Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jean-Jacques URVOAS, ministre de la Justice, est notre invité ce matin. Bonjour.
JEAN-JACQUES URVOAS
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous. Je serai au rendez-vous de 2017 a dit hier soir Emmanuel MACRON. Demandez-vous son départ du gouvernement ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Eh bien, j'étais certain que vous me poseriez la question, parce que, quand on est aujourd'hui membre du gouvernement et qu'on est invité sur une radio, la question, c'est MACRON
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais non, mais depuis hier soir, c'est l'actualité, Jean-Jacques URVOAS, non ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, et en même temps, je me disais : est-ce que franchement, ça intéresse quelqu'un de savoir ce que Jean-Jacques URVOAS pense d'Emmanuel MACRON.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah oui, vous savez pourquoi ? Parce que vous êtes membre du gouvernement, du même gouvernement, parce que vous êtes proche de Manuel VALLS, qui a dit hier : il est temps que tout cela s'arrête, et il n'a pas dit cela par hasard, Manuel VALLS, juste avant le meeting de MACRON. Donc votre avis nous intéresse, Jean-Jacques URVOAS.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, enfin, j'espère qu'on va parler de nos sujets après.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais attendez, attendez, ne fuyez pas
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais non, je ne fuis pas
JEAN-JACQUES BOURDIN
En disant : on va passer, et on va parler d'autres sujets
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, non, d'abord, je sais que ça ne sert à rien que j'essaie de fuir
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, moi, je vous pose une question, non, non, ça, alors là, ça ne sert à rien, mais
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, mais, je veux dire, chacun fait ce qu'il veut, ce n'est pas une manière de fuir, mais moi, je suis un ministre, et je considère que mon action, c'est d'agir. Alors, vous me demandez de commenter, je vais le faire, mais je trouve que c'est du temps perdu, franchement
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais alors, ne perdons pas de temps.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, eh bien, moi
JEAN-JACQUES BOURDIN
Doit-il partir, quitter le gouvernement ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Quand j'entends le ministre MACRON parler, je pense à Alain SOUCHON, qui a une chanson qui s'appelle « on avance, on avance, on avance », et puis, quand on lit les paroles, on dit : on n'a plus assez d'essence pour faire marche arrière, ou je ne sais plus comment c'est les paroles, je les ai notées tout à l'heure : « on avance, on avance, on n'a pas assez d'essence pour faire la route dans l'autre sens. » Voilà, moi, je trouve que quand on est ministre, on parle au présent, on agit, on ne parle pas au futur, et on regarde un peu le passé
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc il doit quitter le gouvernement ?
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est à lui de décider, franchement, qu'est-ce que ça
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors comme ça, c'est à lui de décider ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais oui, eh bien, oui
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes extraordinaire !
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais non, mais non, je ne suis pas extraordinaire, franchement, je ne suis pas membre du gouvernement, et si je cherche le parallélisme des formes, je n'ai pas demandé à rentrer au gouvernement, Emmanuel MACRON non plus, ça dépend du président de la République et du Premier ministre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais quand le Premier ministre dit : il est temps que tout s'arrête.
