Texte intégral
Monsieur le préfet,
madame la maire,
monsieur le président de région,
monsieur le président de la Communauté urbaine,
monsieur le député,
mesdames et messieurs les notaires,
mesdames et messieurs les magistrats,
mesdames et messieurs mes collègues professeurs,
monsieur le président, cher maître COIFFARD,
C'est avec un très grand plaisir que je réponds à votre invitation et que je me trouve aujourd'hui parmi vous, concrétisant ainsi ma première rencontre avec votre profession réunie.
Je voudrais, puisque vous avez cité Victor HUGO, commencer mon propos par BALZAC qui a décrit les splendeurs et les misères de notre pays et de ses habitants. BALZAC qui écrit ceci : « Après cinq ans de stage dans une étude de notaire, il est difficile d'être un jeune homme pur. On a vu les rouages huileux de toute fortune, les hideuses disputes des héritiers sur les cadavres encore chauds ». Voilà ce qu'il dit. Cela semble peu réjouissant, mais pourtant, quand on prolonge la lecture, vous verrez qu'il avait des notaires une toute autre image.
BALZAC a écrit les mots que je viens de prononcer devant vous en 1840. Il était instruit alors d'une expérience significative dans le monde judiciaire, mais aussi de quelques mésaventures juridiques personnelles : la faillite de son imprimerie, le procès avec ses éditeurs, la vente à perte de sa propriété.
Alors, pourquoi citer BALZAC ici ? Parce que dans le portrait sans concession que BALZAC dresse des arcanes judiciaires et des passions humaines destructrices, lorsqu'il prend le droit pour intrigue centrale de ses romans, eh bien, seuls les notaires peuvent se réjouir d'être épargnés par notre grand écrivain.
Il entre en 1816 à 17 ans comme clerc amateur chez maître GUILLONNET-MERVILLE, avoué. Il s'engage ensuite dans l'étude de maître PASSÉ, notaire. Il interrompt brutalement ses études et il n'a pas obtenu sa licence en droit. Mais il n'en a gardé aucune amertume, aigreur ou ressentiment à l'égard du monde du droit. Contrairement à d'autres écrivains comme Léon DAUDET, par exemple, qui n'a pas accepté son échec au concours de l'Internat de médecine et qui en a tiré une brillante et violente caricature du monde médical et de ses mandarins.
BALZAC, lui, n'hésite pas à rendre hommage aux notaires. Il écrit ainsi « Chez l'avoué, il s'agissait de préparer les combats judiciaires. Chez le notaire, on s'efforçait au contraire d'éviter d'avoir affaire à la justice ».
« Eviter d'avoir affaire à la justice » : est-ce que ces mots finalement ne résonnent pas encore aujourd'hui.
Vous, notaires, et vous l'avez très bien montré, monsieur le président, par votre proximité avec nos concitoyens, par vos qualités d'écoute, par vos qualifications, par la sécurité et l'équilibre donné aux actes auxquels vous conférez l'authenticité, vous prévenez et anticipez les orages judiciaires. Vous jouez ainsi un rôle essentiel de pacificateur.
Quelle leçon pour notre pays, pour cet esprit français que l'on dit volontiers, selon le mot de CIORAN « Plus attaché à consolider ses contrariétés ». Quelle leçon, donc, que la vôtre, qui êtes les instruments de la pacification sociale.
L'exercice de vos missions d'intérêt général, votre connaissance de la pratique du droit, votre rôle de conseil, et j'ajouterais vos dispositions d'esprit, vous ont naturellement conduit à ajouter la médiation au nombre de vos activités.
Cette activité est pleinement acceptée et prisée des justiciables et, à ce succès, je vois une raison principale : la confiance que vous inspirez.
Monsieur le président, dans votre discours, vous avez accordé avec raison une place majeure à la thématique de la confiance, comme condition sine qua non d'une prospérité économique durable et d'un vivre ensemble harmonieux.
Je vous rejoins entièrement, il ne peut se construire un monde où chacun puisse agir toujours plus librement sans une confiance renouvelée des uns envers les autres. Aussi, serons-nous sans doute tous d'accord ici pour affirmer en conséquence que nulle évolution de votre profession ne saurait réussir hors d'un univers de confiance entre l'état, le notariat, les acteurs économiques et les citoyens.
