Texte intégral
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Le siècle passé, c'est-à-dire le XXe siècle, a été celui du progrès technologique et de l'affirmation du principe des droits de l'homme par excellence ; mais il a aussi été celui des catastrophes : deux guerres mondiales, Auschwitz, Tchernobyl, sans compter des guerres localisées où la sophistication des armes et les violences ethniques ou religieuses ont concouru pour assurer l'efficacité meurtrière.
Une évidence s'impose : nous avons changé d'époque. Une rupture est intervenue que symbolise la chute des tours du World Trade Center , mais qui la dépasse.
C'est dans le chaos des luttes, des déséquilibres de puissance et de niveau de vie, des dangers environnementaux que se poursuit la nécessaire harmonisation de l'espèce humaine. Les capacités techniques dont l'humanité dispose font d'elle la première espèce vivante qui est capable de se suicider en tant qu'espèce, ou de modifier si profondément la biosphère que les conditions de la poursuite de la vie sur la planète peuvent être mises en cause.
Jamais l'Humanité n'a aussi bien connu les risques et les possibilités, mais jamais les décideurs qui influencent le cours de son histoire ne se sont montrés aussi dépourvus de cette capacité de prévision à long terme et de cette volonté politique dont Pierre Mendès France disait, avec raison, qu'elles sont les conditions de tout gouvernement responsable et efficace, apte à donner du sens à un monde qui en est de plus en plus privé.
Le prêt - à - penser idéologique , qu'il soit catalogué à droite ou à gauche, est incapable de répondre aux défis ou aux fléaux de ce nouveau siècle qu'ils s'appellent terrorisme ou changement climatique , argent sale ou vache folle , violence ou Erika.
En changeant d'époque, il faut changer de politique, ce qui veut dire aussi : changer de façon de faire de la politique et peut être aussi changer de personnel politique.
Nous devons sortir d'un monde de violence
La chute médiatisée de tours du World Trade Center restera gravée à jamais, c'est probable, dans la mémoire de plusieurs milliards d'humains de notre génération.
Le terrorisme, y compris sous sa forme inédite de bio-terrorisme, résulte de nombreux facteurs. Il instrumentalise l'injustice criante de la répartition des richesses : des héritiers mâles et bien dotés d'une caste féodale poursuivent des fins mondiales obscurantistes qui n'ont rien à voir avec l'émancipation des masses pauvres, ni avec la solution positive de conflits explosifs comme celui du Moyen Orient.
L'insécurité se généralise et ce n'est pas un hasard . Durant 50 ans, nous avons vécu en refusant obstinément de voir une réalité de plus en plus dangereuse à mesure que le temps passait et que l'autisme s'étendait . Quelque soit le domaine considéré, le mécanisme a été le même : faire comme si le problème n'existait pas , comme si le taire , c'était le résoudre. Tout cela pour aboutir sur un constat : la fatalité comme facteur explicatif d'une situation dont le politique paraît incapable de sortir. Illustrons le propos .
Les facteurs sur lesquels les Etats auraient pu jouer étaient à leur portée :
- ne pas laisser les Etats et les mouvements terroristes s'approprier les armes bactériologiques , chimiques et nucléaires et les scientifiques de haut niveau que la chute du communisme avaient précipité dans la misère,
- s'attaquer aux réseaux de financement du terrorisme, qui sont très proches de ceux de la mafia et de la corruption internationale quand ils ne se confondent pas entre eux,
- adopter une attitude nette , et non pas ambiguë , consistant à verbalement dénoncer le terrorisme , mais pratiquement le tolérer , voir même indirectement l'encourager.
La violence qui nous assaille de toutes parts, que ce soit sous la forme de la délinquance urbaine devenue insupportable au sens étymologique du terme et notamment pour ceux de nos concitoyens les plus démunis , la violence au travail , en famille, à l'école, sans compter les détresses issues des violences de la vie , la solitude et le stress rend notre monde invivable et d'une dureté sans précédent . La télévision et le cinéma ont banalisé le meurtre, le viol, les agressions les plus violentes , sans parler des drames humains venus des pays du sud . Nous nous sommes installés à tel point dans cette violence que nous avons cru assister à un film avec effets spéciaux lorsqu'en direct , les avions devenus kamikazes ont fait explosé les tours de New York . La violence n'est pas une fatalité.
- Elle provient de notre refus de voir durant des années les dérives de la délinquance, au motif que la sécurité était un thème politiquement incorrect . Assurer la sécurité , c'était tomber dans le délire sécuritaire. Un angélisme qui, au final, se retourne contre ceux-là même qui étaient sensés en être les bénéficiaires a conduit à progressivement réduire les moyens matériels et juridiques de la sécurité.
- elle est issue de notre tolérance croissante à cette banalisation. Au sein de l'entreprise, les exigences de compétitivité rendraient inévitable la violence au travail ; à la télévision, le sexe et le sang rendraient nécessaire un culte de la violence qui ne cesserait de croître pour favoriser l'audimat, dans la ville enfin les incivilités transformées progressivement en délits de plus en plus graves seraient une rançon des difficultés économiques et des clivages culturels et éthniques.
Non, la sécurité, la vie en paix, la civilité, le respect d'autrui ne sont pas des valeurs politiquement incorrectes. Ces valeurs qui ressortissent aux droits fondamentaux de la personne, à la liberté, à l'égalité, à l'Etat de droit, rien de commun avec les délires lepénistes.
Nous devons sortir d'un monde de risque
En peu de temps, une dense série d'événements a montré que nous vivons dans un monde fragile. Un avion dont s'enorgueillissaient les techniciens s'est crashé à cause d'un bout de métal. Un autre avion, réputé sûr, s'est abattu sur la banlieue de New York quelques semaines après l'attentat contre les tours jumelles. Un missile s'est égaré sur un aéronef civil. Une terrible explosion chimique a sinistré Toulouse. Deux tunnels routiers ont été ravagés par des incendies de camions. Comme on pouvait s'y attendre, le " prion " semble avoir franchi la barrière des espèces pour passer de la vache au mouton. Au printemps, la Somme a débordé. A l'automne c'est Alger qui subit des torrents. Faut-il poursuivre ?
Devant cette avalanche les médias et les politiciens recourent aux catégories de pensées les plus irrationnelles : c'est la " série noire ", la " loi des séries ", la " malédiction " et j'en passe.
En fait, le risque technologique est à la fois une donnée du mode de développement économique qui prédomine et une menace permanente dont l'ampleur est devenue considérable, et même, dans le cas du nucléaire, gigantesque, et non limitée à l'immédiat.
