Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe La République En Marche, sur le thème : « La politique de concurrence dans une économie mondialisée ».
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que le représentant du groupe auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
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M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur Richard Yung, je suis très heureuse d'être aujourd'hui avec vous pour débattre d'un sujet qui est au centre de nos réflexions économiques : la politique de la concurrence, notamment son évolution dans le contexte de la mondialisation de notre économie.
La concurrence est une caractéristique intrinsèque de nos économies de marché : sans concurrence, pas de nouveaux entrants, pas de nouveaux produits, pas de mécanisme efficient de formation du prix. Sans concurrence, c'est la logique de la rente qui s'installe.
La politique de concurrence ne bénéficie pas seulement au consommateur : quand elle est bien utilisée, elle permet de faire progresser l'économie dans son ensemble, en faisant respecter l'ordre public économique.
Comme vous l'avez très bien dit, monsieur le sénateur, ce débat a passionné plusieurs générations d'économistes, et il prend un relief nouveau avec la construction européenne et l'approfondissement du marché intérieur, avec l'irruption de la mondialisation comme fait économique majeur ces dernières décennies et, très récemment, avec certaines décisions d'un grand partenaire commercial de la France.
Permettez-moi de commencer par cette actualité récente. Le 8 mars dernier, le président Donald Trump a annoncé la mise en place de droits de douane additionnels sur les importations américaines d'acier et d'aluminium pour des motifs de protection de la sécurité nationale.
L'effet de ces mesures va essentiellement se faire sentir sur les alliés des États-Unis, qui sont les principaux fournisseurs de ce pays dans ces deux secteurs : l'Union européenne, mais aussi le Brésil, le Canada, l'Argentine, le Mexique ou la Corée.
L'Union européenne a instantanément fait valoir une position ferme, par la voix de la Commission, avec le plein soutien de la France et, unanimement, de tous les États membres.
Certes, nous savons que des surcapacités existent dans ces secteurs, mais nous n'en sommes pas l'origine. En outre, l'Europe est un allié des États-Unis et non une menace pour leur sécurité. En tout état de cause, des mesures unilatérales prises par un État en contradiction avec les règles de l'OMC ne sont pas une solution à un problème d'ordre structurel.
L'administration Trump a accepté une exemption temporaire de plusieurs États, dont l'Union européenne, qui a été renouvelée le 30 avril, jusqu'au 1er juin prochain. Néanmoins, l'Union européenne reste ferme et demande aux États-Unis une exemption permanente et inconditionnelle des mesures sur l'acier et l'aluminium, car nous refuserons, bien sûr, toute négociation commerciale sous la menace.
Parallèlement, nous nous sommes mis en capacité de répondre, conformément au droit de l'OMC, aux mesures qui seraient éventuellement mises en oeuvre par les États-Unis, à la fois par la saisine de l'organe de règlement des différends à l'OMC, la mise en place de mesures de sauvegarde pour protéger l'industrie européenne de l'acier et des mesures de compensation sur des produits américains ciblés.
Enfin, et c'est très important, nous restons ouverts à un dialogue avec les États-Unis sur le futur de l'OMC et sur un renforcement des règles de concurrence mondiale, en particulier sur le contrôle des subventions industrielles. Voilà une illustration concrète, qui continue de fortement mobiliser le Gouvernement, des enjeux mondiaux de la concurrence dans le commerce international.
Plus généralement, la France considère que les règles du commerce mondial, telles qu'elles résultent des accords fondateurs de l'OMC datant de 1994, ne répondent que partiellement à la situation d'aujourd'hui. Le fait que certains membres de l'OMC continuent de développer des politiques industrielles reposant sur des systèmes de subventions massives et d'avantages considérables donnés à leurs entreprises nationales constitue bien sûr l'un des principaux défis posés à la compétitivité de nos entreprises et de nos économies.
Nos entreprises ne luttent pas toujours à armes égales. Il est donc nécessaire de lutter collectivement contre les surcapacités et de discipliner bien davantage, au niveau multilatéral, les pratiques de subventions massives développées et amplifiées ces dernières années par certains États.
Les surcapacités concernent potentiellement de très nombreux secteurs, y compris des secteurs de haute technologie industrielle, comme les batteries automobiles.
