Déclaration de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur la réorganisation de la transfusion sanguine et les missions du Conseil scientifique de l'Agence française du sang, Paris le 16 février 1994.

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Circonstance : Installation du Conseil scientifique de l'Agence française du sang à Paris le 16 février 1994

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Agence Française du Sang,
Madame et Messieurs les Membres du Conseil Scientifique,
Mesdames et Messieurs,
Lorsque le législateur a jeté les bases d'une réorganisation du service public de la transfusion sanguine, il a lui-même pris soin de doter l'établissement public qu'il a créé pour faciliter cette réorganisation d'un conseil scientifique "chargé de donner des avis sur les questions médicales, scientifiques et techniques".
Le conseil est aujourd'hui à pied d'oeuvre, et je m'en réjouis, car son installation marque une étape de plus dans la mise en place des outils de cohérence et de vigilance prévus par la réforme - réforme dont j'ai fait, vous le savez, une de mes priorités de santé publique.
En prenant ses fonctions de Président de l'Agence Française du Sang, Monsieur MARIMBERT a reçu mandat d'accélérer la mise en place du renouveau. Il me rend compte régulièrement de l'avancement de sa mission, pour laquelle il bénéficie du concours de la Direction Générale de la Santé et de l'ensemble des directions du ministère. L'Agence peut aussi compter sur les services extérieurs des affaires sanitaires et sociales qui vont constituer un des principaux pivots de la réorganisation de la transfusion sanguine et auxquels elle doit apporter en retour un appui méthodologique et technique.
Une réorganisation était en effet devenue nécessaire, et même urgente, pour garantir la sécurité des malades et rétablir la confiance des donneurs après le drame de la contamination des transfusés et des hémophiles par le virus du SIDA. Au-delà des défaillances humaines, des négligences individuelles, voire des risques délibérément pris pour les malades, cet événement, catastrophe sans précédent dans l'histoire de notre système de soins, a mis en évidence certaines carences de la transfusion sanguine aggravées par l'insuffisance du contrôle public. Il était plus que temps d'y mettre fin, pour que le don du sang et la transfusion redeviennent, dans l'esprit de tous, synonymes de vies sauvées - ce qu'ils n'auraient jamais dû cesser d'être.
Les souvenirs douloureux des années quatre-vingt ne peuvent ni ne doivent s'effacer des mémoires. Présents dans la pensée de tous les responsables de la santé publique, ils nous font un devoir de rechercher et d'atteindre l'excellence dans le domaine de la transfusion. C'est une tâche exigeante dont les résultats ne sont pas encore entièrement atteints, et ne seront définitivement acquis qu'avec la collaboration active de tous.
La réforme ne s'est pas achevée par le vote de la loi du 4 janvier 1993 et la mise en place de l'Agence Française du Sang, qui devient pleinement elle-même aujourd'hui avec l'installation de son conseil scientifique.
Elle devra se traduire encore par plusieurs textes importants. Certains achèveront la définition des bonnes pratiques transfusionnelles. D'autres mettront en place le cadre institutionnel dans lequel devront s'inscrire l'organisation et le fonctionnement des établissements de transfusion sanguine.
La réforme passe aussi, dès cette année, par la mise en oeuvre de schémas régionaux de la transfusion sanguine, qui implique un examen des conditions de fonctionnement, des activités, et du champ d'action de l'ensemble des centres de transfusion.
Vous avez en commun, Madame et Messieurs les Membres du conseil scientifique, d'avoir atteint grâce à vos recherches et à votre pratique médicale, un niveau élevé d'expérience et de notoriété, assurant le crédit du conseil scientifique, et la légitimité des orientations médico-techniques que vous donnerez à l'Agence.
Mais la lecture de vos titres médicaux et scientifiques reflète aussi la diversité de vos parcours, qui donnera au conseil un caractère très pluridisciplinaire et pluri-institutionnel
Cette pluralité est un atout pour veiller au présent et préparer l'avenir sans risquer d'impasses scientifiques aux conséquences dramatiques sur le plan de la sécurité ou de la satisfaction de besoins vitaux. Elle est aussi l'image de la transfusion sanguine elle-même. La transfusion se situe en effet au point de confluence de l'hématologie, de l'immunologie, de la virologie, de la cancérologie, et de la biochimie, pour ne citer que quelques spécialités que l'on retrouve au sein du conseil, aux côtés d'autres disciplines ou domaines particuliers de la science médicale
Cette situation de carrefour a été, à certains égards, un handicap pour l'image de la transfusion. Elle n'a pas facilité son ancrage dans l'enseignement médical, surtout dans un contexte plus général où le service transfusionnel restait lui-même en marge de l'organisation sanitaire classique.