Mais, qu'est-ce que la confiance ? Comment la maintenir ? Comment l'obtenir, même ?
Vous avez raison, monsieur le président, de dire qu'elle ne se décrète pas, qu'elle se construit en se nourrissant de preuves, c'est-à-dire d'actes en correspondance avec les déclarations.
Confiance, le mot n'est pas qu'une simple légèreté, une posture exigée par un contexte, c'est plus que cela, c'est un contenu et c'est une densité. Or, votre profession doit inspirer confiance, elle inspire confiance à la fois par votre statut et par le rôle éminent qui est le vôtre.
Dépositaires de l'autorité publique, vous êtes les garants de la confiance publique. Les actes que vous dressez et votre neutralité d'officier public ministériel apportent à nos concitoyens une sécurité essentielle dans la période difficile que nous traversons.
L'acte authentique est incontestablement un acte de valeur supérieure, il est même le seul à être doté de cette valeur. Il a date certaine, force probante renforcée, et la même force exécutoire que les décisions de justice qui sont rendues en dernier ressort.
Sur quoi se fonde la force conférée à cet acte sinon sur la confiance qu'inspirent ces rédacteurs en leur qualité d'officiers publics. Mais, je le précise aussitôt, vous n'êtes pas de simples rédacteurs d'actes, votre mission s'inscrit dans le cadre d'un statut particulier. Vous êtes à ce titre soumis à de nombreuses obligations déontologiques ainsi qu'à un contrôle rigoureux et à une discipline professionnelle stricte.
L'acte authentique est le garant de la sécurité juridique dont les notaires, individuellement, et le notariat, collectivement, sont les gardiens.
Vous êtes, mesdames et messieurs, les seuls à disposer du pouvoir de conférer à un accord de volonté, cette authenticité qui d'une certaine manière l'élève au rang des actes de puissance publique et lui confère « L'autorité de la chose décidée » pour reprendre le titre de la thèse du professeur SCHWARTZENBERG, à propos de l'acte administratif. Cette autorité qui confère à l'acte son aurore de réputation.
Vous avez eu, monsieur le président, l'amabilité de rappeler ma formation de juriste en droit public, et ce rapprochement entre acte authentique et acte de puissance publique n'est pas une simple audace de ma part, c'est pour le professeur de droit public que je suis, un hommage au rôle éminent du notaire au coeur de l'état, dans la cité, à la volonté de votre profession de répondre à sa mission de service public.
Ce rôle est encore renforcé par le maillage territorial que vous assurez et qui permet donc une répartition géographique équilibrée des notaires sur le territoire national. Il permet à chaque justiciable, quel que soit son lieu de résidence, sa situation de fortune ou de santé, de bénéficier d'un interlocuteur compétent et hautement qualifié.
Notre organisation judiciaire, et vous l'avez dit de manière subliminale, mais pas seulement d'ailleurs, monsieur le président, ne se mesure pas seulement à l'aide de ratios économiques et financiers. Elle est faite d'équilibres complexes et de relations d'attention mutuelle patiemment nouées au fil du temps avec l'objectif qui est de rendre le meilleur service aux citoyens.
En ce sens, la loi pour la Croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques voulue par l'ancien ministre de l'Économie et actuel Président de la République, cette loi avait pour objectif de favoriser un profond renouvellement des acteurs et du fonctionnement de la profession de notaire, notamment grâce à l'instauration de la liberté d'installation. Elle représente un vecteur de confiance réciproque renforcée dont nous devons exploiter tous les ressorts.
J'observe, comme vous je crois, que la mise en oeuvre de cette loi Croissance est déjà parvenue peu à peu à se délivrer du démon de la défiance généralisée, dont on a pu craindre quelque temps qu'il ne prenne l'ascendant sur tous ceux qui souhaitaient oeuvrer à la modernisation de la profession. Mais nous avons collectivement fait preuve d'esprit de responsabilité.
Des moyens inédits ont été mobilisés pour organiser des tirages au sort dans les meilleures conditions et gérer l'ampleur des dossiers d'agrément à traiter.
