Texte intégral
Q - Quel jugement portez-vous sur ce qui s'est passé vendredi soir à Bardonecchia ?
Je crois qu'il s'agit d'un incident malheureux, né d'un malentendu entre les douaniers français et les chemins de fer italiens sur l'usage de ce local dans la gare de Bardonecchia. En l'état des informations dont nous disposons, nous savons qu'une équipe ferroviaire des douanes françaises a réalisé sur une personne, ressortissant nigérian résidant en Italie, un contrôle visant à prévenir le trafic de stupéfiants. Il s'agissait d'un contrôle douanier de routine mais les conditions dans lesquelles il s'est déroulé ont été vécues, de ce côté-ci des Alpes, comme une atteinte à la souveraineté italienne, ce qui a suscité une très grande émotion. Depuis vendredi j'ai suivi personnellement les développements de ce dossier, j'en ai informé le Président de la République et des contacts étroits ont eu lieu avec le gouvernement italien. La France est très attachée à la coopération avec l'Italie et je veux souligner l'excellence de notre coopération douanière, au bénéfice des deux pays. Je l'ai dit, l'Italie est un partenaire essentiel, une nation soeur : il n'a jamais été question d'attenter d'une quelconque façon à sa souveraineté.
Q - Pensez-vous que les quatre douaniers français, qui évidemment étaient en train de faire leur travail, auraient pu interpréter leur mission avec un style différent, plus respectueux des droits du ressortissant nigérian résident régulièrement en Italie, du travail de l'ONG Rainbow4Africa, et de la souveraineté italienne ?
Je crois que les douaniers français ont fait leur travail d'une façon rigoureuse, respectueuse du droit et de notre cadre de coopération. La personne contrôlée a donné son consentement écrit pour se soumettre au test urinaire. Nos douaniers ont préféré le réaliser dans le local à l'arrivée en gare de Bardonecchia plutôt que dans le train, pour préserver l'intimité de la personne. Ils ont demandé à l'association présente dans le local de leur en permettre l'accès, ce qui, à ma connaissance, ne leur a pas été refusé. Le rapport de service ne mentionne aucune sortie d'armes, contrairement à ce que j'ai pu entendre. Dans nos procédures, les sorties de l'arme au poing ne sont autorisées que pour faire face à une situation dangereuse. A ma connaissance, cela n'a pas été le cas en l'espèce. Évidemment, au regard de l'émoi qu'a suscité ce contrôle, j'ai demandé de suspendre toutes nos opérations transfrontalières dans cette zone, le temps de trouver avec les autorités italiennes une solution opérationnelle qui satisfasse tout le monde.
Q - Les faits de Bardonecchia arrivent après le cas de Beauty, la migrante nigérienne refoulé par la France sur le col de l'Echelle et décédée à l'hôpital de Turin après avoir accouché. S'agit-il d'une coïncidence ou la politique de la France vers les migrants est en train de se durcir ?
L'incident de Bardonecchia n'a strictement rien à voir avec la politique migratoire. Le contrôle opéré par les douaniers français visait strictement la lutte contre le trafic de stupéfiants. La présence d'une ONG d'aide aux migrants dans le local a conduit à des amalgames qui n'ont pas lieu d'être. La question de la circulation des personnes à travers notre frontière commune est par ailleurs un vrai sujet. La France et l'Italie coopèrent de manière étroite pour éviter les drames humains. Les ministres de l'intérieur sont en contact permanent sur ce sujet.
Q - Les attaques terroristes et la crise des migrants ont poussé la France à suspendre l'application du Traité de Schengen. La dernière prorogation de la suspension, qui date de novembre 2017, est sur le point d'expirer. Que va t-il se passer après ?
La France a une nouvelle fois été durement frappée le 23 mars par une attaque terroriste à Carcassonne et Trèbes, revendiquée par Daech, qui a fait 4 morts et 15 blessés. La menace terroriste reste donc omniprésente. Pour lutter efficacement contre cette menace, la France a eu recours à plusieurs reprises ces dernières années au rétablissement des contrôles sur l'ensemble de ses frontières nationales. Le droit européen le permet, précisément en cas de menace terroriste. Ce n'est en rien une suspension du Code frontières Schengen, c'est au contraire la mise en oeuvre de son article 25. Etant donné que le niveau de la menace n'a pour le moment en rien diminué, le gouvernement français souhaite à ce stade pouvoir continuer de recourir aux contrôles à nos frontières nationales. La France l'a notifié la semaine dernière à la Commission européenne.
Q - Après les malentendus de l'été dernier, France et Italie ont annoncé la signature prochaine d'un Traité du Quirinal. Est-ce que ce projet a vocation à être poursuivi ? Et avec quel timing ?
Le traité du Quirinal proposé en septembre par le Président de la République et le Président du Conseil, lors du dernier sommet bilatéral, est la reconnaissance de l'importance et de la spécificité de notre relation. Nous devons en tirer tout le potentiel. Notre proximité nous conduit trop souvent à penser que les choses vont de soi, ce qui peut mener à des malentendus. Le souhait de la France est que notre relation soit mieux structurée et plus ambitieuse. Le Traité du Quirinal vise précisément à renforcer les échanges et les canaux de communication pour prévenir toute difficulté et agir plus efficacement. Des personnalités indépendantes ont été désignées pour contribuer à son élaboration. Elles travaillent. Il appartiendra au prochain gouvernement italien de se prononcer. Mais je sais que notre ambition commune restera, car une bonne relation bilatérale est indispensable pour nos deux pays et nécessaire pour l'Europe.
source https://it.ambafrance.org, le 27 avril 2018