Déclaration de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, sur les rythmes urbains et les transports publics, Paris le 11 décembre 2001.

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Circonstance : Colloque "Evolution des rythmes urbains : un nouveau défi pour les transports publics" à Paris le 11 décembre 2001.

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs,
Le temps est un mystère, une source inépuisable d'interrogations et la plus pressante des préoccupations intimes de chacun de nous. Pour parer à cette angoisse, l'imaginaire humain n'a eu de cesse d'inventer des instruments de mesure, qui vont de la course des étoiles à l'horloge atomique, comme pour fixer ces sensations diffuses et personnelles dont nous ressentons tous la pression intérieure.
Nous n'avons, non plus, jamais cessé de convoquer des images ou des mots pour représenter cet invisible, à tel point que la littérature, la poésie, la philosophie, l'art en général, déclinent à profusion ce thème fondateur de notre condition humaine.
Mais le temps, c'est aussi tout simplement pour chacun de nous, une montre, des enfants à aller chercher à l'école, un autobus qui n'arrive pas, l'attente impatiente à un guichet, ce qui manque, ce qui gêne, ce qui nous fait courir et qui désynchronise nos vies.
C'est donc le temps qui nous réunit encore aujourd'hui, et c'est avec beaucoup de plaisir que je viens conclure ce colloque pour apporter ma contribution à vos travaux.
Vous êtes tous ici, élus et des professionnels des transports, et vous êtes donc tout à fait conscients des préoccupations de nos concitoyens. Les progrès accomplis en matière de transports sont une des causes essentielles des bouleversements de nos modes de vie, nos habitudes ou nos envies. Ils ont marqué notre société du sceau de l'accélération, du goût de l'instantané, et ils ont, de fait, rétréci l'espace.
Il s'agit de mieux comprendre ces changements qui nous bouscule et il faut, inlassablement, pour mieux prévenir les dysfonctionnements qu'ils peuvent générer, être à l'écoute des usagers, de leurs inquiétudes et de leurs demandes.
Le 20 septembre dernier, lors de la conférence des Temps de la vie quotidienne que j'ai organisée à Créteil, le Premier ministre a initié une nouvelle politique publique, une façon originale et moderne de reconsidérer nos institutions, de renforcer la démocratie et d'améliorer la qualité de vie des habitants. Il a annoncé un premier train de mesures en faveur d'une harmonisation des temps et a donné l'impulsion nationale nécessaire à cette dynamique collective.
Cette nouvelle politique s'inscrit dans notre tradition française, scandée par des conquêtes sur le temps, encore renforcée par la réduction du temps de travail et les 35 heures, pour résister à une conception fataliste du temps, combattre les injustices et redonner un peu plus de pouvoir sur leur vie aux français.
A l'instar de ce qui a déjà été expérimenté dans certaines villes, et à rebours des réticents ou des moqueurs qui considéraient cette initiative comme un gadget "météorologique", la politique des temps emporte désormais l'adhésion.
Je suis persuadé de sa très grande pertinence et le colloque d'aujourd'hui me renforce dans ma conviction. Les politiques temporelles seront, dans les années qui viennent, au centre de débats passionnants et redonneront plus de vigueur à des échanges parfois un peu terni par l'habitude.
A votre initiative, monsieur le Président, le Conseil économique et social vient d'ailleurs d'être saisi par le Premier ministre afin d'apporter sa contribution à la compréhension des évolutions temporelles dans notre société.
Vous avez dressé excellemment le panorama des problèmes et des enjeux concernant les nouveaux rythmes urbains dans le rapport du Conseil national des transports.
Vous avez déjà souligné combien la vie quotidienne des habitants des villes dépend, en tout premier plan, de la qualité et de la fréquence des transports publics dont ils peuvent disposer pour l'accès à l'emploi, à l'éducation, à la santé, aux activités commerciales, culturelles, ou de loisirs.
On peut l'illustrer par les récentes initiatives du maire de Paris pour rétablir un équilibre, au confluent des enjeux de lutte contre la pollution et une meilleure qualité d'usage de la ville.
Les entreprises de transport, ici représentées, ont commencé à faire bouger les choses à travers des expériences innovantes et pragmatiques.
Il s'agit notamment à Paris, à la RATP, du développement des bus de nuit du réseau Noctambus, de la création par la SNCF de lignes routières de nuit reliant les grandes gares à la banlieue ; de la création de services à la demande de type Allobus pour acheminer à des heures tardives ou extrêmement matinales, les salariés des zones aéroportuaires. Il s'agit également du renforcement des fréquences des lignes en soirée et les samedis et dimanches, dans le cadre du contrat liant le Syndicat des Transports d'Ile-de-France et les entreprises de transport public, autour d'objectifs d'amélioration de la qualité de service. Un tel renforcement est également prévu pour les lignes d'autobus par le Plan de Déplacements Urbains d'Ile-de-France avec la création d'un réseau principal d'autobus en moyenne et grande couronnes dénommé Mobilien.
