Interview de M. Edouard Philippe, Premier ministre, à France 2 le 13 septembre 2017, sur les manifestations contre la "loi Travail", la préparation de la réforme de la politique du logement et le gel du taux du Livret A à 0,75% pendant deux ans.

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Média : France 2

Texte intégral

CAROLINE ROUX
Bonjour Edouard PHILIPPE.
EDOUARD PHILIPPE
Bonjour.
CAROLINE ROUX
Alors entre 223.000 et 400.000 manifestants hier dans les rues partout en France, un succès dit la CGT, vous le prenez comme un premier avertissement ?
EDOUARD PHILIPPE
Non et je ne me pose pas la question de la façon dont vous l'avez présenté, pardon de le dire comme ça. Ce n'est pas du tout un bras de fer, moi je n'envisage cette étape de la transformation de la France comme un bras de fer.
CAROLINE ROUX
Eux oui.
EDOUARD PHILIPPE
Peut-être, mais moi je ne l'envisage pas comme cela. Moi, ce que j'essaie, c'est de faire en sorte que le mandat qui nous a été donné par le peuple français, par les électeurs soit mis en acte. Pourquoi est-ce que nous faisons ces réformes ?
CAROLINE ROUX
C'est important ce que vous dites, mais quelle que soit la contestation, quels que soient ceux qui s'expriment dans la rue ?
EDOUARD PHILIPPE
La contestation, je la respecte, elle existe, elle est là, je l'écoute, la liberté de manifester est une liberté fondamentale en France et ceux qui s'inquiètent ou s'opposent à ce texte ont parfaitement le droit de manifester dans l'ordre et en respectant la loi, mais ils ont parfaitement le droit de le faire, il faut respecter ce droit. Donc j'écoute et je suis attentif.
CAROLINE ROUX
Mais vous ne changerez rien.
EDOUARD PHILIPPE
Mais je me permets d'indiquer que les français quand ils s'expriment par leur vote et au moment des élections, ils ont également le droit d'être respecté. Or la réforme que nous mettons en oeuvre, elle a été annoncée par le président de la République au moment de l'élection présidentielle. J'ai moi-même confirmé après ma nomination à Matignon qu'il y aurait cette réforme, que nous procéderions par ordonnance comme l'avait d'ailleurs indiqué le président de la République, que nous respecterions une méthode qui a été présentée et qui a été constituée d'intenses discussions avec les organisations syndicales et la majorité législative nette qu'ont donné les Français au gouvernement permet de mettre en oeuvre cette réforme. J'ajoute encore une fois qu'il y a eu un projet de loi qui a été présenté à l'Assemblée nationale et au Sénat, qui a été voté, il y a donc eu un débat parlementaire très long. Encore une fois on peut parfaitement et il faut respecter les Français qui manifestent, mais il faut aussi respecter dans une démocratie le Parlement quand il donne une majorité à un texte qui prévoit ces mesures et c'est le cas.
CAROLINE ROUX
Votre réponse est très nette, c'est fermer le banc d'une certaine manière, il y a d'autres journées de mobilisation qui sont prévues la semaine prochaine, le 21 et le 23 septembre, on a entendu Jean-Luc MELENCHON hier dire dans un cortège à Marseille, « Nous ferons reculer le gouvernement sur la loi Travail ».
EDOUARD PHILIPPE
Où est la démocratie si lorsque le Parlement qui est empreint de la légitimité populaire, vote une loi d'habilitation disant au gouvernement, vous devez faire ci, vous devez faire ça, où est la démocratie si on conteste systématiquement la majorité parlementaire ? Donc j'entends les manifestations, il y a encore un certain nombre d'éléments à discuter, parce qu'il y a toujours des éléments à discuter dans une démocratie.
CAROLINE ROUX
Lesquels ?
EDOUARD PHILIPPE
La mise en oeuvre de ces ordonnances, les moyens qui seront accordés à l'ensemble des institutions qui font vivre le dialogue social.
CAROLINE ROUX
Il y a encore des marges de négociations ?
