Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur la lutte contre le SIDA et les suites du rapport du professeur Luc Montagnier, Paris le 6 décembre 1993.

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Circonstance : Visite à l'Institut Pasteur de Paris, le 6 décembre 1993

Texte intégral

Madame le Ministre d'Etat.
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président.
Monsieur le Directeur,
Messieurs les professeurs.
Mesdames, Messieurs,
La lutte contre le SIDA constitue l'une des tâches prioritaires du Gouvernement.
La France est le pays le plus touché en Europe -plus de 25.000 cas y sont déclarés- et la progression du nombre des malades y reste forte : 12.000 patients sont traités aujourd'hui ; on estime qu'ils seront 16.000 à la fin de la décennie. 330.000 personnes ont été reconnues séropositives dans notre pays.
Aussi ai-je décidé, dès l'installation du Gouvernement, de faire procéder à une large consultation sur cette question. Comme il convenait, cette mission a été confiée au Professeur MONTAGNIER.
M. MONTAGNIER vient de me remettre son rapport, sur lequel le travail interministériel a d'ores et déjà commencé. Les 49 propositions du rapport visent à améliorer le fonctionnement des administrations concernées, à adapter la prise en charge sanitaire et sociale des malades à l'ampleur de l'épidémie, à promouvoir une politique ambitieuse de prévention et à accroître les moyens consacrés à la recherche. Je réunirai, dès la mi-janvier, un comité interministériel qui prendra les premières décisions qu'appellent les conclusions de ce rapport.
Aujourd'hui. j'ai tenu à m'entretenir avec les médecins et les infirmières de l'Hôpital BICHAT et, ici-même, à l'Institut Pasteur, avec les chercheurs qui consacrent leurs efforts à la lutte contre cette maladie. Vous me permettrez de saisir cette occasion pour rendre hommage aux équipes médicales et de recherche et à toutes les personnes, souvent bénévoles, qui consacrent à la lutte contre le SIDA des efforts inlassables. Leur dévouement est un exemple pour notre société, dont les solidarités essentielles sont aujourd'hui remises en cause.
Le thème retenu cette année par l'Organisation Mondiale de la Santé est "AGISSONS MAINTENANT". Mesdames et Messieurs, je crois pouvoir dire que nous n'avons pas attendu pour agir. Le Gouvernement conduit la lutte contre le SIDA avec tous les Français et sur tous les fronts : dans le domaine sanitaire, nous la menons à l'hôpital et en ville, mais aussi pour améliorer le soutien aux malades, à leur famille et à leurs proches ; nous la menons sur le front de la prévention et de la prise en charge des toxicomanes ; nous la menons aussi sur le front de la recherche clinique et expérimentale.
Dans le domaine sanitaire, l'enveloppe hospitalière consacrée aux soins des patients a été augmentée de 454 millions de francs afin d'assurer une meilleure couverture des besoins. Surtout, le Gouvernement s'attache à améliorer la continuité des soins et l'insertion des malades par la promotion des réseaux Ville-Hôpital. Le financement des aides ménagères et des gardes malades a été plus que doublé et passera de 80.000 à 170.000 heures, le nombre des appartements thérapeutiques a été augmenté de 54 à 200, avec les personnels nécessaires. Au total, ces actions de soutien sanitaire sont portées de 48 à 61 millions de francs en 1994.
En termes qualitatifs, je mesure combien ces mesures peuvent encore apparaître insuffisantes. C'est pourquoi je souhaite que les pouvoirs publics apportent leur concours à toutes les initiatives privées ou associatives qui sont de nature à améliorer la prise en charge des malades. Je pense, en particulier, au projet auquel M. MONTAGNIER a bien voulu accorder son soutien, de centre pour personnes confrontées au SIDA qui s'inspire de la "London Lighthouse". De telles initiatives me paraissent devoir être encouragées, notamment en Ile-de-France, région particulièrement touchée par l'épidémie.
Tant qu'un vaccin biologique ne sera pas disponible, les efforts de prévention doivent rester au centre de nos préoccupations. Nous devons persuader nos compatriotes, et notamment les plus jeunes, de l'efficacité d'un comportement responsable. Les ministères de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, de l'Agriculture et de la Défense vont conduire une action conjointe de sensibilisation des jeunes de 16 à 18 ans et le budget consacré à l'action éducative sera doublé, passant de 6 MF à 12 MF.