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais parce que le Premier ministre est un homme de clarté, et qu'il trouve qu'il y a de l'ambiguïté, voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc il est temps que tout cela s'arrête ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Eh bien, c'est ce qu'a dit le Premier ministre hier.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes d'accord avec ça ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Eh bien, moi, je trouve que quand on est ministre, en tout cas
JEAN-JACQUES BOURDIN
On s'en va
JEAN-JACQUES URVOAS
Moi, je n'ai pas assez de temps pour monter des partis politiques, je travaille.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc on s'en va ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais je ne sais pas, mais moi, je ne suis que ministre de la Justice
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais vous ne voulez pas me répondre, je ne sais pas pourquoi, pourquoi, alors que vous le pensez
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais non
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pensez qu'il n'est plus dans sa fonction de ministre, je ne vois pas pourquoi vous ne me dites pas : eh bien, il est temps qu'il s'en aille
JEAN-JACQUES URVOAS
Parce que je ne suis pas un conseiller, parce que je ne suis pas un arbitre des élégances, et parce que je n'ai pas de qualité pour le faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Une dernière question sur MACRON, qui fuit le système, qui veut être un candidat hors système. François HOLLANDE, Nicolas SARKOZY, Marine LE PEN, Jean-Luc MELENCHON en 2017, ça vous convient ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Eh bien, d'abord, c'est une liste de candidats dont je ne sais pas s'ils seront vraiment à l'arrivée, moi, je ne suis pas certain non plus que la nouveauté soit toujours une panacée, je pense que pour exercer une forme de responsabilité, quelle qu'elle soit, il vaut mieux avoir une expérience. Il vaut mieux avoir prouvé
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça ne vous gêne pas ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Ça ne me gêne pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Mohammed MERAH, l'Etat condamné par le tribunal administratif de Nîmes, la responsabilité de l'Etat est engagée dans la mort d'Abel CHENNOUF, l'une des victimes de Mohammed MERAH, parce que la surveillance policière sur MERAH avait été levée. Lorsqu'il y a un attentat, le responsable est celui qui le commet et aussi celui qui n'a pas réussi à l'empêcher, franchement ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Quand il y a un attentat, il y a une responsabilité de tout le monde, évidemment, c'est d'ailleurs pour ça que, il y a deux commissions d'enquête qui ont travaillé depuis maintenant un an sur ces sujets, parce que, il y a une mobilisation permanente de toutes les énergies, les intelligences dans mon domaine, ces individus sont tous passés par la case prison, tous passés par la case prison. Et donc nécessairement, il y a des questions à se poser sur pourquoi alors qu'ils étaient en prison, qu'est-ce que nous avons fait de bien ou de pas bien, et donc, il faut tirer les enseignements
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous comprenez que l'Etat soit condamné ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Eh bien, je n'ai pas à comprendre, d'abord, comme ministre de la Justice, je n'ai pas à commenter, je constate que l'Etat est condamné
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'avez pas à commenter, vous constatez que l'Etat est condamné
JEAN-JACQUES URVOAS
Que du coup, le sujet qui est devant nous, c'est comment faire en sorte que s'il y a eu des dysfonctionnements, il n'y en ait plus. Par exemple, dans les prisons, ça veut dire mais vous le savez bien, puisque vous m'avez déjà invité sur ce sujet je considère que nous sommes à l'état balbutiant du renseignement pénitentiaire, que nous avons des moyens, qui ont été construits
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais y revenir.
JEAN-JACQUES URVOAS
Voilà, mais il faut
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais y revenir, mais je voudrais revenir, puisqu'on parle de condamnation, sur les attentats du 13 novembre, là encore, 17 familles de victimes qui vont déposer plainte, estimant que la puissance publique, l'Etat, a une part de responsabilité, une part de responsabilité. L'Etat a une part de responsabilité, donc, vous êtes d'accord ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Enfin, c'est une situation compliquée pour un Garde des sceau d'avoir à se prononcer sur des actions de justice qui sont annoncées, Monsieur BOURDIN, comprenez-le, que l'Etat ait une responsabilité, évidemment, personne ne l'a jamais nié, l'Etat est là pour protéger, quand il y a eu des attentats, ce sont des souffrances pour les victimes, évidemment, leur famille, ça va de soi, mais pour l'Etat. Parce que nous sommes là pour agir aux responsabilités qui sont les nôtres, pour protéger. Donc nous devons, et nous le faisons en permanence, j'ai eu l'honneur, moi, de porter une loi, qui a été promulguée le 3 juin de cette année 2016, qui a tiré un certain nombre d'enseignements, qui fait que par exemple, dans très peu de temps, nous allons sortir de l'état d'urgence, parce que nous avons doté notre arsenal de répressions d'outils qui nous manquaient.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Nous sortons de l'état d'urgence quand ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Nous allons sortir à la fin du mois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
A la fin du mois de l'état d'urgence
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est ce qui avait été prévu
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas question de prolonger l'état d'urgence, pas question
JEAN-JACQUES URVOAS
Là encore, c'est comme pour les questions que vous posiez tout à l'heure, ce n'est pas de la responsabilité du Garde des sceaux, mais le Premier ministre a déjà souvent dit que, on arrêtait l'état d'urgence quand on aurait les outils, les outils, ils sont là maintenant, et donc nous pouvons sortir de l'état d'urgence.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc pas de prolongation.
