Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "France 2" le 7 juin 2016, sur les mesuress anti-corruption et de protection des lanceurs d'alerte dans le projet de loi dit "Sapin II".

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Média : France 2

Texte intégral

ROLAND SICARD
Bonjour à tous. Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
ROLAND SICARD
On va parler de la loi sur la transparence et contre la corruption, dite loi Sapin II, mais d'abord je voudrais qu'on revienne sur les impôts, c'est aujourd'hui le dernier jour pour remplir sa déclaration. Est-ce qu'il y aura un délai, notamment pour ceux qui ont été victimes des inondations ?
MICHEL SAPIN
Evidemment ! Pour ceux qui ont autre chose en tête, et on peut le comprendre, qui doivent faire face à l'urgence, éventuellement d'ailleurs qui peuvent avoir perdu tel document ou tel papier, il y aura des délais, ces délais sont accordés et l'administration fiscale fera preuve de beaucoup d'indulgence, aidera même ces personnes à retrouver éventuellement les informations qui leur manquent.
ROLAND SICARD
Ce délai, il sera de combien ?
MICHEL SAPIN
Oh, c'est un délai qui est de l'ordre de dix jours, mais je pense qu'il ne faut pas raisonner administrativement, il faut vraiment raisonner personne par personne, et aucun de ceux qui aujourd'hui n'ont à faire face aux conséquences des inondations, n'auront de difficultés ou de problèmes, du point de vue de la déclaration d'impôts.
ROLAND SICARD
Alors, l'impôt sur le revenu, il doit être prélevé à la source à partir de 2018. En 2017, comment on va compter ? Qu'est-ce qui se passera pour ceux qui en 2017 auront des revenus exceptionnels ?
MICHEL SAPIN
Vous avez raison de poser des questions précises, parce qu'il y a toujours des cas précis, mais chacun doit bien avoir en tête le gros avantage du prélèvement à la source, c'est qu'on prélève l'impôt en comparaison immédiate du revenu que l'on touche. Aujourd'hui vous êtes au chômage et vous devez payer des impôts en fonction de l'année précédente où vous étiez en activité. Vous êtes à la retraite, vous gagnez moins, et vous devez payer des impôts en fonction de ce que vous gagniez lorsque vous étiez en activité. C'est le gros avantage. Alors, bien entendu, il faut résoudre surtout l'année dite de transition, un certain nombre de difficultés, nous avons des réponses techniques qui feront que, par exemple tout le monde va payer des impôts tous les ans. L'année prochaine, je ne sais pas si je dois vous rassurer ou pas, mais vous payerez des impôts sur les revenus de cette année, et en 2018, vous payerez des impôts sur les revenus de 2018. Il peut y avoir quelques cas en 2017 de revenus exceptionnels, disons que si ça n'est pas organisé, si ça n'est pas une volonté en quelque sorte de payer moins d'impôt en reportant les recettes ou en reportant les dépenses, eh bien ce sera tout gagné.
ROLAND SICARD
On parlait des inondations, est-ce qu'elles auront un impact sur la croissance ?
MICHEL SAPIN
Elles ont évidemment un gros impact en termes d'activité sur ceux qui sont les pieds dans l'eau, sur les commerces, sur les artisanats qui sont touchés, sur telle ou telle entreprise qui peut avoir subi des dégâts des crues. Et donc, pour ces gens-là, d'abord une pensée, les aider, et il y aura des aides de la part de l'Etat, que ce soit des subventions ou que ce soit des reports de paiements, là encore d'impôts ou de cotisations sociales. Nous devons cette solidarité à ces gens qui sont frappés dans leurs activités économiques. Mais est-ce que ça a un effet sur l'ensemble de l'économie française ? Je ne le crois pas, parce que malgré tout c'est quand même très ciblé pour certaines parties de notre territoire et je ne pense pas que ça aura des conséquences sur la croissance, qui est une croissance qui reprend, une activité qui reprend, de l'emploi qui reprend, et nous ne serons pas les victimes…
ROLAND SICARD
Croissance que vous chiffrez à combien ?
MICHEL SAPIN
Je me suis fixé pour cette année, 1,5 % de croissance, c'est-à-dire plus que l'année dernière et peut-être moins que l'année prochaine, puisque tout le monde, tous les observateurs, ce n'est pas le ministre, comme ça, qui essaie de prévoir ce qui lui ferait plaisir, mais tous les observateurs nous disent que l'année prochaine la croissance devrait encore s'accélérer. C'est un bon signe, c'est une bonne nouvelle. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour le gouvernement, c'est une bonne nouvelle pour la France, parce que derrière la croissance il y a les emplois, derrière les emplois il y a le recul du chômage, que l'on voit déjà aujourd'hui s'inscrire dans réalité depuis le début de cette année.
ROLAND SICARD
Et les grèves, pas d'impact sur la croissance ?
MICHEL SAPIN
