Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, avec France Inter le 17 janvier 2018, sur les prisons, la politique d'immigration et sur la question des prisonniers basques et corses.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral


NICOLAS DEMORAND
L'invitée de France Inter jusqu'à neuf heures est garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nicole BELLOUBET, bonjour.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
La pression retombe d'un cran dans les prisons même si les gardiens restent mobilisés, même si le mouvement qu'ils ont initié un peu partout en France est encore puissant. Avant d'entrer dans les détails, qu'est-ce qui explique selon vous cette colère ? Le sentiment d'avoir été abandonné ? Le sentiment de manquer de moyens ? Comment diriez-vous les choses ?
NICOLE BELLOUBET
Je dirais que les surveillants des établissements pénitentiaires vivent une situation très difficile. Leur métier est difficile. D'abord, c'est un métier qui est au contact avec l'enfermement, avec la détresse, avec la violence parfois et donc il suffit d'un acte d'une violence extrême comme celui qui s'est passé à Vendin-le-Vieil pour déclencher la colère qui se manifeste aujourd'hui.
NICOLAS DEMORAND
Mais ils étaient déjà à fleur de peau, les gardiens de prison, à bas bruit avant que cet événement ne déclenche les choses ?
NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, c'est une situation dont je me proccupe depuis que j'ai été nommée garde des Sceaux encore une fois parce que je connais la difficulté de leur métier, et ce ne sont pas que des mots. Je me rends souvent dans des établissements pénitentiaires, je parle avec notamment les surveillants mais pas seulement - il y a également d'autres personnels – et je mesure vraiment la difficulté du travail qu'ils font.
NICOLAS DEMORAND
Faut-il aujourd'hui quelque chose comme un plan prison, Nicole BELLOUBET ?
NICOLE BELLOUBET
Le président de la République l'a annoncé et, en toute hypothèse, cela fait également partie des chantiers de la justice que j'ai lancés. Plan prison, ça recouvre plusieurs facettes d'une même réalité puisque cela signifie à la fois qu'il faut construire des places supplémentaires pour répondre à cet objectif d'encellulement individuel qui est une condition de dignité mais aussi de sécurité pour la société évidemment. Cela veut dire également qu'il faut travailler sur ce qu'est la peine. C'est l'objet des chantiers de la justice que je porte, c'est-à-dire au fond qu'on ait une hiérarchie clarifiée des peines qu'on puisse utiliser, différents types de peines qui soient une réponse pénale pertinente pour la personne qui a été condamnée. Et puis, cela signifie enfin qu'il faut réellement travailler sur la situation des personnels qui travaillent dans les établissements pénitentiaires.
NICOLAS DEMORAND
Nicole BELLOUBET, est-ce que les dix propositions faites à Vendin-le-Vieil où vous vous trouviez donc hier peuvent être généralisées à l'ensemble des prisons ou sont-elles uniquement destinées à celle-là ?
NICOLE BELLOUBET
Clairement, je me suis rendue à Vendin-le-Vieil pour d'abord apporter mon soutien aux personnels qui avaient été blessés, pour prendre en compte la situation singulière de cet établissement d'ailleurs qui accueille vraiment des détenus difficiles, et pour répondre à une situation particulière. Les dix mesures pour Vendin…
NICOLAS DEMORAND
N'ont pas vocation à être généralisées.
NICOLE BELLOUBET
Non. En tout cas, certaines d'entre elles peuvent l'être si vous voulez. Je pense par exemple à des questions autour des équipements de protection, de sécurité pour les personnels qui sont au contact avec les détenus les plus violents. Ces choses-là peuvent être généralisées mais toutes n'ont pas à l'être. J'ai notamment évoqué la question du projet de l'établissement pénitentiaire de Vendin mais il est propre à Vendin.
NICOLAS DEMORAND
Bien sûr. Allez-vous réformer, parce que tout est parti de là, les modalités d'enfermement, d'emprisonnement, des détenus radicalisés ?
