Déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur les enjeux de la politique de santé, la place de la prévention dans le système de santé, l'adaptation aux évolutions thérapeutiques et aux modes de vie, la sécurité sanitaire, l'égalité d'accès aux soins et les réformes nécessaires à la pérennité de l'assurance maladie, Paris le 30 juin 1999.

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Circonstance : Journée de synthèse des Etats Généraux de la Santé à Paris le 30 juin 1999

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre des enseignements des Etats Généraux de la Santé. Bernard Kouchner vous présentera dans quelques instants le bilan et les conclusions que nous pouvons déjà tirer de cette opération exceptionnelle annoncée par le Premier Ministre dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997 et qui vous a et nous a mobilisés pendant près d'un an.
Le Premier Ministre avait assigné à ces Etats Généraux l'objectif de permettre " de redéfinir les objectifs et les moyens permettant à tous les acteurs du système de santé de mieux remplir leurs missions " et donc de contribuer à l'orientation de la politique de santé.
Je voudrais à l'heure de la synthèse de vos travaux revenir sur les enjeux de la politique de santé et évoquer les principes qui ont guidé notre action depuis deux ans.
Si la santé est une préoccupation naturelle, immédiate, sans doute la première de chacun d'entre nous, la notion de politique de santé ne s'est imposée que très progressivement. Parce que les questions touchant à la santé sont d'abord des questions d'ordre intime qui relèvent de la vie privée, de la relation avec ses proches, du colloque singulier avec le médecin, la santé a longtemps été regardée comme une activité dans laquelle la collectivité et, partant les autorités publiques, ne devaient pas s'immiscer.
Si bien évidemment les problèmes individuels de santé doivent demeurer dans la sphère de la vie privée et être protégés de toute atteinte au secret médical et au libre consentement, nous avons appris, et souvent douloureusement, que les risques sanitaires appelaient aussi des réponses collectives, que la santé publique n'était pas une discipline poussiéreuse mais devrait être une composante à part entière de l'action publique.
La santé de chacun dépend aussi de l'attention portée à la santé de tous.
Les choix faits dans les stratégies de prévention, de vaccination, de soins comme dans l'allocation des moyens, ont des répercussions directes sur la prise en charge de chaque malade. Qu'il s'agisse de développer un site d'urgence, des transports sanitaires, un service de cardiologie ou de mettre à disposition des médicaments innovants, toute décision publique interfère avec le droit de chacun à la protection de la santé.
S'il est de la responsabilité des autorités politiques de définir des objectifs de santé publique et de décider des moyens qui doivent leur être affectés, il doit être de la responsabilité de chacun de contribuer à l'élaboration et à la mise en uvre d'une politique de santé.
C'est cet objectif, cette ambition que nous avons voulu résumer sous le terme de démocratie sanitaire.
Les Etats Généraux qui se sont déroulés depuis octobre 1998 et auxquels vous avez contribué de manière décisive, symboliseront, je le pense, une rupture dans l'approche que nous avons collectivement de la politique de santé. A travers plus de 1 000 manifestations qui se sont tenues, avec l'inauguration de conférences citoyennes, avec la participation des professionnels de santé comme des élus et de nos concitoyens, un premier grand débat public sur la santé a été conduit dans notre pays.
Il a permis d'exprimer les attentes mais aussi les interrogations, les doutes et les doléances de la population en matière de santé.
Ses enseignements que va analyser Bernard Kouchner, nous permettront d'adapter et de renforcer la politique de santé que nous menons depuis deux ans. Elle vise à mettre au centre du système de santé le malade, l'usager, le patient, je ne sais quel mot retenir tant ces termes reflètent mal le nouveau rôle qu'il doit tenir. Il faudrait en inventer un autre. Je compte sur vous.
Pour atteindre cet objectif, nous avons travaillé autour de cinq axes :
I - Donner à la prévention toute sa place dans le système de santé
La politique de santé a trop longtemps été conçue ayant pour objet quasi exclusif l'organisation des soins. Il s'agissait de construire un système hospitalier à travers notamment les grandes lois de 1970 et 1991, il s'agissait de définir, dans des conventions médicales, le mode d'exercice des professionnels libéraux, il s'agissait de définir le remboursement des médicaments.
L'assurance maladie quant à elle s'est également construite autour du remboursement des soins, en ne faisant qu'une part très marginale aux activités de prévention.
Il nous faut rompre avec cette logique. Il faut imposer une approche globale et équilibrée de la santé entre prévention et soins. Nous avons engagé ce mouvement dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale en mettant en place des actions de dépistage financées sur le " risque ", c'est-à-dire sur les crédits de droit commun de l'assurance maladie et non sur le fonds de prévention.
