Conférence de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur les résultats d'un sondage sur "Les Français et l'Europe" et sur les actions de communication du gouvernement en faveur de l'Europe, Paris le 25 septembre 1997.

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Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de vous accueillir dans ces lieux, pour la première fois sous la forme d'une conférence de presse depuis a nomination en juin dernier. Nous sommes dans un lieu chargé d'histoire c'est dans ce Salon de l'Horloge que fut signé en 1951 le Traité de Paris instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier.
J'ai souhaité vous rencontrer pour vous présenter, avec Pierre Giacometti, les résultats d'une grande enquête d'opinion réalisée, à ma demande et à celle du gouvernement, par l'Institut IPSOS, qui a, sur les questions européennes, une grande expérience. Et avant de laisser la parole à Pierre Giacometti qui vous en présentera les résultats de façon détaillée, je voudrais revenir rapidement sur le contexte dans lequel cette initiative s'inscrit.
Vous avez tous en tête les circonstances dans lesquelles le gouvernement de Lionel Jospin a dû faire face, dans une certaine urgence et de manière un peu imprévue, compte tenu des conditions politiques, aux échéances les plus importantes de l'Agenda européen. Je pense notamment au Sommet franco-allemand de Poitiers ainsi qu'au Conseil européen d'Amsterdam, dont nous n'avons pas encore fini de parler.
Vous vous souvenez des interrogations qu'a suscitées en France et chez certains de ses partenaires, le changement de majorité. Il n'y avait pas, je crois, d'interrogation sur la force de nos convictions, mais il y avait des questions, qui se posaient notamment sur la compatibilité entre nos choix économiques et nos engagements européens, en particulier dans le cadre de l'Union économique et monétaire. Je note aujourd'hui avec satisfaction, et vous ne m'en voudrez pas, que cette perception a radicalement changé et s'est presqu'inversée.
Vous l'avez, comme moi, observé. Depuis, la publication des résultats de l'audit des finances publiques le 21 juillet, depuis les premières mesures de redressement qui ont immédiatement été prises, je crois qu'en matière européenne, un enchaînement positif s'est enclenché. Il y a eu la rencontre entre le Premier ministre et le chancelier Kohl fin août, il y a eu le Sommet franco-allemand de Weimar, qui illustrent parmi d'autres événements, ce changement de perspective.
Aujourd'hui, on commence à avoir une visibilité de ce que nous pouvons faire dans les mois et les années qui viennent.
D'importantes échéances sont devant nous :
- le Conseil européen extraordinaire sur l'emploi qui se tiendra le 21 novembre. Il est bien sûr, pour nous, déterminant, d'autant que c'est la France qui en a obtenu la convocation.
- le Conseil européen ordinaire, qui se tiendra à la mi-décembre également à Luxembourg, et qui traitera de la coordination des politiques économiques et fixera la liste des pays qui seront amenés à ouvrir des négociations avec l'Union européenne.
- la perspective de l'élargissement de l'Union européenne qui s'ouvre et le processus, de ce fait, s'engagera au premier semestre de l'année prochaine.
- vers la mi-1998, la date de sélection des pays participants à la monnaie unique. Ce sera en mai prochain. Et je crois qu'aujourd'hui l'avènement de l'euro a une crédibilité sans précèdent.
- enfin, et je ne veux pas être exhaustif, la réforme du financement de l'Union européenne et celle des politiques structurelles de l'Union dans ce que la Commission appelle l'exercice de l'Agenda 2000.
Mon propos n'est pas aujourd'hui de vous exposer l'état des positions françaises sur les différents dossiers, mais de souligner quelques éléments de méthode, en quoi la réalisation d'une enquête d'opinions s'inscrit dans ce cadre. Une préoccupation guide en permanence notre action : celle de comprendre et d'expliquer. Je reste très attentif à cette double exigence, à mes yeux indispensable, parce qu'au fond, ce que doit faire ce gouvernement, c'est de réconcilier l'opinion populaire avec la construction européenne. Et c'est dans ce contexte que cette initiative prend son sens.
Remettre les peuples au centre du projet européen, c'est évidemment s'employer à favoriser le retour d'une croissance riche en emplois, mais c'est d'abord se poser quelques questions simples : les Français dans tout cela ? Que pensent-ils ?
Que veulent-ils ? Je note que la dernière consultation des Français sur l'Europe fut le référendum de ratification du Traité de Maastricht, il y a cinq ans. Chacun s'en souvient. Ce référendum a été adopté, approuvé d'extrême justesse et l'on se souvient des clivages qui ont existé au sein de la population à cette occasion, clivage dont nous verrons tout à l'heure qu'ils demeurent encore en partie d'actualité.