NICOLE BELLOUBET
D'abord, je dois dire que nous avons actuellement une politique qui est très pensée sur ce sujet. Ce n'est pas n'importe quoi, n'importe où. Donc nous avons, lorsqu'un détenu radicalisé, enfin lorsqu'une personne a été condamnée pour terrorisme, il est d'une part évalué pendant quatre mois dans un quartier d'évaluation où nous mesurons sa dangerosité et, à partir de là, il est placé dans des situations différentes. Il peut être placé soit à l'isolement où là, par définition, il est séparé des autres. Il peut être placé dans des quartiers pour détenus violents, pour détenus radicalisés où là encore il fait l'objet d'une prise en charge particulière et séparé des autres, et certains sont placés en détention ordinaire et suivis de manière particulière.
NICOLAS DEMORAND
Il faut encore élargir et vers quoi cette gamme que vous venez de décrire ?
NICOLE BELLOUBET
Je pense qu'on peut toujours revisiter, faire mieux, mais là pour l'instant, notre objectif c'est de multiplier ce type de quartier singulier. C'est-à-dire à la fois les quartiers d'évaluation de la radicalisation, les quartiers pour détenus radicalisés que nous allons multiplier sur l'ensemble – non pas sur l'ensemble – sur un nombre plus important d'établissements pénitentiaires.
NICOLAS DEMORAND
Et sur le plan théorique, est-ce que vous croyez à la déradicalisation, à l'idée même de déradicaliser quelqu'un ?
NICOLE BELLOUBET
Je n'aime pas le terme mais…
NICOLAS DEMORAND
C'est possible ?
NICOLE BELLOUBET
Oui, je crois que c'est possible. Tout dépend du niveau d'engagement dans la violence de ces personnes, mais j'ai vu des expériences conduites à la fois par les personnels d'insertion et de probation et/ou par des associations privées, qui avec un accompagnement très soutenu d'un certain nombre de personnes les ramènent dans un rapport normal à la société. Oui, je crois que c'est possible, sans doute pas pour tous les détenus. Il faut être réaliste.
NICOLAS DEMORAND
Nicole BELLOUBET, vous étiez à Calais avec le président de la République hier.
NICOLE BELLOUBET
Oui.
NICOLAS DEMORAND
Une tribune d'intellectuels dont certains sont proches d'Emmanuel MACRON a durement critiqué la politique d'asile qui se dessine en France. Est-elle, comme écrivent ces intellectuels, en contradiction avec l'humanisme élémentaire que la France doit, selon eux, mettre en oeuvre ?
NICOLE BELLOUBET
Je ne le crois pas, je ne le veux pas et je ne le pense pas. Il me semble que ce que cherche le gouvernement d'Edouard PHILIPPE et le président MACRON, c'est de conduire une politique équilibrée. C'est un terme qui est souvent repris mais je le reprends à mon compte. Au fond ce qui nous intéresse, c'est d'avoir une politique d'accueil qui soit maîtrisée. Maîtrisée, ça veut dire à la fois un accueil qui est inconditionnel dans les centres d'hébergement d'urgence, un accueil en termes de soin qui également relève de l'inconditionnalité mais un accueil qui, à un moment donné, puisse offrir des chances de traitement des personnes qui arrivent sur le territoire français, des traitements de leur demande selon la qualité à laquelle il veut prétendre. Est-ce que c'est de la demande d'asile ? Est-ce que ce sont des réfugiés que nous devrions héberger au titre des réfugiés ? Est-ce que ce sont des gens qui doivent faire l'objet d'une politique de retour avec une aide au retour ? Il y a plusieurs catégories et je pense que nous sommes dans cet accueil-là, un accueil maîtrisé et – c'est ce qui est important – je crois qu'il faut que nous mettions tout en oeuvre pour qu'il y ait une intégration réussie. Ce sont les deux aspects.
NICOLAS DEMORAND
En tout cas, associations et ONG se retrouvent pour violemment critiquer l'idée de faire intervenir des équipes mobiles dans les centres d'hébergement. Est-ce qu'il ne faudrait pas abandonner cette idée, cette disposition ? Parce qu'associations et ONG, dit cette tribune, font un travail irremplaçable sur ces sujets.