La politique de développement des réseaux a également cette ambition. Il s'agit de prendre en charge le patient non seulement pour lui dispenser des soins mais également pour l'éducation à la santé, la prévention et l'accompagnement au-delà des soins.
Cette approche globale a été pleinement mise en uvre en matière de lutte contre l'hépatite C. Pour la première fois en effet, un plan de lutte fixe les priorités nationales, pour une période de 4 années, et mobilise des moyens financiers importants pour développer la prévention et dépister l'ensemble des personnes atteintes par l'hépatite C afin de favoriser un accès précoce aux prises en charge et aux traitements.
La prévention a également été renforcée, en matière de lutte contre le saturnisme. Il n'était pas acceptable que de jeunes enfants puissent contracter des maladies graves simplement parce qu'ils n'ont pas la chance d'habiter dans des logements sains. La loi contre les exclusions a rendu obligatoire la déclaration de tout cas de saturnisme observé chez une personne mineure ainsi qu'un diagnostic de l'habitat lorsque celui ci présente un risque manifeste ou lorsqu'un cas d'intoxication au plomb chez un mineur a été identifié.
Il faut enfin rappeler le lancement par le Gouvernement de programmes de lutte contre le tabagisme ou le suicide, et la poursuite active de la politique d'information et de prévention sur le sida.
II - Recomposer notre système de soins pour mieux répondre aux besoins de santé :
Notre système de soins doit s'adapter aux progrès thérapeutiques mais également à l'évolution de notre société, des modes de vie et de transport comme à l'attente des usagers.
D'où l'initiative du Gouvernement d'engager, avec un an d'avance, la révision des schémas régionaux d'organisation sanitaire, qui permettra au cours de l'été 1999 d'arrêter les nouveaux SROS pour les cinq prochaines années.
L'élaboration de ces SROS, en parallèle des Etats Généraux de la Santé, a été l'occasion de débattre avec l'ensemble des acteurs, des objectifs de la recomposition de l'offre hospitalière et de ses modalités afin de toujours mieux répondre aux besoins de la population.
Une grande latitude a été laissée aux acteurs de l'échelon régional pour mener à bien cette révision. Mais nous avons souhaité que ces travaux s'appuient sur les conclusions des conférences régionales de santé et sur la concertation locale afin de déterminer les priorités. Les orientations stratégiques des régions ont par exemple porté sur l'organisation des urgences ou l'amélioration de la prise en charge des maladies cardio-vasculaires. Des thèmes prioritaires de santé publique comme la lutte contre la douleur ou l'organisation des soins palliatifs ont fait l'objet de travaux approfondis en cohérence avec les deux plans triennaux que nous avons lancés avec Bernard Kouchner pour rattraper le retard de notre pays dans ces domaines pourtant si importants pour les malades.
Mais il s'agissait également d'intégrer ces évolutions dans un cadre plus large. La politique de réseaux menée, notamment en matière de périnatalité ou de cancérologie doit permettre d'offrir à chaque patient la meilleure prise en charge quelle que soit sa pathologie et quel que soit le lieu où il réside.
Il nous faut faire évoluer le système de santé avec le souci constant de concilier la recherche de la sécurité et de la meilleure réponse aux besoins thérapeutiques et la plus grande accessibilité, c'est-à-dire en général la plus grande proximité.
Dans le même esprit, l'institution de l'option conventionnelle du médecin référent doit favoriser la prise en charge globale du patient par un médecin généraliste et promouvoir une relation médicale plus attentive à la prévention et aux enjeux de santé publique.
Enfin, l'action de réduction des inégalités régionales par l'allocation des dotations hospitalières a été renforcée en 1998 et 1999.
Un nouveau mécanisme permettra de réduire les écarts existant entre les régions et en particulier pour les trois régions les plus défavorisées de rattraper leur retard dans les cinq ans qui viennent.
III - Garantir la sécurité sanitaire
En six ou sept ans la sécurité sanitaire s'est imposée comme une composante importante des politiques de santé au même titre que la prévention ou l'organisation des soins.
Nos sociétés ont appris, à travers les drames industriels ou sanitaires de Seveso à Tchernobyl, de la transfusion sanguine à la vache folle et plus récemment avec le poulet belge, que les risques sanitaires se multiplient et qu'ils se renforcent dans leur dangerosité potentielle au fur et à mesure que nos sociétés développent des processus de fabrication industrialisés et complexes. Désormais un incident sur une chaîne de production, une erreur ou une faute commise dans la préparation d'un produit peut avoir des effets en série tout à fait considérables pour la santé publique.