Bien sûr, la vie humaine impliquera toujours des risques. Mais il s'agit de les réduire de façon drastique, non de les accroître. Or, que fait-on quand on ajouter à tous les risques existants ceux qui accompagnent aujourd'hui une innovation sans précédent : à savoir le génie génétique ? Le génie génétique et ses développements vers les biotechnologies alimentaires et les nanotechnologies capables de modifier l'humanité elle même confrontent notre génération à des enjeux éthiques et politiques d'une nature nouvelle. Clonage, humanoïdes robotisés, brevetabilité de tout le vivant : tels sont les redoutables défis qui, non seulement nous engagent nous mêmes, mais engagent nos enfants et les générations à naître.
Une nouvelle donnée surdétermine l'ensemble des problèmes : c'est l'incapacité dans laquelle le développement non maîtrisé de la technoscience nous a mis de limiter et d'écarter les périls inhérents au mode d'habitation de notre espace terrestre qui est lié à cette technoscience, à la fois comme effet et comme cause. Il n'y a pas de vision politique nouvelle, située à la hauteur des défis réels, qui n'implique une réflexion approfondie et collective sur les rapports réciproques entre l'humanité et la biosphère.
A preuve, le changement climatique avec ses incertitudes quant à son amplitude qui ne cesseront qu'avec la lecture des statistiques au fur et à mesure du temps. D'ores et déjà, les catastrophes dites naturelles et qui le sont de moins en moins progressent dans leur ampleur.
A preuve, les problèmes de l'eau: la réduction drastique des eaux douces, en qualité et en quantité, alors que la démographie progresse sera une des causes majeures des conflits du XXIe Siècle. Chez nous 3 % seulement de nos rivières ne sont pas polluées, 50 % de nos zones humides ont disparu en 30 ans. Nitrates, pesticides, antibiotiques, produits chimiques persistants n'ont cessé de s'accumuler dans nos eaux. Il nous faudrait désormais 20 à 30 ans pour récupérer une eau douce de qualité en France si nous mettions en place aujourd'hui une politique de préventions.
A preuve, nos océans, qui sont devenus des poubelles, non seulement les pollutions venues du littoral s'accumulent puisqu'elles représentent 2/3 de la pollution maritime, mais encore les Eirka connus et surtout inconnus, déversent chaque année 1,2 à 1,5 millions de tonnes d'hydrocarbures, produits chimiques et autres huiles.
A preuve, la sécurité alimentaire et la chaîne alimentaire sont mises en cause : la vache folle, la pollution génétique due aux OGM, la dissémination des antibiotique, les incertitudes sur les effets à long terme des produits chimiques et déchets accumulés dans les sols, qui menacent souvent les nappes phréatiques constituent autant de raisons de s'attaquer sérieusement aux rapports entre santé et environnement.
A preuve, la pollution atmosphérique qui trouve très largement sa source dans le transport. Elle tue prématurément chaque année en France 50.000 personnes et coûte, selon les estimations, 40 milliards de Francs pour le rapport Boiteux 2, 180 milliards pour l'OMS.
A preuve, le risque technologique qu'il s'appelle usine Seveso ou centrales nucléaires et qui apparaît désormais, après Toulouse, pour ce qu'il est. A la fois une donnée devenue incontournable de notre mode de développement économique et une menace permanente qui peut prendre une ampleur gigantesque.
A preuve, enfin " at last but no least ", notre civilisation urbaine est à l'origine de notre mal être. D'un côté des campagnes laissées à l'abandon, avec les conséquences humaines et écologiques qui en résultent, de l'autre, des villes surpeuplées, en voie de ghéttoïsation où règnent le stress et la pollution atmosphérique et phonique, mais où paradoxalement, la solitude et l'isolement n'ont jamais été aussi grands.
Champions du monde pour l'emploi des pesticides nécessaires à une agriculture intensive et productiviste, nous sommes aussi les médaillés d'or pour l'utilisation des neuroleptiques ! les liens entre la criminalité et la mégalopolisation sont étroits : plus une ville est grande, plus le nombre de crimes et de délits par habitant augmente, ainsi d'ailleurs que le nombre de suicides. Sortir de la violence et du risque ; sortir aussi d'un monde d'injustice et de subordination des femmes.
J'ai dit combien il est inacceptable que soit manipulée la misère. Mais il reste cet impératif primordial, il faut combattre la misère, il faut l'éradiquer au terme d'un effort constant et sans merci.
Dans nos sociétés européennes, comme aux Etats Unis, la pauvreté est d'autant plus insupportable qu'elle jure avec un niveau de production et une accumulation des richesses tels qu'on ne pouvait même pas les imaginer il y a cent ou cent cinquante ans. La compassion, la charité justifient notre admiration. Mais la solidarité et surtout la justice dans la répartition sont nécessaires.
Quant à l'ensemble du monde, il suffit de se reporter aux rapports annuels de l'ONU sur le développement humain, voire aux données de la Banque Mondiale, pour mesurer quel fossé béant s'est creusé et continue à se creuser entre une partie relativement favorisée de la population mondiale et la majorité toujours plus nombreuse qui, malgré des progrès, avance moins vite et, de ce fait, prend de plus en plus en retard.
Sortir du " mal-développement " comme le disait Monsieur René Dumont, pour aller vers un développement à la fois plus juste et plus écologique.
Oui, Mesdames, Messieurs, la guerre au terrorisme a certes été déclarée mais il est plus que temps de la déclarer aussi à un développement de moins en moins durable. Non seulement il n'y a pas de fatalité, mais encore devons-nous faire le choix de l'espérance parce que nous n'en avons pas d'autre et que nous avons des solutions.
La première est d'ordre éthique. La vie sous toutes ses formes ne peut pas et ne doit pas être une marchandise. L'éthique du XXIème siècle doit être celle de l'humanisme écologique, qui allie les droits de l'homme dans ce qu'ils ont de plus inaliénables et le système biologique et écologique dans lequel il vit et assure sa survie.
Chercher à imposer cet humanisme écologique, c'est offrir un véritable sens à notre développement. Faire prévaloir la vie sur les comportements mortifères, qu'ils soient ceux du terrorisme ou de l'OGM Terminator, c'est affirmer notre pleine responsabilité en tant qu'être humain pour préserver et valoriser ce qui dépasse chacun de nous : la vie.
Dès lors, condition sine qua non de notre vie, la voie est simple même si elle n'est pas facile : mettre autant d'énergie, d'intelligence et de moyens à restaurer, voire à améliorer les ressources naturelles que nous en avons mis les détruire.
Chercher à imposer cet humanisme écologique, c'est aussi garantir le droit à la sûreté et à l'intégrité de la personne.
L'article 1er de la Déclaration des Droits de l'Homme n'est pas formel : il convient qu'il soit concrètement assuré et donc revendiqué sans culpabilité.
Manger, boire sain, respirer un air qui ne nuise pas à la santé, pouvoir aller et venir sans craindre pour sa vie ni même pour ses biens, sont des droits. Ils passent non seulement par une reconnaissance juridique qui n'existe pas toujours comme un droit constitutionnel à un environnement sain, mais aussi par une sanction réelle de ces droits.