Chacun des acteurs s'est engagé à la mesure de l'effort attendu : l'Administration centrale, les Parquets généraux, les instances professionnelles, les notaires installés et les candidats notaires, et d'ici peu, dans quelques mois, les perturbations associées aux changements engagés auront pris fin. La confiance, je le crois, est bien là, présente, et le temps est proche où chacun pourra observer les premiers bénéfices des changements opérés.
D'après les estimations de mes services, au 16 novembre 2017, les 1 002 offices qui auront été créés, dans le délai d'un an qui nous était imparti, seront pour 75 à 85 % d'entre eux, des offices individuels ou à associé unique, tenus par de nouveaux notaires libéraux, dont une très grande part sont aujourd'hui notaires assistants.
Fin 2017, le statut de notaire salarié aura été accordé, quant à lui, à plus de 1 000 diplômés depuis la fin 2015, et je précise que ce statut est manifestement adopté de façon volontaire, pour des raisons personnelles, comme en témoigne le faible nombre de notaires salariés ayant candidaté aux offices créés.
Au global, à la fin de l'année 2017, vous serez sans doute autour de 12 000 notaires, dont environ 9 600 libéraux exerçant dans 5 600 offices, soit 23 % de plus qu'au 1er janvier 2015, soit aussi, 4 % de plus que les 11 518 notaires projetés en son temps par l'Autorité de la concurrence dans son avis du 9 juin 2016.
Faut-il, au vu de ces chiffres qui se situent au-dessus de toute espérance, aller au-delà des 1 002 offices gravés dans le marbre en 2016 ? C'est une vraie question.
L'horizon des 1 650 notaires fixés par l'Autorité de la concurrence doit être respecté, mais il pourrait opportunément se déployer de manière plus raisonnée dans le temps, conformément à la logique de progressivité, elle-même inscrite dans la loi.
Il restera durant l'année 2018 à consolider cet acquis en se mettant en position d'évaluer concrètement les résultats de la politique que nous avons conduite. Le nombre d'installations effectives, le devenir respectif des offices créés, des offices existants et des bureaux annexes, les stratégies de développement des uns et des autres pour parvenir, donc, à une augmentation progressive du nombre de professionnels, sans oublier le plus important, la satisfaction des Français.
Il restera aussi durant l'année 2018 à concevoir, dans un souci d'amélioration continue des processus et des normes, les mesures nécessaires pour que l'ensemble de la réforme s'inscrive davantage encore dans une logique gagnant/gagnant entre les quatre animateurs de l'univers de confiance que je citais : l'état, le notariat, les acteurs économiques et les citoyens.
Je ne doute pas que les nouveaux équilibres traduisant cette confiance émergeront dans l'année qui vient : centrés sur les principes d'ouverture et de liberté pour tous, confortés par les exigences qui les encadrent, et dont le Ministère de la Justice est garant, à savoir l'honorabilité, la transparence et la responsabilité. Ces équilibres continueront à construire le succès de votre profession.
Quelles sont les perspectives qui s'offrent à nous ?
Je constate avec satisfaction que votre profession manifeste une nouvelle fois son anticipation des évolutions qu'elles soient technologique, sociétale, ou familiale, ainsi qu'en témoigne le choix fait il y a deux ans des thèmes de votre congrès « Famille, Solidarité et Numérique ».
Vous êtes ainsi conduits à réfléchir aux solutions et réponses pouvant être apportées aux questions et défis actuels et à vous projeter dans de nouvelles évolutions pour un proche avenir.
Vous envisagez également les suites à donner pour la loi Croissance ainsi que diverses entreprises de déjudiciarisation dans lesquelles votre profession pourrait jouer un rôle majeur. Et je voudrais évoquer ces deux derniers points, et répondre, à cette occasion, aux quelques critiques ou points d'attention que vous avez bien voulu soulever, monsieur le président.
Les suites de la loi Croissance, dans un premier temps.
Depuis le dernier congrès des notaires en juin 2016, ce ne sont pas moins de 13 textes réglementaires qui ont été élaborés par la Chancellerie en collaboration étroite avec le ministère de l'Economie, pour permettre la mise en oeuvre de cette loi Croissance, et de manière plus générale, pour offrir à la profession de notaire un cadre d'exercice plus efficace et plus moderne.