Si, on ne peut pas dire « pas d'impact ». Par définition, lorsqu'une entreprise est gênée dans son activité parce qu'il y a eu une grève, lorsqu'il y a un blocage de l'approvisionnement en carburant, ça peut avoir des effets, mais qui sont là aussi des effets extrêmement sectoriels. Là encore, je ne pense pas qu'il y aura d'effets, globalement, mais enfin ce n'est pas une raison pour considérer qu'une grève est sans effet. Et pour reprendre une expression que j'ai utilisée, ce n'est pas le moment de mettre des bâtons dans les roues du retour de la croissance.
ROLAND SICARD
Alors, cette loi sur la transparence et contre la corruption, dite Loi Sapin II, est-ce que si vous la faites, ça veut dire que la France reste un pays obscure ?
MICHEL SAPIN
Non mais dans ce domaine-là on peut toujours progresser. Si elle s'appelle Sapin II, c'est qu'il y a eu un Sapin I, il y a de cela quelques années, qui a été adoptée dans un contexte dont peut-être certains se souviennent, c'était celui de l'obscurité dans le financement des partis, dans le financement des campagnes, avec des affaires, avec des vraies difficultés. Sur le territoire français, je crois vraiment que nous n'allons pas éradiquer la corruption, il y a toujours des gens qui veulent corrompre ou qui acceptent d'être corrompus, mais la justice a les moyens des les poursuivre, les moyens de les condamner, donc, en France, le boulot est fait. Là, ce dont nous parlons, c'est d'une corruption à l'international, pour conquérir les marchés à l'international, c'est une corruption qui est d'ailleurs très insidieuse, parce qu'elle est mauvaise pour les entreprises, elle est mauvais du point de vue moral, mais elle est aussi très mauvaise pour les pays, parce que ce sont souvent des pays faibles, des pays en développement, qui devraient consacrer la totalité de leurs ressources à leur développement et non pas à la corruption.
ROLAND SICARD
Mais qu'est-ce que la loi va changer ?
MICHEL SAPIN
Alors, elle donne des moyens, à des institutions que nous créons, pour d'abord prévenir, obliger ces entreprises qui se battent sur les marchés internationaux, à mettre en place dans leur entreprise, une organisation, une formation de leurs salariés, des capacités d'accompagnement d'un salarié qui se trouverait sur le terrain, là aussi, quand il est en commercial, soumis à des pressions. Et puis il y a des moyens en termes de lutte contre cette corruption, nous aurons désormais les moyens de condamner, en France, des entreprises qui corrompent à l'étranger, jusqu'à présent ça n'était pas le cas.
ROLAND SICARD
Les entreprises, justement, elles s'inquiètent d'une possible disposition qui devrait être prise, qui les obligerait à publier tout ce qu'elles font à l'étranger. Est-ce que ça se fera ?
MICHEL SAPIN
Alors, vous utilisez « elles s'inquiètent d'une possible », etc., donc je vois des conditionnels comme ça dans la Presse et certaines organisations patronales, avec subtilité et modération dans les termes, qui réagissent par avance, avant même que quoi que ce soit ne soit discuté. Non, de quoi parlons-nous, là, aussi ? Nous parlons des moyens de lutter contre l'optimisation fiscale. L'optimisation fiscale, c'est des entreprises qui s'organisent, tout en respectant les lois, pour ne plus payer d'impôts, c'est anormal. Les entreprises doivent payer des impôts là où elles gagnent de l'argent, c'est vrai pour la France comme c'est vrai pour le reste du monde. Et donc nous mettons en place au niveau européen, des dispositions qui permettent de lutter contre cette optimisation fiscale. Nul ne peut être en contradiction avec ce qui est voulu au niveau européen et qui sera bon pour chacune de ces entreprises.
ROLAND SICARD
Les lanceurs d'alertes, ils seront mieux protégés ?
MICHEL SAPIN
Oui. Le lanceur d'alerte, c'est celui, là encore il faut s'intéresser aux définitions, c'est celui qui va donner des informations, qui va révéler des informations, non pas par intérêt personnel, mais au nom d'un intérêt général, qui lui est supérieur, qui est même supérieur à l'entreprise avec laquelle éventuellement il travaille. Donc on les connait ces lanceurs d'alertes, prenez monsieur DELTOUR aujourd'hui, qui est poursuivi au Luxembourg, parce qu'il a révélé une situation parfaitement inacceptable, je parlais de l'optimisation fiscale, d'entreprises qui s'organisaient pour ne rien payer du tout, et ceci en accord avec l'Etat luxembourgeois. Il a eu raison d'agir, mais il faut le protéger. Et ces gens-là doivent être protégés. Donc, hier soir, d'ailleurs, nous avons voté les premiers éléments, l'Assemblée a voté les premiers éléments pour protéger ces lanceurs d'alertes, et s'ils sont l'objet de discriminations, par exemple de licenciement, il y aura les moyens de lutter contre ces discriminations et de leur permettre de retrouver un emploi.
ROLAND SICARD
Merci Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 juin 2016