Interview de M. Bruno Lemaire, ministre de l'économie et des finances, avec France Inter le 9 octobre 2017, sur la réforme de l'impôt sur la fortune.

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Média : France Inter

Texte intégral


NICOLAS DEMORAND
Invité de France Inter, jusqu'à 09h00, le ministre de l'Economie et des Finances. Bonjour Bruno LE MAIRE.
BRUNO LE MAIRE
Bonjour Nicolas DEMORAND.
NICOLAS DEMORAND
Vous étiez hier en séminaire gouvernemental à Matignon, est-ce que le Premier ministre ou certains d'entre vous, les ministres, avez formulé une autocritique sur le contenu de certaines réformes, ou la méthode employée depuis l'arrivée aux responsabilités, ou ça a été un satisfecit absolu pour l'ensemble de l'oeuvre accomplie ?
BRUNO LE MAIRE
Ni l'un ni l'autre, nous ne sommes pas au Parti communiste chinois, nous sommes membres d'un gouvernement...
NICOLAS DEMORAND
Où il y a de la dissidence, tout de même.
BRUNO LE MAIRE
Ah oui, mais il y a aussi de la discipline, je vous ferai noter. Cela étant, n'étant pas membre de ce Parti communiste chinois, mais d'un gouvernement de la République française, nous avons échangé sur tous les sujets d'actualité, pour caler effectivement les orientations à venir. Je crois qu'avoir de la méthode en matière gouvernementale, c'est toujours utile.
NICOLAS DEMORAND
Mais vous avez donc, à vous entendre, calé les éléments de langage pour dire que tout va bien.
BRUNO LE MAIRE
Non, absolument pas. Je ne considère pas que tout aille bien.
NICOLAS DEMORAND
Alors, qu'est-ce qui ne va pas ?
BRUNO LE MAIRE
Ce qui ne va pas, c'est le chômage. Ce qui ne va pas, c'est que nous avons une croissance qui revient, mais je pense qu'on peut en faire encore mieux. Ce qui ne va pas, c'est qu'il y a beaucoup d'entreprises, notamment de très petites entreprises, qui ont encore beaucoup de difficultés, donc c'est ça qui nous attend, et moi c'est ça qui m'intéresse, c'est qu'à la fin du quinquennat on puisse se dire : il y a plus d'emploi pour les Français, il y a une économie qui est plus solide et il y a une Europe qui est plus intégrée, capable de résister à des chocs économiques, à un retournement de conjoncture. Moi, c'est la seule chose qui m'intéresse et je crois que c'est mon seul mandat, dans ce gouvernement.
NICOLAS DEMORAND
Est-ce que vous ne regrettez pas d'avoir commis une erreur politique, majeure, sur la réforme de l'impôt sur la fortune ?
BRUNO LE MAIRE
Non, moi je pense que c'est une bonne décision. Je pense que c'est une bonne décision. C'est une bonne décision de supprimer la fiscalité sur le capital, de la baisser, et de supprimer un impôt sur les revenus mobiliers, parce que le capital est déjà trop taxé, que notre économie a besoin de plus de capital, que dans l'économie de rupture où nous sommes, toutes nos entreprises ont besoin de mieux se financer et que les quelques trois milliards d'euros que nous allons rendre à l'économie, seront utiles pour nos entreprises et pour l'emploi. Donc je pense que c'est une bonne décision, je dirais même que c'est une décision sage. Elle est difficile, elle vient en rupture avec...
NICOLAS DEMORAND
Elle n'est pas comprise. Elle n'est pas comprise, Bruno LE MAIRE.
BRUNO LE MAIRE
Je ne sais pas si elle n'est pas comprise, je sais qu'il y a besoin de l'expliquer. Pourquoi est-ce que nous supprimons l'impôt sur la fortune sur les valeurs mobilières et pas sur l'immobilier ? C'est que tous ceux qui prennent des risques, tous ceux qui investissent dans les entreprises, tous ceux qui achètent des actions, moi je voudrais les inciter à prendre ces risques et avoir la récompense de ce risque pour que notre économie soit mieux financée. C'est le choix qui a été fait par le président de la République et par le Premier ministre, et je le redis, je pense que c'est un bon choix pour notre économie.
NICOLAS DEMORAND
Donc la France, Bruno LE MAIRE, est le dernier pays au monde à mettre en oeuvre la théorie dite du ruissèlement, enrichir les riches pour en dernière instance espérer enrichir les pauvres.
BRUNO LE MAIRE
Je ne crois pas un instant à la théorie du ruissellement de l'argent, du ruissellement de la fortune, du ruissellement des riches, c'est une ânerie, ça n'existe pas, c'est pas du tout...
NICOLAS DEMORAND
Alors pourquoi supprimer l'ISF ?