Le cadre multilatéral est alors indispensable. Le renforcement des disciplines multilatérales dans le cadre de l'OMC est un enjeu prioritaire sur lequel l'Union européenne, les États-Unis, mais également les puissances émergentes et les pays en développement doivent travailler ensemble.
Par ailleurs, la construction d'une « Europe qui protège », voulue par la France, appelle des instruments européens robustes en matière commerciale, car l'Union européenne doit non seulement contribuer au renforcement des règles multilatérales, mais également renforcer ses propres instruments dédiés à la protection de ses intérêts légitimes, dans le strict respect des règles de l'OMC.
Or nous avançons : l'Union européenne vient d'adopter une réforme de ses instruments de défense commerciale, dont les deux principaux piliers sont en train d'entrer en vigueur. La nouvelle méthode antidumping de l'Union nous permettra de maintenir des instruments de protection justes et proportionnés, mais parfaitement efficaces pour contrer les pratiques commerciales déloyales. De plus, l'Union s'apprête à publier une réforme de « modernisation des instruments de défense commerciale », qui permettra de renforcer l'arsenal de défense européen. Ce dernier sera rendu plus efficace, plus réactif et plus transparent.
D'autres projets méritent d'être signalés pour rétablir des conditions de concurrence équilibrées : le règlement sur l'examen des investissements étrangers en Europe, le règlement relatif à la mise en place d'un instrument de réciprocité dans les marchés publics et l'instauration d'un « procureur » commercial européen.
Toutefois, notre politique de la concurrence ne doit pas seulement se contenter de s'adapter à la mondialisation. Elle doit aussi répondre aux nouveaux défis que représentent les acteurs du numérique.
Vous avez mentionné, monsieur Yung, le cas emblématique des GAFA. Ces nouveaux acteurs, tout en ayant pu stimuler la concurrence et répondre aux attentes des consommateurs, requièrent de nouvelles approches. Nous avons appelé de nos voeux une initiative européenne pour tenir compte de cette économie des plateformes.
D'une part, le marché unique numérique reste, à ce stade, dominé par des acteurs extraeuropéens, ce qui implique que l'Europe doit résolument adopter une stratégie offensive afin de permettre l'émergence d'acteurs européens leaders. D'autre part, sur certains marchés de plateformes B to B, l'existence de dysfonctionnements majeurs fortement préjudiciables à l'efficacité des marchés concernés a été mise à jour.
Dans ce contexte, il importe d'appréhender au mieux les relations contractuelles entre acteurs économiques du numérique, notamment pour protéger les PME face aux incontournables mastodontes du marché.
Notre droit français des pratiques restrictives de concurrence est en pointe pour appréhender certaines pratiques des acteurs du numérique, à l'instar de celles de la grande distribution. Sur ce fondement ont été condamnées les sociétés Booking et Expedia, pour des pratiques déloyales à l'encontre des hôteliers français. Nous avons assigné, avec Bruno Le Maire, Amazon, Google et Apple pour pratiques commerciales déloyales liées au fonctionnement des places de marché ou aux magasins d'applications.
Nous plaidons pour que l'Union européenne se dote, elle aussi, d'un cadre juridique adapté. Il faut saluer l'initiative de la Commission européenne de proposer un règlement européen qui mettrait en place un encadrement renforcé des plateformes numériques en Europe.
Par ailleurs, vous le savez, la France porte avec beaucoup d'énergie le débat sur la fiscalité, qui est bien évidemment un enjeu majeur de régulation de l'activité des GAFA.
Les géants du numérique paient peu ou pas d'impôts dans la plupart des États où ils déploient leur activité et réalisent des bénéfices. Cette situation pose un problème d'équité et mine le fonctionnement du marché intérieur. À cet égard, la proposition de la Commission de taxe sur les services du numérique a permis d'engager la discussion très concrètement avec nos partenaires européens.
Ces deux exemples montrent combien nous sommes actifs, nous réfléchissons, nous nous adaptons, nous travaillons, pour que notre politique de concurrence soit pleinement ancrée dans l'actualité et dans les enjeux d'aujourd'hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions sur tous les points spécifiques que vous voudrez aborder. (Applaudissements.)