JEAN-JACQUES URVOAS
Sauf s'il y avait une menace que je ne connais pas, puisque ce n'est pas ma responsabilité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pas de prolongation.
JEAN-JACQUES URVOAS
Ah, moi, je n'ai pas d'information permettant de le dire en tout cas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Sur ces attentats du 13 novembre, encore, sur cette plainte déposée par les familles et leur avocat, les familles vont jusqu'à demander le nom, le nom je dis bien le nom des fonctionnaires, qu'elles pourraient ensuite poursuivre au pénal. Qu'est-ce que vous en pensez ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je ne vois pas bien l'intérêt que cela peut représenter, ça me paraît être une stratégie qui a une vocation de division, en réalité, de division entre les familles d'abord, entre les victimes d'abord, moi, je travaille comme Garde des sceaux avec des associations de victimes, je n'ai jamais entendu ce type de récrimination ni de demande.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Renseignement pénitentiaire, bilan catastrophique, catastrophique, Jean-Jacques URVOAS.
JEAN-JACQUES URVOAS
Bilan, c'est déjà excessif, il n'y a rien
JEAN-JACQUES BOURDIN
Même pas, il n'y a rien.
JEAN-JACQUES URVOAS
Il y a du personnel motivé, il y a une envie de bien faire
JEAN-JACQUES BOURDIN
380 personnes.
JEAN-JACQUES URVOAS
Les effectifs, c'est en tout cas ce qui est prévu, mais c'est d'ailleurs l'essentiel, sans les personnels, on ne peut rien faire. Maintenant, il y a tout à faire, je l'ai dit devant la commission d'enquête, qui a travaillé, présidée par Georges FENECH et Sébastien PIETRASANTA
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, je sais, j'ai lu
JEAN-JACQUES URVOAS
Garde des sceaux, je n'ai jamais eu un document du renseignement pénitentiaire, et je le comprends, il faut travailler dans l'ordre, qu'est-ce que c'est que le renseignement pénitentiaire ? Ce n'est pas de la collecte d'informations, on ne s'improvise pas agent de renseignement, regardez par exemple, une question précise, est-ce que les agents du renseignement pénitentiaire doivent être connus dans la détention ? Alors, on peut dire : eh bien, évidemment qu'il faut qu'ils soient connus, parce que sinon, si un détenu veut leur parler, il vaut mieux qu'il sache à qui s'adresser, et en même temps, on va dire : mais s'ils sont connus, du coup, qui connaît les agents de renseignement ? Les connaître, c'est en réalité les rendre inefficaces. Donc je suis en train de travailler, j'ai un premier travail qui m'a été rendu par l'Inspection de l'administration, disant : qu'est-ce que ça doit être le renseignement pénitentiaire, moi, je voudrais qu'à la fin de l'année, nous ayons une doctrine d'emploi, c'est-à-dire, qu'est-ce que c'est que le renseignement pénitentiaire, et dans tous les établissements où je vais, je rencontre les officiers du renseignement, qui me disent : voilà ce que nous faisons, voilà ce que nous aimerions, voilà ce que nous pourrions faire. Je passe beaucoup de temps à travailler à la préfiguration du renseignement pénitentiaire, je vais nommer très bientôt un chef de préfiguration, de l'échelon central d'analyse, c'est ça qui nous manque, l'analyse, parce qu'on a de la collecte
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais le surveillant de prison, qui travaille au quotidien, qui connaît tous les détenus, va servir d'agent de renseignement ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, non, non, bien sûr que non, non, non
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, pas question, à aucun moment ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, non, le métier de renseignement est un métier particulier
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est un métier particulier.
JEAN-JACQUES URVOAS
Et ce sera des personnels de l'administration pénitentiaire qui suivront des formations, qui auront été encadrés sur lesquels nous aurons posé des obligations et des devoirs.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais ça fait des années qu'on parle de la propagation de l'islam en prison, et notamment de l'islam radical, à cause de certains détenus radicalisés, propagation de cet islam radical, contre lequel nous n'arrivons pas à lutter, vous n'arrivez pas à lutter ! Vous êtes impuissant, totalement impuissant !