Nous ne sommes plus à l'époque du médecin isolé et de l'accident thérapeutique individuel, nous sommes entrés dans l'ère des risques sanitaires sériels qui peuvent, lorsque le malheur subvient, toucher d'une fois des milliers de personnes.
Dans ces conditions, la sécurité sanitaire est devenue une obligation collective, un impératif d'organisation et de vigilance pour les pouvoirs publics.
Après la première loi de sécurité sanitaire 1992 qui avait conduit à la création de l'agence du médicament et de l'agence française du sang, après la création également en 1992 du réseau national de santé publique, une nouvelle étape fondamentale a été franchie pour la constitution d'un dispositif de sécurité sanitaire dans notre pays.
La loi du 1er juillet 1998 a permis la transformation du réseau national de santé publique en institut de veille sanitaire, celle de l'agence du médicament en agence de sécurité sanitaire des produits de santé et la création d'une agence de sécurité sanitaire des aliments.
Un conseil national de la sécurité sanitaire réunit l'ensemble des autorités compétentes en la matière et permet d'assurer une coordination générale de l'action publique. Des systèmes d'alerte ont été mis en place dans les grands secteurs de risque et permettent des interventions plus rapides, plus précoces des pouvoirs publics.
Ces institutions sont désormais opérationnelles, leurs conseils d'administration ont été récemment installés. Elles donneront toute leur portée aux actions de prévention des risques, d'alerte et d'évaluation mais également de gestion de ces risques lorsqu'ils surviennent.
Il nous faut apprendre à connaître les risques, à les prévenir et les maîtriser mais aussi à les gérer en cas de crise, avec rationalité et efficacité, sans psychose, ni négligence.
Parallèlement, la promotion des bonnes pratiques est devenue un objectif prioritaire.
Le développement des procédures d'évaluation en santé et d'accréditation a permis notamment sous l'égide de l'ANAES de mettre à disposition des professionnels des informations essentielles pour la qualité de leur exercice. L'évaluation des pratiques prévue par la dernière loi de financement de la sécurité sociale confortera cette démarche.
Le décret d'application est actuellement soumis à la concertation.
De même, l'obligation de lutte contre les infections nosocomiales a été renforcée. La mise en place des comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) est désormais une obligation légale, y compris dans les établissements privés et la loi du 1er juillet 1998 organise un système de signalement de ces infections.
IV - Donner toute sa portée au principe d'égal accès aux soins :
Deux grandes lois marqueront sans aucun doute l'action du Gouvernement de Lionel Jospin. En moins d'un an, auront été adoptées la loi de lutte contre les exclusions et la loi portant création de la couverture maladie universelle.
Cela représente une évolution considérable pour notre pacte social. Le droit effectif à la protection de la santé aura progressé de manière déterminante pour permettre à chacun, quels que soient sa condition, ses revenus ou ses relations, d'accéder à la prévention et aux soins.
Depuis la loi exclusions, un programme d'accès à la prévention et aux soins doit désormais être élaboré dans chaque région afin d'analyser les besoins, de définir des priorités adaptées à la situation locale et de coordonner l'ensemble des actions menées.
La loi a également réaffirme- très clairement la mission sociale du service hospitalier dont le rôle est de contribuer au premier chef à la réinsertion des personnes dans le circuit de droit commun d'accès aux soins. Plus de 100 permanences d'accès aux soins de santé (250 à la fin de l'année) ont ainsi été créées afin de faciliter l'accueil et la prise en charge des personnes démunies au sein de l'hôpital et de les accompagner dans leurs démarches médico-sociales.
Avec la mise en place de la Couverture Maladie Universelle, c'est une avancée sociale majeure que notre pays connaît. Cette loi, qui devrait être votée en lecture définitive cet après midi entrera en vigueur le 1er janvier 2000.
La réforme comporte, vous le savez, deux volets. Elle vise d'une part, à assurer à toute la population une couverture de sécurité sociale et d'autre part, à faire bénéficier les plus défavorisés d'une couverture complémentaire et de la dispense d'avance des frais. La loi CMU permettra ainsi à 6 millions de personnes aux revenus les plus modestes de bénéficier d'une couverture à 100 % des soins.
Cette loi marque avant tout le refus de toute résignation face à l'inégalité en matière de santé et d'accès aux soins, qui est devenue l'une des injustices les plus criantes de notre société. Aujourd'hui en France, trop de personnes renoncent encore à se faire soigner pour des raisons financières ou parce qu'elles ont des difficultés à faire valoir leurs droits.