Je sais, à quel point cette période de réforme a été compliquée pour la profession. Malgré ces bouleversements et la crainte qu'ils ont pu susciter, qu'ils suscitent, manifestement, peut-être encore pour certains, les notaires de France se sont mobilités sur tout le territoire pour que l'accueil des nouveaux notaires se déroulent dans les meilleures conditions.
L'élaboration d'un guide d'installation que vous évoquiez, monsieur le président, les stages d'intégration, dont vous me disiez qu'ils fonctionnent remarquablement, ou encore les contacts que les instances ont noués directement avec les futurs notaires, sont autant de démarches qui démontrent l'engagement de votre profession pour donner l'avenir le plus construit à cette réforme qu'elle n'avait pas sollicitée.
Je tiens ici à saluer ces initiatives et à remercier les instances professionnelles ainsi que l'ensemble des notaires pour la solidarité et la confraternité qui vous caractérisaient déjà, et dont vous avez fait et faites preuve une fois encore.
Monsieur le président, vous vous qualifiez de légionnaires disciplinés et efficaces. J'ajouterai à ces qualificatifs : valeureux et solides, et je suis fière d'être présente aujourd'hui parmi les membres d'une telle légion.
Les deux années précédentes ont été des années difficiles, entre le gouvernement et les professions, les débats ont été vifs et nombreux. Aujourd'hui, le climat est apaisé et nous devons construire ensemble l'avenir par une application loyale et complète des textes qui ont été adoptés.
Le ministère de l'Économie tient désormais un rôle dans ce nouveau paysage, mais je revendique et j'assume pleinement mon rôle de ministre de tutelle auprès de votre profession, et je saurai l'exercer.
A ce titre, je veillerai à ce que les offices existants ne soient pas fragilisés et à ce que l'installation des nouveaux professionnels se déroule dans les meilleures conditions.
Monsieur le président, j'entends la critique que vous adressez, et que vous n'êtes manifestement pas le seul à adresser, au mode de désignation des nouveaux notaires arrêté par le gouvernement.
Je comprends que l'introduction d'un tirage au sort, que l'on a plutôt coutume d'invoquer pour les jeux de hasard, puisse apparaître inadapté au processus de nomination des notaires, détenteurs du Sceau de la République et garants de la sécurité juridique.
Votre critique doit toutefois, monsieur le président, être relativisée. En effet, le tirage au sort ne décide pas de la nomination. Son seul effet est de déterminer l'ordre dans lequel les milliers de demandes de créations d'offices parvenues à la Chancellerie sont instruites par les services. Pour autant, seules les personnes remplissant les conditions d'aptitude définies par les textes pour être notaires sont agréées et nommées par le garde des Sceaux, dont le contrôle sur ce point reste entier.
Le tirage au sort ne doit donc être vu que pour ce qu'il est, un moyen objectif de départager des personnes remplissant, par ailleurs, toutes les conditions légales et les compétences pour être nommées notaires.
Or, ces compétences sont acquises aux termes d'une formation exigeante, vous l'avez rappelé, monsieur le président. Ces compétences, comme vous le déclarez vous-même, sont éprouvées par sept années d'études supérieures. Outre, les compétences, l'honorabilité des candidats fait également l'objet d'un contrôle de la Chancellerie. Il est bien évident que le garde des Sceaux ne saurait nommer une personne, pourtant tiré au sort en rang favorable, si celle-ci ne présente pas toutes les garanties d'honorabilité que requiert la profession de notaire.
Ainsi, la qualité du recrutement des futurs officiers publics et ministériels n'est en rien remise en cause ni dégradée par le tirage au sort qui, je le rappelle, avait été proposé par le Conseil d'Etat lors de l'examen du projet de loi.
Je ne peux m'engager aujourd'hui ni vous promettre une révision de la méthode, tout comme je ne prétendrai pas non plus qu'elle ne sera jamais changée.
Pour l'heure, la situation est au bilan, la réforme n'est pas encore achevée, laissons-lui le temps d'exister avant de tirer ce bilan.
Monsieur le Président, vous évoquez également, et c'est une autre critique, le cas de notaires qui, à peine nommés, prétendraient revendre leurs offices sur les réseaux sociaux.
