Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "France Culture" le 19 janvier 2016, sur une proposition de déchéance de citoyenneté plutôt que de nationalité, faite par Jean-marc Ayrault, sur les 35 heures, sur les mesures de réduction du coût du travail.

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Média : France Culture

Texte intégral

OLIVIER DANREY
Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
OLIVIER DANREY
Vous êtes ministre des Finances et des Comptes publics, vous êtes l'invité politique dans quelques minutes des « Matins de France Culture. » La déchéance de citoyenneté plutôt que la déchéance de nationalité, vous valideriez, personnellement, cette proposition ?
MICHEL SAPIN
Je pense qu'il ne faut surtout pas donner le sentiment de jouer sur des mots, parce qu'on doit jouer sur des valeurs.
OLIVIER DANREY
Mais les mots sont importants en même temps, ici. Citoyenneté et nationalité, ce n'est pas la même chose.
MICHEL SAPIN
J'en suis bien d'accord, si c'était la même chose Jean-Marc AYRAULT ne le dirait pas. Mais il ne faut pas donner le sentiment aux Français qu'on joue sur des mots. Nous sommes en train de faire quoi ? Qu'est-ce que nous voulons ? Nous voulons réagir contre le terrorisme, contre le terrorisme il faut des armes efficaces, plus de policiers, plus de renseignements, lutter contre le financement du terrorisme, mais il faut aussi l'affirmation d'une unité de la Nation. Parce que ce qui a été le plus fort, le plus efficace contre le terrorisme, contre les attentats, c'est lorsque les Français se sont rassemblés, d'une manière ou d'une autre, au moment des attentats contre Charlie, ou en novembre avec ces symboles, oui, des symboles, de drapeaux, de « Marseillaise », qui faisaient que les Français étaient unis. Il faut donc qu'il y ait cette affirmation de l'unité de la Nation et du fait qu'il y a des gens, il y a des individus, qui ne méritent pas, qu'ils soient français ou pas français, en binationalité, ils ne méritent pas d'appartenir à cette Nation. C'est cela qu'il faut trouver, c'est ce symbole, mais ce symbole d'une Nation qui se réunit et qui dit à certains « vous êtes sortis totalement de nos valeurs, vous ne méritez pas de rester au sein de notre communauté nationale. »
OLIVIER DANREY
Merci beaucoup Michel SAPIN, on vous retrouve à partir de 7H40 sur France Culture avec Guillaume ERNER et Marie VIENNOT, notamment.
(…)
GUILLAUME ERNER
Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Rebonjour.
GUILLAUME ERNER
Vous êtes ministre des Finances et des Comptes publics, et nous allons parler économie en compagnie de Philippe MANIERE et de Marie VIENNOT. Alors, les 35 heures, c'est terminé ?
MICHEL SAPIN
… toujours vouloir faire ça dans la provocation. Les 35 heures c'est une durée légale du travail, est-ce qu'elle est modifiée, est-ce qu'il est proposé de la modifier ? Non. Ensuite il y a la mise en oeuvre de ces 35 heures. Comment on le fait dans les entreprises, est-ce qu'on le fait de manière, j'allais dire bestial, uniforme, quelle que soit la situation, quelle que soit l'entreprise, quelle que soit l'évolution de cette entreprise, ou est-ce qu'on donne la possibilité aux partenaires sociaux de respecter les 35 heures, mais dans des conditions qui s'appliquent à chacune des entreprises ? au fond c'est ça la proposition, et j'ai bien dit les partenaires sociaux, c'est-à-dire qu'il faut que dans l'entreprise ils discutent entre eux pour pouvoir mettre en oeuvre une autre manière plus favorable à la production sans pour autant être défavorable aux salariés, de mettre en oeuvre les 35 heures.
GUILLAUME ERNER
On a l'impression pourtant que les 35 heures ne seront pas touchées comme s'il s'agissait en quelque sorte d'un chiffre symbolique, tandis qu'on est en train de tricoter un nouveau contournement de ces 35 heures.
