Interview de M. Alain Bocquet, président du groupe communiste à l'Assemblée nationale, à "LCI" le 27 novembre 2001, sur la retraite, le cas des personnes qui ont travaillé pendant 40 ans mais qui n'ont pas encore 60 ans, le bilan du gouvernement Jospin, l'insécurité, la candidature de Jean-Pierre Chevènement à l'élection présidentielle et le projet de loi sur la Corse.

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Texte intégral

A. Hausser On reparle des retraites en ce moment - il va y avoir le rapport du Conseil d'orientation des retraites [COR]. Mais on va examiner - ou peut-être pas - une proposition de loi du PC permettant aux salariés qui ont travaillé pendant 40 ans et qui n'ont pas encore 60 ans - ceux qui ont commencé très jeunes, certains sont au chômage - de faire valoir leur droit à la retraite. Le Gouvernement s'y oppose, votre texte a d'ailleurs été rejeté en commission. "Trop cher", dit-on. On a trouvé une solution pour les chômeurs les plus démunis. Pourquoi est-ce que vous ramenez ce texte, juste avant les élections ?
- "C'est un engagement du Premier ministre lui-même !"
Et vous lui rappelez ?
- "Nous sommes là pour faire avancer les engagements pris par la gauche plurielle et par le Gouvernement en particulier. Il avait été convenu, dès 1997, que l'on irait vers cette loi qui permettrait justement à ceux qui ont travaillé dès l'âge de 14 ou 15 ans, pendant plus de 40 ans souvent, de bénéficier leur retraite pleine et entière. Nous considérons que cette loi devrait être votée rapidement, nous avons déjà perdu trop de temps. D'ailleurs, nos collègues et amis socialistes avaient déposé une loi dans le même sens, il y a trois ans, en 1998, à l'Assemblée nationale. Il devrait donc y avoir un consensus. Vous dites "trop cher"..."
Non, c'est le Gouvernement qui le dit, moi, je ne dis rien !
- "Je sais. Mais je peux vous dire que cela représente, tout compte fait, 26 milliards..."
25 à 30 milliard, nous dit-on.
- "Autour de 26 milliards. Tout cela pour permettre à 700.000 ou 800.000 personnes de bénéficier d'une retraite pleine et entière. Si vous voyez ce qui vient d'être décidé à propos de la surtaxe Juppé dans le budget, c'est-à-dire qu'on l'a diminuée de 3 %, cela fait environ 20 milliards. On peut donc trouver l'argent, il s'agit d'avoir une volonté politique, en définitive. C'est un engagement. J'ai cru comprendre que c'était aussi dans les programmes qui se préparent pour les prochaines échéances, j'ai même lu..."
C'est de la surenchère, alors ?
- "Non, ce n'est pas de la surenchère, c'est que la gauche doit respecter les engagements qu'elle a pris et, de ce point de vue, c'est une demande, une exigence forte. Les gens qui ont travaillé dans le textile, dans la métallurgie, ont travaillé souvent dans des conditions difficiles. A l'époque, on faisait 48 heures par semaine, on n'était pas aux 35 heures ! Je connais beaucoup de ces salariés qui sont essoufflés, qui en on assez, qui voudraient bien bénéficier de leur retraite. C'est un juste retour de la solidarité nationale qui doit s'exercer."
Le COR va rendre son rapport et on lui prête l'intention de proposer la retraite à la carte. Est-ce une solution qui vous semble bonne ? C'est-à-dire que l'on parte à la retraite, non pas à un âge imposé, mais quand on veut.
- "C'est une tentation du Medef qui voudrait, en particulier, allonger le temps pour avoir le droit à la retraite. Il faut se méfier de ce genre d'opération. Certes, on peut imaginer - cela existe dans la fonction publique territoire - le droit à la retraite en sifflet, cela se fait. Cela dit, méfions-nous de ce qui se prépare. Il y a aussi dans le même rapport du COR, une hypothèse qui conduirait à ce qu'on aille vers 170 trimestres, c'est-à-dire 42,5 années. Nous, les communistes, nous sommes toujours pour un départ en retraite après 37,5 années de cotisation. Alors, on en est loin ! Donc, méfions-nous de ce qui se prépare. En plus, l'application du rapport du COR, c'est pour deux, trois ou quatre ans."