Mes services n'ont, à ce stade, pas été saisis de tels projets. Mais je veux vous assurer que je rejoins votre désapprobation à l'égard de ces agissements indignes de détenteurs de l'Autorité publique.
La Chancellerie se bat, en effet, pour défendre l'idée que le droit n'est pas une marchandise et qu'il ne saurait être question que la vénalité des charges soit d'une façon ou d'une autre rétablie.
Il n'est pas acceptable que les offices fassent l'objet d'un marché parallèle sur les sites de vente en ligne ou ailleurs.
L'exercice du droit de présentation suppose que l'office existe, comme vous l'avez rappelé, dans un local où la clientèle est reçue et qu'un chiffre d'affaires soit généré.
Dépourvu d'exercice, un office l'est nécessairement de sa valeur, et la finance du droit de présentation serait alors sans objet et sans cause.
Je ne vois pas comment le garde des Sceaux pourrait agréer une telle cession dans ces conditions.
Vous avez également, monsieur le président, posé la question du transfert d'office qui est facilité puisque, désormais, au sein d'une même zone de libre installation, le transfert d'un office d'une commune à une autre peut se faire librement, sans autre formalité qu'une déclaration auprès des Instances professionnelles, des Procureurs et de la Chancellerie.
Je sais que les notaires redoutent cette liberté faisant craindre un regroupement des offices dans les villes au potentiel démographique et économique élevé au détriment des zones rurales.
Vous avez cité Victor HUGO, je le cite également « Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité ».
Les notaires sont des personnes responsables qui ont à coeur l'intérêt du service public et la préservation du maillage territorial, je ne suis pas inquiète de ce point de vue.
Soyez toutefois assuré que la Chancellerie exercera une vigilance toute particulière à l'égard de ces transferts. La révision de la carte sera l'occasion de faire un état des lieux et d'en tirer les conséquences qui apparaîtraient nécessaires. La délimitation des zones de libre installation, notamment, n'est pas gravée dans le marbre, les leçons tirées de l'expérience seront un élément primordial d'amélioration du dispositif, et, donc, du maillage territorial.
Je ne peux que vous encourager à m'adresser toute information que vous jugeriez utile lors de l'élaboration de la prochaine révision qui devrait débuter au printemps prochain.
Abordant les questions tarifaires de la réforme, vous avez relevé, Monsieur le président, que le projet de loi dit de « droit à l'erreur » comportait des dispositions destinées notamment à clarifier l'articulation entre les nouveaux principes de régulation des tarifs des professions du droit.
La loi du 6 août 2015 prévoit en effet la prise en compte des coûts pertinents de la rémunération raisonnable et une possibilité de péréquation entre certains tarifs.
Une tarification acte par acte imposerait que soit mise en place une comptabilité analytique complète dans l'ensemble des offices avec une mesure précise du temps passé par les professionnels pour chacune de leurs prestations afin de déterminer les coûts pertinents de chacune d'entre elles.
Or, les travaux menés avec les professionnels ont fait apparaître les difficultés auxquelles seraient alors confrontés les offices.
Au contraire, la clarification qui sera apportée en faveur d'une approche globale permettra d'alléger de manière significative les contraintes administratives et comptables pesant sur les professionnels concernés et simplifiera la nature des données que ces professionnels devront transmettre au ministre de la Justice et de l'Économie dans le cadre du nouveau dispositif de régulation tarifaire.
Le décret tarifaire du 26 février 2016 a prévu que, dans l'attente du recueil des données économiques nécessaires, les tarifs pourraient être fixés à partir de ceux applicables avant l'entrée en vigueur du décret, dans la limite d'une variation de 5 %.
Cette mesure transitoire a permis au gouvernement de tarifer les prestations des professionnels du droit concernés selon une méthode globale de prise en compte des coûts pertinents et de la rémunération raisonnable sur la base du taux de rentabilité moyen de la profession concernée. Elle pourra être prolongée.
