Déclaration de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, sur la création de France Expérimentation destiné à favoriser l'expérimentation et l'innovation dans le secteur économique, Paris le 29 juin 2016.

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Circonstance : Lancement de France Expérimentation, Paris le 29 juin 2016

Texte intégral

Monsieur le Ministre, Cher Jean-Vincent,
Madame la Sénatrice,
Mesdames, Messieurs les Présidents,
Chers Amis.
Merci beaucoup d'être là ce matin pour un sujet qui n'est pas quelque chose d'atypique dans la réflexion sur l'action publique mais qui parfois relève de la pratique quotidienne pour les chefs d'entreprise, les dirigeants que vous êtes. Et au fond le défi qui est le nôtre et en vous écoutant, parfois en regrettant que nous arrivions trop tard même s'il n'est jamais trop tard, je me disais que tout cela relève bien du contexte dans lequel aujourd'hui nous avons à agir et à mener la bataille. Nous sommes la plupart du temps pris dans notre pays dans des débats théoriques qui empêchent d'agir, qui parce que les idées préconçues s'opposent toujours de manière sincère, parfois de manière plus cynique, l'action collective est rendue plus difficile.
Et se faisant, le travail pour améliorer les situations connues, débloquer justement des défis de politique publique que vous avez rappelés les uns et les autres, nous sommes moins efficaces en raison de ces préjugés, en raison de la défiance qui s'est installée. Et donc, face à cela tout ce qui permet de créer de la transparence par l'expérimentation et l'évaluation, d'avoir justement des preuves empiriques d'un changement, ce que vous nous avez formidablement montré à travers ces projets concrets comme l'hydrolienne, le dispositif « zéro chômeur de longue durée » ou cette innovation locale pour faire advenir, si je puis dire, les entrepreneurs, ce sont à mes yeux des vrais antidotes de la situation de défiance dans laquelle nous sommes plongés et des vrais leviers aujourd'hui de l'action collective.
Au fond, le défi qui est le nôtre avec France Expérimentation, c'est de voir comment réinventer notre manière d'administrer et, puisque la France change, puisque nous sommes plongés dans des défis multiples, une grande transformation on le voit bien qui est en train de profondément changer le modèle productif, la façon d'éduquer, les usages, notre manière d'administrer, notre action publique doit elle aussi être capable de se transformer avec une nouvelle philosophie et avec de nouveaux outils.
La nouvelle philosophie de l'action publique, celle que nous partageons avec Jean-Vincent PLACE, c'est d'abord de s'appuyer sur un bon diagnostic.
L'action publique est dans une situation paradoxale. On entend souvent dans le débat public qu'il faudrait moins d'Etat, que les citoyens ont construit une défiance à l'égard des pouvoirs publics au sens large du terme, et dans le même temps les Français expriment une vraie demande d'intervention de la part de la puissance publique. Dès qu'il y a un problème, on en appelle à l'Etat, à la protection, à la correction des inégalités ou des pratiques déviantes. Et donc, on le voit bien, la question ça n'est pas au fond de savoir s'il faut moins ou plus d'Etat mais c'est d'adapter l'action publique aux modalités du temps présent, c'est-à-dire à un monde qui a changé, où les attentes ne sont pas les mêmes, où parfois cet Etat qu'on réclamait ou cette intervention publique qu'on voulait vient bloquer d'autres acteurs, vient les empêcher, vient entraver et au fond produit un effet qui n'était pas celui initialement souhaité.
Cette nouvelle philosophie passe également à mes yeux par trois aspects : personnaliser davantage l'action publique, l'ouvrir et innover.
1/ Personnaliser
La personnaliser. Au fond, le paradoxe dans lequel l'action publique est plongée, c'est que nous sommes dans un monde où les solutions d'ensemble sont profondément bousculées par la mondialisation, et, en particulier, la numérisation. Le numérique vient apporter non plus des solutions holistiques diraient les sociologues mais une individualisation des expériences. C'est d'ailleurs le défi dans lequel les entreprises sont elles aussi plongées, on le sait bien, avec le CNI, c'est le coeur de la réflexion aujourd'hui qui est la nôtre, et nous sommes en même temps dans une société où l'horizontalité est croissante, les modèles productifs, les usages se transforment et redonnent du pouvoir aux concitoyens, aux consommateurs. Le numérique supprime les distances. L'entrepreneuriat germe un peu partout dans la société. C'est le constat que vous avez fait. Les projets associatifs civiques sont là aussi, ils montrent cette décentralisation du pouvoir très profonde, cette volonté de faire. Et à l'opposé, on a une action publique qui, elle, reste encore très homogène et très verticale, trop verticale, et c'est exactement ce que vous avez exprimé à travers vos histoires.