BRUNO LE MAIRE
... ce n'est pas du tout le choix que nous faisons. Le choix que nous faisons c'est de réinjecter plus de capital dans l'économie française, qui a besoin de mieux se financer. Quand vous regardez la situation économique française, c'est très simple, nous avons des entreprises qui ont du mal à se financer, qui ne sont pas assez profitables, et comme elles ne sont pas assez profitables, au lieu d'investir, d'innover, elles ne peuvent pas, elles n'ont pas l'argent pour acheter un robot, pour se digitaliser, pour se moderniser, pour améliorer la qualité de leurs produits, on le sait tous que nous avons un problème d'offre, que nos produits ne sont pas forcément au meilleur standard, et ne tiennent pas compte suffisamment des exigences de compétitivité. Qu'est-ce qui se passe du coup ? Les PME mettent la clef sous la porte, on désindustrialise, là où il faudrait investir massivement. Nous, nous voulons renverser cette situation-là, en injectant plus de capital.
NICOLAS DEMORAND
Et vous en êtes persuadé que ça va marcher ?
BRUNO LE MAIRE
Mais bien sûr que j'en suis convaincu.
NICOLAS DEMORAND
C'est-à-dire que dès lors qu'on fait sauter l'ISF dans sa forme actuelle, ça va être vertueux pour l'économie.
BRUNO LE MAIRE
Mais il n'y a pas que l'ISF, vous avez aussi le prélèvement forfaitaire unique, qui reprend exactement la même logique...
NICOLAS DEMORAND
C'est là-dessus en fait que je vous pose une question.
BRUNO LE MAIRE
Mais oui, mais moi je...
NICOLAS DEMORAND
Vous refusez la théorie du ruissellement, mais je voudrais savoir quelle théorie alternative vous permet d'être si confiant.
BRUNO LE MAIRE
Celle de l'innovation.
NICOLAS DEMORAND
C'est-à-dire ?
BRUNO LE MAIRE
Celle de l'innovation.
NICOLAS DEMORAND
En matière fiscale ?
BRUNO LE MAIRE
C'est-à-dire... mais Nicolas DEMORAND, la politique économique de la France ne se résume pas à l'ISF, et vous ne me ferez pas résumer cette politique au choix qui est fait sur l'ISF. Il y a un choix fondamental, qui est effectivement le choix économique de financer l'innovation, ce n'est pas le ruissellement des richesses auquel je crois, c'est la création de richesses au service de tous les Français. C'est l'amélioration de la prospérité, et pour ça, dans une économie de rupture, il faut innover. Ma théorie, si vous voulez une théorie, c'est celle qu'il faut plus d'innovation, plus d'investissements, pour avoir plus d'emploi. Mais l'innovation, ça coûte cher. On a besoin de capital, on fait quoi ? On va le chercher à l'extérieur, comme on le fait actuellement, parce qu'on n'a pas assez d'autofinancement, ou on injecte plus de capital dans l'économie, parce qu'on dit aux épargnants : investissez dans les entreprises, achetez des actions, financez l'économie française, pour qu'elle puisse se mettre aux meilleurs standards et créer des emplois. Je refuse la théorie du ruissellement de richesses, je vous dis, je pense que c'est une ânerie. En revanche, je crois que depuis des décennies, nous avons fait l'erreur majeure de surtaxer le capital, ce qui a empêché nos entreprises de se moderniser, d'innover, et ce qui nous a empêché de créer des emplois. Et si l'ISF était si efficace que ça, si la fiscalité actuelle était si efficace que ça, eh bien nous serions en plein-emploi, nous aurions une croissance forte, nous aurions un commerce extérieur qui se porte bien, c'est pas le cas.
NICOLAS DEMORAND
Non mais c'est la question en fait des inégalités et du coût social...
BRUNO LE MAIRE
Mais ça c'est une autre question, Nicolas DEMORAND.
NICOLAS DEMORAND
Mais oui, mais enfin, elle est induite dans la réforme...
BRUNO LE MAIRE
Mais elle est importante aussi, mais ne mélangez pas toutes les questions.
NICOLAS DEMORAND
...c'est la question des inégalités à l'intérieur d'une société donnée ou du prix en termes d'inégalité, que l'on est prêt à payer pour obtenir un résultat. Voilà les questions qui se posent, qui sont de vraies questions politiques au sens le plus fort.
BRUNO LE MAIRE
Mais ça c'est une deuxième question, j'espère avoir répondu à votre première question.
NICOLAS DEMORAND
Ça ne ruisselle pas, ça c'est ce que vous avez dit.
BRUNO LE MAIRE
Ma responsabilité de ministre de l'Economie et des Finances, est de dire que depuis des années, nous avons surtaxé le capital, moyennant quoi nos entreprises n'ont pas pu innover et créer des emplois. Nous essayons quelque chose de radicalement différent, avec le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, qui je le rappelle est beaucoup plus important que la suppression de l'ISF, avec la suppression de l'ISF, nous essayons autre chose...
NICOLAS DEMORAND
Ceux qui ont beaucoup d'actions, c'est très important.
