Texte intégral
Véritable révolution culturelle pour le monde de la santé, la loi "sur les droits des malades et la qualité du système de santé" instaure l'accès direct au dossier médical pour tout patient qui le demande, la création d'un office d'indemnisation pour prendre en charge les accidents médicaux sans faute, et encore une réforme du conseil de l'Ordre, de la formation médicale continue... Le débat commence aujourd'hui à l'Assemblée nationale sur ce projet en gestation depuis une dizaine d'années. Pour Bernard Kouchner, ministre de la Santé, qui défendra le projet, c'est la fin d'un long combat. Mais aussi d'une longue histoire. A lui qui avoue de plus en plus sa lassitude à la tête de ce ministère qu'il connaît par cur, ce débat peut donner l'occasion de définir une nouvelle et dernière fois sa vision des grandes questions sanitaires.
Selon toute vraisemblance, l'opposition parlementaire devrait s'abstenir.
La droite dit que votre projet de loi sur les droits des malades est rempli de bonnes intentions mais qu'il est bâclé, mal ficelé?
Mais qu'est-ce que cela veut dire? J'ai mis dix ans à l'écrire. Chacune des mesures emporte l'adhésion de tous les acteurs de santé. Je vois en réalité que l'opposition n'a pas été capable de construire ni de faire aboutir un tel projet. Comme elle n'a rien à dire sur le fond, alors elle se précipite sur la forme. Et puis bâclé, cela veut dire quoi? Que le texte est mal écrit? Quand on parle d'accès direct à son dossier médical, qu'est-ce qui est bâclé? Le mot accès, le mot dossier? Quand on crée un office d'indemnisation pour les victimes de l'aléa thérapeutique, c'est bâclé aussi? Quand, pour la première fois, la prévention va être financée par l'assurance maladie... ce sont des changements majeurs. Quand on crée un institut de prévention, c'est bâclé?
La grande nouveauté de ce projet de loi, c'est que les usagers accèdent au rang d'acteurs de la santé. Ils seront désormais présents dans toutes les structures de soins. Mais qui sont les usagers de la santé?
Il y a eu un débat en commission pour savoir si les élus étaient ou non les représentants des usagers de la santé. Il n'y a pas de monopole de la représentation. Ce qui compte, c'est que les droits des personnes soient reconnus et respectés. Dans le projet, nous mettons en place un système de représentation: dans chaque région, comme au niveau national. Les associations qui se consacrent à la protection de la santé et aux droits des personnes se voient reconnu un rôle essentiel. Et puis, j'en fais le constat tous les jours: dans ma fonction de ministre, je sais bien qui sont les usagers de la santé. Je les vois, je les rencontre. Ils sont là, ils font bouger le système. Cette semaine, par exemple, j'ai discuté avec les associations d'asthmatiques: les malades étaient présents, ils débattaient avec les professeurs de médecine. La veille, j'étais avec les insuffisants rénaux pour mettre en place un plan de prise en charge de l'insuffisance rénale.
En somme, c'est le modèle "sida", avec les malades en première ligne, qui s'est peu à peu imposé. Avec cette idée que l'on fait évoluer le système avec les gens qui connaissent la situation, qui ont intérêt au changement, sans pour autant être excessifs.
Aujourd'hui, on a l'impression que ce sont plutôt les médecins qui craignent d'être déstabilisés...
Mais cette loi est aussi leur loi. Les médecins l'acceptent. Car dans la loi, il y a aussi énormément de points pour les médecins, comme par exemple la mise en réseau, mais aussi le système d'indemnisation des actes médicaux avec les commissions régionales de conciliation. Ce n'est pas une loi contre eux, c'est une loi pour rétablir la confiance dans la relation malade-médecin. Le fossé qui était en train de se creuser entre malades et médecins va se réduire. Et nous allons éviter ainsi une judiciarisation à l'américaine.
Sur l'accès direct au dossier médical, bon nombre de médecins se disent réticents...
Dans le service d'éthique de l'hôpital de Chicago, qui est notre modèle, il y a à peine 6 % des malades qui demandent leur dossier. Alors, arrêtons la désinformation. Ce n'est pas une mise en cause des médecins. C'est une loi de pacification mais aussi de progrès: l'accès au dossier est une véritable révolution culturelle.
Vous vouliez cette loi depuis plus de dix ans. Pendant tout ce temps, vous avez été à la tête de la santé, à quelques brèves interruptions près. Avez-vous des regrets?
Oui, évidemment. J'aurais préféré que la loi puisse aussi réaliser la réforme complète des études de médecine. Mais en dix ans, ce qui me trouble, c'est que le paradoxe français de la santé perdure. Alors que notre système de santé est le meilleur du monde, qu'il n'arrête pas de s'améliorer, seul le discours revendicatif passe. Les acteurs sont perdus, ou anxieux. La cohésion du corps médical est moindre. Les malades, eux-mêmes, ne savent plus trop bien où ils en sont. C'est pour cela que j'attends beaucoup de cette loi. Arrêtons ces lamentos sur l'état tragique de notre système de santé. Je le répète, regardez ailleurs. En Suède, il faut attendre dix-huit mois pour la pose d'une prothèse de hanche, un an pour l'opération de la vésicule. Notre système marche bien. Mais il y a une tension et une violence qui se sont accrues depuis dix ans.
Vous dites que le prochain grand changement portera sur la question du financement...