Avec la CMU, notre société se donne les moyens de faire du droit à la protection à la santé inscrit dans nos textes constitutionnels un droit effectif pour tous.
V - Garantir la pérennité de l'assurance maladie par des réformes structurelles
Les axes de la politique de santé que je viens d'évoquer sont essentiels, ils sont au cur de l'action gouvernementale. Ils ne pourraient pourtant bénéficier à l'ensemble de la population sans une assurance maladie garantissant à tous une prise en charge des dépenses de santé. Garantir l'assurance maladie, c'est d'abord agir pour la santé de nos concitoyens. Ceux qui s'insurgent contre la politique de maîtrise de l'évolution des dépenses, oublient trop souvent cette réalité.
Si l'assurance maladie ne pouvait faire face à ses échéances, si elle ne pouvait couvrir une part essentielle des frais de prévention et de soins, d'autres prendraient le relais mais en assortissant leur action de conditions liées à l'état de santé ou aux revenus des personnes.
Sélection par le risque, sélection par l'argent. Toute notre action vise à les éviter et à les combattre. La mise en place d'un dispositif n'offrant pas les mêmes chances à chacun face à la maladie serait inacceptable.
En développant des mécanismes de régulation de l'hospitalisation publique, certes stricts mais efficaces, en recherchant une régulation médicalisée mais réelle de l'évolution des dépenses de médecine de ville, en menant des réformes structurelles par exemple en matière d'informatisation, de formation médicale continue, d'évaluation des pratiques, de développement du médicament générique, nous cherchons à garantir durablement l'équilibre de l'assurance maladie.
Et cette action s'inscrit pleinement dans la politique de santé.
A quoi servirait de disposer de techniques médicales performantes ou de programmes de prévention élaborés s'ils ne pouvaient bénéficier à l'ensemble de la population ?
A quoi servirait de former des professionnels de santé de haut niveau s'ils ne devaient dispenser leur soin qu'à une partie de la population ?
A quoi servirait le maillage hospitalier exceptionnel de notre pays s'il ne pouvait accueillir tous ceux qui ont besoin de ses services ?
Politique de santé et politique d'assurance maladie sont indissociables.
Il ne peut y avoir d'un côté un ministre des comptes et de l'autre un ministre de la santé. Il y a une politique de santé globale et qui constitue une composante majeure de l'action du Gouvernement.
Nous avons l'obligation d'utiliser rationnellement les ressources que la collectivité consacre à la santé et une obligation éthique de permettre à tous d'avoir les mêmes chances face aux risques de la vie.
Et c'est bien le sens des Etats Généraux car la cohérence des actions menées en matière d'assurance maladie et de santé, l'efficacité des actions de santé publique, dépendent fondamentalement de l'adhésion de l'ensemble des usagers.
Or, les usagers sont trop longtemps restés à la porte du système de santé, à la porte du cabinet médical. Comme si la relation d'infériorité dans laquelle la maladie peut placer, faisait perdre à celui qui la supporte une part de sa citoyenneté. C'est cette part de citoyenneté, cette citoyenneté sanitaire que nous voulons construire. C'est une attente fondamentale exprimée dans la plupart des réunions des Etats Généraux, c'est la condition d'une véritable démocratie sanitaire.
Mais cette adhésion est également nécessaire pour les professionnels de santé. Il n'y a pas de politique de santé efficace sans concertation, sans confiance entre les professionnels et les pouvoirs publics. D'où la démarche que nous avons engagée dès notre arrivée avec les travaux menés par F. Stasse sur la médecine libérale ou par A. Bacquet sur l'hospitalisation.
Le dialogue avec l'ensemble des organisations représentant les professionnels de santé, a été permanent, parfois rude mais toujours responsable.
Cette démarche a d'ailleurs conduit à de nombreux accords que cela soit avec les radiologues, les cardiologues, les pharmaciens, les professions hospitalières, et il y a quelques jours les biologistes. Nous continuerons dans cette voie quelles que soient les critiques ou les frustrations des thuriféraires du plan Juppé.
La vivacité et la densité des échanges qui ont eu lieu dans le cadre des Etats Généraux montrent que les Français ont adhéré à cette démarche, qu'ils souhaitent participer, être reconnus, être partie prenante du système de santé.
La porte du système de santé leur a été ouverte, elle ne se refermera pas. Nous devons travailler à mettre en uvre une démocratie sanitaire permanente, c'est sans doute le défi qu'il nous faut relever aujourd'hui au terme de ces neufs mois de débat.
Je vous remercie.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 05 juillet 1999)