Par rapport à ce paradoxe, je veux ici être extrêmement clair, ce ne sont pas les agents publics qu'il faut blâmer pour cette verticalité, c'est l'organisation collective, la tête en quelque sorte, nous, qui est le problème, c'est que nous sommes dans un système qui a survalorisé les normes, les règles au sommet et qui privent bien souvent les acteurs de marge sur le terrain et ça c'est véritablement un décalage dans notre action publique qui la rend profondément inadaptée aux défis qui sont les nôtres. Nous passons d'ailleurs un temps colossal, législateurs et gouvernement, à faire des normes pour tout le pays sans généralement les laisser vivre, sans regarder et les évaluer. Nous sommes en train d'essayer de faire un peu différemment, je remercie Anne PERROT qui nous a accompagnés dans cette aventure avec la loi croissance. Ca n'est que le début, mais ce dont nous avons besoin c'est de permettre aux acteurs de terrain de déployer l'action publique de manière différenciée, justement plus personnalisée, plus adaptée à ces changements du monde parce que les agents sur le terrain sont prêts à bouger, ils n'attendent même que cela, et donc à responsabiliser davantage.
Donc la transformation que nous avons à faire, et elle est au coeur de la simplification, c'est de donner plus de leviers managériaux, plus de moyens d'action sur le terrain à la puissance publique et de passer moins de temps, d'énergie, de concentrer moins d'actions politico-médiatiques sur les grands débats théoriques et la fabrique de la loi pour tous et ça je crois que c'est absolument fondamental.
Et puis l'uniformité de l'action publique tranche avec le sur-mesure qui se développe pour tous les actes de la vie quotidienne. On a d'un côté des consommateurs, des entreprises qui vont vers des solutions plus personnalisés, et de l'autre le citoyen et l'usager du service public qui la plupart du temps doit se contenter d'une offre qui est un peu monochrome, qui est uniforme sur le territoire.
Et donc pour cela, nous devons avancer dans trois directions pour combler ces fossés, d'abord prendre pleinement le virage du numérique, le secteur public est encore largement en retard. On y travaille, c'est d'ailleurs au coeur de la mission de Jean-Vincent PLACE mais je crois que c'est absolument fondamental si l'on veut qu'il y ait davantage d'individualisation, aussi des gains de temps qui sont absolument décisifs et qui sont attendus de la puissance publique.
Ensuite, rompre avec le principe d'égalité de traitement, ça a été évoqué dans le propos introductif, on a une belle idée en France à laquelle nous sommes toutes et tous attachés qui est celle de l'égalité. Quand l'égalité de traitement devient en fait une condition d'uniformité, bloque l'action et la capacité individualisée parce que les situations ne sont pas égales, parce que les territoires ne sont pas à égalité, parce que les individus ne sont pas à égalité, nous sommes moins efficaces et au fond nous oeuvrons parfois au contraire de ce que nous recherchons. Et je trouve que l'illustration du projet « Territoires zéro chômeurs  à ce titre est très emblématique parce qu'elle ne se contente pas de poursuivre des belles idées, elle cherche à faire de belles choses, ce qui est souvent différent. Il faut donc parfois prendre un peu le contrepied de nos attentes et la question d'ailleurs de la rupture d'égalité a été largement débattue à l'Assemblée et au Sénat, Laurent GRANDGUILLAUME s'en souvient bien et Nicole BRICQ aussi il y a encore quelques semaines quand ce sujet a été porté sur la table.
Et puis, il faut redonner des marges de manoeuvre aux agents sur le terrain, je le disais, en leur donnant la possibilité de répondre à des demandes très spécifiques et là aussi à innover.
J'étais il y a quelques mois à Fos-sur-Mer voir le projet PIICTO qui vise à créer une grande zone industrielle à économie circulaire et où il faut réaliser des études globales sur la biodiversité, où il faut mobiliser les services de l'Etat de manière un peu différente. Les acteurs sont en train de le faire parce qu'on est en train de créer le cadre qui permet une autre mobilisation de ces services et de notre action publique.