Tout en assumant, comme vous l'avez précisé, de réaliser des actes à perte, vous avez réitéré vos critiques vis-à-vis du plafonnement des émoluments à 10 % de la valeur de l'acte avec une rémunération minimale de 90 . Je ne reviendrai pas sur les objectifs de cette mesure, résultat d'un compromis. La prochaine phase de révision des tarifs sera l'occasion, là aussi, d'en évaluer les effets réels et de tirer toutes les conséquences qui apparaîtraient alors nécessaires.
Vous avez également, monsieur le président, et je change de sujet, évoquer la réforme de la formation, que tout me conduit à soutenir.
Si le projet de mise en place d'une voie unique d'accès à la profession mérite encore d'être mûri entre notaires et universitaires, le projet de l'instauration d'un établissement unique à la tête d'un réseau régional de formation initiale est actuellement en cours de préparation à la Chancellerie.
J'ai conscience que le projet a été maintes fois reporté du fait de l'actualité chargée qui mobilise le Ministère.
Je m'engage à accélérer cette réforme afin que le texte puisse être publié, au plus tard, au cours du premier semestre 2018.
J'ai même dit semestre alors que mes services m'avaient dit trimestre, donc, premier trimestre, au plus tard premier semestre.
La modernisation de votre profession conduit également à développer les liens avec les professions voisines : avocats, avocats au Conseil d'état et à la Cour de cassation, commissaires-priseurs judiciaire, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires, conseils en propriété industrielle et experts comptables peuvent être, depuis 2011, vos partenaires financiers. Ils peuvent désormais également être des partenaires d'exercice.
Monsieur le président, vous avez noté des imprécisions qui seraient de nature à nuire à la mise en oeuvre de la structure pluriprofessionnelle d'exercice, notamment quant à la question de l'assurance de responsabilité civile professionnelle. Un dialogue a d'ores et déjà été noué entre le Conseil Supérieur et mes services afin de clarifier au plus vite ces questions et d'y apporter les réponses adaptées.
Après vous êtes adressé à la garde des Sceaux, vous vous êtes tourné, monsieur le président, vers la ministre de la Justice à laquelle vous avez adressé vos propositions, notamment de déjudiciarisation ou de simplification.
Je reconnais que c'est un exercice habile sur le plan rhétorique, ma double qualité de garde des Sceaux et de ministre de la Justice imposait des revendications nécessairement doubles. Mais, pour ma part, comme je ne suis pas Janus, je vais vous répondre simplement sur l'ensemble de ces sujets.
Vous évoquez l'actualité la plus brûlante en matière familiale avec le divorce par consentement mutuel sans le juge.
Les critiques récurrentes adressées à l'encontre des procédures judiciaires, et notamment leur durée, ont amené le gouvernement à s'interroger sur la nécessité d'un recours systématique au juge pour les divorces à l'amiable. Ainsi, le Parlement a adopté le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle en octobre dernier qui prévoit un nouveau cas de divorce par acte sous signature privée, contresigné par avocat, avec dépôt de cet acte au rang des minutes d'un notaire afin de lui conférer date certaine et force exécutoire.
Bien entendu, il s'agit de répondre à un objectif de simplification et de permettre une reconnaissance rapide de la décision des époux quant à leur divorce.
L'immixtion du juge dans le pouvoir décisionnel des couples qui se séparent en bonne entente était en effet tout à fait réduite et peut-être inutile. Mais cette déjudiciarisation, c'est aussi un choix clair, fait dans le contexte alarmant décrit en 2014 par la Commission européenne pour l'évaluation de la justice sur la justice civile.
Il s'agit, donc, effectivement, de recentrer le juge sur ses missions essentielles, ce qui participe d'une vision lucide de son office. Au fond, le choix et l'objectif consistaient à recentrer le juge sur les situations de déséquilibre patent.
C'est bien sûr un exercice de responsabilité dans le contexte budgétaire actuel, mais il serait bien trop réducteur de se limiter aux contraintes budgétaires, au désengorgement des tribunaux et à l'impératif de diminution des délais de procédure pour comprendre ces objectifs.
En fait, l'enjeu était aussi ailleurs, il réside dans les attentes de nos concitoyens à l'égard de la justice. Qu'attendent-ils donc ?
