Texte intégral
Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur spécial de la commission des finances, Monsieur le Rapporteur pour avis de la commission des lois, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, comme plusieurs d'entre vous l'ont indiqué, les crédits de la mission «Immigration, asile et intégration» se montent à 1,383 milliard d'euros, en hausse de 26% par rapport à 2017.
Leur examen par le Sénat est surtout l'occasion pour moi de vous présenter notre politique en ce domaine et les moyens par lesquels nous entendons la mettre en oeuvre.
Je commencerai par donner quelques chiffres, car on en donne parfois qui sont inexacts.
Comme vous le savez, l'Europe est confrontée depuis 2014 à une crise migratoire sans précédent. Cette situation est évidemment le fait de personnes fuyant le théâtre de guerre irako-syrien ou des pays dans lesquels l'insécurité est forte, mais, au-delà de ces réfugiés, on observe aussi un flux grandissant de migrants à caractère économique, venant de pays considérés comme sûrs.
Après les pics enregistrés depuis 2014, en particulier les 1,290 million de demandes d'asile déposées en 2016, 2017 a marqué une inflexion en Europe, puisque, sur les sept premiers mois de l'année, 410.000 personnes ont demandé l'asile. La tendance n'est toutefois pas la même en France : alors que, en 2016, 85.726 demandes avaient été enregistrées, nous en avons reçu 71.699 sur les six premiers mois de cette année.
Cette hausse de la demande d'asile provient de plusieurs facteurs.
D'abord, l'Italie a dû faire face à une arrivée croissante de migrants venus de Libye : 180.000 en 2016 et 91.000 depuis le début de cette année, même si une rupture a été constatée en juillet et, surtout, en août - moins 56% et 70% respectivement. On considère qu'il y a aujourd'hui environ 180.000 personnes dans les différents centres en Italie. Nombre des personnes arrivées dans ce pays cherchent à passer la frontière française. Ainsi, 1.000 personnes sont interceptées chaque semaine à la frontière de Vintimille, et une centaine d'autres dans les Hautes-Alpes.
Ensuite, une nouvelle route de migration est en train de s'ouvrir, passant par l'Espagne : 25.000 arrivées depuis le début de l'année, soit une hausse de 105%.
Enfin, la hausse de la demande d'asile vient aussi de personnes déboutées dans les autres pays européens. Vous savez qu'il y a eu en Allemagne - pour ne prendre que cet exemple - 750.000 demandeurs d'asile en 2015 et 475.000 en 2016. Aujourd'hui, 300.000 personnes environ ont été déboutées, mais 80.000 seulement ont été reconduites.
Si donc nous ne prenions pas un certain nombre de mesures, nous serions confrontés à une situation qui deviendrait insupportable.
Face à ces défis, la position du gouvernement est claire : tous ceux qui sont réfugiés des théâtres de guerre ou victimes de persécutions politiques, religieuses ou ethniques dans leur pays ont un droit imprescriptible à l'asile ; mais la dynamique migratoire que l'on observe et qui résulte de migrations à caractère économique, souvent organisées par des réseaux de passeurs internationaux, nous entendons y mettre fin, en agissant dans plusieurs directions.
Ainsi, vous savez qu'une proposition de loi relative à la procédure applicable aux transferts «Dublin» sera examinée après-demain à l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, le gouvernement présentera un projet de loi destiné à réduire le délai d'examen de la demande d'asile à six mois. Cela nous permettra de dire qui a effectivement droit à l'asile et qui n'y a pas droit et doit être éloigné.
Pour le présent, nous essayons de conclure un accord avec les pays d'arrivée considérés comme sûrs. Je me suis rendu avec le président de la République à Abidjan, où nous avons discuté avec l'ensemble des dirigeants de ces pays, de manière à pouvoir maîtriser une immigration économique irrégulière qui, souvent, les met eux-mêmes en difficulté.
Pour mener cette action, nous visons le renforcement des capacités des forces de sécurité locales, afin de lutter contre les réseaux de passeurs et d'assurer le traitement judiciaire de cette criminalité.
Nous visons également la facilitation de la réadmission, car c'est ainsi que nous parviendrons à dissuader un certain nombre de départs. En 2016, 40% des mesures d'éloignement prononcées concernaient des nationalités couvertes par un accord de réadmission bilatéral ou européen. Avec nos partenaires européens, je souhaite que nous renforcions encore cette politique de réadmission, en la liant, si besoin était, à notre politique de visas.
Enfin, nous développons notre soutien à l'enrichissement de l'état civil par des éléments de biométrie, qui permettra notamment de disposer de manière certaine d'informations sur la nationalité et l'âge des migrants, et donc d'obtenir des laissez-passer consulaires.
La lutte efficace contre l'immigration irrégulière repose aussi sur une politique d'éloignement crédible. À cet égard, je tiens à souligner que nous enregistrons déjà des premiers résultats : depuis le début de l'année, le total des éloignements a augmenté de 8% pour s'établir à 15.098 à ce jour ; en particulier, les éloignements forcés ont augmenté de 13% pour atteindre 12.357.
Cette évolution s'explique principalement par deux facteurs : l'augmentation des retours forcés vers les pays tiers, qui atteint près de 7%, et la mise en oeuvre des procédures de transfert prévues par le dispositif Dublin, qui ont augmenté de 114% depuis le début de l'année, ce qui correspond à 2.166 transferts effectués.
Cette politique va se poursuivre en 2018, et le budget qui vous est soumis comprend tous les moyens nécessaires à sa conduite. En particulier, nous créerons les places nécessaires en centre de rétention administrative.
Ce n'est qu'optiquement que les crédits consacrés à cette politique apparaissent en baisse dans les «bleus» budgétaires qui vous ont été communiqués, la fermeture des camps de Calais et Grande-Synthe, naguère pris en charge par les crédits de cette mission, entraînant de moindres dépenses. À structure constante, les moyens de la lutte contre l'immigration irrégulière augmentent de 4 millions d'euros, soit plus de 5%.
Enfin, parce que nous voulons une politique équilibrée, nous souhaitons renforcer notre politique d'intégration. En effet, c'est un enjeu de premier plan pour notre cohésion sociale que d'accompagner les étrangers auxquels nous accordons le droit d'asile ou de séjour dans leurs apprentissages linguistiques, leur formation civique et leur insertion professionnelle. Dans ce domaine, nous nous appuierons sur les conclusions des travaux menés par M. Aurélien Taché, député du Val-d'Oise.
Comment cette politique se traduit-elle dans le projet de loi de finances pour 2018 ? La dynamique constatée des flux migratoires, qui demeure soutenue, conduit mécaniquement à une hausse des dépenses de la mission. Par ailleurs, comme vous le savez, la philosophie du gouvernement est de présenter un budget sincère, c'est-à-dire un budget qui comprenne des crédits à hauteur des dépenses attendues.
Nous avons donc souhaité budgétiser à leur juste niveau les dépenses qui concernent l'asile. Nous avons ainsi prévu le financement de 4.000 places d'hébergement pour les demandeurs d'asile, 1.500 places en centre d'accueil pour demandeurs d'asile, ou CADA, et 2.500 autres en hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile.
Le plan gouvernemental prévoit également, au titre de la refonte de nos politiques d'intégration, la création de 3.000 places en centre provisoire d'hébergement.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, nous voulons une politique équilibrée : oui à l'asile, non aux passeurs qui organisent des trafics et font mourir des dizaines de milliers de jeunes sur les routes du Sahel ou en Méditerranée.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 2017