Nous devons reconnaître pleinement le droit des victimes non seulement à être indemnisées, ce dont les mécanismes d'assurance peuvent se charger, mais encore et surtout à désigner des responsables et des coupables.
La justice joue un rôle central dans une société où la règle de droit ne peut et ne doit pas sombrer dans la virtualité.
Au cours de ma campagne, je développerai de nombreuses propositions sur ces thèmes.
Mais l'éthique ne suffit pas dans un monde dominé par l'économie et la mondialisation. Et pourtant, si la solidarité internationale paraît s'imposer lorsqu'il s'agit de lutter contre le terrorisme, ne doit-elle pas s'imposer lorsqu'il s'agit d'assurer la survie de la planète ?
La mondialisation est à la fois une réalité économique et un moyen. Elle ne saurait être une fin.
Dès lors, rien n'interdit, au contraire, de passer de la mondialisation à la planétarisation en acceptant les interdépendances autres que purement financières et en les régulant : environnement, social, lutte contre la drogue doivent devenir des impératifs de la planétarisation comme la liberté des échanges a été celle de la mondialisation.
Des moyens concrets sont à notre portée : créer des organismes de règlement des différends à l'instar de celui de l'OMC pour contraindre les Etats à respecter leurs engagements, extension des pouvoirs du TPI pour lutter contre le crime international, assimilé au crime contre l'humanité dans le cas de bioterrorisme ou du crime écologique, par exemple mise en place d'une instance de confiance pour contrer le blanchiment, etc.
Reste la volonté politique !
Ce qui est vrai à l'échelle internationale l'est aussi à l'échelle nationale. Que ce soit dans la sphère publique ou dans la sphère privée, les solutions existent pour changer notre mode de développement et l'adapter à l'humanisme écologique.
Dans la sphère privée, il serait absurde et intellectuellement malhonnête de vouer aux gémonies le monde économique dans son ensemble. Certaines entreprises, y compris multinationales, ont choisi le développement durable : Shell et BP Amoco investissent massivement dans les énergies renouvelables, Lafarge ou Vivendi mettent en place leurs plans de développement durable.
A l'opposé, certains continuent à adopter une attitude de mépris, pour ne pas dire de franche hostilité, à l'égard de tout ce qui pourrait toucher au développement durable et en particulier au principe de précaution.
C'est donc le monde économique qu'il faut convaincre. L'écologie industrielle, l'économie de services, la décarbonisation de l'économie, la promotion des produits et process propres comme moteurs du développement économique deviennent primordiaux et, à et égard, le rôle de la consommation éthique sera considérable.
Plus la prise de conscience de son pouvoir par le citoyen consommateur sera forte, plus le développement durable sera favorisée.
A cet égard, le rôle du consommateur européen dans le domaine des OGM a été exemplaire et a conduit les consommateurs américains à revendiquer un étiquetage que les producteurs d'OGM avaient toujours refusé.
Dans la sphère publique, l'ensemble des méthodes et des politiques publiques sont à reconsidérer car celles qui ont été conduites au XXème siècle sont obsolètes. C'est à une révolution culturelle qu'il faut procéder.
Les mois qui viennent me permettront de formuler des propositions précises et réalistes sur une réorganisation de l'Etat autour de sa mission, la refonte de la comptabilité publique, une fiscalité qui encourage l'initiative, notamment des jeunes, au lieu de la dissuader, l'utilisation de mécanismes de marché. En effet, tant que les coûts externes liés à la dilapidation des ressources naturelles et à la reconstitution des milieux ne seront pas intégrés dans les prix, il n'existera aucun levier économique pour instaurer des comportements vertueux.
Quant aux politiques publiques, qu'il s'agisse de l'agriculture, de l'énergie, des transports, de la recherche, des risques industriels ou de l'aménagement du territoire, elles doivent être revisitées pour que le long terme, la prévention des grands risques et la durabilité deviennent des objectifs majeurs.
S'agissant des tâches régaliennes de la puissance publique, elles doivent être restaurées et remplies. Nous avons laissé la police, la justice, l'école, l'hôpital et surtout ceux qui remplissent ces missions, devenir progressivement les victimes d'une tâche rendue progressivement impossible.
Une demande sociale accrue, une tâche rendue sans cesse plus difficile du fait du délitement de la société française et du refus de voir la réalité pour ce qu'elle était, des moyens insuffisants et inadaptés, ont créé une quadrature du cercle dont il faut sortir, d'abord, en disant la vérité et en définissant une mission et des moyens.
Pour prendre l'exemple de la justice, celle-ci est constamment contestée, soit qu'elle soit trop laxiste, soit qu'elle soit trop rigoureuse alors que, dans tous les cas, elle ne fait qu'appliquer des textes de procédure dont elle n'est pas l'auteur.
Nous hésitons encore à entrer dans un état de droit et de justice qui nécessite un pouvoir judiciaire dont notre tradition historique et la classe politique dans son ensemble se satisfont mal, que ce soit par souverainisme ou pour d'autres raisons.
Il est temps d'admettre que la France, comme tous les pays démocratiques, soit dotée d'un pouvoir judiciaire inséré dans un corpus aujourd'hui européen et toujours refusé.
Oui, nous devons revoir notre procédure pénale pour l'adapter aux exigences de la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
Oui, nous devons multiplier les moyens des magistrats et leur nombre pour que les procès soient menés dans un délai raisonnable.
Oui, nous devons accepter que, puissant ou misérable, la règle de droit soit la même et que personne ne soit au-dessus des lois.
Oui, nous devons reconnaître le droit de toute victime de pouvoir faire juger son cas, quels que soient ses moyens.
Oui, nous devons admettre que le droit et non le clientélisme ou la politique règle les rapports dans notre société et que le droit civil se développe dès lors qu'il permettra un réel équilibre entre les parties, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Des propositions dans ce domaine, comme pour la police, l'école ou la santé seront formulées par mes soins dans les mois qui viennent.
L'éthique et le développement durable appellent un troisième pilier : la renaissance démocratique.
La société en réseau prend la place de la société hiérarchisée et jacobine, si prisée de nos politiques.
Dans cette société en réseau, le rôle des associations est primordial. Encensées lorsqu'il s'agit de fêter l'anniversaire de la loi de 1901, les associations, en particulier dans le domaine de l'environnement et de la consommation, sont privées des moyens financiers et juridiques qui leur permettraient de jouer le rôle de contre-pouvoir nécessaire à cette nouvelle époque.
Là aussi, les solutions existent : assouplissement des règles relatives aux fondations et aux associations reconnues d'utilité publique, modifications fiscales, rémunération des services rendus par les membres des associations au bon fonctionnement du service public (notamment participation aux commissions), extension des pouvoirs d'ester en justice et garantie personnelle des dirigeants d'associations.
Le mode de prise de la décision publique doit changer.