Dans une enquête réalisée il y a quelques années par la Chancellerie, si 55 % des français déclaraient avoir confiance dans la justice, 87 % d'entre eux estimaient que la justice avait besoin d'être réformée. Il s'agit donc, et c'est ce pourquoi je veux m'engager profondément, de moderniser la justice, de répondre aux attentes et besoins de nos concitoyens et d'adapter, par exemple, les missions du juge des Tutelles et du juge aux Affaires familiales, vos interlocuteurs privilégiés, en fonction, et de l'évolution sociale, et des avancées technologiques, dont le ministère de la Justice doit se saisir.
L'enjeu est de taille. Améliorer le temps de traitement des dossiers contentieux, bien évidemment, mais aussi mieux appréhender dans certains dossiers, les problématiques de violence conjugale ou de radicalisation de l'un des parents, améliorer la circulation des informations avec le juge des Enfants ou avec le juge Civil, mieux échanger avec vous, les notaires, avec les avocats, les enquêteurs sociaux, maintenir de la collégialité sur les dossiers les plus complexes, tout cela ce sont des éléments de transformation de la justice.
Transformer la justice, je voudrais le redire ici, ne doit pas conduire à un désengagement de l'état, dont le rôle, en cas de conflit ou d'atteinte à un droit fondamental, doit être réaffirmé, mais il s'agit bien plutôt d'offrir à chacun, d'une part une justice de qualité, et d'autre part une solution juridique apaisée lorsque l'intervention du juge n'est pas indispensable, du fait, par exemple, de l'existence du consensus familial.
Vous évoquiez à l'instant, monsieur le président, le Général de GAULLE, et j'entends votre appel à s'appuyer davantage encore sur cette troupe, pleine d'allant et de juristes aguerris, qui est aujourd'hui présente face à nous.
Il faut effectivement sortir de l'adage populaire « un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès ». L'enjeu est bien d'articuler une justice de qualité et l'intervention hors du champ judiciaire, en amont et en aval des décisions de justice, de professionnels du droit fiables et compétents.
Conjuguons nos efforts pour poursuivre ensemble la dynamique engagée avec J21, de rendre la justice plus lisible, plus accessible et plus simple.
Et je vous demande, monsieur le président, de m'en excuser par avance, je ne vous suivrai toutefois pas lorsque vous affirmez que la réforme du divorce par consentement mutuel est une occasion ratée.
S'il n'y a pas besoin d'un juge pour superviser chaque famille en voie de séparation à l'amiable, il est nécessaire, en tout cas c'est ce qui a semblé important au Parlement, que les deux parties bénéficient chacune de l'assistance d'un avocat, ce qui permet de garantir un équilibre, et qu'elles bénéficient également de l'intervention du notaire qui va conférer date certaine et force exécutoire à la convention de divorce.
La complémentarité et la spécificité de chacune des professions sont ici parfaitement illustrées. Cette réforme du divorce par consentement mutuel impose donc un renforcement des liens entre les professions du droit auquel le gouvernement est particulièrement sensible. Cela suppose de nouvelles méthodes et de nouvelles pratiques, et j'invite dans ce cadre les notaires, à faire valoir leur singularité.
Vous évoquez d'ailleurs les liens étroits qui existent sur le terrain entre tous ces acteurs. Je le confirme puisque, par exemple, une charte de bonne pratique a été signée le 10 juillet 2017 au TGI de Nanterre par les représentants du Barreau et de la Chambre départementale des notaires en présence du président du TGI de Nanterre. C'est sans doute là un exemple à suivre.
Mais, au-delà de cette question, du divorce par consentement mutuel, sur laquelle je reste évidemment attentive à ce que vous pourrez m'en dire, rappelons les simplifications récentes auxquelles le Conseil supérieur du notariat n'est d'ailleurs pas étranger, et qui ont trait, vous l'avez rappelé, à l'option successorale, aux successions vacantes et à la procédure d'envoi en possession.
Mes services ont, par ailleurs, commencé à travailler sur d'autres pistes de simplification comme celles que vous suggérez. Simplification de la procédure de changement de régime matrimonial, mais également suppression de l'autorisation préalable du Juge des Tutelles pour le partage amiable à l'égard d'une personne protégée, recueil du consentement des époux ou concubins recourant à une assistance médicale à la procréation nécessitant l'intervention d'un tiers donneur exclusivement par le notaire, etc. Je pourrais citer d'autres exemples en ce sens.
