Interview de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, à Europe 1 le 14 décembre 2001, sur la condamantion de la France par Cour de justice des communautés européennes à lever son embargo sur l'importation de viandes bovines britanniques, le plan d'aide aux éleveurs de bovins et l'éventualité d'une candidature de Lionel Jospin à l'élection présidentielle.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - Avec l'euro, c'est indéniablement un grand jour pour l'Europe aujourd'hui. Pourtant, aucun Etat ne paraît oublier ses intérêts nationaux. Les Anglais pavoisent - pas à cause de l'euro, ils n'en veulent pas encore - : la Cour de justice de l'Europe a condamné la France à lever son embargo sur la viande britannique. Est-elle toujours aussi peu sûre ou est-elle devenue sûre, la viande anglaise ?
- "Cette décision de la Cour de justice des communautés européennes, pour l'instant, nous en prenons acte. On va étudier aussi attentivement que possible, cet arrêt et ses conséquences. Ce que je peux vous dire, c'est qu'en tout état de cause, la décision qu'on devra prendre sera fondée uniquement sur le respect du principe de précaution qui a constamment guidé notre action. C'est-à-dire que la décision qu'on prendra, on la prendra en fonction de la nécessaire protection des consommateurs français. Et pour répondre clairement à votre question, je dirais que c'est justement toute la question. On n'en sait trop rien, puisque les informations qu'on a sur l'épidémie en Grande-Bretagne sont encore très contingentées. En particulier, il faut savoir que l'Europe entière s'est mise à tester systématiquement ses bovins de plus de 30 mois avant de les mettre à la consommation. Tout le monde le fait, sauf le Royaume-Uni. Ce qui fait que la vue épidémiologique sur la situation en Grande-Bretagne est très réduite."
Donc, on n'est pas pressé pour la décision ?
- "En tout état de cause, on va regarder cela de près. C'est la protection des consommateurs français qui nous guidera."
Donc, européens, oui, mais d'abord français ?
- "Oui, européens, mais en défendant nos intérêts nationaux. Face au Royaume-Uni, nous n'avons pas de complexe à avoir sur ce terrain-là. L'Europe, ce n'est pas l'abandon des intérêts nationaux."

Oui, mais vous voilà, vous, messieurs Chirac, Jospin, Védrine, Fabius, hors-la-loi ?!
- "Oui, mais hors-la-loi, cela veut dire que sur un point particulier, on est condamnés. En même temps, si vous regardez l'arrêt de la Cour hier, il condamne presqu'autant la Commission européenne que la France. La preuve, c'est qu'ils ne nous demandent pas de payer les frais de jugement dans la totalité. Ils demandent à la Commission, qui n'était pourtant pas du tout accusée dans cette affaire, de payer une part des frais de justice. Ils considèrent que la Commission n'a pas mis la France totalement en situation..."
Autrement dit, il n'y a pas de gros risques à dire "non !" à Bruxelles ...
- "Non, je n'ai pas dit cela. J'ai dit que pour l'instant, on va regarder les choses tranquillement, sereinement. Et on va le faire uniquement en fonction de la protection des consommateurs français."
Comme dit la FNSEA : "Vigilance".
- "Vigilance, je partage ce sentiment."
Près de la moitié des 100.000 éleveurs de bovins est toujours dans une situation précaire. La consommation n'a pas repris. Ils attendaient de votre part des mesures d'aides et vous dites qu'il faut attendre le 7 janvier. Pourquoi cela va-t-il encore traîner ? Est-ce que vous, les cadeaux, vous ne les faites pas pour Noël, mais plutôt début janvier ?
- "Ce ne sont pas "des cadeaux", parce que la situation des éleveurs bovins est particulièrement dramatique - en tout cas de certains éleveurs - et c'est bien tout le problème. Non. Ce qui s'est passé, c'est qu'on a eu hier une table-ronde, une réunion de travail. J'ai proposé aux organisations professionnelles agricoles un plan en quatre volets ; ils ont accepté la structure de ce plan. Je leur ai ensuite dit que pour chacun des volets de ce plan, ce qui me souciait, c'était non pas de saupoudrer sur tous les éleveurs, mais de cibler sur ceux qui avaient le plus souffert de la crise. Ils ont accepté ce principe et on a commencé à parler des critères de ciblages."
Vous avez commencé à compter. Est-ce que votre engagement financier, celui du Gouvernement, sera substantiel ? Avez-vous une idée du montant de l'enveloppe ? Pour les rassurer ....
- "J'en ai une idée encore très approximative, car justement, nous avons donc arrêté... On a progressé hier dans un certain nombre de domaines et on est encore loin d'avoir arrêté les détails."
Mais ce sera autour de quel ordre ?
- "Les discussions reprennent aujourd'hui, donc on est dans une logique très constructive avec les organisations professionnelles agricoles, toutes les organisations professionnelles, y compris la FNSEA. Donc, on travaille encore aujourd'hui, dans les jours qui viennent. Et sur la base de l'accord que je recherchais avec eux, qui maintenant me paraît à portée, compte tenu de ce qu'on a décidé hier, on pourra décider vite avant la fin de l'année et annoncer début janvier le plan. En tout état de cause, cela ne provoquera aucun retard dans le paiement des aides qui interviendront à la fin du mois de février."
