens. Je vous fais
remarquer que sur la question de la légitime défense, ça
faisait débat il y a une semaine. J'avais proposé qu'on avance
rapidement, au début de l'année 2016, dans un entretien à
Libération, et devant le congrès du syndicat Alliance. A ce
moment-là, on considérait que c'était une proposition
audacieuse que faisait le ministre de l'Intérieur.
FABIENNE SINTES
Que ça allait trop loin.
BERNARD CAZENEUVE
Je ne l'ai pas faite au hasard, je l'ai faite simplement parce
que je regarde la réalité avec lucidité, je sais quel est le
niveau de la menace, il faut avancer vers la légitime défense,
pourquoi ? Parce que les événements de vendredi l'ont
montré, comme les événements tragiques de l'Ile Saint-Denis
l'avaient montré avec un policier très grièvement blessé, nous
sommes face à des tueurs qui froidement et sans aucune
humanité peuvent décimer des lieux, des quartiers, des
populations. Et par conséquent face à ces acteurs il faut
pouvoir très rapidement les neutraliser, il faut définir les
conditions de droits qui permettent d'atteindre cet objectif.
C'est cela que je veux faire et je vais le faire en étroite liaison
avec les policiers. Doivent-ils garder leurs armes, nous en
débattrons à l'occasion des dispositifs législatifs que nous
allons présenter en concertation avec les organisations
syndicales de la police nationale.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bernard CAZENEUVE, la réforme de la constitution voulue par
le chef de l'Etat est contestée, la droite dit « pas besoin de
cette modification », MELENCHON parle de dérive sécuritaire
et Noël MAMERE de Patriot act à la française, pourquoi ce
flottement ? La réforme est nécessaire, est-ce qu'on ne peut
pas travailler avec les outils qui existent déjà ?
BERNARD CAZENEUVE
Mais où est-ce que vous voyez un flottement ? Moi, je vois des
flottements dans les commentaires hasardeux, pas du tout
dans la volonté du gouvernement de donner une base
constitutionnelle à ce qui doit l'être. D'abord cette proposition
ne vient pas de nulle part, Édouard BALLADUR avait
considéré, Édouard BALLADUR qui n'est pas un soutien de la
majorité, en 2008 au moment de la commission qui avait été
constituée en vue de la réforme de la constitution, qu'il fallait
modifier la constitution au regard des nécessités de l'état
d'urgence. Pourquoi avait-il fait cette proposition ? Pour des
raisons juridiques très simples que j'exprime. La loi sur l'état
d'urgence date de 1955, depuis 1955, il s'est passé beaucoup
de choses. Nous engageons des perquisitions, nous engageons
des assignations à résidence, ces perquisitions doivent
permettent aujourd'hui …
GUY BIRENBAUM
Il y en a eu combien cette nuit Monsieur le Ministre ?
BERNARD CAZENEUVE
Cette nuit, il y en a eu 128.
GUY BIRENBAUM
128 autres.
BERNARD CAZENEUVE
Absolument. Et nous sommes aujourd'hui dans un contexte où
parce que nous pouvons saisir des éléments numériques et
examiner ce que contiennent ces éléments numériques, ce
qui n'existait pas en 1955, parce que nous voulons des
perquisitions qui soient efficaces, parce que nous voulons des
assignations à résidence qui le soient dans le contexte de la
lutte contre le terrorisme. Nous avons besoin d'avoir une base
constitutionnelle, l'article 16, c'est dans la Constitution, l'état
de siège, c'est dans la Constitution, ça donne tous les
pouvoirs, une grande partie des pouvoirs en matière de
sécurité aux militaires, mais l'état d'urgence ou l'état de crise
terroriste ne l'est pas. Donc comme nous voulons intervenir
de façon forte face au terrorisme dans un cadre
constitutionnel qui garantisse absolument les principes du
droit français, les principes républicains et que par ailleurs
l'opposition elle-même en 2008 avait reconnu la nécessité sur
la question de l'état d'urgence d'une réforme
constitutionnelle, nous la proposons pour bien établir et c'est
important aussi que les Français soient garantis de cela, que
ce que nous faisons pour les protéger ne se fera pas au
détriment des grands principes constitutionnels. Voilà qu'elle
est la démarche du gouvernement.
FABIENNE SINTES
Bernard CAZENEUVE, merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20
novembre 2015