Dire la vérité devient un impératif y compris en présence de doutes. Réformer la comitologie en instaurant une gestion claire des conflits d'intérêt et l'obligation de commissions pluridisciplinaires garantissant l'expression des opinions minoritaires. Supprimer toute possibilité d'être à la fois contrôleur et contrôlé afin d'assurer la totale indépendance des contrôleurs par rapport à des considérations étrangères à leur mission.
Le second impératif consiste à comprendre que la concertation implique aussi une remontée de l'information, qu'il n'est plus admissible de réaliser de force des ouvrages ou des infrastructures dont les défauts ou les coûts auraient pu être évités tout simplement en écoutant les gens du terrain. Réforme de l'enquête publique mais aussi, d'une manière générale, mise en place de procédures permettant de restaurer le débat démocratique : conférence de consensus, extension des pouvoirs de la Commission Nationale du Débat Public, instauration d'un référendum municipal élargi et d'un droit de référendum populaire : les moyens ne manquent pas pour permettre aux Français de marquer leur intérêt pour la chose publique, intérêt qui existe profondément.
Le troisième impératif est celui de la décentralisation. La décision doit être rapprochée de ceux qu'elle touche. Les pouvoirs des maires - ou des Présidents de communautés - devront donc être étendus tout en assurant un contrôle de la légalité, réel et non pas virtuel, comme par le passé.
Des régions regroupées devront jouer, à l'échelle européenne - et elles le font déjà - un rôle croissant pour assurer directement le développement économique et l'aménagement du territoire mais aussi de la politique des transports et de l'énergie.
Le mode décisionnel doit changer, le contenu de la décision aussi.
Il est grand temps que les valeurs de la vie, de la santé, de l'environnement contrebalancent celles du profit immédiat et du pouvoir.
Dans ce changement d'époque, les femmes ont à jouer un rôle majeur.
La parité ne doit pas se cantonner à la sphère politique où elle peine du reste à s'installer. Elle doit envahir toutes les sphères de la société, pas seulement par souci de justice mais surtout pour modifier les comportements et les décisions. L'exercice du pouvoir par les femmes est différent, lorsque bien sûr elles ne sont pas contraintes, pour subsister, à jouer la règle du jeu des hommes.
Cette nécessité de voir la hiérarchie des priorités, les valeurs de tendresse, de compassion, de non violence, la place prééminente de la famille et des enfants, la primauté absolue de la vie qu'ont les femmes s'affirme.
Cette nécessité est renforcée depuis le 11 septembre où nous avons toutes le devoir de défendre à la fois la lutte contre la violence et le droit des femmes à l'égalité partout dans le monde. Je vous invite tous à lire le témoignage de Latifa "Visage volé, avoir 20 ans à Kaboul", témoignage de ce qu'est le mal absolu.
Lutter pour que toutes les femmes aient le droit au travail, à la santé, à l'éducation et au vote, c'est s'opposer au terrorisme sexiste des extrémistes. Il va de soi que ces transformations ne peuvent pas être seulement hexagonales même si le mythe du jardin d'Eden a la vie dure et que certains n'hésitent pas à proposer un projet qui n'est qu'un retour en arrière.
Nous devons résolument construire l'avenir sur les bases du futur et non sur celles du passé.
L'Europe est un fait acquis et nous ne pouvons que nous en réjouir car, grâce à elle, nous avons vécu 50 ans de paix et de prospérité.
Mais il faut aujourd'hui construire l'Europe des citoyens et pas seulement celle des producteurs. C'est un projet politique qu'il faut élaborer, non pas seulement institutionnel mais aussi et surtout démocratique.
L'euro est un fait acquis mais il n'est pas une fin en soi. Il doit être l'instrument de réalisation d'une Europe qui améliore la vie quotidienne, assure la santé, la qualité de vie, la sûreté et l'environnement.
Ainsi, Mesdames et Messieurs, si la lucidité n'interdit pas l'espérance, l'espérance exige la lucidité.
Nous avons tant à faire et si peu de temps pour agir !
Les prêts à penser idéologiques sont impuissants à comprendre comme à trouver des solutions.
Notre personnel politique en est resté aux enjeux et à la problématique du XXème siècle, sinon du XIXème !
La politique doit être mise au service de l'humanisme écologique et non l'inverse.
Voilà, Mesdames et Messieurs, Chers Amis, ce que je voulais vous dire. Mais j'ajouterai encore quelques mots.
Depuis plusieurs semaines, on me somme, à la radio et à la télévision, de dire si je suis de gauche ou de droite, ou plus exactement, on affirme sans preuves, sans se préoccuper de mon programme, que, pour avoir été Ministre d'Alain Juppé au nom de la société civile, je suis de droite, tant il est vrai que la classe politique s'avère incapable de penser en dehors du système des partis établis !
Je tiens à vous dire ma sensibilité.
Si être de gauche, c'est penser, comme Jean Jaurès, qu'il n'y a pas de démocratie sans morale ni justice sociale, alors je suis de gauche, sans hésiter et de tout coeur.
Si être de droite, c'est penser, comme Charles Péguy, qu'il n'y a pas de République sans morale ni spiritualité, alors je suis de droite, sans équivoque.
Je n'oublie pas que l'un et l'autre, Jaurès et Péguy, se sont retrouvés côte à côte pour défendre les droits de l'Homme bafoués lors de l'Affaire Dreyfus.
Je suis avec Jaurès pour la justice sociale et avec Péguy pour la mystique de la liberté, avec l'un et l'autre pour la défense des Droits de l'Homme. Cette époque nouvelle appelle des politiques nouvelles pour le droit inaltérable de chaque femme et de chaque homme, dans toutes les classes de la société et dans toutes les sociétés de la planète, à vivre en sûreté du point de vue politique, économique, écologique.
L'écologie mérite infiniment mieux que des ultra-sectarismes, de petites combinaisons à la sauce de la IIIème République ou les jeux stériles auxquels nous assistons.
Elle ne saurait s'accorder avec une seule couleur politique.
Profondément humaniste et universaliste, concernant toute l'humanité et toutes les générations actuelles et futures, l'écologie doit ressembler à un arc-en-ciel.
Je ne peux me reconnaître dans aucun des partis traditionnels ni dans aucun de leurs leaders.
On me dira peut-être " c'est là le langage d'un troisième homme " Eh bien, je vous le demande : pourquoi, pour une fois, ce troisième homme ne serait-il pas une femme ?
C'est dans cette sensibilité ouverte, tolérante, rassembleuse, en même temps qu'intransigeante sur les principes d'honnêté, de précaution, de responsabilité, que je me reconnais.
C'est la raison de ma candidature indépendante, à l'élection présidentielle de 2002.
C'est, Mesdames et Messieurs, le sens de mon engagement.
Nous avons changé d'époque, Ensemble, nous devons oser l'espérance.