Ils n'ont pas à être inquiets, c'est ce que vous leur dites ?
- "Non, non. De toute façon, ce petit contretemps, qui n'est au fond que le temps nécessaire pour se mettre bien d'accord tous ensemble, n'entraînera aucun retard sur le plan d'aides. On a pris un engagement et on le tiendra."
Au passage, le Crédit Agricole est coté aujourd'hui en Bourse, il y a plus de 2,5 millions d'actionnaires individuels qui ont répondu à l'appel. Est-ce une conversion au capitalisme vert ? En tout cas, qu'en pensez-vous ?
- "Ce que j'en pense, c'est que c'est une décision prise par le Crédit Agricole lui-même, et en particulier par toutes ses caisses régionales, et en particulier par les agriculteurs eux-mêmes. Les caisses régionales sont des caisses administrées par des conseils d'administration, composés d'agriculteurs.."
Mais c'est bien ou pas ?
- "Et ils ont pris cette décision. S'ils l'ont prise, collectivement, à l'unanimité dans toutes les caisses régionales, c'est qu'ils considèrent que c'est bien pour eux. Et donc, le Gouvernement a donné son agrément, son feu vert, à ce que demandait le crédit Agricole et donc tout se passe harmonieusement."
On parle un peu de politique. Croyez-vous que les Français - je sais que vous aimez cela, et vous l'avez montré à travers le livre que vous avez publié, "Politique folle" chez Grasset, on y reviendra - vont choisir d'envoyer à l'Elysée celui qui sait faire preuve le mieux du "geste auguste du semeur" ?
- "Je crois que les Français enverront à l'Elysée un profil que je vois assez bien : ils veulent un homme ou une femme, intègre, à l'abri de toutes les suspicions ; ils veulent, je crois, un homme ou une femme honnête, transparents. Ils veulent un Président-citoyen qui ne bénéficie d'aucun privilège. Je crois qu'ils veulent un homme de conviction, qui ne change pas d'avis tout le temps, mais qui a des idées claires et qui se tient à ses idées. Et puis, peut-être qu'ils veulent aussi un homme qui sait vouloir le changement et l'organiser, et non pas quelqu'un qui concède le changement ou qui le subit. Donc, c'est un peu tout cela que les Français vont vouloir."
Et vous en avez un comme ça, à gauche ?
- "Oui, je pense qu'on en aura un, on aura un candidat le moment venu, sûrement."
Est-ce que, si vous étiez directeur de campagne du prochain candidat probable, Jospin - si -, vous resteriez dans le Gouvernement ?
- "Je vais vous répondre aussi précisément que possible : si L. Jospin est candidat, quand il le sera, il sera en campagne, et quand il sera en campagne, il nommera un directeur de campagne. Et si cela devait être moi, j'aviserai. Voilà, je n'en dirai pas plus. On verra le moment venu."
C'est-à-dire qu'il y a les deux hypothèses : vous pourriez rester, partir ? La morale, c'est de partir ?
- "Les deux hypothèses sont : est-ce que ça sera moi ou pas ? Je n'en sais rien."
Vous qui avez travaillé aux côtés de F. Mitterrand, comment aideriez-vous éventuellement L. Jospin ?
- "De toute façon, vous savez, quelle que soit la place que j'aurai dans la campagne, je l'aiderai de toutes mes forces, parce que je pense que c'est un beau combat politique et que les socialistes seront tous rangés derrière L. Jospin, et donc moi le premier."
Vous dites "tous les socialistes". Là, on entend dire que L. Fabius n'aurait pas de rôle pendant cette campagne électorale ? Alors, il y en quelques-uns qui resteront sur la touche ? Pourquoi ?
- "Cela n'a pas de sens ! L. Fabius aura un rôle majeur dans la campagne électorale, bien évidemment ! Et L. Jospin, et F. Hollande, et nous tous, on doit tous se rassembler dans une équipe. Je pense qu'aujourd'hui, les Français voient bien que du côté socialiste, il y a une équipe de gens sérieux, au travail et dans une dynamique collective, face à une droite qui, comme vous le savez très bien, est très divisée, se répartit les postes et se bagarre sur la répartitions des postes, ou se bagarre pour savoir s'il faut créer une Union dite "en mouvement" ou des partis en paralysie ? Nous, nous formons une équipe. Il est hors de question de laisser qui que ce soit en-dehors de l'équipe. Je peux vous dire que L. Fabius et ses amis, en tout cas c'est ma conviction profonde, auront une place essentielle."
Vous voyez que vous parlez déjà comme le directeur de campagne !
- "Ah, J.-P. Elkabbach, vous voyez que vous avez toujours trois mois d'avance..."
Merci de le confirmer. Et à ce moment-là se posera le problème
moral : peut-on être directeur de campagne - cela vaut pour vous comme pour d'autres dans des fonctions importantes - et en même temps ministre ?
- "Vous avez raison de poser cette question. Quand elle se posera, je saurai ce que ma morale m'imposera de faire."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 décembre 2001)