Plus largement, la protection juridique des personnes vulnérables est devenue un enjeu de société majeur concernant un nombre croissant de personnes, du fait, et c'est heureux, de l'allongement de l'espérance de vie.
Il y a dix ans, le 1er mars 2007, une loi ambitieuse réformait la protection juridique des majeurs vulnérables. Cette réforme, mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2009, a introduit en droit français les principes fondamentaux de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité des mesures de protection.
En outre, une nouvelle mesure, l'habilitation familiale, a été instituée par l'ordonnance du 15 octobre 2015. A ce jour, près de 5 000 demandes ont été formées, ce qui dénote le succès de ce nouveau dispositif.
Le mandat de protection future que vous avez cité a permis de rééquilibrer les rôles des professions concernées en matière de protection des personnes vulnérables, et, là encore, votre profession s'est fortement impliquée en assurant en 2016 une campagne nationale d'information sur ce dispositif.
Je note à cet égard votre appel à une revalorisation du tarif de ces mandats. La question sera étudiée selon les modalités que j'ai rappelées. Mais il faut aller plus loin et les prochains mois vont nous conduire à engager des travaux sur la protection juridique des majeurs afin de répondre aux problématiques concrètes des personnes vulnérables et de leurs familles. Ainsi, en dépit des mesures de dispense et d'assistance résultant des lois de 2007, le contrôle des comptes de gestion représente notamment une tâche particulièrement lourde. Une modification du régime de la vérification de ces comptes permettra d'en assurer un contrôle plus efficace. Les notaires, qui ont l'avantage d'être familiers de la protection des majeurs, ont toute leur place, bien évidemment, dans cette réflexion.
Le ministère de la Justice, et en premier lieu la Direction des affaires civiles et du Sceau, poursuit donc ces réflexions pour faire davantage intervenir les services et les professions ayant une compétence particulière en matière familiale et répondre à vos préoccupations.
J'ai bien noté à cet égard vos préoccupations en matière de certificat successoral européen. Mais la manière dont les professions du droit se sont emparées des récentes réformes guidera inévitablement les réflexions que nous pourrons conduire. Il s'agit donc d'un véritable défi pour les praticiens du droit.
L'année a été riche dans le domaine du droit des personnes et de la famille, et celle qui s'annonce sera donc au moins aussi prometteuse avec votre concours.
En conclusion, monsieur le président, mesdames et messieurs, je voudrais souligner le dynamisme de votre profession.
Ce dynamisme est réel, toujours en résonance avec les enjeux du débat public contemporain.
Ce Congrès, le 113e depuis sa création en 1891, et le thème que vous avez choisi, « Familles, Solidarités, Numérique », annoncé en écriture 2.0, en sont la preuve.
Vous avez indiqué, monsieur le président, il y a quelques jours dans la presse locale, que le congrès des notaires permet de faire avancer le droit.
Je partage votre conviction, et je peux vous assurer que les propositions adoptées lors de ce congrès feront l'objet d'un examen extrêmement attentif et approfondi par mes services et seront l'occasion de renforcer encore le dialogue entre le Ministère et les représentants de votre profession.
J'ai également compris à quel point vous pouviez jouer un rôle essentiel avec l'action internationale que vous conduisez en lien avec la politique que je souhaite développer liée à l'attractivité du droit français.
Vos diverses actions constituent un appui précieux pour l'affirmation de cette politique, corolaire indispensable de notre développement économique.
Enfin, lors de notre rencontre, monsieur le président, au ministère de la Justice, je ne vous ai pas caché mon vif intérêt pour la qualité des services offerts par votre profession en matière numérique.
La transformation numérique de la justice est une priorité majeure de mon action à la tête de ce ministère, et je sais que je peux compter sur le soutien des notaires qui sont devenus des acteurs de confiance de premier plan en matière d'identification et de signature électronique.
Comme souvent, les notaires signeront, donc, de façon emblématique, l'avenir des professions du droit. Ce congrès des notaires de France en portera, j'en suis certaine, la trace féconde, ce dont, monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie très sincèrement.
Source http://www.congresdesnotaires.fr, le 6 février 2018