Comment, justement, résorber ces clivages ? C'est pourquoi très vite, j'ai pris cette initiative. Car il m'a semblé nécessaire, dans une période où les avancées vont très vite, de m'informer de l'état de l'opinion face à la construction européenne. Que pensent les Français de l'Europe ? Quels sont leurs attentes ? Quelles sont leurs craintes aussi ? Quels espoirs placent-ils dans l'Europe ? Ont-ils le sentiment d'appartenir à une communauté nouvelle ? Quelles conséquences attendent-ils de la construction européenne pour la France et pour eux-mêmes ? Veulent-ils aller plus loin et plus vite ?
Veulent-ils au contraire que l'on défasse une partie de l'oeuvre entreprise ? Veulent-ils une Europe qui s'élargisse ?
Souhaitent-ils, au contraire, qu'elle reste telle qu'elle est ? Acceptent-ils les conséquences de la construction européenne ?
Que pensent-ils de la réalisation de l'euro ? Que pensent-ils de l'impact sur la politique gouvernementale de l'euro ? Voilà toute une série de question auxquelles nous allons maintenant répondre.
J'ai voulu faire une sorte d'opération-vérité. L'objectif est de savoir. C'est de savoir pour connaître les sentiments des Français ; c'est de savoir pour mieux répondre à leurs attentes ; c'est de savoir pour mieux expliquer les choix du gouvernement dans ce domaine, comme dans d'autres, tel que la politique économique et sociale.
Je laisse maintenant la parole à Pierre Giacometti pour présenter les résultats de ce sondage qui vous ont été distribués dans un dossier de presse. Et je reviendrai pour vous dire rapidement les enseignements que je tire de ce sondage et les choix qu'il implique, notamment dans l'action et la communication en direction des Français.(...)
Je vais simplement rajouter quelques mots de commentaire effectivement plus politique, après Pierre Giacometti que je remercie pour cette présentation très riche et complète, en précisant que ce sondage a été réalisé donc par IPSOS, et cofinancé par le ministère des Affaires étrangères et le Service d'information du gouvernement.
J'ai envie de souligner quelques enseignements pour l'action politique puisqu'à la fin de son propos, Pierre Giacometti a souligné à quel point le politique était important dans la structuration des opinions.
Et je retiens trois éléments, qui permettent de dessiner à la fois une satisfaction mesurée et quelques pistes pour l'action.
Premier élément : cette enquête me permet de combattre une idée fausse qui est trop souvent répandue, celle de la montée du sentiment anti-européen en France.
Et même si c'est fragile, même s'il y a, ici ou là, des interrogations, et je vais y revenir, on voit avec clarté que les Français restent attachés à l'Europe plus qu'on ne le dit et aussi parfois autrement qu'on ne le dit, c'est-à-dire à certains thèmes dont on parle peu dans le débat public.
Et si je prolonge cette observation très générale, je tirerais trois enseignements plus particuliers :
Le premier, c'est que dans l'opinion, le rapport de force reste favorable à l'Europe, sur la base de deux tiers/un tiers, et même un peu plus, car lorsqu'on regarde dans le détail, on voit que 68 % contre 23 %, c'est nettement plus. Donc, 68 % pensent que l'Europe est une bonne chose pour le pays ; 64 % contre 23 % pensent que c'est une bonne chose pour eux, et c'est peut-être encore plus important, car cela signifie qu'en fait au concret, ils en mesurent les bienfaits. Et surtout, quand on hiérarchise les thèmes, on voit que sur 17 thèmes il y en a 16 pour lesquels la perception de l'Europe est considérée comme positive. J'ai envie de dire que les Français manifestent en plus une vraie intelligence parce que les domaines dans lesquels ils mettent la plus grande priorité sont justement ceux sur lesquels l'Europe apporte une valeur ajoutée claire : la paix, la recherche et la technologie, la nature, la situation économique. Tout cela montre que les Français ont une perception claire de ce que peut être une Europe-puissance, puisque c'est ce dont nous parlons au gouvernement.
Mais en même temps, ils ont des interrogations réelles sur les carences de l'Europe comme espace de libre circulation, en matière de sécurité, d'immigration, etc.
Deuxième enseignement dans cette rubrique, c'est que l'Europe est un facteur d'optimisme pour l'avenir, et notamment pour les plus jeunes. Là, il y a cet optimisme qui se manifeste notamment à travers la volonté d'accélération et le fait que les tentations de repli nationaliste ne font pas de progrès.