Tout à fait. On fait un grand pas en avant en mettant les malades dans toutes les structures de santé. La deuxième étape sera d'introduire les malades dans l'assurance maladie. Il s'agira d'entendre la voix des malades dans les choix de santé. On sait que le progrès médical se paye. On sait que l'on ne peut maîtriser que la progression des coûts. C'est avec les usagers qu'il faut faire les choix.
(Source http://www.liberation.com, le 3 octobre 2001)
Selon toute vraisemblance, l'opposition parlementaire devrait s'abstenir.
La droite dit que votre projet de loi sur les droits des malades est rempli de bonnes intentions mais qu'il est bâclé, mal ficelé?
Mais qu'est-ce que cela veut dire? J'ai mis dix ans à l'écrire. Chacune des mesures emporte l'adhésion de tous les acteurs de santé. Je vois en réalité que l'opposition n'a pas été capable de construire ni de faire aboutir un tel projet. Comme elle n'a rien à dire sur le fond, alors elle se précipite sur la forme. Et puis bâclé, cela veut dire quoi? Que le texte est mal écrit? Quand on parle d'accès direct à son dossier médical, qu'est-ce qui est bâclé? Le mot accès, le mot dossier? Quand on crée un office d'indemnisation pour les victimes de l'aléa thérapeutique, c'est bâclé aussi? Quand, pour la première fois, la prévention va être financée par l'assurance maladie... ce sont des changements majeurs. Quand on crée un institut de prévention, c'est bâclé?
La grande nouveauté de ce projet de loi, c'est que les usagers accèdent au rang d'acteurs de la santé. Ils seront désormais présents dans toutes les structures de soins. Mais qui sont les usagers de la santé?
Il y a eu un débat en commission pour savoir si les élus étaient ou non les représentants des usagers de la santé. Il n'y a pas de monopole de la représentation. Ce qui compte, c'est que les droits des personnes soient reconnus et respectés. Dans le projet, nous mettons en place un système de représentation: dans chaque région, comme au niveau national. Les associations qui se consacrent à la protection de la santé et aux droits des personnes se voient reconnu un rôle essentiel. Et puis, j'en fais le constat tous les jours: dans ma fonction de ministre, je sais bien qui sont les usagers de la santé. Je les vois, je les rencontre. Ils sont là, ils font bouger le système. Cette semaine, par exemple, j'ai discuté avec les associations d'asthmatiques: les malades étaient présents, ils débattaient avec les professeurs de médecine. La veille, j'étais avec les insuffisants rénaux pour mettre en place un plan de prise en charge de l'insuffisance rénale.
En somme, c'est le modèle "sida", avec les malades en première ligne, qui s'est peu à peu imposé. Avec cette idée que l'on fait évoluer le système avec les gens qui connaissent la situation, qui ont intérêt au changement, sans pour autant être excessifs.
Aujourd'hui, on a l'impression que ce sont plutôt les médecins qui craignent d'être déstabilisés...
Mais cette loi est aussi leur loi. Les médecins l'acceptent. Car dans la loi, il y a aussi énormément de points pour les médecins, comme par exemple la mise en réseau, mais aussi le système d'indemnisation des actes médicaux avec les commissions régionales de conciliation. Ce n'est pas une loi contre eux, c'est une loi pour rétablir la confiance dans la relation malade-médecin. Le fossé qui était en train de se creuser entre malades et médecins va se réduire. Et nous allons éviter ainsi une judiciarisation à l'américaine.
Sur l'accès direct au dossier médical, bon nombre de médecins se disent réticents...
Dans le service d'éthique de l'hôpital de Chicago, qui est notre modèle, il y a à peine 6 % des malades qui demandent leur dossier. Alors, arrêtons la désinformation. Ce n'est pas une mise en cause des médecins. C'est une loi de pacification mais aussi de progrès: l'accès au dossier est une véritable révolution culturelle.
Vous vouliez cette loi depuis plus de dix ans. Pendant tout ce temps, vous avez été à la tête de la santé, à quelques brèves interruptions près. Avez-vous des regrets?
Oui, évidemment. J'aurais préféré que la loi puisse aussi réaliser la réforme complète des études de médecine. Mais en dix ans, ce qui me trouble, c'est que le paradoxe français de la santé perdure. Alors que notre système de santé est le meilleur du monde, qu'il n'arrête pas de s'améliorer, seul le discours revendicatif passe. Les acteurs sont perdus, ou anxieux. La cohésion du corps médical est moindre. Les malades, eux-mêmes, ne savent plus trop bien où ils en sont. C'est pour cela que j'attends beaucoup de cette loi. Arrêtons ces lamentos sur l'état tragique de notre système de santé. Je le répète, regardez ailleurs. En Suède, il faut attendre dix-huit mois pour la pose d'une prothèse de hanche, un an pour l'opération de la vésicule. Notre système marche bien. Mais il y a une tension et une violence qui se sont accrues depuis dix ans.
Vous dites que le prochain grand changement portera sur la question du financement...
Tout à fait. On fait un grand pas en avant en mettant les malades dans toutes les structures de santé. La deuxième étape sera d'introduire les malades dans l'assurance maladie. Il s'agira d'entendre la voix des malades dans les choix de santé. On sait que le progrès médical se paye. On sait que l'on ne peut maîtriser que la progression des coûts. C'est avec les usagers qu'il faut faire les choix.
(Source http://www.liberation.com, le 3 octobre 2001)