EDOUARD PHILIPPE
Et les syndicats le savent parfaitement, nous l'avons dit publiquement, donc il n'y a aucun sujet là-dessus, mais le texte des ordonnances tel qu'il a été présenté, il correspond à la loi d'habilitation qui a été votée par le Parlement, donc nous allons les présenter au conseil des ministres le 22 septembre, le président les signera et à la fin du mois de septembre, le texte sera rentré en vigueur.
CAROLINE ROUX
Est-ce que vous avez vu des fainéants dans la rue hier ?
EDOUARD PHILIPPE
Je ne veux pas rentrer dans cette polémique.
CAROLINE ROUX
Ce sont les mots du président de la République, ce ne sont pas les miens.
EDOUARD PHILIPPE
Oui, il ne désignait pas ce que vous laissez entendre qu'il pourrait désigner.
CAROLINE ROUX
Ils se sont sentis visés, Monsieur le Premier ministre.
EDOUARD PHILIPPE
Et d'ailleurs le président de la République a été très clair après ses propos sur le contexte dans lequel il fallait les entendre. Moi, je ne jette l'opprobre sur personne, ce que je sais, ce que vous savez, ce que les Français savent parfaitement, c'est que notre pays n'est pas dans une bonne situation, c'est que nous vivons et c'est une spécificité française dans un pays où le chômage de masse perdure. C'est un pays qui se trouve dans une situation moins favorable que d'autres pays tout aussi démocratiques que la France, tout aussi attachés et soucieux aux droits sociaux de la France, mais qui vit avec durablement, avec 9 % de taux de chômage. Et les Français nous ont demandé de transformer le pays, ils nous ont demandé d'agir. Ils n'en veulent plus de ces majorités politiques qui se succèdent et qui constatent le problème, mais qui n'avancent pas vers la solution.
CAROLINE ROUX
On peut réformer sans les manifestations, sans bloquer le pays ?
EDOUARD PHILIPPE
Il faut réformer avec ordre, avec méthode, dans le calme, dans la sérénité, dans la transparence en acceptant l'idée qu'il y ait effectivement des oppositions qui s'expriment et peut-être aussi, si vous me le permettez, en un mot mais c'est important, et peut-être aussi en expliquant, car ce qu'on dit les manifestants hier, c'est pour certains d'entre eux une opposition très forte, mais ce qu'ils ont traduit, c'est aussi parfois un besoin d'explications encore plus grand sur ce qui est contenu effectivement dans les ordonnances. Est-ce que vous m'autorisez, je vais m'y autoriser tout seul vous allez voir, à vous donner un exemple ?
CAROLINE ROUX
Alors allez-y.
EDOUARD PHILIPPE
J'ai entendu hier notamment sur l'antenne de France Télévisions et France 2, des gens qui évoquaient leurs angoisses à propos de ce qu'on appelle le contrat de chantier, qui est un contrat un peu particulier qui existe déjà dans le bâtiment, les travaux publics et dont on propose qu'il puisse être étendu dans d'autres secteurs. Et les gens qui manifestaient, disaient, on ne veut pas de ce contrat de chantier dans notre filière, dans notre branche. Qu'est-ce que nous avons fait dans ces ordonnances ? On n'a pas dit, il va y avoir des contrats de chantier, on a dit aux organisations syndicales et patronales si vous discutez et si vous vous mettez d'accord, vous pourrez vous mêmes décider qu'éventuellement on aura ces contrats de chantier. Autrement dit, qu'est-ce qu'on fait dans ces ordonnances ? On n'impose pas grand-chose, on permet à ceux qui sont au coeur du dialogue social de se mettre d'accord, donc on permet ce dialogue. Moi, je crois au dialogue social et je veux que les organisations syndicales et patronales puissent discuter effectivement.
CAROLINE ROUX
Alors un mouvement de grève qui s'est produit hier, qui a peut-être été moins remarqué, c'est celui des CRS. Alors ils n'ont pas le droit de faire grève, mais ils ont déposé des arrêts maladie, 420 CRS étaient indisponibles sur les 1.500 prévus, ils dénoncent un manque de reconnaissance. Ça fait 35 % de grévistes, c'est acceptable des CRS qui se mettent en grève en tout cas en arrêt maladie ?