Et le troisième enseignement, par rapport au débat, dont on parle le plus, c'est qu'à mon sens, quand on regarde l'opinion, je ne parle pas de la politique, ni de la politique nationale, ni de la politique internationale, la question de l'euro est en partie dépassée, du point de vue de l'opinion. En tout cas, je dirais que cette perspective est clairement intégrée. C'est peut-être le chiffre le plus spectaculaire : 92 % des Français croient que l'euro se fera un jour - même si ce jour n'est pas précisé, il est vrai qu'ils n'ont pas tous en tête le calendrier des Conseils européens -, c'est extrêmement fort. En outre, 67% des Français le souhaitent, 44 % pensent que c'est une réforme prioritaire et 63 % - c'est presque accessoire dans le cadre de cette enquête car nous n'avons pas voulu centrer cela sur la politique du gouvernement : 63 % approuvent la politique du gouvernement pour ce faire. Il reste aussi quelques idées préconçues comme par exemple le décalage qui fait que les Français croient que leur pays est moins préparé que l'Allemagne à la monnaie unique, ce qui n'est pas, dans la situation économique actuelle, vérifié ; on le voit bien d'ailleurs, y compris en regardant les opinions dans la toute dernière question. Mais tout cela, je crois, incite à recadrer un peu les choses.
Je parlais des éléments de satisfaction ; mais c'est aussi une satisfaction mesurée, parce que cette enquête permet aussi d'identifier des problèmes justes. Il y a une trop faible connaissance des réalités européennes. Il y a la persistance de clivages et d'inquiétudes, qui n'ont pas substantiellement bougés depuis le référendum de Maastricht.
Je ferai deux observations :
La première, c'est que l'attachement à l'Europe reste fragile. J'ai dit qu'il était fort, mais il est aussi fragile du fait d'une perception sans doute trop floue et d'une trop faible connaissance de l'Europe. Et c'est aussi le rôle du gouvernement. On voit que 46 % des Français sont attachés à la France en premier, 15 % à l'Europe en premier. Le chiffre n'est pas négligeable mais montre bien là qu'il y a une application indirecte du principe de subsidiarité.
La citoyenneté européenne est un thème qui est positivement reçu, mais qui n'est très important que pour 25 % des Français. C'est sans doute trop peu. Et l'intérêt prioritaire pour les questions européennes, s'il monte dans le classement des préoccupations, reste quand même inférieur à 40 %. Et tout cela se traduit par des incertitudes et des attentes.
Et c'est ma deuxième observation sous cette rubrique également, c'est qu'on voit quand même que persistent des clivages, des clivages sociaux, économiques et politiques par rapport à la question européenne.
Observons, en effet, que à peu près sur toutes les questions, ceux qui sont les plus européens, sont les hommes, les étudiants, les cadres supérieurs, les hauts revenus, ceux qui ont fait des études supérieures, toutes ces questions - je mets les hommes de côté - étant souvent liées, les habitants de l'Ile de France, les sympathisants du Parti socialiste et les sympathisants de l'UDF ; si on regarde ceux qui sont les plus réticents, on trouve les femmes, les employés, les ouvriers, les salariés du privé, les faibles revenus, les sympathisants du Parti communiste, même s'il y a là une évolution très intéressante, et les sympathisants du Front national.
Troisième série d'enseignements, et ce sont des enseignements pour l'action, ceux-là. Que peut-on en tirer comme enseignement pour structurer une action et une communication ? C'était d'ailleurs l'objectif que je poursuivais en commandant ce sondage.
L'objectif principal que peut avoir le ministre délégué chargé des Affaires européennes, est à la fois simple et très ambitieux. D'ailleurs, il ne peut pas le faire tout seul. C'est d'essayer de rendre l'Europe populaire - c'est l'objectif du gouvernement - quand je dis populaire, j'entends populaire dans les deux sens du terme, c'est à dire à la fois que l'Europe soit aimée, et aussi que l'Europe serve les peuples, notamment les couches populaires, celles qui sont encore aujourd'hui les plus réticentes, les plus inquiètes, les plus interrogatives par rapport à la construction européenne.
