Déclarations de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur l'insertion des plus démunis et sur le plan pauvreté - précarité pour l'hiver 1993-1994, Paris les 17 octobre et 3 novembre 1993,

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Circonstance : Journée mondiale du refus de la misère le 17 octobre, présentation du plan d'urgence pour l'hiver le 3 novembre 1993

Texte intégral

(Journée mondiale du refus de la misère – 17 octobre 1993)
Madame la Présidente,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire Général,
Monsieur le Directeur Général,
Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi un grand honneur et une grande responsabilité d'être parmi vous aujourd'hui et de représenter le gouvernement français. Sa volonté et son devoir sont d'oeuvrer résolument pour aider les plus démunis, qu'ils soient en France ou dans le reste du monde. Il entend encourager tous ceux qui sont animés par la salutaire révolte du coeur et de l'esprit contre le scandale de l'indifférence à autrui. C'est aussi une grande joie d'être aujourd'hui sur ce parvis, six ans après avoir moi-même dévoilé la Dalle à l'honneur des victimes de la misère, en présence du Père Joseph WRESINSKI, le 17 octobre 1987.
Je veux d'abord m'adresser à ceux qui inlassablement, depuis 6 ans, répercutent à travers le monde le message gravé sur cette Dalle. Ceux qui lui ont donné force et ampleur en se rassemblant nombreux et en portant témoignage. Le résultat est là : cette "journée mondiale du refus de la misère" est reconnue par les Nations-Unies, et la France a beaucoup agi pour cette reconnaissance. Mon pays continuera à porter cette journée à travers le monde, en fidélité à la façon dont vous l'avez fait vivre jusqu'à présent.
Je veux aussi et surtout bien-sûr, m'adresser aux personnes et familles quotidiennement confrontées à des conditions de vie très difficiles.
A de nombreuses reprises, j'ai pu réfléchir et travailler avec le Père Joseph WRESINSKI et certains d'entre vous. La dernière fois, c'était il y a quelques semaines à Noisy-le-Grand, dans la cité d'accueil d'ATD Quart Monde. Nous nous connaissons.
Vous qui vous battez tous les jours pour vivre, vous qui avez l'expérience d'être privés de tout, jusqu'à même ne plus avoir les moyens d'élever vos enfants,
Vous qui vous engagez aux côtés des plus démunis dans les associations et les mouvements dont beaucoup sont présents ici,
Vous, qui avez reçu le mandat de veiller à la mise en place d'un ensemble de moyens concrets, afin que tous, soient pris en compte au travers des politiques nationales, régionales et locales, nous sommes tous ensemble "des défenseurs des droits de l'homme et du citoyen" pour reprendre les mots de la Dalle.
Nous avons la responsabilité d'inventer et de mettre en place des moyens suffisants, à l'échelle de nos pays, dans tous les domaines, afin que chacun puisse agir librement pour son propre bien, celui de sa famille et celui des autres. C'est ainsi que le gouvernement que je représente compte s'attaquer aux difficultés des familles les plus pauvres ; je ferai des propositions dans le projet de loi sur la famille qui sera présenté au printemps au Parlement. Dans quelques jours je présenterai le plan d'hébergement pour l'hiver qui doit nous permettre d'aider les plus pauvres à trouver un abri lors des grands froids.
Nous disposons aujourd'hui, en France, de plusieurs outils pour lutter contre l'exclusion et la grande pauvreté. Le plus important d'entre eux, le Revenu Minimum d'Insertion, permet aujourd'hui à des centaines de milliers de personnes de vivre dans la dignité. Mais il faut faire plus. Il faut aider tous ceux qui le veulent à se réinsérer. L'ensemble des collectivités locales, des associations, des agents de l'Etat mais aussi l'ensemble des forces économiques du pays doivent de se mobiliser encore davantage pour multiplier les actions en faveur de l'insertion.
