Déclaration de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur la lutte contre la fraude et l'optimisation fiscale, à l'Assemblée nationale le 12 novembre 2015.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Propos liminaires de Michel Sapin sur la Base d'imposition et transfert de bénéfices (BEPS), lors de son discours à l'Assemblée nationale, le 12 novembre 2015

Texte intégral

Mesdames, Messieurs les députés,
La lutte contre la fraude et l'optimisation fiscale est une priorité du gouvernement depuis 2012.
C'est une question de justice, car il faut s'assurer que tous contribuent à hauteur de leur capacité à l'effort national ; c'est aussi une question budgétaire car le redressement des comptes publics que nous opérons depuis 2012 ne peut se passer d'une part, trop importante encore, de revenus qui cherchent à échapper à toute taxation ; c'est surtout une question morale : il est totalement inacceptable que certains évitent ou contournent leurs obligations fiscales et fassent peser la charge sur les autres, à revenus souvent plus modestes lorsqu'il s'agit de ménages et de taille souvent plus petite s'agissant d'entreprises.
Je ne vous rappellerai pas de manière extensive nos actions depuis quelques années, au niveau international mais aussi national (notamment avec la loi de décembre 2013) – mais regardons ensemble les progrès accomplis :
- Pour lutter contre la fraude des particuliers, nous avons promu l'échange automatique d'informations de renseignements relatifs aux comptes financiers des particuliers. À ce jour, 57 États se sont engagés à le mettre en oeuvre pour 2017 ou 2018. Et dans cette perspective les déclarations rectificatives continuent à affluer au STDR – qui cette année rapportera 2,6 Mds d'euros. Dans le projet de loi de finances rectificative que je présenterai demain en Conseil des Ministres, nous allons par ailleurs proposer de transposer la directive du 9 décembre 2014 qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal qui étend ces obligations à l'ensemble des pays européens. Les banques vont ainsi devoir identifier et transmettre automatiquement à l'administration fiscale les comptes détenus en France ou à l'étranger par les contribuables.
- Pour réduire l'optimisation abusive des entreprises, il nous faut avant tout agir au niveau international. La France soutient les efforts de la Commission dans ce domaine, aux côtés de l'Allemagne et de l'Italie notamment, avec un premier succès sur la transparence des rulings. On ne peut pas demander à nos contribuables une solidarité de fait avec les autres pays européens pour les aider en cas de crise, et tolérer au quotidien des jeux perdants du fait d'une concurrence fiscale excessive entre pays européens.
- Au niveau multilatéral, la France a soutenu depuis le sommet de Los Cabos en 2012 les travaux de l'OCDE sur l'optimisation fiscale des multilatérales. À Lima début octobre, l'OCDE a présenté aux Ministres des finances du G20 le plan de lutte contre l'érosion des bases fiscales et le transfert de profit, plus connu sous l'acronyme « BEPS », qui l'ont endossé. Les chefs d'État et de gouvernement doivent définitivement l'adopter à Antalya ce week-end.
BEPS permettra des avancées majeures dans la lutte contre l'optimisation des multinationales. Les différents mécanismes à l'oeuvre, souvent très complexes, conduisent à une perte de recettes d'impôt sur les sociétés de 4 % à 10 % à l'échelle de la planète. C'est ainsi 100 à 240 milliards de dollars d'impôts qui ne sont pas payés par les grands groupes multinationaux grâce à des stratégies d'évitement de l'impôt. C'est inacceptable.
La mise en oeuvre de BEPS doit se poursuivre tout au long de l'année 2016. L'année prochaine, nous allons finaliser la négociation d'un accord multilatéral (action 15) qui permettra d'adapter en une fois les conventions fiscales bilatérale – la France en a 125 – au nouveau cadre « post-BEPS ». 80 pays participent déjà aux négociations. Cette adaptation des conventions fiscales permettra notamment d'y introduire des clauses anti-abus, déjà largement présentes dans les conventions signées par la France, par exemple pour éviter que les entreprises ne se livrent à du « treaty shopping », c'est-à-dire implantent des sociétés boites aux lettres pour bénéficier des avantages offerts par une convention bilatérale (action 6).