BRUNO LE MAIRE
... autre chose, financer mieux l'économie, pour créer davantage d'emplois. Ensuite il y a la question des inégalités, elle est très importante. Bien sûr que nous voulons une politique juste. Je voudrais d'abord rappeler une première chose, c'est qu'en termes d'inégalités...
NICOLAS DEMORAND
A ce stade, qu'est-elle, Bruno LE MAIRE, juste à ce stade ?
BRUNO LE MAIRE
En termes d'inégalités, la France fait mieux que la plupart de ses voisins européens et que les grands pays de l'OCDE, contrairement à ce que j'entends dire ici ou là. Vous avez un indicateur qui est un indicateur de référence, qui s'appelle le coefficient de Gini, il est de 0,295 en France, il est de 0,318 dans la moyenne des pays de l'OCDE. Prenons les chiffres tels qu'ils sont, et ne laissons pas ruisseler puisque vous aimez bien ce terme, de fausses idées sur la situation française. On peut faire mieux en matière d'inégalités, mais déjà, nous faisons mieux que nos partenaires européens, mieux que la plupart de nos partenaires de l'OCDE.
NICOLAS DEMORAND
Est-ce que vous ne trouvez pas, Bruno LE MAIRE, que ces histoires de patchs, de rustines mises sur votre réforme, pour prendre quelques millions d'euros sur des yachts, ou sur des voitures de luxe, est-ce que vous ne trouvez pas ça grotesque, vu les sommes dont on parle ? Si c'est amendements sont là, c'est bien qu'il y a un problème de symboles qu'il fallait corriger en urgence, donc on va aller regarder les yachts, les voitures de luxe, et les lingots, même si ça ne rapporte rien, c'est donc bien qu'il y avait un problème symbolique à la base, non ?
BRUNO LE MAIRE
Mais là, vous vous attaquez aux parlementaires, c'est la liberté des parlementaires.
NICOLAS DEMORAND
Non, mais vous, vous avez une liberté d'appréciation.
BRUNO LE MAIRE
Ce n'est pas ma proposition, Nicolas DEMORAND, c'est la proposition des parlementaires, ils sont libres de déposer des amendements, c'est même le droit fondamental des parlementaires. Je préfère regarder ce que nous faisons en matière...
NICOLAS DEMORAND
Mais vous, vous en pensez quoi ? Non, Bruno LE MAIRE, sincèrement, vous en pensez quoi ? Vous trouvez ça grotesque ou pas ?
BRUNO LE MAIRE
J'en pense que les parlementaires sont libres. S'ils souhaitent surtaxer les yachts ou les voitures à forte cylindrée, ils ont le droit de surtaxer les yachts ou les voitures à forte cylindrées.
NICOLAS DEMORAND
Mais vous, vous n'aimez pas les taxes supplémentaires, vous l'avez dit.
BRUNO LE MAIRE
Non, moi je n'aime pas les taxes supplémentaires.
NICOLAS DEMORAND
Voilà, don là il y en a deux, quand même.
BRUNO LE MAIRE
On peut durcir ce qui existe, je n'aime pas les taxes supplémentaires. J'estime que notre pays a un niveau d'imposition qui est trop élevé, et moi objectif sur le quinquennat c'est de réduire le niveau d'imposition. C'est le choix que nous avons fait, avec le président de la République et avec le Premier ministre, et j'essaie de tenir ces choix. Ce n'est pas forcément facile, mais j'essaie de les tenir. Sur les inégalités, parce que, revenons à ce qui est peut-être le plus important pour nos auditeurs, comment est-ce que...
NICOLAS DEMORAND
Vous n'avez pas traité, encore, le problème des inégalités.
BRUNO LE MAIRE
Mais je ne crois pas, je pense que la suppression de la taxe d'habitation pour près de 80 % des Français, il n'y a pas plus inégalitaire que la taxe d'habitation, vous ouvrez, vous avez votre papier qui arrive, c'est la loterie, suivant que vous habitez à Vienne, à Paris, à Alençon, à Sélestat, vous ne savez pas ce que vous allez toucher, vous ne savez pas ce que vous allez percevoir, vous ne savez pas ce que vous allez devoir payer. C'est profondément injuste, c'est profondément inégalitaire. L'inégalité entre les territoires, voilà une vraie inégalité. Nous allons la réduire en supprimant la taxe d'habitation pour 80 % des Français. L'inégalité face au handicap, c'est une inégalité scandaleuse. Notre pays qui est très en retard sur la question du handicap, nous allons augmenter de 100 % l'allocation pour les adultes handicapés. Donc je crois qu'il faut avoir une vision globale de ce que nous faisons, ne pas le limiter au projet de loi de finance, mais tenir compte de toutes les autres décisions qui sont prises par le gouvernement. C'était l'objet du séminaire hier, et c'est ce qui me fait plaisir de vous raconter ce matin sur votre antenne.
NICOLAS DEMORAND
Eh bien il est 08h31 et on va pouvoir se faire plaisir ensemble jusqu'à 09h00. On se retrouve, Bruno LE MAIRE, après la revue de presse de Claude ASKOLOVITCH.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 octobre 2017