Mais l'inconfort du carrefour trouve heureusement sa contrepartie positive dans la diversité et la richesse des perspectives qui s'y offrent. Et j'aurai à cet égard l'occasion de revenir tout-à-l'heure sur les nouveaux champs que la transfusion sanguine a vocation à explorer, à mesure que les produits classiques trouveront des substituts dans les produits ou des thérapeutiques de remplacement.
I - Mais avant d'évoquer quelques pistes sur lesquelles votre conseil pourrait s'engager je souhaite replacer vos travaux dans le cadre plus général de la réorganisation transfusionnelle.
M'exprimant il y a quelques mois devant les représentants de la Fédération Internationale des Donneurs de Sang Bénévoles, je soulignais la nécessité absolue de faire fonctionner la transfusion sanguine comme un véritable réseau de service public, homogène, coordonné et contrôlé.
On ne rappellera jamais assez les exigences du service public. Il implique que tous les acteurs de la transfusion n'aient d'autre finalité que le traitement des malades avec des produits présentant le plus haut niveau de sécurité possible. Toute autre motivation serait étrangère à l'esprit du service public, comme d'ailleurs à l'éthique de responsabilité médicale. Elle trahirait en outre la nature désintéressée du geste des donneurs bénévoles, qui sont les auxiliaires précieux du service public.
1. La qualité de l'activité transfusionnelle doit être homogène sur l'ensemble du territoire national. Cela passe par l'actualisation, l'harmonisation et la formalisation de règles médico-techniques opérationnelles, véritables normes sanitaires s'imposant à tous les professionnels. Tel est l'objet des règlements de l'Agence Française du Sang, qui définissent la liste des produits sanguins labiles, leurs caractéristiques et les bonnes pratiques transfusionnelles, depuis le prélèvement de sang jusqu'à la distribution des produits. Je suis consciente que l'élaboration de ce corpus de règles représente une tâche considérable que l'Agence Française du Sang doit mener à bien dans un laps de temps très bref. Mais il est essentiel que ces règles soient toutes définies d'ici le printemps, pour être ensuite régulièrement actualisées.
La qualité du service transfusionnel ne s'arrête d'ailleurs pas à la porte de l'établissement de soins où sont effectivement prescrits et administrés les produits sanguins. Les praticiens éminents réunis autour de cette table savent que malgré les progrès significatifs enregistrés depuis quelques années, des efforts doivent encore être faits pour améliorer la formation des prescripteurs sur les produits sanguins. Il incombera à l'Agence de contribuer à l'essor du conseil transfusionnel, qui relève des médecins des établissements de transfusion sanguine et des hémobiologistes. Mais il importe également de fournir à la généralité des prescripteurs des points de repère, par exemple sous forme de guides d'indication.
L'hémovigilance, est un des champs où doit se consolider l'homogénéité de la transfusion sanguine. Le décret qui vient d'être publié pose les fondements d'un véritable système de surveillance et d'alerte sur les effets inattendus ou indésirables résultant de l'utilisation thérapeutique de produits sanguins. Couvrant l'ensemble de la chaîne transfusionnelle qui va du donneur au lit du malade, il permettra aussi la réalisation d'études épidémiologiques s'appuyant sur le suivi médical des personnes transfusées. Mais il ne sera pleinement efficace que si les établissements de transfusion sanguine et les établissements de santé conjuguent leurs efforts. Le dispositif, une fois mis en place sous l'égide de l'Agence et avec le concours des services extérieurs de l'Etat, complétera la panoplie des systèmes de veille sanitaire qui correspond à une responsabilité éminente de la puissance publique.
2. La préparation des schémas d'organisation de la transfusion sanguine, que j'ai déjà mentionnés, va contribuer, tout autant que la nouvelle réglementation, à donner à notre système transfusionnel une plus grande cohérence. Trop longtemps repliée sur elle-même, la transfusion sanguine est restée en marge du système sanitaire, fermée aux coopérations et aux regroupements entre professionnels évoluant dans une même zone géographique. Nous devons aujourd'hui rompre avec cette logique d'isolement et d'individualisme, d'une part en inscrivant le service public transfusionnel dans l'organisation sanitaire, d'autre part en reconsidérant la répartition de certaines activités trop dispersées pour atteindre le niveau d'excellence médico-technique que les malades sont en droit d'exiger. C'est dans cet esprit que doivent être conçus cette année les schémas d'organisation de la transfusion sanguine.
