Discours de M. Pierre Mauroy, Premier ministre, devant l'assemblée générale de l'ANVAR, Lyon le 16 octobre 1981

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Circonstance : Assemblée générale de l'ANVAR le 16 octobre 1981 à Lyon

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur général,
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Parler du développement technologique à Lyon est déjà un symbole. C'est le preuve que la France ne se limite pas à Paris. Pour un provincial comme moi, ce n'est pas vraiment une découverte. Mais c'est un élément que l'on ne souligne jamais trop.
Le dynamisme industriel et scientifique de Lyon lui permet de rayonner bien au-delà des frontières de la région Rhône-Alpes, au-delà même de nos frontières nationales. Comme quoi l'idée selon laquelle l'intelligence française se limiterait à quelques hectares sur les bords de la Seine appartient à l'immense florilège des idées fausses.
Comme sont fausses ces rumeurs pessimistes que j'entends colporter de bouches à oreilles et qui nous prédisent je ne sais quelle catastrophe économique imminente. Au contraire, nous sentons comme un frémissement de notre machine économique, nous sentons que le redémarrage est possible, qu'il est proche.
Vous le savez bien vous qui êtes des chefs d'entreprise décidés à vous battre afin de créer et de développer vos usines. Comme moi, vous constatez que l'Agence nationale pour la valorisation de la recherche n'a connu aucune baisse de rythme ces derniers mois, qu'elle a maintenu ses contacts industriels, poursuivi l'instruction des dossiers, tenu ses engagements financiers.
Non seulement la France continue mais elle redresse la tête et retrouve des raisons d'espérer. Chaque mois, une centaine d'entreprises, pour la plupart moyennes ou petites, se lancent, avec l'aide de l'ANVAR, dans la mise au point de produits ou de procédés nouveaux.
C'est aussi en nous appuyant sur une industrie forte que nous pourrons lutter plus efficacement contre le fléau du chômage. Je n'oublie pas, en effet, que les emplois industriels sont ceux qui créent le plus d'emplois induits. L'amélioration de la compétitivité de notre industrie constitue donc un élément essentiel dans notre lutte pour l'emploi.
J'ai eu l'occasion, mardi à l'Assemblée nationale, d'exposer les grandes lignes de notre politique industrielle. Je voudrais aujourd'hui revenir plus en détail sur quelques aspects.
En premier lieu, je tiens à réaffirmer que cette politique industrielle sera d'abord une politique de l'entreprise. L'entreprise est, en effet, non seulement un agent économique essentiel mais encore un centre de décision autonome. Nous respectons cette autonomie tout comme nous prenons en compte les contraintes de l'économie de marché.
Mais nous n'entendons pas demeurer passifs pour autant face à des évolutions qui, depuis trop longtemps, nous sont présentées comme inéluctables. Contrairement à ce que voudrait nous faire croire une interprétation simpliste de la division internationale du travail, il n'y a pas de secteur condamné.
Il n'y a que des technologies dépassées. Toute notre politique doit tendre à surmonter ce type de handicap. Et, dans cette optique, le rôle de l'ANVAR est essentiel. Je constate d'ailleurs avec plaisir qu'une agence publique comme l'ANVAR est parvenue, de l'aveu général, à se mettre réellement au service des entreprises. Cette mission devra non seulement être poursuivie mais accentuée.
Car il est indispensable d'améliorer l'environnement des entreprises, de développer les activités de service à leur intention.
Si l'encouragement à l'innovation constitue un élément essentiel de notre politique industrielle, c'est bien sûr parce que, la compétitivité des entreprises et leur capacité à répondre à l'évolution des marchés passent par la maîtrise de procédés nouveaux ou par la mise sur le marché de produits nouveaux.
Mais cette politique, pour atteindre ses objectifs, doit s'inscrire dans un développement plus global de la recherche.
Le ministre d'Etat, ministre de la recherche et de la technologie, a déjà eu l'occasion de vous détailler son budget. Je n'y reviendrai donc pas. Mais je voudrais néanmoins insister sur le fait qu'en choisissant de consacrer, en 1985, 2,5 % de notre PNB à la recherche, nous effectuons un choix fondamental. Nous sommes en effet convaincus que ce spectaculaire développement de la recherche nous permettra d'accéder, dans ce domaine, à l'une des toutes premières places dans le monde. Avec toutes les retombées économiques et industrielles que nous sommes en droit d'en attendre.