Des programmes spécifiques de prévention ont été mis en oeuvre auprès des groupes les plus exposés à la contamination et d'abord auprès des toxicomanes, qui sont, en proportion croissante, les victimes de l'épidémie. Des programmes visant à éviter la contamination par les seringues ont été mis en oeuvre. Ces premières expériences ont donné des résultats encourageants. Je souhaite que les efforts se portent vers les actions de fond visant à limiter la dépendance des toxicomanes, à les en libérer et à les réinsérer dans notre société. Ces actions seront conduites en étroite coopération avec les collectivités locales, départementales et régionales.
A l'initiative du Ministre délégué à la santé, la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France a lancé une action de promotion de la distribution de préservatifs à 1 F en pharmacie.
Les tests de dépistage de l'infection virale sont maintenant totalement pris en charge quelles que soient les circonstances à l'occasion desquelles ils sont pratiqués ; 27 nouveaux centres de dépistages anonymes et gratuits ont été créés cette année, portant leur nombre total à 154.
Le Gouvernement veille également à ce que les tests biologiques les plus performants soient utilisés et des mesures importantes ont été prises pour assurer la sécurité transfusionnelle sur laquelle des règles de bonne pratique et une vigilance particulière ont été établies.
Telles sont, Mesdames et Messieurs, les actions de lutte contre le SIDA en matière sanitaire et sociale qui ont été engagées cette année.
Tout à l'heure, je me suis penché avec émotion sur le microscope avec lequel fut observé pour la première fois, il y a une dizaine d'années, le virus de l'immunodéficience humaine. Je me suis entretenu avec les chercheurs qui m'ont fait part des difficultés de leurs travaux. Certains s'interrogent sur la portée des progrès accomplis au cours de la décennie passée. Notre génération s'était accoutumée aux progrès de la médecine. Chacun s'étonne et s'irrite de la voir marquer le pas devant une nouvelle pandémie. Le fait même qu'une épidémie d'une telle ampleur puisse se développer au moment même où nous étions parvenus à éradiquer la plupart des maladies transmissibles est perçu comme une incongruité de l'histoire.
Les perspectives d'un vaccin, que l'on a d'abord cru à portée de mains, semblent s'être éloignées. Les difficultés sont grandes à cerner un virus si apte à changer de forme et capable de détruire les cellules mêmes qui sont chargées de défendre l'organisme.
Les substances médicamenteuses capables de bloquer efficacement la réplication du virus se sont avérées n'avoir qu'un effet palliatif, et le virus développe d'étonnantes capacités à leur résister.
Nous devons garder cependant foi en la recherche.
Déjà, des médicaments de conception nouvelle sont ou vont être à l'essai. Il paraît raisonnable d'en attendre des améliorations cliniques ainsi que des associations médicamenteuses efficaces. Les expériences qui sont menées en France et ailleurs nous indiqueront bientôt dans quelles directions doivent s'orienter les efforts de mise au point d'un vaccin. Chaque jour, les efforts de maintes équipes de recherche accumulent des connaissances nouvelles sur le virus et les désordres qu'il provoque dans l'organisme.
Un jour, le remède sera trouvé. Il sera découvert à l'issue d'une expérience bien conçue, où se seront conjugués le génie des chercheurs et un hasard heureux ; ou bien il résultera du cumul des multiples approches systématiques. Nul ne sait et nul ne peut prédire d'où viendra le succès. C'est pourquoi il importe de ne pas isoler la recherche sur le SIDA de l'ensemble des efforts de la recherche en matière biomédicale. Cette année, le Gouvernement a augmenté de façon très significative les crédits de recherche. Une enveloppe supplémentaire de 120 millions de francs, dont 30 millions consacrés expressément au SIDA, ont été attribués à la recherche expérimentale, tandis que les crédits hospitaliers consacrés à la recherche clinique ont été doublés, avec une enveloppe supplémentaire de 100 millions de francs.Mesdames, Messieurs, je souhaite que notre pays retrouve dans la lutte contre le SIDA le rôle exemplaire qui doit être le sien. Cette volonté implique que des moyens accrus soient consacrés à la recherche. Le Gouvernement s'engage résolument dans cette voie. Mais les hommes ont toujours été tentés, devant l'émergence d'une nouvelle et grave épidémie, d'exclure ceux qui en sont atteints. La France se doit également d'être exemplaire en ce qui concerne l'attitude de la collectivité nationale à l'égard des malades. Je souhaite que notre pays s'attache aussi à démontrer que les armes les plus efficaces contre le SIDA sont celles de la responsabilité, de la générosité et de la fraternité.