JEAN-JACQUES URVOAS
On n'est pas impuissant, parce que, c'est comme les assurances, c'est-à-dire que vous ne savez pas à quel moment
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais écoutons celles et ceux qui vont visiter les prisons
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est mon cas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est votre cas, eh bien, nous aussi, on écouté
JEAN-JACQUES URVOAS
Et j'y étais il y a encore dix jours, où je suis allé aux Antilles, où j'ai visité les trois établissements, Basse-Terre, Baie-Mahault et Ducos, en Martinique, je le referai encore d'ici quinze jours, je vais dans les établissements, qu'est-ce que j'entends ? D'abord, nous ne sommes pas inactifs, et détecter la radicalité, ça ne s'improvise pas, nous avions des grilles, elles sont périmées, nous venons de tester de nouvelles grilles, le test s'est fini le 31 juin, parce que nous avons beaucoup de personnels, ils sont attentifs, ils sont sensibilisés, mais il faut aussi les former. Parce que la radicalité d'aujourd'hui n'est pas la radicalité d'hier. Donc nous travaillons, nous avons ce que nous appelons dans notre jargon des recherches actions, c'est-à-dire que nous avons des professionnels, des sociologues, des psychologues, j'ai installé, il y a maintenant une huitaine de jours, à la chancellerie, un comité qui rassemble les directeurs de tout le ministère sur ce sujet, et je vais lancer un comité scientifique pour qu'on puisse homogénéiser, parce qu'il y a plein de choses faites partout ; on m'a parlé par exemple je n'y suis pas allé mais, on m'a parlé, c'est une sénatrice qui me l'a dit l'autre jour, que, à Mulhouse, il y avait quelque chose qui était engagé, qui était extrêmement intéressant, elle m'en a parlé parce qu'elle l'a vu, je vais prendre contact avec le TGI de Mulhouse pour voir ce qui est fait là-bas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le regroupement d'islamistes radicaux en prison, est-ce satisfaisant, franchement ?
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est trop tôt pour le dire. Et encore une fois, moi, je suis très modeste sur ces affaires-là, parce que, par exemple, entre les ministres de la Justice de l'Union européenne, nous avons confronté les expériences, les Anglais ont connu le regroupement par les prisonniers de l'IRA, ils nous disent : ce n'est pas une bonne solution. Je suis allé au Canada, il y a un mois, parce qu'ils ont un même problème de criminalité organisée, pas sur les radicaux, mais sur les Hells Angels, vous savez, ces espèces de groupe, ils avaient la même problématique, faut-il rassembler les Hells Angels dans des prisons, risquer de voir un ordre diffrent naître ? Les Canadiens sont très partisans du regroupement. Moi, je constate pour le moment
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce n'est pas satisfaisant dit la rapporteur
JEAN-JACQUES URVOAS
La contrôleur générale des lieux de privation de liberté, madame HAZAN
JEAN-JACQUES BOURDIN
Contrôleur, pas rapporteur, contrôleur des prisons
JEAN-JACQUES URVOAS
Elle a fait un rapport
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, Adeline HAZAN
JEAN-JACQUES URVOAS
Qui est un premier rapport, je l'ai vu, je l'ai contesté, je ne partage pas son point de vue. Nous avons six mois à peine de recul, je trouve que c'est bien trop tôt pour se prononcer
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous déciderez quand de l'arrêt ou pas de l'expérience ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais, eh bien, le principe d'une expérience, c'est qu'il faut la laisser se dérouler, il y a aujourd'hui dans les unités
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, combien de temps encore ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Dans les unités dédiées, il y a cinq unités dédiées, 117 places, dans les 117 places, nous avons 67 personnes qui sont incarcérées, bon. Nous travaillons en permanence sur l'évaluation, il y a un certain nombre de leçons que nous tirons, j'ai annoncé à l'Assemblée nationale, l'autre jour, que dans 27 établissements, nous allions diffuser de nouveaux programmes de prévention de la radicalité, nourris de ce que nous avons observé à Fresnes, à Fleury-Mérogis, à Lille-Annoeullin, donc l'expérience se continue. Mais le principe d'une expérience, c'est qu'il faut la laisser se dérouler. Ce que je vois, les personnels qui sont engagés, notamment les personnels d'insertion et de probation, disent qu'il y a des signaux intéressants, eh bien, laissons-les mûrir pour commencer à tirer des enseignements. Il n'y a rien de pire qu'une solution rapide qui soit insécurisée juridiquement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Atteinte aux droits fondamentaux de mon client, c'est ce que dit l'avocat de Salah ABDESLAM, qui demande la levée de la vidéo surveillance permanente.