(source http://www.corinne-lepage.com, le 27 novembre 2001)
Le siècle passé, c'est-à-dire le XXe siècle, a été celui du progrès technologique et de l'affirmation du principe des droits de l'homme par excellence ; mais il a aussi été celui des catastrophes : deux guerres mondiales, Auschwitz, Tchernobyl, sans compter des guerres localisées où la sophistication des armes et les violences ethniques ou religieuses ont concouru pour assurer l'efficacité meurtrière.
Une évidence s'impose : nous avons changé d'époque. Une rupture est intervenue que symbolise la chute des tours du World Trade Center , mais qui la dépasse.
C'est dans le chaos des luttes, des déséquilibres de puissance et de niveau de vie, des dangers environnementaux que se poursuit la nécessaire harmonisation de l'espèce humaine. Les capacités techniques dont l'humanité dispose font d'elle la première espèce vivante qui est capable de se suicider en tant qu'espèce, ou de modifier si profondément la biosphère que les conditions de la poursuite de la vie sur la planète peuvent être mises en cause.
Jamais l'Humanité n'a aussi bien connu les risques et les possibilités, mais jamais les décideurs qui influencent le cours de son histoire ne se sont montrés aussi dépourvus de cette capacité de prévision à long terme et de cette volonté politique dont Pierre Mendès France disait, avec raison, qu'elles sont les conditions de tout gouvernement responsable et efficace, apte à donner du sens à un monde qui en est de plus en plus privé.
Le prêt - à - penser idéologique , qu'il soit catalogué à droite ou à gauche, est incapable de répondre aux défis ou aux fléaux de ce nouveau siècle qu'ils s'appellent terrorisme ou changement climatique , argent sale ou vache folle , violence ou Erika.
En changeant d'époque, il faut changer de politique, ce qui veut dire aussi : changer de façon de faire de la politique et peut être aussi changer de personnel politique.
Nous devons sortir d'un monde de violence
La chute médiatisée de tours du World Trade Center restera gravée à jamais, c'est probable, dans la mémoire de plusieurs milliards d'humains de notre génération.
Le terrorisme, y compris sous sa forme inédite de bio-terrorisme, résulte de nombreux facteurs. Il instrumentalise l'injustice criante de la répartition des richesses : des héritiers mâles et bien dotés d'une caste féodale poursuivent des fins mondiales obscurantistes qui n'ont rien à voir avec l'émancipation des masses pauvres, ni avec la solution positive de conflits explosifs comme celui du Moyen Orient.
L'insécurité se généralise et ce n'est pas un hasard . Durant 50 ans, nous avons vécu en refusant obstinément de voir une réalité de plus en plus dangereuse à mesure que le temps passait et que l'autisme s'étendait . Quelque soit le domaine considéré, le mécanisme a été le même : faire comme si le problème n'existait pas , comme si le taire , c'était le résoudre. Tout cela pour aboutir sur un constat : la fatalité comme facteur explicatif d'une situation dont le politique paraît incapable de sortir. Illustrons le propos .
Les facteurs sur lesquels les Etats auraient pu jouer étaient à leur portée :
- ne pas laisser les Etats et les mouvements terroristes s'approprier les armes bactériologiques , chimiques et nucléaires et les scientifiques de haut niveau que la chute du communisme avaient précipité dans la misère,
- s'attaquer aux réseaux de financement du terrorisme, qui sont très proches de ceux de la mafia et de la corruption internationale quand ils ne se confondent pas entre eux,
- adopter une attitude nette , et non pas ambiguë , consistant à verbalement dénoncer le terrorisme , mais pratiquement le tolérer , voir même indirectement l'encourager.
La violence qui nous assaille de toutes parts, que ce soit sous la forme de la délinquance urbaine devenue insupportable au sens étymologique du terme et notamment pour ceux de nos concitoyens les plus démunis , la violence au travail , en famille, à l'école, sans compter les détresses issues des violences de la vie , la solitude et le stress rend notre monde invivable et d'une dureté sans précédent . La télévision et le cinéma ont banalisé le meurtre, le viol, les agressions les plus violentes , sans parler des drames humains venus des pays du sud . Nous nous sommes installés à tel point dans cette violence que nous avons cru assister à un film avec effets spéciaux lorsqu'en direct , les avions devenus kamikazes ont fait explosé les tours de New York . La violence n'est pas une fatalité.
- Elle provient de notre refus de voir durant des années les dérives de la délinquance, au motif que la sécurité était un thème politiquement incorrect . Assurer la sécurité , c'était tomber dans le délire sécuritaire. Un angélisme qui, au final, se retourne contre ceux-là même qui étaient sensés en être les bénéficiaires a conduit à progressivement réduire les moyens matériels et juridiques de la sécurité.
- elle est issue de notre tolérance croissante à cette banalisation. Au sein de l'entreprise, les exigences de compétitivité rendraient inévitable la violence au travail ; à la télévision, le sexe et le sang rendraient nécessaire un culte de la violence qui ne cesserait de croître pour favoriser l'audimat, dans la ville enfin les incivilités transformées progressivement en délits de plus en plus graves seraient une rançon des difficultés économiques et des clivages culturels et éthniques.
Non, la sécurité, la vie en paix, la civilité, le respect d'autrui ne sont pas des valeurs politiquement incorrectes. Ces valeurs qui ressortissent aux droits fondamentaux de la personne, à la liberté, à l'égalité, à l'Etat de droit, rien de commun avec les délires lepénistes.
Nous devons sortir d'un monde de risque
En peu de temps, une dense série d'événements a montré que nous vivons dans un monde fragile. Un avion dont s'enorgueillissaient les techniciens s'est crashé à cause d'un bout de métal. Un autre avion, réputé sûr, s'est abattu sur la banlieue de New York quelques semaines après l'attentat contre les tours jumelles. Un missile s'est égaré sur un aéronef civil. Une terrible explosion chimique a sinistré Toulouse. Deux tunnels routiers ont été ravagés par des incendies de camions. Comme on pouvait s'y attendre, le " prion " semble avoir franchi la barrière des espèces pour passer de la vache au mouton. Au printemps, la Somme a débordé. A l'automne c'est Alger qui subit des torrents. Faut-il poursuivre ?
Devant cette avalanche les médias et les politiciens recourent aux catégories de pensées les plus irrationnelles : c'est la " série noire ", la " loi des séries ", la " malédiction " et j'en passe.
En fait, le risque technologique est à la fois une donnée du mode de développement économique qui prédomine et une menace permanente dont l'ampleur est devenue considérable, et même, dans le cas du nucléaire, gigantesque, et non limitée à l'immédiat.