EDOUARD PHILIPPE
Ecoutez, moi j'ai surtout vu hier des CRS qui travaillaient, qui garantissaient le fait que les manifestations se passent dans l'ordre. Il y a eu à la fin du cortège quelques provocations et il y a eu quelques débordements, mais au fond assez bien contenus, dans certaines villes de France, ça a été plus dur, on pense à Nantes notamment. Mais enfin dans l'ensemble tout ça s'est bien passé, grâce aussi au concours de la force publique, donc je lui rends hommage et s'il y a des difficultés ensuite dans les négociations entre telle catégorie de fonctionnaires et leurs responsables ministériels, ces discussions auront lieu.
CAROLINE ROUX
Donc 420 CRS qui se sont portés pâle un jour de manifestation, ce n'est pas si grave, c'est ça que vous me dites ?
EDOUARD PHILIPPE
Non, ce que je veux dire, c'est que la sécurité des cortèges a été assurée et c'est mon objectif principal et encore une fois, vous savez, ces grandes manifestations et hier c'était une grande manifestation, elles peuvent donner lieu à des débordements, tout le monde le sait. Vous avez bien remarqué qu'il n'y avait pas simplement des manifestants tranquilles, paisibles, convaincus et de bonne foi hier, il y avait aussi un certain nombre de gens, peu nombreux mais très déterminés à faire en sorte que les choses se passent mal. Les choses se sont bien passées, moi, permettez-moi de rendre hommage à ceux qui font en sorte que ces manifestations se passent bien, les organisations syndicales quand elles les encadrent et les forces de l'ordre quand elles font en sorte de ne pas répondre aux provocations ou de les encadrer.
CAROLINE ROUX
Mais cette colère des CRS sera prise en compte dans les prochains jours ?
EDOUARD PHILIPPE
Mais on sait très bien, pardon, mais on sait très bien que dans les forces de police, il y a un travail très intense, depuis très longtemps, nous demandons beaucoup à nos forces de police, et qu'il y a l'expression parfois d'une insatisfaction, je l'entends, nous la connaissons tous, elle s'est exprimée de façon très vive, il y a quelques mois, il ne faut jamais oublier ce qui s'est passé. Donc j'en ai parfaitement conscience, mais mon objectif, encore une fois, c'est de faire en sorte que lorsqu'il y a des manifestations, l'ordre public soit préservé.
CAROLINE ROUX
Un mot sur les APL, les 5 euros de baisse avaient fait polémique, vous le savez bien cet été, vous préparez une réforme du logement avec une baisse de 50 euros des APL, 50 euros versés aux sociétés de HLM.
EDOUARD PHILIPPE
Alors vous me permettez là encore d'expliquer les choses de façon claire.
CAROLINE ROUX
Le montant peut être effrayant.
EDOUARD PHILIPPE
Non.
CAROLINE ROUX
Non ?
EDOUARD PHILIPPE
Et il ne faut pas qu'il le soit, et je vais vous indiquer pourquoi. Notre objectif, c'est de transformer la politique du logement, c'est de faire en sorte qu'on puisse construire plus aux endroits géographiques où on en a le plus besoin afin de faire baisser le prix des loyers. C'est aussi et c'est le deuxième objectif, d'accueillir et de traiter beaucoup mieux les situations de grande précarité qui ne sont pas très bien traitées en France aujourd'hui. Et enfin c'est de faire en sorte de baisser les loyers et de les baisser notamment dans le logement social et la réforme sur laquelle nous travaillons, l'objectif que nous nous fixons, et j'aurai l'occasion d'indiquer les détails de cette réforme, mais l'objectif que nous nous fixons, c'est de faire en sorte que pour ceux qui touchent des APL dans le logement social, il y a ait une baisse de loyers exactement identique à la baisse des APL, autrement dit pour les bénéficiaires des APL dans le logement social, il n'y aura aucun effet, entendez-moi bien aucun impact.
CAROLINE ROUX
Vous garantissez la baisse des loyers du même montant.