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est une démarche engagée par un avocat
JEAN-JACQUES BOURDIN
De la surveillance de la prison, de la cellule.
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, alors, disons les choses, l'administration pénitentiaire aujourd'hui a en son sein Salah ABDESLAM, qui est incarcéré, il y a une situation moi, j'ai pris un arrêté ministériel, autorisant la vidéo surveillance ou protection
JEAN-JACQUES BOURDIN
24h sur 24...
JEAN-JACQUES URVOAS
24h sur 24. Et sur la base de cet arrêté, que j'ai pris après consultation de la CNIL, j'ai pris une mesure individuelle sur monsieur ABDESLAM, pour qu'il soit effectivement sous vidéo surveillance. L'avocat de monsieur ABDESLAM conteste cela devant le tribunal administratif aujourd'hui, sur la base de il estime que ça ne peut pas être un fondement juridique suffisant, un arrêté, il faudrait une loi. Le tribunal va se prononcer, si ce n'est aujourd'hui, en tout cas, sous les 48h, mais comme je suis le ministre de la Justice, donc le ministère de la règle, le gardien de la loi et du droit, je ferai exactement ce que le tribunal décidera.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc la vidéo surveillance sera levée si le tribunal estime qu'il faut la lever ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Naturellement. Et si le tribunal me dit qu'il faut une loi, je présenterai une loi à l'Assemblée nationale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous présenterez une loi ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire, quelle loi ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Eh bien, une loi qui tirera les enseignements éventuels de ce que le tribunal
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire ? Imposer la vidéo surveillance 24h sur 24
JEAN-JACQUES URVOAS
On n'impose jamais rien
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais par la loi, dans certains cas.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, la loi n'impose pas, la loi permet
JEAN-JACQUES BOURDIN
Permet.
JEAN-JACQUES URVOAS
Il y a toujours la capacité pour l'autorité de décider. Si le tribunal me disait que ce que j'ai fait est sans fondement juridique satisfaisant, eh bien, je chercherai un fondement satisfaisant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Par la loi.
JEAN-JACQUES URVOAS
Par la loi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Par un projet de loi, un texte de loi
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui, oui, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Dites-moi, Thierry SOLERE, qui raconte qu'il a vu, donc à côté de la cellule de Salah ABDESLAM, une autre cellule qui lui serait réservée pour pratiquer un peu de sport, ça a fait beaucoup de bruit ; Thierry SOLERE est allé trop loin, il a dit, il a travesti la vérité, ou c'est une réalité, cette cellule de sport ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Précisons le cadre juridique de tout cela
JEAN-JACQUES BOURDIN
Eh bien, oui, justement
JEAN-JACQUES URVOAS
Depuis 2000, les parlementaires ont le droit et je trouve ça bien de rentrer dans tous les établissements pénitentiaires, je ne peux pas m'y opposer, je trouve ça très bien, il faut que les parlementaires y aillent. Ce n'est pas pour moi un droit, c'est un devoir, je les invite, et depuis 2015, ces parlementaires peuvent se faire accompagner d'un journaliste, j'ai porté cet amendement quand j'étais président de la Commission des Lois, avec Patrick MENNUCCI, député de Marseille. En 2016, j'ai pris un arrêté qui modélise tout cela, c'est-à-dire, comment cela se fait, parce qu'il faut quand même respecter un certain nombre de règles, bon. Monsieur SOLERE a utilisé ce devoir et ce droit d'accès, et il est rentré comme d'autres parlementaires, beaucoup d'autres parlementaires, sur ce cas, monsieur SOLERE a considéré qu'il fallait raconter ce qu'il a vu. D'autres parlementaires, qui étaient passés avant lui, ne l'avaient pas fait. Chacun est donc dans une question de responsabilité et de déontologie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est irresponsable que de raconter les conditions dans lesquelles est enfermé Salah ABDESLAM ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, ce n'est pas irresponsable. Simplement, il y a deux éléments qu'on pourrait retenir, d'abord, le fait que si les parlementaires vont en prison, c'est pour dire ce qu'est la réalité de nos prisons, ce n'est pas