Bien sûr, la vie humaine impliquera toujours des risques. Mais il s'agit de les réduire de façon drastique, non de les accroître. Or, que fait-on quand on ajouter à tous les risques existants ceux qui accompagnent aujourd'hui une innovation sans précédent : à savoir le génie génétique ? Le génie génétique et ses développements vers les biotechnologies alimentaires et les nanotechnologies capables de modifier l'humanité elle même confrontent notre génération à des enjeux éthiques et politiques d'une nature nouvelle. Clonage, humanoïdes robotisés, brevetabilité de tout le vivant : tels sont les redoutables défis qui, non seulement nous engagent nous mêmes, mais engagent nos enfants et les générations à naître.
Une nouvelle donnée surdétermine l'ensemble des problèmes : c'est l'incapacité dans laquelle le développement non maîtrisé de la technoscience nous a mis de limiter et d'écarter les périls inhérents au mode d'habitation de notre espace terrestre qui est lié à cette technoscience, à la fois comme effet et comme cause. Il n'y a pas de vision politique nouvelle, située à la hauteur des défis réels, qui n'implique une réflexion approfondie et collective sur les rapports réciproques entre l'humanité et la biosphère.
A preuve, le changement climatique avec ses incertitudes quant à son amplitude qui ne cesseront qu'avec la lecture des statistiques au fur et à mesure du temps. D'ores et déjà, les catastrophes dites naturelles et qui le sont de moins en moins progressent dans leur ampleur.
A preuve, les problèmes de l'eau: la réduction drastique des eaux douces, en qualité et en quantité, alors que la démographie progresse sera une des causes majeures des conflits du XXIe Siècle. Chez nous 3 % seulement de nos rivières ne sont pas polluées, 50 % de nos zones humides ont disparu en 30 ans. Nitrates, pesticides, antibiotiques, produits chimiques persistants n'ont cessé de s'accumuler dans nos eaux. Il nous faudrait désormais 20 à 30 ans pour récupérer une eau douce de qualité en France si nous mettions en place aujourd'hui une politique de préventions.
A preuve, nos océans, qui sont devenus des poubelles, non seulement les pollutions venues du littoral s'accumulent puisqu'elles représentent 2/3 de la pollution maritime, mais encore les Eirka connus et surtout inconnus, déversent chaque année 1,2 à 1,5 millions de tonnes d'hydrocarbures, produits chimiques et autres huiles.
A preuve, la sécurité alimentaire et la chaîne alimentaire sont mises en cause : la vache folle, la pollution génétique due aux OGM, la dissémination des antibiotique, les incertitudes sur les effets à long terme des produits chimiques et déchets accumulés dans les sols, qui menacent souvent les nappes phréatiques constituent autant de raisons de s'attaquer sérieusement aux rapports entre santé et environnement.
A preuve, la pollution atmosphérique qui trouve très largement sa source dans le transport. Elle tue prématurément chaque année en France 50.000 personnes et coûte, selon les estimations, 40 milliards de Francs pour le rapport Boiteux 2, 180 milliards pour l'OMS.
A preuve, le risque technologique qu'il s'appelle usine Seveso ou centrales nucléaires et qui apparaît désormais, après Toulouse, pour ce qu'il est. A la fois une donnée devenue incontournable de notre mode de développement économique et une menace permanente qui peut prendre une ampleur gigantesque.
A preuve, enfin " at last but no least ", notre civilisation urbaine est à l'origine de notre mal être. D'un côté des campagnes laissées à l'abandon, avec les conséquences humaines et écologiques qui en résultent, de l'autre, des villes surpeuplées, en voie de ghéttoïsation où règnent le stress et la pollution atmosphérique et phonique, mais où paradoxalement, la solitude et l'isolement n'ont jamais été aussi grands.
Champions du monde pour l'emploi des pesticides nécessaires à une agriculture intensive et productiviste, nous sommes aussi les médaillés d'or pour l'utilisation des neuroleptiques ! les liens entre la criminalité et la mégalopolisation sont étroits : plus une ville est grande, plus le nombre de crimes et de délits par habitant augmente, ainsi d'ailleurs que le nombre de suicides. Sortir de la violence et du risque ; sortir aussi d'un monde d'injustice et de subordination des femmes.
J'ai dit combien il est inacceptable que soit manipulée la misère. Mais il reste cet impératif primordial, il faut combattre la misère, il faut l'éradiquer au terme d'un effort constant et sans merci.
Dans nos sociétés européennes, comme aux Etats Unis, la pauvreté est d'autant plus insupportable qu'elle jure avec un niveau de production et une accumulation des richesses tels qu'on ne pouvait même pas les imaginer il y a cent ou cent cinquante ans. La compassion, la charité justifient notre admiration. Mais la solidarité et surtout la justice dans la répartition sont nécessaires.
Quant à l'ensemble du monde, il suffit de se reporter aux rapports annuels de l'ONU sur le développement humain, voire aux données de la Banque Mondiale, pour mesurer quel fossé béant s'est creusé et continue à se creuser entre une partie relativement favorisée de la population mondiale et la majorité toujours plus nombreuse qui, malgré des progrès, avance moins vite et, de ce fait, prend de plus en plus en retard.
Sortir du " mal-développement " comme le disait Monsieur René Dumont, pour aller vers un développement à la fois plus juste et plus écologique.
Oui, Mesdames, Messieurs, la guerre au terrorisme a certes été déclarée mais il est plus que temps de la déclarer aussi à un développement de moins en moins durable. Non seulement il n'y a pas de fatalité, mais encore devons-nous faire le choix de l'espérance parce que nous n'en avons pas d'autre et que nous avons des solutions.
La première est d'ordre éthique. La vie sous toutes ses formes ne peut pas et ne doit pas être une marchandise. L'éthique du XXIème siècle doit être celle de l'humanisme écologique, qui allie les droits de l'homme dans ce qu'ils ont de plus inaliénables et le système biologique et écologique dans lequel il vit et assure sa survie.
Chercher à imposer cet humanisme écologique, c'est offrir un véritable sens à notre développement. Faire prévaloir la vie sur les comportements mortifères, qu'ils soient ceux du terrorisme ou de l'OGM Terminator, c'est affirmer notre pleine responsabilité en tant qu'être humain pour préserver et valoriser ce qui dépasse chacun de nous : la vie.
Dès lors, condition sine qua non de notre vie, la voie est simple même si elle n'est pas facile : mettre autant d'énergie, d'intelligence et de moyens à restaurer, voire à améliorer les ressources naturelles que nous en avons mis les détruire.
Chercher à imposer cet humanisme écologique, c'est aussi garantir le droit à la sûreté et à l'intégrité de la personne.
L'article 1er de la Déclaration des Droits de l'Homme n'est pas formel : il convient qu'il soit concrètement assuré et donc revendiqué sans culpabilité.
Manger, boire sain, respirer un air qui ne nuise pas à la santé, pouvoir aller et venir sans craindre pour sa vie ni même pour ses biens, sont des droits. Ils passent non seulement par une reconnaissance juridique qui n'existe pas toujours comme un droit constitutionnel à un environnement sain, mais aussi par une sanction réelle de ces droits.