EDOUARD PHILIPPE
Aucun impact pour ceux qui bénéficient des APL dans le logement social, aucun. Et pour ceux qui ne sont pas dans le logement social et qui bénéficient des APL, aucune espèce d'impact puisqu'ils ne sont pas concernés par cet élément.
CAROLINE ROUX
Autre information…
EDOUARD PHILIPPE
Mais c'est important ce que je viens de dire…
CAROLINE ROUX
Je sais.
EDOUARD PHILIPPE
Parce qu'en cette matière comme dans toutes les matières, c'est très facile de faire partir le feu dans la prairie, c'est en faisant peur.
CAROLINE ROUX
C'est pour ça que je vous ai posé la question.
EDOUARD PHILIPPE
Et c'est pour ça que je dis clairement que s'agissant des bénéficiaires de l'APL dans le logement social, il n'y aura aucun impact.
CAROLINE ROUX
Un autre sujet qui concerne, je crois, 55 millions de Français, le Livret A, on a appris ce matin que vous aviez la volonté de geler le taux de Livret A à 0,75 % pendant deux ans, c'est-à-dire ?
EDOUARD PHILIPPE
Là encore, c'est inexact, notre objectif, c'est de faire en sorte que le Livret A qui est un instrument auquel les Français sont légitimement et extrêmement attachés et qui a pour objet de financer quoi, le logement social. Notre objectif, c'est de faire en sorte que la transformation de la politique du logement et notamment du logement social puisse être financée par le Livret A, et pour garantir ce financement, ce que nous voulons faire, c'est stabiliser, faire en sorte que le taux du Livret A soit stable, qu'il ne bouge pas, qu'il ne descende pas, qu'il ne bouge pas pendant une période de temps, et ça, ça nous permet de mobiliser des financements. Donc d'offrir des moyens supplémentaires aux organismes de logement social et donc de baisser les loyers dans le logement social.
CAROLINE ROUX
Les épargnants n'y perdent pas ?
EDOUARD PHILIPPE
Les épargnants n'y perdront pas encore une fois, notre objectif, c'est de stabiliser ce taux.
CAROLINE ROUX
Le président au chevet des Antilles, juste un mot, est-ce que vous accepterez le retour d'expérience sur la façon dont les choses ont été gérées, je fais bien sûr référence à la polémique qu'il y a eu sur l'absence de réactivité du gouvernement. On va laisser passer la gestion de la crise, la reconstruction, mais est-ce qu'en tant que Premier ministre, vous accepterez, je ne sais pas, d'aller vous exprimer devant une Commission d'enquête par exemple, pour un retour d'expérience ?
EDOUARD PHILIPPE
Ma réponse va être d'une très grande clarté, d'abord on apprend toujours des crises, toujours, donc ceux qui pensent qu'on n'apprend pas se trompent, on apprend toujours des crises. Deuxièmement je suis extrêmement fier de la réaction des services de l'Etat et je le dirai toujours. Nous avons vu cette crise arriver, nous avons pris des mesures de prépositionnement d'un certain nombre de renforts, nous avons réagi rapidement, massivement et je dis aujourd'hui et je dirai toujours, que la qualité de la réaction des forces de l'ordre, des sapeurs-pompiers, des militaires a été remarquable. Et troisièmement, si le moment venu, le Parlement veut poser des questions au gouvernement, nous y répondrons totalement, complètement et j'ai même, j'ai hâte de pouvoir le faire parce que les mauvaises polémiques nourries par des gens qui ne pensent qu'à la politique politicienne, alors que des gens vivent des drames, m'insupporte profondément.
CAROLINE ROUX
On termine par une bonne nouvelle, les JO 2024, vous dites « Bravo HIDALGO » ?
EDOUARD PHILIPPE
Je dis que la sagesse m'a appris à ne jamais vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, l'annonce sera faite ce soir, si l'annonce est bonne, je serais le plus heureux des hommes, mais ne comptez pas sur moi pour me réjouir avant qu'elle soit officielle.
CAROLINE ROUX
Il n'y a aucun suspense, ok, très bien, merci beaucoup Monsieur le Premier ministre d'être venu ce matin.
EDOUARD PHILIPPE
Merci.Source ; Service d'information du Gouvernement, le 13 septembre 2017