Déclaration de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, sur la protection des lanceurs d'alerte, sur les mesures de lutte contre la corruption et la régulation des marchés financiers, à l'Assemblée nationale le 24 mai 2016.

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Circonstance : Audition par les commissions des lois, des finances et des affaires économiques, sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la côrruption et à la modernisation de la vie économique, à l'Assemblée nationale le 24 mai 2016

Texte intégral

Madame, Messieurs les présidents,
Messieurs les rapporteurs,
Mesdames, Messieurs les députés,
Je vous remercie de m'accueillir dans cette enceinte et suis heureux de pouvoir échanger avec vous sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
Comme vous le savez, ce projet de loi, que je porte avec Jean-Jacques URVOAS et Emmanuel MACRON, touche à différents domaines, de la vie publique et de la vie économique : les relations entre les pouvoirs publics et les représentants d'intérêts, la lutte contre la corruption, la protection des lanceurs d'alerte, la régulation financière, l'activité d'artisan, la vie des sociétés et des questions agricoles.
Ce projet que vous allez faire loi doit hisser la France aux meilleurs standards internationaux et renforcer la confiance de nos concitoyens dans leur système politique et économique. Il porte à mon sens deux objectifs qui, je pense, peuvent tous nous rassembler :
- la transparence, d'une part ;
- l'encouragement de la bonne finance et la lutte contre la mauvaise finance, d'autre part.
La transparence d'abord, parce que c'est la condition sine qua non de la confiance de nos concitoyens dans les institutions publiques et ceux qui les dirigent ; de la confiance aussi dans une économie ouverte et saine.
L'encouragement de la bonne finance et la lutte contre la mauvaise finance, ensuite, parce que le projet de loi a pour finalité de développer la liberté du commerce et de l'industrie et un financement efficace et sûr de notre économie. Mais il a aussi pour ambition de sanctionner plus sévèrement encore les dévoiements de la finance qui menace notre modèle économique et social.
C'est dans ce cadre politique que j'ai travaillé étroitement ces dernières semaines avec les rapporteurs des trois commissions saisies, MM. DENAJA, COLAS et POTIER, afin d'améliorer le texte. Je les remercie chaleureusement et salue le travail qu'ils accomplissent.
Je voudrais aujourd'hui vous présenter les grands axes du projet de loi, sur lesquels je souhaite avancer tout particulièrement.
1ER AXE : LA PROTECTION DES LANCEURS D'ALERTE
Le projet de loi contient des dispositions sur la protection des lanceurs d'alerte, qui constitueront l'accroche nécessaire pour ajouter par amendement un statut général des lanceurs d'alerte.
Les affaires des Panama Papers et d'Antoine DELTOUR, notamment, ont encore mis en lumière très récemment, s'il en était besoin, le rôle éminent des lanceurs d'alerte.
La manifestation de cette conscience citoyenne au bénéfice de l'intérêt général doit être mieux protégée.
Il faut, d'abord, définir le lanceur d'alerte afin de l'identifier juridiquement et ainsi de le protéger.
Il faut, ensuite, définir le "canal" que la révélation des informations dont il est dépositaire doit emprunter. Ce "canal" doit être balisé, clairement et précisément défini afin, d'une part, de vérifier les informations et protéger les tiers et l'organisation en cause contre tout signalement malveillant et, d'autre part, de mettre les autorités compétentes en mesure de les traiter.
Il faut aussi que tous les lanceurs d'alerte puissent bénéficier de la même protection, quel que soit le domaine dans lequel ils interviennent. Et cette protection doit être renforcée au regard de ce qui existe, afin qu'aucune lanceur d'alerte n'ait à pâtir, notamment au point de vue financier, de la divulgation, dans les conditions légalement prévues, d'une information d'intérêt général au public ou à la presse.
C'est la raison pour laquelle je crois que la protection des lanceurs d'alerte doit être confiée à une autorité publique indépendante [comme le Défenseur des droits].
2EME AXE : LE REPERTOIRE DES REPRESENTANTS D'INTERETS
Le projet de loi prévoit également la création d'un répertoire numérique des représentants d'intérêts auprès du Gouvernement, à l'image du fichier mis en place il y a quelques années par l'Assemblée nationale et le Sénat pour répertorier les représentants d'intérêts s'adressant aux parlementaires.