MICHEL SAPIN
Mais, qu'est-ce que c'est que les 35 heures ? C'est la limite entre ce qui est payé au prix convenu, si je puis dire, dans le contrat, et ce qui est payé plus cher, les heures supplémentaires. Est-ce qu'il est, dans la proposition de François HOLLANDE, de supprimer les heures supplémentaires ? Ce n'était même pas dans les propositions de Nicolas SARKOZY, puisque, au contraire, il avait avantagé les heures supplémentaires. Pour qu'il y ait des heures supplémentaires il faut qu'il y ait une durée légale du travail, cette durée légale elle est de 35 heures, ça c'est une chose. Ensuite il y a la mise en oeuvre, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais il peut y avoir des moments où il y a beaucoup plus besoin de monde à la production et d'autres moments moins besoin de monde, d'ailleurs il y avait déjà toute une série d'assouplissements qui avaient été mise en oeuvre. Là, ce que nous souhaitons, et je pense que c'est une bonne chose, j'avais commencé à le faire d'ailleurs dans le texte sur la sécurisation de l'emploi, qui était le résultat d'un accord entre partenaires sociaux, de janvier 2013, pour ce qu'on appelle « les accords de maintien de l'emploi », il fallait un accord majoritaire, majoritaire ça veut dire des syndicats signataires, qui représentent une majorité des salariés pour pouvoir mettre en oeuvre cela. C'est ça, je crois, la bonne manière de faire, c'est aussi faire confiance aux partenaires sociaux.
MARIE VIENNOT
Alors votre gouvernement a pour objectif la baisse des cotisations sociales qui renchérissent le coût du travail, vous le faites au nom de la compétitivité, mais n'est-ce pas un combat perdu d'avance ? Je ne parle même pas de la Chine ou du Bengladesh, mais si on prend nos partenaires européens, le SMIC est à 191 euros en Roumanie, 290 en Lituanie, moins de 400 euros en Pologne, 566 euros au Portugal, on est donc bien au-dessus des 1400 euros bruts en France, comment on peut être compétitif ?
MICHEL SAPIN
Mais, vous faites une comparaison avec des pays qui sont à des prix…
MARIE VIENNOT
Nos partenaires européens.
MICHEL SAPIN
Nos partenaires européens c'est l'Allemagne, nos partenaires européens c'est éventuellement l'Espagne, on peut comparer à l'Espagne, mais c'est l'Allemagne. Quel est notre concurrent sur les marchés européens, d'abord en Allemagne et en France, c'est l'Allemagne. Quels sont nos concurrents sur les marchés internationaux, au niveau européen ou au niveau mondial, ce sont les grands pays développés comme les nôtres. Donc, dire il faudrait s'aligner sur le plus bas payant, si je puis dire, c'est une bêtise. Par contre dire, attention, par rapport à nos grands concurrents, à ne pas être en différences trop flagrantes, ça, ça me paraît être intelligent. D'ailleurs, les mesures qui ont été prises avec le CICE, on parlera peut-être des évolutions éventuelles du CICE, les mesures qui ont été prises avec le CICE, ou le Pacte de responsabilité, c'est ce qui a permis de faire en sorte qu'aujourd'hui nous soyons comparables à l'Allemagne, comparables à l'Allemagne, alors que nous étions, auparavant, à des niveaux plus élevés que l'Allemagne. Tant mieux. Une compétitivité c'est, derrière, des emplois, pas forcément des emplois tout de suite, c'est tout le problème d'ailleurs, mais ce sont des emplois supplémentaires pour les Français.
GUILLAUME ERNER
Plus généralement Michel SAPIN, on ne comprend pas pourquoi ce plan d'urgence sur l'emploi a été déclenché si tardivement.
MICHEL SAPIN
Oui, je comprends cette question-là. on pourrait donner le sentiment que c'est maintenant et seulement maintenant qu'on fait quelque chose pour l'emploi ou contre le chômage, ce qui est inexact, puisque nous avons, depuis 2012, mis en oeuvre toute une série de mesures, je vous parlais de l'accord sur la sécurisation de l'emploi signé entre les partenaires sociaux, je vous parlais du CICE qui a été décidé fin 2012, mis en application dès 2013, pour progressivement, sur 4 ans, baisser de cette manière-là le coût du travail. Donc, nous sommes dans un effort qui est un effort depuis plusieurs années. Mais qu'est-ce que l'on constate aujourd'hui, c'est que cet effort est encore insuffisant, donc c'est un plan qui est là pour être le dernier coup de rein qui permette de faire cette accélération supplémentaire pour stopper l'augmentation du chômage, c'est quasiment fait, mais ensuite l'inverser – je ne veux pas jouer encore sur tous les mots – faire baisser le chômage, pour que les choses soient claires, pour faire baisser le chômage. Vous savez que nous avons en France deux caractéristiques qui sont très positives pour l'avenir, pour notre société, mais qui sont une difficulté pour aujourd'hui. La première caractéristique c'est que nous faisons plus d'enfants que les autres, nous avons une démographie extrêmement positive. Il y a 150.000, si je fais le solde entre ceux qui partent à la retraite et les jeunes qui arrivent sur le marché, 150.000 personnes de plus. Il faut donc créer 150.000 emplois de plus pour pouvoir stabiliser le chômage. Si nous avions, en France, la même démographie que l'Allemagne, et si l'autre élément positif, pour nous, si nous avions le même taux d'activité des femmes, qu'en Allemagne, nous aurions quasiment le même taux de chômage. Or, nous sommes fiers qu'il y ait plus de femmes qui travaillent en France, nous sommes plutôt heureux qu'il y ait plus d'enfants en France qu'en Allemagne. A terme, tout ceci c'est un plus pour nous, mais là, dans la période, où il y a des faibles croissances, où il y a des difficultés, c'est pour nous une difficulté. Il faut relever ces difficultés. Donc c'est un plan, qui vient après les autres, pour accélérer, pour amplifier, pour que les résultats soient là, parce que la seule chose qui compte aux yeux des Français c'est qu'il y ait des résultats.