Nous devons reconnaître pleinement le droit des victimes non seulement à être indemnisées, ce dont les mécanismes d'assurance peuvent se charger, mais encore et surtout à désigner des responsables et des coupables.
La justice joue un rôle central dans une société où la règle de droit ne peut et ne doit pas sombrer dans la virtualité.
Au cours de ma campagne, je développerai de nombreuses propositions sur ces thèmes.
Mais l'éthique ne suffit pas dans un monde dominé par l'économie et la mondialisation. Et pourtant, si la solidarité internationale paraît s'imposer lorsqu'il s'agit de lutter contre le terrorisme, ne doit-elle pas s'imposer lorsqu'il s'agit d'assurer la survie de la planète ?
La mondialisation est à la fois une réalité économique et un moyen. Elle ne saurait être une fin.
Dès lors, rien n'interdit, au contraire, de passer de la mondialisation à la planétarisation en acceptant les interdépendances autres que purement financières et en les régulant : environnement, social, lutte contre la drogue doivent devenir des impératifs de la planétarisation comme la liberté des échanges a été celle de la mondialisation.
Des moyens concrets sont à notre portée : créer des organismes de règlement des différends à l'instar de celui de l'OMC pour contraindre les Etats à respecter leurs engagements, extension des pouvoirs du TPI pour lutter contre le crime international, assimilé au crime contre l'humanité dans le cas de bioterrorisme ou du crime écologique, par exemple mise en place d'une instance de confiance pour contrer le blanchiment, etc.
Reste la volonté politique !
Ce qui est vrai à l'échelle internationale l'est aussi à l'échelle nationale. Que ce soit dans la sphère publique ou dans la sphère privée, les solutions existent pour changer notre mode de développement et l'adapter à l'humanisme écologique.
Dans la sphère privée, il serait absurde et intellectuellement malhonnête de vouer aux gémonies le monde économique dans son ensemble. Certaines entreprises, y compris multinationales, ont choisi le développement durable : Shell et BP Amoco investissent massivement dans les énergies renouvelables, Lafarge ou Vivendi mettent en place leurs plans de développement durable.
A l'opposé, certains continuent à adopter une attitude de mépris, pour ne pas dire de franche hostilité, à l'égard de tout ce qui pourrait toucher au développement durable et en particulier au principe de précaution.
C'est donc le monde économique qu'il faut convaincre. L'écologie industrielle, l'économie de services, la décarbonisation de l'économie, la promotion des produits et process propres comme moteurs du développement économique deviennent primordiaux et, à et égard, le rôle de la consommation éthique sera considérable.
Plus la prise de conscience de son pouvoir par le citoyen consommateur sera forte, plus le développement durable sera favorisée.
A cet égard, le rôle du consommateur européen dans le domaine des OGM a été exemplaire et a conduit les consommateurs américains à revendiquer un étiquetage que les producteurs d'OGM avaient toujours refusé.
Dans la sphère publique, l'ensemble des méthodes et des politiques publiques sont à reconsidérer car celles qui ont été conduites au XXème siècle sont obsolètes. C'est à une révolution culturelle qu'il faut procéder.
Les mois qui viennent me permettront de formuler des propositions précises et réalistes sur une réorganisation de l'Etat autour de sa mission, la refonte de la comptabilité publique, une fiscalité qui encourage l'initiative, notamment des jeunes, au lieu de la dissuader, l'utilisation de mécanismes de marché. En effet, tant que les coûts externes liés à la dilapidation des ressources naturelles et à la reconstitution des milieux ne seront pas intégrés dans les prix, il n'existera aucun levier économique pour instaurer des comportements vertueux.
Quant aux politiques publiques, qu'il s'agisse de l'agriculture, de l'énergie, des transports, de la recherche, des risques industriels ou de l'aménagement du territoire, elles doivent être revisitées pour que le long terme, la prévention des grands risques et la durabilité deviennent des objectifs majeurs.
S'agissant des tâches régaliennes de la puissance publique, elles doivent être restaurées et remplies. Nous avons laissé la police, la justice, l'école, l'hôpital et surtout ceux qui remplissent ces missions, devenir progressivement les victimes d'une tâche rendue progressivement impossible.
Une demande sociale accrue, une tâche rendue sans cesse plus difficile du fait du délitement de la société française et du refus de voir la réalité pour ce qu'elle était, des moyens insuffisants et inadaptés, ont créé une quadrature du cercle dont il faut sortir, d'abord, en disant la vérité et en définissant une mission et des moyens.
Pour prendre l'exemple de la justice, celle-ci est constamment contestée, soit qu'elle soit trop laxiste, soit qu'elle soit trop rigoureuse alors que, dans tous les cas, elle ne fait qu'appliquer des textes de procédure dont elle n'est pas l'auteur.
Nous hésitons encore à entrer dans un état de droit et de justice qui nécessite un pouvoir judiciaire dont notre tradition historique et la classe politique dans son ensemble se satisfont mal, que ce soit par souverainisme ou pour d'autres raisons.
Il est temps d'admettre que la France, comme tous les pays démocratiques, soit dotée d'un pouvoir judiciaire inséré dans un corpus aujourd'hui européen et toujours refusé.
Oui, nous devons revoir notre procédure pénale pour l'adapter aux exigences de la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
Oui, nous devons multiplier les moyens des magistrats et leur nombre pour que les procès soient menés dans un délai raisonnable.
Oui, nous devons accepter que, puissant ou misérable, la règle de droit soit la même et que personne ne soit au-dessus des lois.
Oui, nous devons reconnaître le droit de toute victime de pouvoir faire juger son cas, quels que soient ses moyens.
Oui, nous devons admettre que le droit et non le clientélisme ou la politique règle les rapports dans notre société et que le droit civil se développe dès lors qu'il permettra un réel équilibre entre les parties, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Des propositions dans ce domaine, comme pour la police, l'école ou la santé seront formulées par mes soins dans les mois qui viennent.
L'éthique et le développement durable appellent un troisième pilier : la renaissance démocratique.
La société en réseau prend la place de la société hiérarchisée et jacobine, si prisée de nos politiques.
Dans cette société en réseau, le rôle des associations est primordial. Encensées lorsqu'il s'agit de fêter l'anniversaire de la loi de 1901, les associations, en particulier dans le domaine de l'environnement et de la consommation, sont privées des moyens financiers et juridiques qui leur permettraient de jouer le rôle de contre-pouvoir nécessaire à cette nouvelle époque.
Là aussi, les solutions existent : assouplissement des règles relatives aux fondations et aux associations reconnues d'utilité publique, modifications fiscales, rémunération des services rendus par les membres des associations au bon fonctionnement du service public (notamment participation aux commissions), extension des pouvoirs d'ester en justice et garantie personnelle des dirigeants d'associations.
Le mode de prise de la décision publique doit changer.