Je crois important de souligner que l'objectif du Gouvernement est bien d'encadrer l'activité des représentants d'intérêts et non de l'interdire ou de la stigmatiser. Les représentants d'intérêts, par leur action, contribuent à la réflexion collective. Ils constituent des relais d'opinions que le Gouvernement et le législateur doivent écouter et dont les informations et les arguments doivent être pris en considération.
Mais c'est parce qu'ils ont un pouvoir d'influence sur les pouvoirs publics qu'il faut rendre transparents les rapports qu'ils entretiennent avec ces derniers et que l'activité de représentation d'intérêts doit être encadrée.
Le projet du Gouvernement a naturellement vocation à être enrichi lors de l'examen que vous ferez du texte et je suis favorable à toute extension qui ira dans le sens de la transparence. Je suis notamment favorable à la création d'un registre unique, commun au Gouvernement, à l'Assemblée nationale et au Sénat.
3EME AXE : LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION
Vous le savez, la France est encore mal notée par des organisations internationales, comme l'OCDE ou des organisations non gouvernementales, comme Transparency International. Il lui est reproché de manquer encore des dispositifs suffisamment puissants pour prévenir la corruption.
Et il est remarquable que la justice française n'a condamné définitivement aucune société française pour corruption d'agent public étranger depuis 2000, date de la création de cette infraction. Cependant, certaines de ces sociétés françaises ont été sanctionnées, parfois lourdement par des justices étrangères.
C'est de toute évidence une situation inacceptable, in fine nuisible à notre image mais également à nos entreprises. C'est ce retard que nous avons voulu combler pour mettre notre pays au niveau des grandes démocraties modernes.
Il s'agit d'abord de mieux prévenir et détecter la corruption. Le projet de loi prévoit à ce titre la création de l'Agence nationale de prévention et de la détection de la corruption, qui remplacera le service central de prévention de la corruption, dont elle reprendra bien sûr les missions, tout en assurant celles, nouvelles, qui lui seront attribuées.
Il crée aussi une obligation de vigilance dans le domaine de la lutte contre la corruption, applicable à certaines entreprises.
Il s'agit ensuite de rendre plus effective la répression de la corruption, à travers un renforcement de notre arsenal répressif. Je me bornerai à ce stade à mentionner la création d'une peine complémentaire dite de mise en conformité des procédures de prévention et de détection de la corruption pour les entreprises.
Je suis convaincu que vous aurez l'audace nécessaire pour compléter le texte afin de mettre notre pays aux meilleurs standards de lutte contre la corruption, et en particulier de la corruption transnationale.
4 EME AXE : LA MODERNISATION DE LA VIE ECONOMIQUE
Le texte que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui porte enfin sur la modernisation de notre vie économique. Il porte quatre ambitions cohérentes. A cet égard et en ayant examiné les amendements que vous avez pu déposer – je pense notamment à certains de ceux portés par l'opposition -, je me permets de rappeler que nous aurons d'autres occasions, et notamment les textes financiers de fin d'année pour aborder vos suggestions en particulier fiscales.
Permettez-moi de revenir sur l'objet du texte que je présente aujourd'hui sur ce volet de modernisation.
La première ambition vise le renforcement de la régulation financière.
Rendre la régulation financière française encore plus efficace, cela permet de contribuer à la stabilité financière et la compétitivité de la place financière de Paris. Cela permet aussi d'accroître la protection des épargnants. Nous en avons beaucoup discuté avec votre rapporteur de la commission des finances et c'est une préoccupation que nous partageons.
Le projet de loi prévoit ainsi plusieurs mesures pour étoffer les pouvoirs de l'Autorité des marchés financiers.
L'autre superviseur financier français, l'ACPR, verra également ses pouvoirs renforcés : nous allons en particulier créer un régime de résolution pour les assurances, une première en Europe, afin de renforcer la stabilité financière et la protection des assurés.
Enfin, je sais que vous envisagez de renforcer les pouvoirs du Haut conseil de stabilité financière, que je préside depuis maintenant deux ans. Cette institution, qui veille à l'interaction entre les développements financiers et la stabilité économique, a effectivement un rôle majeur à jouer : je salue donc votre initiative qui vise à enrichir ses pouvoirs.
La deuxième ambition est celle d'une meilleure protection des consommateurs et des épargnants.
Je voudrais insister sur deux mesures particulièrement importantes.