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et il n'a pas dit ce qu'était la réalité ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Attendez, c'est donc faire comment dirais-je faire progresser cette compréhension de ce qu'est l'univers carcéral, parce que c'est une urgence, je vous le dis, Monsieur BOURDIN
JEAN-JACQUES BOURDIN
La surpopulation, là, on en parle
JEAN-JACQUES URVOAS
Je vous le dis, nos prisons annoncent les malheurs de demain, et j'en appelle vraiment nous avons une situation de surpopulation hors normes aujourd'hui, si je prends les huit maisons d'arrêt de l'Ile-de-France, j'ai une sur-occupation dans chaque établissement, en moyenne, de 163 %, c'est-à-dire que c'est une situation qui est gravissime.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, qu'allez-vous faire ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Eh bien, d'abord, j'en appelle à la responsabilité
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'allez-vous faire ? Construire des prisons ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Quand bien même je le déciderais, ça mettra du temps, ça ne va pas régler mon problème de surpopulation
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez construit combien de places de prison depuis 2012, Jean-Jacques URVOAS ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Je vais vous dire, Nicolas SARKOZY, pour vous donner un chiffre, Nicolas SARKOZY, pendant son mandat, 2007 à 2012, a construit combien de places de prison ? Il en a construit 1.488. Et il a construit, c'est-à-dire, quoi, il a inauguré, en tout cas, sous son mandat, ont été inaugurées 1.488 places, en solde net, bien plus ont été construites, mais d'autres ont été fermées. Parce que nous avons 186 prisons, je crois, 120 datent de 1920. Quinze datent d'avant 1830. Donc elles sont très vétustes, donc il faut en fermer. Donc Nicolas SARKOZY pendant son mandat a permis l'inauguration de prisons, qui ont été décidées par Dominique PERBEN, en 2002, en 2002, c'est-à-dire dix ans avant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et vous, combien de places de prison avez-vous
JEAN-JACQUES URVOAS
Nous avons lancé sur le quinquennat, je vais vous dire, 7.000 places de prison ont été lancées
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui seront les prisons seront construites, finies, quand, ces places, pour quand ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Il faut le temps, j'ai
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que chaque Garde des sceaux que je reçois me dit : on construit des places de prison
JEAN-JACQUES URVOAS
Exactement, c'est pour ça que j'ai dit à un de vos confrères, à France Antilles, puisque je reviens des Antilles, où la situation en Outre-mer est encore plus désastreuse qu'en France métropolitaine...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'en métropole
JEAN-JACQUES URVOAS
J'ai dit que le futur en matière de prisons est toujours mensonger, c'est-à-dire que quand on annonce, on met beaucoup de temps, à Basse-Terre, la prison date de 1792, j'ai été annoncé que les crédits étaient dans le budget, donc les coups de pelleteuse allaient être donnés, je crois que j'étais le cinquième Garde des sceaux à venir dire ça, c'est vous dire le scepticisme par exemple des surveillants de prison, dont il faut rappeler
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, il y a une solution pour faire de la place en prison, c'est aménager les peines.