La situation d'une partie de la jeunesse me préoccupe beaucoup aujourd'hui. Des dizaines de milliers de jeunes n'ont plus de logement fixe, ne se font plus soignés et n'ont bien-sûr pas d'emploi. Il est de notre devoir à tous d'inventer et de promouvoir de nouvelles occasions pour eux d'apprendre un métier, d'apprendre les contraintes et les joies d'un emploi stable. Le dispositif des fonds d'aide aux jeunes doit permettre d'accompagner les projets de tous ceux oeuvrant en faveur des jeunes en grande difficulté. Il est insuffisamment utilisé aujourd'hui et je compte promouvoir son développement, dans l'ensemble du pays.
Il n'y a pas d'insertion réussie sans la possibilité de se faire soigner et d'accéder à un logement. Le gouvernement le sait et a déjà pris des premières mesures. Mais il reste, je le sais, beaucoup à faire.
Vous l'avez compris, je souhaite donner un nouveau souffle au dispositif d'insertion de mon pays.
Il faut avoir eu faim et froid, il faut avoir souffert dans son coeur et dans son corps pour mesurer ce que représentent vraiment une main secourable, une parole d'humaine compassion, pour mesurer ce que représente le fait de rencontrer quelqu'un qui vous juge capable d'être utile aux autres et capable d'apprendre. Ces gestes ont un prix particulier quand ils sont accomplis dans le respect de la dignité de ceux et celles auxquels ils s'adressent. Cela a toujours été la marque particulière de l'action d'ATD Quart Monde en faveur des plus déshérités.
Quand des hommes et des femmes vivent des situations inhumaines, quelle qu'en soit la cause, ils pensent, toujours, être abandonnés par tous. Mais je sais, comme vous-même le savez, que même dans la misère, les femmes et les hommes qui la subissent, refusent, par leurs paroles et par leurs actes, leur situation. C'est leur honneur.
Mesdames, Messieurs, chacun à nos places, nous menons le même combat, pour l'Homme, pour tous les hommes, mais d'abord et en priorité pour les hommes et les femmes souffrant, marginaux ou exclus, malheureusement si nombreux désormais autour de nous.
Le gouvernement français s'engage par ma voix dans un combat contre la misère et la souffrance et pour la dignité.
Sachons, tous ensemble, la gagner !
(Pauvreté-précarité. Plan d’urgence pour l’hiver – 3 novembre 1993)
Mesdames et Messieurs.
Je vous ai réunis aujourd'hui pour vous présenter le Plan pauvreté-précarité pour l'hiver 1993/1994.
Il s'agit là d'un dispositif spécifique d'accueil des plus démunis, qui est très important à mes yeux.
Je voudrais donc insister, aujourd'hui, sur les éléments les plus novateurs du plan qui vous est présenté.
Je souhaite également rappeler, plus exactement expliciter, la place du dispositif pauvreté-précarité pour l'hiver, dans l'ensemble de l'action que mène mon département ministériel pour les plus démunis.
Commençons, si vous le voulez bien, par présenter les grandes lignes du Plan pauvreté-précarité pour l'hiver 1993/1994.
Il existe une priorité absolue : pouvoir accueillir, à tout moment de l'hiver, les personnes qui n'ont pas de domicile stable, pas d'abri.
A tout moment de l'hiver, cela veut dire quelles que soient les conditions météorologiques.
Nous pouvons, cette année, avoir à faire face à un hiver comme ceux que nous avons eus depuis plusieurs années, c'est-à-dire à un hiver je dirai "normalement froid".
Mais, nous ne devons pas écarter pour autant l'éventualité d'un hiver plus rigoureux que la moyenne.
Il faut donc nous organiser pour pouvoir gérer, le cas échéant, une période prolongée de très grand froid -qui pourrait durer, pour donner un ordre de grandeur, environ un mois-. Mais nous devons également pouvoir héberger toutes les personnes qui en ont besoin pendant quelques jours seulement, si, par exemple, comme cela s'est produit il y a cinq ou six ans, nous avions dans la capitale plusieurs jours de neige abondante.
Cet objectif étant posé, le dispositif repose sur différents principes.