Certaines actions appelleront des réponses européennes. En janvier, la Commission européenne doit présenter son 3e paquet fiscal, qui intègrera notamment des dispositions visant à appliquer certaines conclusions de BEPS de façon coordonnée en Europe. Je souhaite que ce projet contienne des règles renforcées sur les produits hybrides (action 2 de BEPS), qui sont au coeur de certaines situations de double non taxation et sur lesquels nous avons déjà commencé à adapter notre droit national en loi de finance pour 2014. Elle devrait également contenir des dispositions sur les règles applicables aux sociétés étrangères contrôlées (action 3 de BEPS) qui permettent aujourd'hui aux entreprises d'établir des filiales dans des états à fiscalité privilégié afin de diminuer leur imposition.
Nous allons également concrétiser l'accord politique obtenu lors de l'ECOFIN du 8 octobre sur l'échange automatique des rulings, qui met fin à une ère d'opacité inacceptable et sera la concrétisation européenne d'une partie de l'action 5 de BEPS. Cette directive entrera en vigueur au 1er janvier 2017 et concernera tous les rulings de moins de 5 ans, ainsi que ceux qui étaient en vigueur au 1er janvier 2014 et qui sont aujourd'hui caduques. J'accueille donc favorablement l'initiative de Mme Berger qui vise à traduire dans la loi dès aujourd'hui cet accord.
Enfin, nous avons des travaux à mener au niveau national, poursuivant ainsi les efforts menés depuis 2012. Par exemple, nous avons limité la déductibilité des intérêts d'emprunt et renforcé les règles constitutives d'une sous-capitalisation afin d'éviter que les entreprises n'augmentent artificiellement leur endettement pour échapper à l'impôt.
Dans ce projet de loi de finances, l'article 37 propose ainsi de dématérialiser les déclarations obligatoires de prix de transfert (action 8 9 et 10 de BEPS). Ces déclarations, dont la transmission à l'administration fiscale a été rendue obligatoire par la loi du 6 décembre 2013 de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, sont essentielles pour contrôler les pratiques des multinationales. En effet, la manipulation des prix de transfert est probablement le mode d'optimisation le plus répandu et le plus important en volume. Le rapport que nous vous avons transmis au début de la semaine montre qu'en 2014, l'administration fiscale a pu redresser plus de 3,6 Md€ d'assiette grâce au contrôle des prix de transfert, soit une hausse 64 % par rapport à 2013 ! La dématérialisation de ces déclarations permettra à l'administration fiscale de mettre en oeuvre des techniques modernes, notamment de datamining, afin de détecter plus efficacement les pratiques suspectes et ainsi de renforcer l'efficacité des contrôles. Ces déclarations contiennent également des informations très importantes sur les transferts d'actifs qui font l'objet d'une attention particulière par mes services.
Cette documentation des prix de transfert doit être complétée, comme cela est prévu dans l'action 13 de BEPS, par une déclaration pays-par-pays des principaux agrégats comptables des multinationales, en particulier le chiffre d'affaires, le bénéfice mais aussi l'impôt payé. Je remercie le groupe pour le dépôt de l'amendement 1095 qui vise à inscrire dès le projet de loi de finances ce reporting pays-par-pays. J'avais annoncé que le gouvernement allait vous proposer une disposition similaire dans le PLFR (c'est-à-dire demain), mais cette inscription et, j'espère l'adoption rapide de cette mesure permettra à la France de montrer sa détermination à mettre en oeuvre BEPS dès le sommet d'Antalya. Ces informations seront échangées automatiquement d'ici fin 2017/début 2018 avec les administrations fiscales des autres pays, sous une condition stricte de réciprocité et de confidentialité.
Avec cet ensemble d'actions, l'accord multilatéral et les travaux européens et nationaux en cours, nous nous serons donné les moyens de mettre en oeuvre les avancées de BEPS !
Source http://www.economie.gouv.fr, le 16 novembre 215