JEAN-JACQUES URVOAS
Il y a plusieurs solutions, d'abord, il faut faire en sorte que ceux qui sont en prison, je pense par exemple aux malades mentaux, il y a un problème de santé mentale, je ne vois pas pourquoi on met en prison des personnes qui sont atteintes de psychiatrie, les surveillants de prison ne sont pas formés pour garder des malades mentaux. Et on a, au sein des structures, qui sont des unités spécialisées, spécialement aménagées, des UHSA, il faut en construire plus. Il faut aussi préparer la sortie, un détenu qui sort, en général, la moyenne, c'est onze mois de détention, si vous sortez de manière sèche, vous avez toutes les conditions de récidiver. Si on pouvait préparer la sortie par des quartiers de préparation à la sortie, sans doute, cela serait-il utile. Mais je constate, moi, pour le moment, que, aujourd'hui, en préventive, on incarcère plus, il ne m'appartient pas d'en juger, ce sont les magistrats qui le décident, et on aménage peu les peines, ce qui veut dire qu'on a effectivement un stock, je dis que c'est possible, mais il y a un moment où
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais non, mais je vous dis ça parce que, on fait sortir certains on pourrait faire sortir certains prisonniers pour faire de la place !
JEAN-JACQUES URVOAS
On pourrait faire sortir, on pourrait aménager
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous n'êtes pas tout à fait favorable à cela ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais je trouve qu'il faut encadrer ce type de pratique, parce que, évidemment, il y a un risque derrière qui serait
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui
JEAN-JACQUES URVOAS
Parce que, aujourd'hui, pourquoi cela ne se fait plus les aménagements de peine, parce que les magistrats qui prennent cette décision ont peur, ils ont peur parce que dans le passé, il est arrivé qu'on le leur reproche ce type de décision. Moi, j'en appelle vraiment à la compréhension de la difficulté devant laquelle on est, on ne pourra pas continuer à agir comme ça. J'ai besoin de beaucoup de choses, vous savez, on a besoin de 140 millions pour entretenir le patrimoine pénitentiaire par an, on y met Nicolas SARKOZY, parce que je cite les bilans, parce que certains prétendent avoir à nous donner des leçons, pendant entre 2007 et 2012, il fallait 550 millions d'entretien des bâtiments, 300 millions ont été budgétés, ce qui veut dire qu'il nous en a manqué 250 millions. Moi, je suis en train de remonter tout cela, je mets, et dans le budget, sur lequel j'ai mené une bataille, et Manuel VALLS m'a soutenu, le Premier ministre a décidé un arbitrage, que le président a naturellement validé, je vais avoir un bon budget
JEAN-JACQUES BOURDIN
300 millions de plus.
JEAN-JACQUES URVOAS
Voilà, c'est un bon budget, c'est 4 % d'augmentation
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, enfin, même si c'est un budget faible par rapport à celui que l'Allemagne consacre à sa justice par exemple
JEAN-JACQUES URVOAS
Bien sûr, c'est 2 % du budget de l'Etat. Mais ça veut dire que, entre 2012 et maintenant, nous avons progressé de 14 %, ce n'est pas assez, mais c'est déjà beaucoup. C'est-à-dire que je pourrais faire plus. Mais je veux dire sur cette question de la surpopulation, que je ne fais pas une différence entre l'amélioration des conditions de travail des personnels, dont on ne parle pas assez, permettez-moi de dire que, demain, je suis très fier, que dans le défilé du 14 juillet, il y aura pour la première fois 47 surveillants de prison, comme forme de gratitude de ce que la Nation a vis-à-vis de ses 27.000 surveillants de prison qui font un travail aussi exigeant qu'indispensable. Je vais avoir la chance de les recevoir cet après-midi, à la chancellerie, pour leur dire combien la Nation est fière d'eux, et puisque vous m'en offrez l'occasion, nous créons 2.500 postes de surveillants cette année, c'est maintenant qu'on s'inscrit au concours « devenirsurveillant.fr », avant le 1er septembre. Parce que, il y a des besoins, nous avons besoin d'eux. Moi, je fais de ma responsabilité aujourd'hui de la gratitude vis-à-vis des surveillants. Mais c'est de paire avec l'amélioration des conditions de détention. Vous savez, c'est ce qu'on appelle l'encellulement individuel, avoir un prisonnier par cellule, c'est pour moi un impératif de sécurité. Quand vous avez des radicaux islamistes, que vous évoquiez tout à l'heure, la surpopulation va finir par nous interdire de les mettre un par prison. Est-ce que l'on veut ça ? Moi, non. Donc du coup, oui, il faut construire, oui, il faut aménager les peines.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Jean-Jacques URVOAS.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 juillet 2016