Les évolutions en cours sont conduites sous l'impulsion des autorités organisatrices de transport. Elles sont encouragées et aidées par le Gouvernement. Une circulaire concernant la province, récemment publiée, vient simplifier les aides de l'Etat aux réseaux de transports urbains et les accroître significativement dès lors que les investissements sont susceptibles de rendre plus facile la vie quotidienne des habitants des villes, notamment en termes de fréquence et d'amplitude d'horaires.
La création de bureaux du temps favorisera, comme c'est déjà le cas dans certaines villes dynamiques, le développement de ces initiatives en lien étroit avec les habitants. Ils pourront s'appuyer sur l'amendement au projet de loi relatif à la démocratie de proximité déposé par Edmond Hervé, dans le cadre de la nouvelle étape de la décentralisation. Ce seront ainsi les conseils de quartiers, c'est-à-dire les habitants eux-mêmes, qui seront les moteurs et les acteurs du changement. Vous comprendrez aisément que j'insiste fortement sur la lutte contre les inégalités. En la matière, transports et inégalités face au temps vont souvent de pair.
Ces inégalités concernent, en premier chef, les femmes des quartiers populaires. Ce sont elles qui ne peuvent accéder à l'emploi parce que privées de moyens de transports pour rejoindre le centre ville. Elles encore qui, aux aurores ou tard le soir, attendent longuement un train pour aller nettoyer nos bureaux.
Les inégalités face au temps concernent aussi les jeunes de ces quartiers qui ne disposent pas toujours des moyens de locomotion nécessaires pour rejoindre la bibliothèque ou les équipements sportifs le mercredi et le week-end.
Les inégalités face au temps concernent enfin ceux qui en ont trop, qui sont au chômage et qui n'ont pas accès à la mobilité que nous promouvons.
Transport et mobilité, en effet, sont des concepts voisins mais ne sont pas synonymes. La mobilité est une posture, un état d'esprit pour ceux qui ont compris à quel point il s'agit d'un enjeu de liberté. Les plus faibles en sont exclus, et faute de moyens suffisants, ils vivent dans un espace rétréci et se déplacent peu.
Nous savons que la ville en mouvement, celle qui ouvre sur la culture et les loisirs, concerne davantage les plus riches. Nous devons donc, dans un souci de justice, nous efforcer d'offrir à l'ensemble de la population la même facilité de mobilité.
J'attache à cet égard une importance particulière au développement d'une politique tarifaire qui garantisse une telle accessibilité. Plusieurs dispositions, allant dans ces sens, ont été prises récemment : création, avec l'implication financière du conseil régional d'Île-de-France, de la carte Imagine'R pour les élèves et les étudiants, vendue à tarif réduit pour les élèves boursiers, création du chèque mobilité pour faciliter les démarches d'insertion professionnelle, allongement des paliers tarifaires sur les lignes d'autobus.
Il nous faut aller plus loin, notamment pour les jeunes en situation d'exclusion. C'est pour cela que le ministère de la ville soutient, y compris financièrement, dans le cadre du protocole signé entre l'Etat et le STIF, la mise en place d'un forfait à tarif très réduit en faveur des jeunes effectuant des parcours d'insertion professionnelle.
Mais il n'y a pas qu'en Île-de-France qu'il convient d'accorder de l'importance aux problèmes de mobilité dans la ville, et à la nécessité d'améliorer le service rendu par les transports collectifs.
J'appelle à cet égard votre attention sur la décision prise par le gouvernement, lors du comité interministériel des villes du 1er octobre 2001, de constituer à partir de 2002 un dispositif national de soutien pour des opérations visant à améliorer la desserte ou à prolonger le service de transport dans les territoires prioritaires des contrats de ville, afin de répondre mieux aux besoins de ces quartiers et de leurs habitants, y compris dans les villes de Province. L'aide apportée en fonctionnement doit permettre de couvrir partiellement le déficit d'exploitation sur les trois premières années. Pour ce qui concerne les politiques temporelles, le Fonds d'innovation pour l'harmonisation des temps doté de 30 millions de francs, alimenté par la DIV et la DATAR, permettra, avec l'appui de l'Institut des villes, présidé par Edmond Hervé, de renforcer l'effort en leur faveur.
Mesdames et messieurs, Je voudrais conclure sur nos choix collectifs et notre responsabilité. La vie politique, marquée du sceau du temps s'il en est, vit, quant à elle, depuis toujours au rythme syncopé des chassés croisés de l'histoire, avec, il me semble, des contours dissemblables, selon que l'on se préoccupe ou pas de la vie quotidienne des citoyens.
Pour parer aux désynchronisations, aux inégalités qu'elles génèrent et aux discours nostalgiques annonçant des temps plus difficiles à vivre que ceux d'hier, nous devons veiller à ce que les transformations temporelles tiennent compte des nouveaux besoins des usagers, mais aussi veiller à ne pas accroître les dérégulations excessives et les inégalités.
Il convient d'abord de manifester une saine résistance à l'air du temps, car il ne saurait être question de se laisser guider par la seule course folle dictée par les machines et la loi du marché.
Il est pour autant indispensable d'accomplir un saut salutaire vers une meilleure organisation de notre vie quotidienne qui permette à chacun, quelle que soit sa place dans la société de connaître une qualité de vie harmonieuse.
Ce sont ces deux caps que, j'en suis sûr, nous conserverons ensemble.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 12 décembre 2001)