Toutefois, nous devons tous être bien conscients que cet effort demeurerait stérile si cette recherche, financée par l'Etat, n'était pas mise en valeur par l'industrie. Il appartient à l'ANVAR d'assurer cette liaison, ce suivi.
La politique de nationalisation engagée par le gouvernement favorisera d'ailleurs ces liaisons. En premier lieu parce que la nationalisation de grands groupes industriels permettra d'intensifier leurs efforts de recherche et de développement. En second lieu parce que le problème de la sous-traitance pourra être posé sur de nouvelles bases.
Il convient, à ce niveau, de mettre enfin un terme à l'exploitation du faible par le fort. Nous savons tous que les grandes entreprises privées -mais aussi publiques- écrasent trop souvent les petites et moyennes entreprises.
Nous attendons du secteur public, ancien et nouveau, qu'il mène désormais une politique plus positive en matière de sous-traitance. Il devra trouver les moyens d'entraîner dans son sillage, et en particulier sur les marchés étrangers, les entreprises plus petites avec lesquelles il est lié.
Il en va de même pour la recherche. Une très grande entreprise ne peut pas réaliser elle-même tout ce que ses bureaux d'étude ont imaginé. Il faudra donc que des chercheurs appartenant à des entreprises nationales soient encouragés à créer des petites entreprises innovatrices. Là encore, l'ANVAR devra intervenir en fournissant des conseils bien sûr mais aussi des financements.
Cette diffusion de la recherche doit en quelque sorte irriguer l'ensemble du pays, s'inscrire dans le vaste mouvement de décentralisation et de régionalisation dans lequel nous sommes engagés.
Il est vrai qu'une telle évolution n'est pas de nature à surprendre l'ANVAR. Elle a joué dans ce domaine, un rôle de précurseur.
Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à la manière dont l'ANVAR a su faire prendre, dans les régions, la plupart des décisions d'aide à l'innovation. Des comités d'orientation régionaux, associant les chercheurs, les industriels, les banquiers et les collectivités locales, ont été mis en place et ont mené une action positive.
L'ANVAR doit saisir à présent les nouvelles opportunités qui lui seront apportées par la décentralisation. Elle devra en particulier définir avec les établissements publics régionaux les modalités d'action, spécifiques à telle ou telle région. Il n'est en effet pas admissible que dans ce domaine des règlements parisiens s'imposent à l'ensemble des régions françaises.
Pour concrétiser cette grande ambition des moyens financiers sont nécessaires et une adaptation des procédures souhaitable. Je le sais. Le Ministre d'Etat, Ministre de la Recherche et de la Technologie, vous a indiqué hier les orientations qu'il comptait proposer. Ma présence ici vous prouve que le gouvernement est attentif à ces suggestions et qu'il fera en sorte qu'elles puissent entrer rapidement en application.
A l'heure où nous nous mobilisons contre le chômage, il ne faudrait pas que l'on puisse invoquer l'impossibilité de trouver un plan de financement pour empêcher une entreprise innovatrice, bien gérée, de se développer. Les efforts de l'ANVAR peuvent et doivent relayer ceux que nous engageons en faveur de l'emploi.
Mais la bataille pour l'emploi ne sera pan gagnée uniquement par le retour à une croissance plus soutenue et plus équilibrée.
Le succès, à plus long terme, dans ce difficile combat passe dès maintenant par la rénovation de nos structures économiques et sociales.
Ce changement là, c'est celui, qui, véritablement peut changer la vie. C'est celui qui -au-delà des avantages immédiats de la relance- fonde véritablement "la nouvelle citoyenneté" dans la cité, dans l'entreprise, dans la vie de tous les jours.
L'ampleur même de ce changement, sa portée historique, conduisent à l'engager sans délai, sans détour, et sans faiblesse.
Chacun comprend que la décentralisation -comme exigence et comme méthode-, que la planification -comme cadre et comme référence- offrent au secteur public élargi la possibilité -et le défi- d'un exercice complètement nouveau du métier d'Etat-Entrepreneur, aussi éloigné de la bureaucratie que des féodalités. Vous en aurez l'illustration en particulier avec la réforme du système bancaire et financier.
Car le système financier aura un rôle essentiel à jouer dans la mutation de notre appareil de production, qu'il doit à la fois favoriser et accompagner. Comme je l'ai déjà indiqué, le gouvernement s'attachera à créer un environnement favorable au développement de l'initiative et de l'efficacité dans le secteur bancaire : celui-ci sera demain pluraliste, largement décentralisé, constitué d'établissements agissant en pleine autonomie dans le cadre des orientations et priorités tracées par le Plan.