OLIVIER DANREY
Quand vous dites c'est le dernier coup de rein, ce plan, ça veut dire qu'après on aura vraiment tout essayé ?
MICHEL SAPIN
Non, personne ne peut jamais dire « on a tout essayé, en plus il y a des mesures qui peuvent être portées par d'autres, avec lesquels je peux être en désaccord, parce que des mesures par exemple – c'était une proposition patronale – on peut prendre le terme que l'on veut, on peut dire que c'est un contrat agile. Il peut y avoir aussi des remises en cause d'un certain nombre de protections sociales avec lesquelles je ne suis pas en accord. Donc ceux qui sont pour ça ils diront « il y a encore d'autres mesures à prendre contre le chômage ». Donc on ne peut pas dire que tout a été fait, simplement ce sont des mesures supplémentaires. On ne peut pas tout faire à la fois. Il y a un problème global de coût ; il faut que tout ça soit finançable, il faut tout ça soit compatible par ailleurs avec la réduction des déficits. La vie politique, la vie économique c'est plein de contradiction, ce sont ces contradictions là qu'il faut arriver à rendre compatibles pour avoir, je le répète, les résultats nécessaires.
GUILLAUME ERNER
Mais la cause principale du chômage en France Michel SAPIN, selon vous, c'est parce que le coût du travail est trop élevé ?
OLIVIER DANREY
C'est un des éléments dans un certain nombre de secteurs, où nous avons perdu de la compétitivité ; perdre de la compétitivité ça veut dire que d'autres ont pris notre place, ont vendu des produits à notre place. Parce que leurs produits étaient éventuellement moins chers ou éventuellement de meilleure qualité. Donc cette compétitivité qui a reculé considérablement ce n'est pas une histoire d'acte politique, mais c'est vrai qu'entre 2002 et 2012 la compétitivité française a considérablement diminué. Chacun ensuite en trouvera les causes qu'il voudra, mais c'est un constat. Et en 2012 nous avons quoi ? Nous avons une économie française qui a perdu de sa compétitivité, il faut lui rendre ; nous avons des déficits publics qui sont parmi les plus élevés qu'on n'ai jamais connus, il faut les diminuer ; et il y a chômage qui a été à un niveau extrêmement élevé qui continue à augmenter, qu'il faut stopper et inverser. C'est ça toute la difficulté de notre tâche. Alors après on mérite toutes les critiques du monde, mais il faut au moins comprendre à quoi on s‘attaque au fond des choses.
PHILIPPE MANIERE
On a un peu l'impression à entendre le plan qui a été présenté hier qu'il s'agit de corriger tout un tas de choses qui ont été faites par le passé par ce gouvernement ou par certains de ses prédécesseurs, généralement de gauche, qui en réalité sont analysées comme étant aujourd'hui inadaptées. Vous avez dit vous-même adapter les 35 heures pour faciliter la production. C'est bien la preuve que les 35 heures ne facilitent pas la production en soi. Et j'ai l'impression qu'on a en permanence ça. Vous voyez dans le plan annoncé hier il y a le CICE, alors quand GALLOIS avait proposé une baisse des charges vous avez dit « non non on va faire le CICE », trois ans après on dit « non ben finalement on va transformer le CICE en baisse des charges ». Trois ans de perdues. On nous dit « on va faire un statut spécial de l'entrepreneur », il y a quelques semaines seulement on tapait sur les auto entrepreneurs dont on compliquait la tâche. Donc là encore quelle est la cohérence, pourquoi ces corrections dans le temps ? Pourquoi ce gouvernement donne-t-il le sentiment qu'il corrige très souvent des choses que lui ou ses prédécesseurs de gauche ont faites et dont il fait l'analyse qu'elles ne marchent pas ?