Vous disiez tout à l'heure que le Gouvernement et L. Jospin s'étaient engagés à la proposition dont vous parlez. Est-ce que vous vous sentez solidaire du bilan du Gouvernement ?
- "Nous sommes solidaires pour tout ce que nous avons acté, tout ce que nous avons contribué à faire avancer. Il y a évidemment des choses positives qui rompent avec la politique de la droite qui ont été menées depuis 5 ans..."
Les 35 heures par exemple ?
- "Les 35 heures, les emplois-jeunes qui débouchent sur des emplois et des nouveaux métiers, toute une série de mesures contre la misère. Il y a eu des avancées nettes qui traduisent une volonté et une politique de gauche. Cela dit, nous aurions voulu que ce soit plus net, plus large. Certaines des propositions que nous avons faites n'ont pas été retenues, nous le regrettons. Nous sommes 35 députés communistes, nous sommes une minorité dans la majorité. Je pense que les échéances prochaines devraient faire réfléchir tous ceux qui sont attachés à une politique de gauche, pour que l'on soit un peu plus influents dans les choix de la majorité, du Gouvernement."
La sécurité fait débat. Cela n'a pas toujours été un thème de gauche, elle l'est devenue. Aujourd'hui, les socialistes revendiquent une action, comme il n'y en a jamais eu en matière de sécurité : ils disent que le budget a considérablement augmenté, qu'il y a eu 6.000 policiers de plus en cinq ans, + 11 % pour le budget...
- "Il est vrai qu'il y a eu des avancées dans ce domaine. La police de proximité est une avancée notoire. Il faut bien voir les retards qui ont été accumulés par la droite, il ne faut pas les oublier. Les départs en retraite d'un certain nombre de policiers dans le pays n'ont pas été prévus, ce qui fait les hiatus que l'on trouve ici ou là sur le terrain. Ensuite, il y a effectivement de vrais problèmes de sécurité qu'il faut appréhender, il y a une volonté du Gouvernement. A mon avis, il faudrait donner encore plus de moyens. Il y a aussi le problème de la justice, du traitement par la justice des délinquances diverses qui créent un climat d'insécurité dans les cités, dans les communes comme dans la mienne ou dans d'autres."
C'est parce que la loi n'est pas appliquée ?
- "Il y a un hiatus entre le fonctionnement de la police et de la justice, et de ce point de vue, on devrait prendre des mesures un peu plus fermes, à mon avis."
Pour vous, est-ce que J.-P. Chevènement représente un concurrent sérieux ? Est-il de droite ou de gauche ?
- "Quand on a des soutiens qui émanent de l'Action française, d'anciens supporters de de Villiers, des élus de de Villiers..."
Aussi d'anciens députés communistes !
- "Oui, qui viennent d'un peu partout, on peut se demander ou est exactement J.-P. Chevènement sur l'échiquier politique. Ou on est de gauche, ou on est de droite, on ne peut être les deux à la fois ! C'est tout de même préoccupant quant à l'authenticité de la démarche de J.-P. Chevènement."
Qu'entendez-vous par "authenticité" ?
- "Je veux dire que sa position n'est pas très claire, parce qu'il ne suffit pas de faire un rassemblement hétéroclite, tel que celui qui nous est présenté, y compris avec un renfort de Poujade, dont on connaît la démagogie, pour faire une vraie politique de gauche. Et c'est ce dont on a besoin dans notre pays."
Vous voterez en deuxième lecture le projet de loi sur la Corse sans état d'âme ?
- "Nous ne l'avons pas voter en première lecture, nous nous sommes abstenus. Ce qui nous revient du Sénat nous inquiète un peu plus. Nous regrettons que, du côté du Gouvernement, on ait une oreille un peu trop attentive vers les libéraux séparatistes et pas suffisamment vers ce que nous, les communistes, proposons depuis des mois et des mois, c'est-à-dire que l'on consulte enfin les Corses, qui ont quand même leur mot à dire."
Vous n'osez pas dire "le peuple corse" ?
- "Le "peuple corse" - c'est ainsi qu'il s'appelle - souhaite dans son immense majorité faire partie de la République française."

(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 27 novembre 2001)