Dire la vérité devient un impératif y compris en présence de doutes. Réformer la comitologie en instaurant une gestion claire des conflits d'intérêt et l'obligation de commissions pluridisciplinaires garantissant l'expression des opinions minoritaires. Supprimer toute possibilité d'être à la fois contrôleur et contrôlé afin d'assurer la totale indépendance des contrôleurs par rapport à des considérations étrangères à leur mission.
Le second impératif consiste à comprendre que la concertation implique aussi une remontée de l'information, qu'il n'est plus admissible de réaliser de force des ouvrages ou des infrastructures dont les défauts ou les coûts auraient pu être évités tout simplement en écoutant les gens du terrain. Réforme de l'enquête publique mais aussi, d'une manière générale, mise en place de procédures permettant de restaurer le débat démocratique : conférence de consensus, extension des pouvoirs de la Commission Nationale du Débat Public, instauration d'un référendum municipal élargi et d'un droit de référendum populaire : les moyens ne manquent pas pour permettre aux Français de marquer leur intérêt pour la chose publique, intérêt qui existe profondément.
Le troisième impératif est celui de la décentralisation. La décision doit être rapprochée de ceux qu'elle touche. Les pouvoirs des maires - ou des Présidents de communautés - devront donc être étendus tout en assurant un contrôle de la légalité, réel et non pas virtuel, comme par le passé.
Des régions regroupées devront jouer, à l'échelle européenne - et elles le font déjà - un rôle croissant pour assurer directement le développement économique et l'aménagement du territoire mais aussi de la politique des transports et de l'énergie.
Le mode décisionnel doit changer, le contenu de la décision aussi.
Il est grand temps que les valeurs de la vie, de la santé, de l'environnement contrebalancent celles du profit immédiat et du pouvoir.
Dans ce changement d'époque, les femmes ont à jouer un rôle majeur.
La parité ne doit pas se cantonner à la sphère politique où elle peine du reste à s'installer. Elle doit envahir toutes les sphères de la société, pas seulement par souci de justice mais surtout pour modifier les comportements et les décisions. L'exercice du pouvoir par les femmes est différent, lorsque bien sûr elles ne sont pas contraintes, pour subsister, à jouer la règle du jeu des hommes.
Cette nécessité de voir la hiérarchie des priorités, les valeurs de tendresse, de compassion, de non violence, la place prééminente de la famille et des enfants, la primauté absolue de la vie qu'ont les femmes s'affirme.
Cette nécessité est renforcée depuis le 11 septembre où nous avons toutes le devoir de défendre à la fois la lutte contre la violence et le droit des femmes à l'égalité partout dans le monde. Je vous invite tous à lire le témoignage de Latifa "Visage volé, avoir 20 ans à Kaboul", témoignage de ce qu'est le mal absolu.
Lutter pour que toutes les femmes aient le droit au travail, à la santé, à l'éducation et au vote, c'est s'opposer au terrorisme sexiste des extrémistes. Il va de soi que ces transformations ne peuvent pas être seulement hexagonales même si le mythe du jardin d'Eden a la vie dure et que certains n'hésitent pas à proposer un projet qui n'est qu'un retour en arrière.
Nous devons résolument construire l'avenir sur les bases du futur et non sur celles du passé.
L'Europe est un fait acquis et nous ne pouvons que nous en réjouir car, grâce à elle, nous avons vécu 50 ans de paix et de prospérité.
Mais il faut aujourd'hui construire l'Europe des citoyens et pas seulement celle des producteurs. C'est un projet politique qu'il faut élaborer, non pas seulement institutionnel mais aussi et surtout démocratique.
L'euro est un fait acquis mais il n'est pas une fin en soi. Il doit être l'instrument de réalisation d'une Europe qui améliore la vie quotidienne, assure la santé, la qualité de vie, la sûreté et l'environnement.
Ainsi, Mesdames et Messieurs, si la lucidité n'interdit pas l'espérance, l'espérance exige la lucidité.
Nous avons tant à faire et si peu de temps pour agir !
Les prêts à penser idéologiques sont impuissants à comprendre comme à trouver des solutions.
Notre personnel politique en est resté aux enjeux et à la problématique du XXème siècle, sinon du XIXème !
La politique doit être mise au service de l'humanisme écologique et non l'inverse.
Voilà, Mesdames et Messieurs, Chers Amis, ce que je voulais vous dire. Mais j'ajouterai encore quelques mots.
Depuis plusieurs semaines, on me somme, à la radio et à la télévision, de dire si je suis de gauche ou de droite, ou plus exactement, on affirme sans preuves, sans se préoccuper de mon programme, que, pour avoir été Ministre d'Alain Juppé au nom de la société civile, je suis de droite, tant il est vrai que la classe politique s'avère incapable de penser en dehors du système des partis établis !
Je tiens à vous dire ma sensibilité.
Si être de gauche, c'est penser, comme Jean Jaurès, qu'il n'y a pas de démocratie sans morale ni justice sociale, alors je suis de gauche, sans hésiter et de tout coeur.
Si être de droite, c'est penser, comme Charles Péguy, qu'il n'y a pas de République sans morale ni spiritualité, alors je suis de droite, sans équivoque.
Je n'oublie pas que l'un et l'autre, Jaurès et Péguy, se sont retrouvés côte à côte pour défendre les droits de l'Homme bafoués lors de l'Affaire Dreyfus.
Je suis avec Jaurès pour la justice sociale et avec Péguy pour la mystique de la liberté, avec l'un et l'autre pour la défense des Droits de l'Homme. Cette époque nouvelle appelle des politiques nouvelles pour le droit inaltérable de chaque femme et de chaque homme, dans toutes les classes de la société et dans toutes les sociétés de la planète, à vivre en sûreté du point de vue politique, économique, écologique.
L'écologie mérite infiniment mieux que des ultra-sectarismes, de petites combinaisons à la sauce de la IIIème République ou les jeux stériles auxquels nous assistons.
Elle ne saurait s'accorder avec une seule couleur politique.
Profondément humaniste et universaliste, concernant toute l'humanité et toutes les générations actuelles et futures, l'écologie doit ressembler à un arc-en-ciel.
Je ne peux me reconnaître dans aucun des partis traditionnels ni dans aucun de leurs leaders.
On me dira peut-être " c'est là le langage d'un troisième homme " Eh bien, je vous le demande : pourquoi, pour une fois, ce troisième homme ne serait-il pas une femme ?
C'est dans cette sensibilité ouverte, tolérante, rassembleuse, en même temps qu'intransigeante sur les principes d'honnêté, de précaution, de responsabilité, que je me reconnais.
C'est la raison de ma candidature indépendante, à l'élection présidentielle de 2002.
C'est, Mesdames et Messieurs, le sens de mon engagement.
Nous avons changé d'époque, Ensemble, nous devons oser l'espérance.
(source http://www.corinne-lepage.com, le 27 novembre 2001)