1) D'abord, c'est au niveau départemental que doit être assurée la gestion du plan pour l'hiver. C'est en effet dans le cadre du département, mieux qu'au niveau régional, et bien sûr, qu'au niveau national que l'on peut recenser l'ensemble des capacités, des initiatives et des bonnes volontés permettant d'organiser et de gérer le dispositif pour l'hiver.
2) J'ai ensuite souhaité que toute cette opération soit menée avec le concours actif du monde associatif et notamment avec les associations de solidarité, qui jouent un rôle tout-à-fait irremplaçable.
Et je tiens ici à leur rendre publiquement hommage, pour le travail exemplaire qu'elles accomplissent, sur le terrain, dans des conditions parfois difficiles, au service de populations durement éprouvées par la crise économique.
3) Il conviendra aussi que les actions menées par l'Etat soient pleinement articulées avec celles que conduisent pour leur part les collectivités locales et notamment les communes, qui font tous les ans et feront cette année encore, un effort tout particulier pour héberger les populations les plus démunies.
4) Je viens de signer une circulaire aux Préfets précisant les priorités du plan hiver 93/94.
S'agissant d'abord des capacités d'hébergement, j'ai demandé aux Préfets de prendre les dispositions permettant de faire face aux différentes conditions météorologiques possibles.
Je leur ai notamment demandé de dégager, en faisant appel notamment aux services extérieurs de l'Etat dans les départements, les capacités d'hébergement qui pourraient s'avérer nécessaires, en particulier en cas de très grand froid et de froid exceptionnel.
5) J'ai enfin demandé aux Préfets de mettre en place un système d'information approprié.
Cette information doit bien sûr permettre de toucher en priorité les personnes qui sont elles-mêmes susceptibles de demander un abri : mais nous savons bien que ces personnes sont le plus souvent informées par le bouche à oreille, par des associations de solidarité ou les travailleurs sociaux.
Nous devons donc faire en sorte de diffuser largement l'information en direction des associations de solidarité et de l'ensemble des travailleurs sociaux.
C'est à leur intention que sera mis en place un dispositif d'information et d'orientation ouvert tous les jours jusqu'à 23 heures au moins, soit dans les préfectures, soit dans les directions départementales des affaires sanitaires et sociales, soit dans les locaux de tout autre organisme agréé à cette fin.
Dans les grandes agglomérations, un numéro vert pourra en outre être mis en place, avec l'accord des mairies.
6) Dans les grandes agglomérations également, pourront être montées des actions permettant d’aller au-devant des populations qui sont dans la rue.
7) L'Etat assurera le financement du dispositif au travers des crédits "pauvreté-précarité". 40 MF sont prévus à cet effet. S'ajouteront à ces crédits, les 55 MF consacrés au financement des associations de solidarité au travers des "conventions d'objectifs".
Cet effort financier se double d'une mobilisation exceptionnelle de toutes les administrations, de toutes les entreprises et établissements publics susceptibles de nous aider, c'est-à-dire en particulier la SNCF, la RATP, Aéroports de Paris et l'Assistance publique de Paris.
Une réunion de travail doit également se tenir au ministère dès la semaine prochaine avec l'ensemble des associations de solidarité.
Je souhaiterais, pour conclure, rappeler que le Plan pauvreté-précarité pour l'hiver est là pour compléter l'ensemble des dispositifs existants en faveur des plus démunis, qui sont des dispositifs à vocation permanente. Vous trouverez des informations précises sur l'articulation entre le plan pour l'hiver et les autres actions pour les populations démunies dans le dossier de presse.
Je suis bien consciente, Mesdames et Messieurs, que ce plan, malgré tous nos efforts, n'est pas et ne peut pas être une panacée.Face aux situations d'urgence auxquelles nous sommes confrontés, il est du devoir du Gouvernement de faire jouer, chaque fois que cela est nécessaire, la solidarité nationale et de prendre toute sa place dans cet effort de tous, citoyens, associations, collectivités locales, administrations. Et je le ferai, je m'y engage.