MICHEL SAPIN
Je veux bien accepter la remarque sur certains aspects, mais je ne les accepte pas sur tous ceux que vous avez décrits. Sur la question des 35 heures, oui il y a eu une série de mesures, de droite ou de gauche pour donner de la souplesse dans l'application. Ne pas remettre en cause. Certains maintenant veulent les remettre en cause, mais ça c'est à droite, d'autres font des propositions, je pense à monsieur FILLON ou peut-être maintenant monsieur SARKOZY, je ne sais pas. Pas monsieur BERTRAND qui a toujours bien compris qu'il ne fallait pas remettre en cause les 35 heures sinon il mettait en cause les heures supplémentaires. Mais bon ! Il y a des débats aussi à droite, ça peut exister, et pas seulement sur ce sujet-là. Donc on voit bien que là il faut oui par accord entre partenaires sociaux, par le dialogue social adapté et puis évoluer. Et puis les choses ont changé. L'économie d'aujourd'hui n'est même plus du tout l'économie d'il y a dix ans. Ça évolue à une très grande vitesse. Donc ce n'est pas anormal de corriger, pour reprendre votre terme. Mais sur le CICE je n'aime pas trop le terme de correction, parce que le CICE c'est quelque chose qui est extrêmement apprécié aujourd'hui par les entreprises, qui - moi qui suis très souvent au niveau européen à discuter avec mes collègues européens – ils l'ont vu, ils ont vu qu'il y avait un effort. Quand vous mettez 30 milliards ou 40 milliards sur la table, CICE plus baisse de cotisations, ce n'est pas quelque chose d'anodin. Ils l'ont bien perçu. Et d'ailleurs c'est pour ça qu'aujourd'hui le jugement porté sur la France n'est plus du tout aussi défavorable que celui qu'on pouvait connaitre il y a deux ou trois ans. Alors la question qui est posé par le président c'est dans la durée : est-ce qu'il vaut mieux un crédit d'impôt ou est-ce qu'il vaut mieux une baisse de cotisations ? Bien dans la durée. C'est pour ça qu'il a dit « il va falloir progressivement, pas là tout de suite, progressivement passer à un système de baisse de cotisations…
PHILIPPE MANIERE
Pourquoi ne pas l'avoir fait dès le début, alors même que c'était ce que vous recommandait Louis GALLOIS !
MICHEL SAPIN
C'est parce que ça permettait d'agir plus vite et immédiatement. Et il y avait déjà de l'urgence dans la lutte contre le chômage.
GUILLAUME ERNER
Autre critique adressé à ce plan Michel SAPIN, ceux qui considèrent qu'il y a des effets d'aubaine, le CICE ce peut être également un effet d'aubaine, autrement dit des cadeaux faits à des entreprises qui finalement se portent très bien et qui ne jouent pas le jeu et n'embauchent pas.
MICHEL SAPIN
Oui je connais ce raisonnement là. Il a sa pertinence sauf que dans le monde d'aujourd'hui on ne sait pas mettre en place des plans qui soient uniquement pour l'industrie textile, ou l'industrie sidérurgique, parce que c'est quelque chose qui aujourd'hui serait parfaitement contraire à des règles qui sont des règles posées au niveau européen. Donc ce que nous voulons, au fond qu'est-ce que nous voulons ? Nous voulons que les entreprises retrouvent le terme économique, c'est des marges, leur capacité d'agir, de faire de la nouveauté ; la nouveauté c'est de l'innovation, c'est de l'investissement, c'est de l'embauche dont elles disposaient avant la crise, avant 2008. C'est ça l'objectif. Avant 2008, si je regarde les années 2005, 2006, 2007, il y avait un dynamisme qui était dû à des marges des entreprises. Il faut qu'elles retrouvent ces marges. Ensuite, elles les utilisent librement. On n'est pas là non plus dans une économie où l'Etat va de manière tatillonne dire « telle entreprise doit investir, telle entreprise doit embaucher », ou alors je ne comprends plus rien au monde d'aujourd'hui. Pas grand monde propose que nous retrouvions une société de cette nature qui a pu exister dans quelques pays un peu lointain mais qui ont aujourd'hui complètement changé de modèle économique. Donc il faut aujourd'hui accepter que les entreprises aient plus de liberté. Mais on a le droit d'avoir de l'exigence vis-à-vis de ces entreprises et l'exigence je dirais c'est l'exigence par rapport à nous-mêmes, par rapport à l'opinion, par rapport aux Français, l'exigence c'est que retrouvant leurs marges elles utilisent ces marges non pas pour faire des petits … en plaçant ça dans un coin sur un compte, d'ailleurs pas rémunéré très cher, mais en prenant des risques, en passant le pas. C'est le plus difficile, c'est que les entreprises se disent « c'est le moment d'y aller. La croissance reprend un peu, pas suffisamment, si j'attends elle ne restera pas suffisamment ; si j'y vais elle va être un peu plus forte », et ça permettra globalement de faire en sorte que l'économie française soit plus forte et plus productrice en emploi.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 janvier 2016