Je souhaite interdire purement et simplement la publicité pour des plateformes internet qui proposent des instruments financiers très risqués. Depuis 2011, le nombre de réclamations auprès de l'AMF a été multiplié par 18. Plus de 90% des personnes qui s'adonnent à de tels paris perdent de l'argent, et parfois des sommes très conséquentes – sans compter les pratiques frauduleuses de certains acteurs. Vous vous apprêtez à améliorer la disposition initiale du texte en donnant à l'AMF des pouvoirs supplémentaires et je salue cette initiative.
Par ailleurs, comme vous le savez, je veux faciliter l'usage des moyens de paiement modernes de façon sécurisée pour les consommateurs. C'est notamment la raison pour laquelle je souhaite restreindre la durée de validité du chèque à six mois, ce qui permettra également de diminuer l'incertitude liée au délai d'encaissement du chèque. La commission des affaires économiques a souhaité fixer une date claire d'entrée en vigueur qui permette également aux acteurs de s'adapter ; j'en suis tout à fait d'accord.
La troisième ambition concerne le financement de l'économie française.
Une première mesure qui me paraît majeure, c'est de faciliter le financement de l'économie par les investisseurs. C'est pourquoi, conformément à ce que permet le droit communautaire, le projet de loi crée un régime prudentiel adapté pour les régimes de retraite supplémentaires, en maintenant un niveau de protection élevé des assurés. Cette évolution offrira des perspectives de rendement accrues pour les épargnants et permettra de dégager plusieurs dizaines de milliards d'euros pour le financement des entreprises françaises.
Je comprends que vous souhaiteriez que cette évolution puisse également s'appliquer aux PERP. Cependant, les PERP ne sont pas des produits de retraite professionnels au sens de la réglementation communautaire. A droit constant, cela n'est donc pas possible. Néanmoins, le Gouvernement plaidera à Bruxelles pour que ce type de produits retraite puisse bénéficier des mêmes souplesses.
Par ailleurs, le Livret de développement durable comportera désormais un volet dédié à l'économie sociale et solidaire (qui représente 10% du PIB en France) : concrètement, les banques proposeront annuellement à leurs clients détenteurs d'un LDD d'en affecter une partie au financement d'une personne morale relevant de l'économie sociale et solidaire. Vous souhaitez également étendre les obligations d'emploi de l'épargne réglementée qui incombent aux banques aux entités de l'ESS. Je pense que c'est une bonne mesure, qui incitera les banques à investir davantage dans ce secteur.
Enfin, ce texte doit permettre d'améliorer les conditions d'exercice de nombreuses professions en assurant plus de transparence et en adaptant le système de qualifications professionnelles pour en améliorer l'accessibilité et la qualité. Il comporte enfin des mesures qui visent à mieux réguler l'économie, car l'objectif de transparence que cette loi propose passe aussi par la priorité donnée au "bien faire" plutôt qu'au "laisser faire", ce qui n'empêche pas, dès que cela se justifie, de simplifier les procédures et les démarches. Je n'entrerai pas dans le détail des mesures qui ont déjà été longuement discutée en commission des affaires économiques. Je tiens d'ailleurs à saluer ses travaux qui ont contribué à enrichir le texte et à en clarifier les objectifs là où cela était nécessaire.
Je comprends en particulier les préoccupations qui ont conduit à faire évoluer les dispositions en matière d'agriculture pour apporter plus de transparence sur les ventes de foncier agricole, et sur la formation des prix au sein des filières : on y retrouve bien l'esprit de ce projet de loi.
Je suis satisfait également des clarifications qui ont pu être apportées sur certaines mesures chères au monde de l'artisanat. L'objectif est bien de tirer les personnes vers le haut et d'offrir des passerelles, et je crois que c'est le sens des modifications qui ont été apportées.
Enfin, s'agissant des questions relatives au droit des sociétés, certains d'entre vous souhaitent enrichir le projet de loi pour rendre contraignantes les décisions des actionnaires en matière de rémunération. Je m'en félicite.
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
C'est avec une vraie émotion que près de vingt-cinq ans après avoir présenté à votre assemblée un projet de loi portant quasiment le même titre, j'engage aujourd'hui le débat avec vous.
J'ai voulu à la fois vous présenter l'esprit qui m'anime et laisser toute sa place aux discussions que vous aurez en commission dans les heures qui viennent. Ma longue expérience parlementaire me conduit aujourd'hui à vous faire partager une ambition de co-construction qui doit permettre de montrer que sur l'essentiel – la consolidation de la probité et l'éthique en politique comme dans l'économie – nous parvenons à nous rassembler, pour bâtir le cadre d'une démocratie moderne dont nous pouvons être fiers.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 25 mai 2016