2/ Ouvrir
Deuxième aspect, c'est l'ouverture après la personnalisation. Ouvrir l'action publique, c'est l'ouvrir davantage aux citoyens dans l'élaboration, il faut pour cela renforcer la transparence, le caractère collaboratif, associer davantage la société civile à la définition de l'action publique, recueillir les propositions extérieures et on a besoin de ce temps de décantation indispensable. D'autre part, dans son application puisqu'il faut là aussi associer plus largement la société civile à la mise en oeuvre de l'action publique et je pense par exemple au travail que mènent plusieurs associations qui mettent en place justement des dispositifs en matière d'insertion, de formation, qui s'inscrivent dans le même horizon que l'action publique et qui ne doivent pas la concurrencer mais l'appuyer.
C'est là aussi qu'intervient l'évaluation à mes yeux qui permet d'associer davantage, de rendre transparente l'évaluation par des tiers experts indépendants et elle participe de cette ouverture de l'action publique dans son application parce qu'elle permet de faire vivre les textes, la norme, de rendre plus transparente cette application, de l'ajuster, de faire aussi venir d'autres acteurs en coopération avec l'action publique et de changer justement nos pratiques.
Ouvrir, c'est aussi redonner de l'air à l'action publique et c'est l'ouvrir à des profils plus diversifiés et là-dessus je crois que dans cette transformation de l'action publique nous avons un vrai défi en créant davantage de passerelles entre la Fonction publique et l'extérieur au sein même de la Fonction publique pour aller de l'avant.
3/ Innover
Et puis le troisième socle de cette philosophie de l'action publique repensée, c'est innover et c'est donc ce que nous cherchons à faire aujourd'hui, le principe d'expérimentation, c'est l'une des pierres angulaires du nouveau cadre de l'action publique que nous devons définir parce qu'on gagne en efficacité et en légitimité. Je pense qu'il faut réconcilier les deux, c'est-à-dire qu'on peut ainsi agir plus vite mais parce qu'on apporte des preuves d'efficacité ou qu'on peut corriger ce qui était des a priori comme vous l'avez très bien expliqué en montrant que ça n'est pas vérifié.
Ainsi, on rend l'action publique plus légitime, on la sort de débats théoriques. La puissance publique quand nous vivions dans un autre temps démocratique pouvait être très efficace parce qu'elle avait en quelque sorte une légitimité a priori. Nous ne sommes plus dans cette ère, nous sommes dans un temps démocratique qui a changé, qui est différent, où au fond l'autorité de la puissance publique ne se pense pas de la même façon.
Il faut en tirer toutes les conséquences en écoutant, en concertant et je pense que l'expérimentation est un élément qui permet à la puissance publique de continuer à agir de manière efficace mais plus adaptée aux rapports contemporains à l'autorité publique.
C'est je crois au coeur du défi qui est là aussi le nôtre, l'expérimentation rapproche l'action publique du terrain. Elle permet cette logique au fond plus inductive et donc plus inclusive en allant chercher des expériences sur le terrain, en les révélant par le jeu d'acteurs et en cherchant à les généraliser, ce qui est le coeur d'une norme qui se crée au plus près de l'action et qui en se généralisant gagne sa légitimité. A un moment on le voit bien, la capacité à normaliser, à normer la société est parfois rejetée comme une forme d'hétéronomie, c'est-à-dire quelque chose qui est imposée aux acteurs comme venant de l'extérieur.
Elle permet aussi de tester des solutions avant de les généraliser. C'est là où nous devons être cohérents. Nous appelons notre société à avoir le goût du risque. Je suis profondément convaincu que notre pays a besoin de prendre davantage de risques, donc nous faisons la promotion de cette culture de l'entrepreneuriat économique, social, l'action publique doit avoir cette culture, c'est-à-dire prendre des risques, essayer des choses pour ensuite les généraliser.
Puis la troisième force de l'expérimentation c'est qu'elle s'accompagne d'une vraie rigueur méthodologique, vous l'avez rappelé, c'est-à-dire l'évaluation et ça je crois que c'est absolument indispensable, ça n'est pas une généralisation ensuite automatique, il faut qu'il y ait une preuve d'efficacité qui est la clé de la généralisation de ce qui est expérimenté. Alors pour cela il faut des nouveaux outils et j'en viens à FRANCE EXPERIMENTATION.