Cette entreprise essentielle permettra de faire converger vers le haut la sécurité transfusionnelle sur l'ensemble du territoire en regroupant la préparation et le contrôle des produits dans les centres les plus qualifiés, tout en laissant subsister une transfusion de proximité où la collecte, la distribution, le conseil transfusionnel et l'hémovigilance seront mis en oeuvre avec une vigilance et une compétence médicales renforcées.
3. Plus homogène et plus cohérent, le réseau transfusionnel sera aussi plus contrôlé. Le rétablissement d'un flux régulier d'opérations de contrôle, déjà engagé depuis l'automne dernier, restaure une situation normale pour ce secteur d'activité qui a, trop longtemps, échappé à la règle commune - et avec quelles conséquences ! D'ici quelques mois, le service d'inspection de l'Agence Française du Sang sera complètement opérationnel et sa collaboration étroite avec les services déconcentrés de l'Etat permettra d'assurer la surveillance générale de l'activité transfusionnelle. Il aura pour mission de détecter et de corriger sans retard toute dérive dans l'organisation opérationnelle du service comme dans sa gestion.
II - Quel rôle votre Conseil peut-il jouer en vue de faciliter cette démarche de consolidation du service public transfusionnel ?
Le décret relatif à l'organisation et au fonctionnement de l'Agence Française du Sang vous ouvre un large champ d'intervention consultative, puisqu'il prévoit que le Président de l'Agence peut consulter le Conseil Scientifique sur toute question de nature médicale, scientifique ou technique ayant une incidence sur l'exercice d'une mission de l'Agence. Il précise en particulier que le Conseil formule des propositions sur les processus de recherche auxquels l'Agence serait susceptible de participer ou qu'elle pourrait coordonner. Il donne enfin au Conseil une d'auto-saisine. Il peut, en effet, de sa propre initiative, formuler des observations et des propositions sur toute question médicale, scientifique ou technique ayant une incidence sur la qualité ou la sécurité de la transfusion sanguine.
Sur la base de ces dispositions, on peut entrevoir trois grands domaines d'intervention pour le Conseil.
1. Il appartient en premier lieu au Conseil d'éclairer par ses avis la conception de la politique médico-technique de l'Agence, dans une perspective de sécurité transfusionnelle.
A ce titre, le regard pluraliste et informé du Conseil sera de la plus grande utilité pour guider les efforts de la direction médicale et scientifique de l'Agence qu'anime le Professeur Patrick HERVE, mais aussi, et au-delà, pour éclairer certaines décisions de santé publique qui incombent au Ministre.
Parmi les rubriques qui viennent à l'esprit, je me bornerai à citer l'achèvement des bonnes pratiques transfusionnelles et leur actualisation ultérieure, l'élaboration de recommandations relatives à la prescription, l'expertise des outils d'hémovigilance, l'évaluation de la qualité des produits sanguins "sécurisés" les conditions du développement de la transfusion dite autologue d'un donneur à lui-même ou encore le suivi des tests utilisés en transfusion sanguine.
2. En deuxième lieu, il reviendra à votre Conseil d'orienter par ses propositions l'activité de l'Agence en matière de recherche.
Je rappelle sur ce point que la loi charge l'Agence de favoriser et de coordonner l'activité de recherche des établissements de transfusion sanguine, en liaison avec les organismes de recherche. Cette mission est essentielle. Il importe de sauvegarder et d'intensifier au sein du service transfusionnel un courant de recherche, notamment clinique, dont l'existence est le meilleur gage de la qualité du service, parce qu'elle crée un contexte scientifique propice à de nouveaux progrès de sécurité.
Pour favoriser cet essor nécessaire, dans quelques établissements de transfusion sanguine bien armés ou dans des organismes distincts, l'Agence disposera de trois leviers.
La convention avec l'INSERM, qui permet de soutenir des projets dans le cadre de l'intercommission de l'institut consacrée aux produits de substitution, sera reconduite en 1994.