Vous savez, quand on arrive dans un ministère, on se demande comment cela fonctionne et à quoi on sert. Et je peux vous dire à quoi sert le ministre des Affaires européennes, maintenant avec à peu près trois mois de recul. Il a, première tâche, un rôle interministériel sur les questions européennes. C'est donc un rouage du gouvernement auquel, en principe, aucune question européenne ne peut échapper, je dis "en principe" car la réalité est parfois un peu différente ; deuxième tâche : c'est un ministre qui est placé auprès du ministre des Affaires étrangères et qui a en charge certains dossiers - hier, Maastricht, quand c'était Elisabeth Guigou, la Conférence intergouvernementale pour Michel Barnier, pour moi ce sera l'élargissement et tout ce qu'on appelle l'Agenda 2000, le paquet financier et la réforme des politiques structurelles. Et troisième chose : c'est un ministre qui est situé à l'interface entre les affaires extérieures et les affaires intérieures, car on ne peut pas aujourd'hui considérer que l'Europe soit vraiment du ressort de la politique étrangère. Il y a une action très essentielle à mener de communication par rapport à l'opinion française. Il me semble, j'en suis même sûr, que ce que nous devons faire, c'est expliquer l'Europe aux Français, expliquer la politique gouvernementale en la matière aux Français, la faire comprendre, et éventuellement l'infléchir.
Je crois que ce qu'écrivait Lionel Jospin dans une interview récente sur le réalisme de gauche prévaut aussi pour l'Europe. Le gouvernement est profondément européen ; en même temps, nous ne souhaitons pas défaire la France et nous souhaitons que l'Europe soit plus équilibrée, dans le sens de la croissance, dans le sens l'emploi et dans le sens de ce que je pourrais appeler l'égalité, puisqu'il y a une demande forte en la matière. Alors, quelles actions de communication ? Je crois que cette enquête montre que les Français attendent plus d'informations sur l'Europe, informations sur la construction européenne, et cela passe aussi par une campagne de communication avec le grand public.
En matière d'informations sur l'Europe en général, il y a auprès du ministre des Affaires européennes, un centre de documentation, qu'on appelle "Sources d'Europe".
Je conduirai des actions de communication, avec les crédits de ce ministère, qui sont pratiquement doublés par ceux de la Commission européenne.
Elles auront pour thème tout ce qui concerne l'Europe concrète. Je vais poursuivre, mais de façon sensiblement différente, ce que faisait mon prédécesseur, c'est-à-dire, engager effectivement un dialogue décentralisé, mais avec un contact très fort avec les forces économiques et sociales.
D'ici à la fin de l'année, j'ai prévu trois déplacements en régions dans cet esprit : le premier en banlieue parisienne le 21 octobre, le second sera à Besançon, le 28 novembre, et le troisième à Tours - c'est une capitale européenne - le 19 décembre.
Quel est l'objectif de ces déplacements ? C'est de consacrer une journée entière à rencontrer dans une région toutes les populations, de leur expliquer l'intérêt de la construction européenne, de sa poursuite, de répondre à leurs inquiétudes, et de susciter le débat. Et donc, cela veut dire aussi bien les syndicats, les associations, le patronat, des visites d'entreprises, d'universités, et des réunions de dialogue publiques.
Puis en vue du Sommet de Luxembourg sur l'emploi du 21 novembre, j'organise une journée internationale à Nantes, le 30 octobre, sur l'Europe, le social et l'emploi, qui comprendra deux tables rondes, une sur le modèle social européen, une autre sur le dialogue social européen.
Pour ce qui concerne la poursuite de l'opération que nous avons faite avec IPSOS, il y aura des enquêtes qualitatives qui permettront d'affiner le diagnostic. Elles sont en cours de réalisation. Et plus tard, nous ferons paraître un baromètre régulier, pas mensuel bien sûr, car les opinions sur l'Europe bougent moins vite que la côte des hommes politiques. Cela permettra de suivre l'état de l'opinion et d'ajuster notre communication.
Pour 1998, je prépare un programme d'action ambitieux, avec les modestes crédits qui sont les miens, mais enfin on a quand même de quoi faire, en la matière - aux côtés aussi de Dominique Strauss-Kahn, pour le lancement de la campagne sur l'euro - un programme pour mieux faire comprendre l'Europe, sa vocation, ses intérêts, que je vous présenterai d'ici la fin de l'année.
Mais je termine en insistant sur un point :
J'ai évoqué tout à l'heure la question des clivages, notamment avec les couches populaires. Je crois qu'il est très important de bien identifier les thèmes et les actions qu'elles attendent pour faire en sorte que l'Europe soit plus proche d'elles, et nous avons besoin aussi de mieux connaître encore pour pouvoir expliquer l'intérêt qu'elles tireront pour elles-mêmes de la construction de l'Europe. L'objectif du gouvernement est bien celui-là : rendre l'Europe populaire.
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 septembre 2001)