FRANCE EXPERIMENTATION c'est l'innovation au carré. D'abord, c'est l'innovation des nouveaux projets économiques, technologiques, sociaux et ce dispositif public permettra justement de les tester. Et puis, c'est l'innovation d'une nouvelle forme d'action publique qui est ainsi lancée. La France c'est le quatrième pays du monde à mettre en place un tel dispositif après le Japon, le Royaume-Uni et l'Australie et c'est véritablement une avancée très forte dans cette approche que nous voulons promouvoir avec Jean-Vincent PLACE d'une administration en situation d'écoute qui veut être plus simple et donc plus concrète.
En termes de méthode, c'est un concentré de tout ce vers quoi nous souhaitons aller. Le droit à l'expérimentation, je le rappelle, a été constitutionnalisé en 2003 mais avec un cadre qui reste encore insuffisamment précis, ce qui d'ailleurs a conduit certains à avoir des difficultés pour y rentrer, avec une évaluation qui est encore insatisfaisante et au fond avec une forme de vice qui était que tout ce qu'on commence à expérimenter a forcément vocation à être généralisé, ce qui est un peu contraire avec l'esprit même qu'on vient d'évoquer. Et donc qui a, si je puis dire, aseptisé la pratique puisqu'on innove moins quand on ne fait qu'expérimenter au fond par pratiques détournées.
Ce que nous venons ici faire, c'est pallier la lacune que je viens d'évoquer. D'abord en renforçant le recours au droit d'expérimentation et en améliorant sa visibilité et sa lisibilité. FRANCE EXPERIMENTATION s'inscrit directement dans l'optique de simplification comme Jean-Vincent PLACE l'a expliqué et il établit un processus administratif clair pour faciliter les démarches des acteurs avec un interlocuteur unique, la Direction générale des entreprises, des relais régionaux, les DIRECCTE, et un site Internet, pour que ce soit simple d'accès. Et ce processus administratif est cadré par le Conseil de la simplification dont Jean-Vincent PLACE vous a parlé.
Ensuite, un appel à projets est lancé aujourd'hui qui renforce la promotion du dispositif avec une communication large ciblant les PME et les start-ups et qui sera ouvert jusqu'au 31 décembre avec deux relevés intermédiaires pour lancer les premières expérimentations à l'automne. Donc là aussi une avancée concrète pour que l'on puisse voir les premiers rsultats.
Puis deuxième élément. Nous veillons à l'évaluation rigoureuse des expérimentations, ce qui est fondamental pour démontrer ce bien-fondé et là encore nous serons très attentifs à ce que chaque expérimentation soit accompagnée d'une évaluation objective avec un contrefactuel comme vous l'avez parfaitement rappelé pour ensuite généraliser des tests, améliorer la réglementation au niveau national lorsqu'on a la preuve de l'efficacité de l'expérimentation qui est faite. C'est le début d'un processus qui permettra aussi d'associer l'ensemble des acteurs qui sont ici présents.
Voilà ce que je voulais rappeler mais pour vous dire qu'au fond aujourd'hui, et je veux vraiment remercier non seulement celles et ceux qui ont témoigné ce matin, expliqué l'importance de l'expérimentation et leurs propres expériences mais toutes celles et ceux qui sont là, les réseaux consulaires, Cher Président MARCON, les organisations patronales et syndicales, Monsieur le Préfet DUPORT qui a beaucoup travaillé à ce qu'on simplifie les choses dans ce pays à nos côtés, le CNI, parce que c'est collectivement que nous allons mener ce travail, c'est le début d'un processus que nous lançons aujourd'hui, d'un processus pragmatique, plus inclusif mais ce qu'on reconstruit c'est non pas simplement une capacité à débloquer telle ou telle situation ponctuelle, à débloquer tel ou tel aspect, c'est absolument indispensable et nous devons le faire, mais c'est d'imprimer une nouvelle culture de l'action publique plus ouverte aux risques, plus pragmatique parce que ma conviction c'est qu'elle y est prête, c'est que les agents publics l'attendent, c'est que les acteurs publics la souhaitent et c'est que les acteurs de terrain, ceux qui font l'économie, la société, la solidarité sur nos territoires la demandent.
Aujourd'hui, nous allons contribuer à apporter les preuves de cette nouvelle forme d'action publique parce que si nous voulons que notre pays continue à se redresser économiquement, socialement et moralement, nous devons sortir des vieilles grammaires dans lesquelles nous sommes parfois emprisonnés. Nous devons inventer de nouvelles méthodes adaptées au moment que nous vivons et c'est ce que nous sommes en train de faire aujourd'hui. Donc merci beaucoup d'avoir participé à cet événement de lancement et maintenant bon vent à l'expérimentation.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 30 juin 2016