D'ici 1995, la redéfinition des commissions et des intercommissions de I'INSERM conduira logiquement à examiner les objectifs de la convention sur des bases scientifiques que votre Conseil devra contribuer à poser.
Le Fonds d'orientation de la transfusion sanguine, constitué à partir du produit de la contribution de 5% sur les cessions de produits, pourra intervenir pour soutenir des projets de recherche dans certains établissements de transfusion sanguine si ces projets présentent un intérêt pour accroître la sécurité transfusionnelle.
Enfin, l'Institut National de Transfusion Sanguine va être incessamment transformé en un Groupement d'Intérêt Public adossé à l'Agence. Cette transformation donnera un cadre public aux activités de recherche de l'Institut comme d'ailleurs aux activités de formation si nécessaires à la réussite de la réorganisation transfusionnelle. Elle doit s'accompagner d'une véritable orientation publique des activités de l'Institut, dont l'Agence sera le garant avec l'appui de votre Conseil.
De manière générale, le Conseil Scientifique sera amené à se prononcer sur des thèmes prioritaires de recherche, à participer au choix de certains projets, et à définir la méthodologie d'évaluation des projets et de leurs résultats.
3. La veille et la prospective scientifiques constituent la troisième grande fonction à laquelle votre Conseil doit être associé.
J'entends par là tout d'abord que l'Agence doit être à l'écoute de toutes les perspectives d'innovation pouvant avoir des répercussions sur l'activité transfusionnelle. Il lui faut se doter de "capteurs" qui lui fassent percevoir sans délai l'apparition de nouveaux procédés de fabrication, de nouvelles techniques de dépistage, de nouvelles thérapeutiques aboutissant à diminuer la prescription de produits sanguins ou à la modifier. Mais il s'agit aussi de se tenir en éveil face à l'émergence de nouveaux risques, pour pouvoir en évaluer sereinement l'ampleur par des débats contradictoires utilisant toute l'information scientifique disponible.
Je suis convaincue que, par sa composition, votre Conseil est bien armé pour prendre sa part de ce travail de veille scientifique, auquel peut également participer le Comité de Sécurité Transfusionnelle.
Mais, au-delà de la veille, s'ouvre le champ de la prospective sur l'avenir de la transfusion sanguine. Nous devons en effet garder simultanément à l'esprit deux horizons.
A terme rapproché, il faut garantir la fiabilité de la transfusion. Toutes les actions que j'évoquais au début doivent y pourvoir.
Mais il faut aussi dès maintenant préparer la transfusion d'après demain. En effet, l'émergence progressive de substituts, à un rythme certes très inégal selon les composants du sang humain, tisse la toile de fond de l'avenir. Les biotechnologies vont bouleverser à terme les conditions d'exercice de la transfusion.
Dès lors il faut préparer, en évitant toute fuite en avant, et toute initiative improvisée, les diversifications qui permettront de tirer parti des techniques et des savoir-faire transfusionnels dans des domaines fortement connexes, sur une base de compétence et sans exclusivité.
Aussi est-il souhaitable que des établissements présentant les garanties nécessaires puissent continuer à jouer leur rôle de banque de cellules ou de tissus, ou que certains d'entre-eux, disposant d'équipes qualifiées et de locaux adaptés situés dans un environnement médico-scientifique propice, participent à des opérations de thérapie cellulaire, voire à des projets de thérapie génique, en identifiant, en séparant, en cultivant et en conservant des cellules purifiées.
Je compte sur l'aide du Conseil Scientifique pour aider l'Agence à préciser les conditions et les modalités de cette vocation des établissements les plus performants à participer à des activités de pointe sous son contrôle.
Car à mes yeux, il y a une réelle complémentarité entre cette vision à moyen terme et la recherche de la plus grande sécurité transfusionnelle. Entre les bonnes pratiques de prparation et la thérapie cellulaire, il existe un fil conducteur, celui de l'excellence, qui passe par la rigueur des méthodes et par la qualité des hommes. C'est en ayant une ambition scientifique élevée pour la transfusion sanguine que l'on se donnera les meilleures chances de circonscrire les risques, donc de servir au mieux l'intérêt des malades.Je suis convaincue que votre Conseil, par ses initiatives et ses travaux, aidera l'Agence Française du Sang à donner corps à cette ambition. Soyez d'avance remerciés des efforts que vous ferez dans ce sens.