NICOLE BELLOUBET
Mais c'est vrai. C'est vrai qu'elles font un travail irremplaçable. Je crois que ce qui a été voulu, c'est d'éviter à ces personnes qui sont dans des centres de faire des queues invraisemblables, d'avoir des rendez-vous à des dates très éloignées. Devant les préfectures, nous avons tous vu ces choses-là et donc l'idée était de faire venir des personnels administratifs dans ces centres pour essayer de mieux répondre à des questions d'orientation. Si cela a été mal compris, il faut certainement que nous l'expliquions, que nous travaillions avec les associations pour leur expliquer qu'au fond c'est aussi une exigence de dignité - en tout cas, c'est comme cela que ç'a été entendu – que nous souhaitons déployer.
NICOLAS DEMORAND
Donc vous soutenez cette circulaire Collomb ?
NICOLE BELLOUBET
Je pense que si elle est expliquée de la manière dont je viens de le dire, c'est-à-dire au fond l'idée d'aller au devant des gens pour leur éviter des démarches qui sont des démarches parfois indignes dans la manière dont elles étaient conduites, oui je crois que c'est peut-être…
NICOLAS DEMORAND
Donc vous dites accompagnement aux formalités administratives et non pas tri des personnes.
NICOLE BELLOUBET
Je réfute totalement ce terme. Je pense que ce n'est pas du tout ce qui a été voulu et si ça l'était, ce serait dramatique. Ça ne peut pas, en aucun cas, être un tri et dire que ça l'est, je crois que c'est se méprendre vraiment profondément sur le sens de ce qui a été voulu.
NICOLAS DEMORAND
Votre ministère est-il parvenu à un accord fin décembre sur le dossier du rapprochement des détenus basques vers les prisons de leur région d'origine ?
NICOLE BELLOUBET
Un accord avec qui ?
NICOLAS DEMORAND
Basque, oui, oui, j'ai bien dit basque. C'est le quotidien Sud-Ouest qui indique que les transferts de prisonniers vers les prisons de Mont-de-Marsan et Lannemezan seraient réalisés dans les prochaines semaines selon Jean-Noël ETCHEVERRY.
NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, c'est une situation que nous prenons en compte, que nous traitons. Nous la traitons de manière extrêmement fine. Il nous a été fait le reproche d'être, je dirais, inactifs sur ce sujet. Je ferai ici observer que c'est mon ministère en ce moment qui a levé le statut de DPS, de Détenu Particulièrement Signalé, d'un certain nombre de détenus, qui permet le rapprochement. Et donc maintenant, nous travaillons au cas par cas sur des demandes de rapprochement qui sont effectués par les prisonniers.
NICOLAS DEMORAND
Et donc, il y a bien un cadre sur les prisonniers basques.
NICOLE BELLOUBET
Il y a un cadre. Pour la première fois, il y a un cadre qui est clair et sur lequel nous pouvons agir.
NICOLAS DEMORAND
Ce qui est valable pour les Basques va-t-il être valable pour les Corses ?
NICOLE BELLOUBET
Pour la situation des détenus corses, nous travaillerons de la même manière selon les règles de droit commun, c'est-à-dire…
NICOLAS DEMORAND
Ce n'est pas un refus de principe ni un accord de principe ?
NICOLE BELLOUBET
Absolument. Nous travaillerons selon les règles du droit commun.
NICOLAS DEMORAND
Le président de Radio France, Matthieu GALLET, a été condamné hier à un an de prison avec sursis et à une amende de vingt mille euros pour favoritisme. Ses avocats ont fait appel. Doit-il démissionner d'après vous alors qu'en droit l'appel est suspensif ?
NICOLE BELLOUBET
Il y a une question d'éthique personnelle qui lui appartiendra de prendre en compte, mais effectivement l'appel est suspensif, donc je ne me prononcerai pas sur ces affaires judiciaires.
NICOLAS DEMORAND
Est-ce que l'éthique personnelle est une valeur supérieure au droit ? Je vous pose cette question à vous, ministre de la Justice et juriste.
NICOLE BELLOUBET
Ça n'est pas une valeur supérieure au droit car dans un Etat de droit, il n'y a rien de supérieur à la règle de droit, mais c'est un comportement personnel qui, me semble-t-il, doit accompagner la règle de droit.
NICOLAS DEMORAND
Nicole BELLOUBET au micro de France Inter.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 janvier 2018