Une réflexion d'ensemble est également engagée sur les instruments d'épargne et les formes de crédits pratiqués dans notre pays. Comme vous le savez, une commission de développement de l'épargne a été mise en place qui remettra ses propositions au gouvernement au début de l'année prochaine. Elle est notamment chargée d'examiner les moyens d'assurer une meilleure protection de l'épargne populaire et d'encourager les placements à long terme en emplois productifs.
J'ai demandé au Ministre de l'Economie et des Finances d'engager un examen analogue sur le crédit bancaire qui nous paraît aujourd'hui mal adapté aux besoins des entreprises, notamment parce qu'il accorde une place excessive au crédit fournisseur et au crédit à court terme.
Si le gouvernement a inscrit cette grande réforme parmi ses premières priorités, c'est qu'elle constitue un élément essentiel à la réussite de la nouvelle politique économique qu'il entend mettre en oeuvre. Nous ne mésestimons pas les efforts déployés depuis quelques années par des équipes de talent pour moderniser notre appareil bancaire et notamment pour développer, partout dans le monde, la présence des banques françaises, indispensable soutien de nos exportations et de nos investissements.
Mais nous constatons aussi que la plupart des banques, y compris parfois les banques nationales, ont imparfaitement répondu à la mission d'intérêt général qui leur est impartie.
Trop souvent, elles ont privilégié la rentabilité à court terme plutôt que le financement de projets à long terme : les placements financiers plutôt que l'aide au démarrage d'entreprises et à la création d'emploi ; la sécurité plutôt que la prise de risque vis-à-vis de petites et moyennes entreprises en croissance.
N'est-il pas anormal, en outre, de voir des banques engranger des bénéfices considérables, comme cela a été le cas en 1980 et au premier semestre 1981, au moment même où le niveau prohibitif des taux du crédit décourageait l'investissement, conduisait des entreprises au dépôt de bilan et leurs travailleurs au chômage ?
De plus, dans notre système financier s'étaient progressivement établis quelques centres de pouvoir qui, au gré d'opérations de prise de contrôle, de vente ou de liquidation de sociétés, en venaient à utiliser les entreprises industrielles et commerciales comme une masse de manoeuvre pour accroître leur puissance et leurs profits. La maîtrise de notre devenir industriel échappait, de ce fait, aux mains des entrepreneurs et de l'Etat pour passer dans celles de financiers.
Leur compétence n'est pas ici en cause mais de quel droit leur incomberait-il de décider seuls -dans le silence de leurs conseils d'administration- ce qui est utile ou ce qui ne l'est pas pour le développement de notre pays.
Ce développement passe par une planification restaurée.
Si le pouvoir précédent a progressivement vidé de sa substance la planification, la rénovation du Plan, dans ses méthodes et son contenu, est une préoccupation centrale du gouvernement.
Le Plan démocratique, contractuel, décentralisé dans son élaboration comme dans ses objectifs, constituera un élément essentiel de la cohérence des choix de la collectivité. Il assurera la compatibilité des priorités de l'Etat et des collectivités locales. Il offrira aux agents économiques les informations nécessaires à la définition de leur stratégie en balisant l'avenir.
Ce qui est vrai dans le secteur bancaire et financier l'est aussi dans le domaine des relations sociales.
Il est fini le temps des maîtres. S'ouvre aujourd'hui,le temps des partenaires.
L'une des dimensions essentielles -parce que quotidienne et profonde- du changement des structures, c'est en effet le renouveau de la concertation sociale et les droits nouveaux des travailleurs.
Il y a deux manières de gérer une nation, comme de gérer une entreprise : ou bien tout est décidé en haut, par de dirigeants solitaires, ou bien les décisions sont le fruit de la concertation et de la négociation. Chacun connaît le choix que nous avons fait.
Car l'innovation, Mesdames et Messieurs, ne peut pas être seulement industrielle et technologique. Elle doit être sociale aussi. Si nous voulons que notre appareil de production effectue de nouveaux progrès, il faut qu'une avancée sociale réconcilie les Français et leurs entreprises.
Il s'agit là d'un des objectifs prioritaires de l'action du gouvernement. Mais pour atteindre cet objectif, nous avons besoin du concours de tous.
Et d'abord du vôtre.