- Débat interactif -
M. le président. Mes chers collègues, madame la secrétaire d'État, je rappelle que chaque orateur dispose au maximum de deux minutes pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition toutefois qu'il ait scrupuleusement respecté le temps de parole de deux minutes imparti pour présenter sa question.
Par rapport à cette règle claire établie par la conférence des présidents, je suis prêt, comme dans le débat précédent, à ajouter un battement de dix secondes : dès lors que l'auteur de la question ne dépasse pas son temps de parole de plus de dix secondes, il a un droit de réplique de vingt secondes.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis que l'Europe est l'Europe, la politique de concurrence est inscrite dans son ADN économique.
Le traité de Rome, à l'origine de la Communauté économique européenne, prévoyait déjà, en 1957, que la politique de concurrence est une prérogative communautaire. C'est ainsi que, depuis plus d'un demi-siècle, les autorités européennes travaillent à offrir aux citoyens européens la meilleure gamme de produits au meilleur prix, à l'appui d'un environnement concurrentiel pour les entreprises.
Le secteur de l'économie numérique ne peut échapper à cette mise en concurrence. Aujourd'hui, en raison des effets de réseaux, quelques grands opérateurs dominent le marché européen : les GAFA Google, Apple, Facebook, Amazon et les NATU Netflix, Airbnb, Tesla et Uber sont installés sur le marché et freinent l'entrée des PME et des TPE. De nombreuses professions traditionnelles craignent en effet que leur entrée sur le marché du numérique et leur transformation digitale ne les fassent disparaître à très court terme du marché.
Les pouvoirs publics ne sont pas pour autant démunis face à cette situation. En 2015, quatre économistes du Conseil d'analyse économique publiaient une note intitulée Économie numérique, faisant état de plusieurs propositions pour ouvrir le secteur de l'économie numérique à la concurrence. Évolution des réglementations en vigueur, soutien aux expérimentations pratiques, ouverture des données publiques et partage des données privées, toutes ces solutions sont des pistes pour l'avenir.
Madame la secrétaire d'État, ma question est simple : face au gigantisme des entreprises du numérique, quelles solutions le gouvernement français envisage-t-il pour accompagner les autorités européennes dans sa politique de concurrence appliquée au secteur du numérique ? J'ai conscience que vous avez précédemment apporté des éléments de réponse, mais pourriez-vous nous donner quelques compléments d'information ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Madame Mélot, je vous remercie de votre question. Comme je le disais, le numérique ne doit pas faire exception ; il doit y régner de bonnes pratiques de concurrence. Nous ne devons pas laisser prospérer des situations anormales d'abus de position dominante ou de rentes de situation, préjudiciables aux nouveaux entrants, à l'innovation et, in fine, à notre économie.
Au niveau national, j'ai évoqué l'action du Gouvernement, en particulier les condamnations des sociétés Booking et Expedia, ainsi que les procédures lancées contre Amazon, Google et Apple pour des pratiques commerciales jugées déloyales.
Au niveau européen, de récentes décisions ont également confirmé la mobilisation de la Commission européenne, notamment celles contre Google ou contre Apple.
Pour autant, nous devons continuer à renforcer notre arsenal juridique, et cela passe d'abord par le rétablissement d'une juste concurrence fiscale.
C'est tout l'objet des orientations que nous poussons au niveau européen, avec Bruno Le Maire, pour une juste fiscalisation des GAFA. Il existe une initiative de la Commission européenne, que le Gouvernement soutient très fortement, en vue de proposer un règlement européen en faveur d'un encadrement renforcé des plateformes numériques en Europe. La France a été précurseur en la matière, notamment avec la loi pour une République numérique. Il convient de porter ces avancées au niveau européen, pour rééquilibrer les rapports de force entre les plateformes, parfois monopolistiques, et les fournisseurs de ces dernières.
Enfin, nous devons poursuivre la réflexion sur les critères autres que le chiffre d'affaires pour l'examen des concentrations, afin de capter certaines transactions dans le domaine du numérique, du type du rachat de WhatsApp par Facebook. Certains États membres, comme l'Allemagne ou l'Autriche, ont déjà fait évoluer leur réglementation en la matière, et nous avons nous-mêmes des réflexions en cours à ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de ces compléments. Sur ce sujet, vous le savez, les PME et les TPE sont véritablement dans l'attente de réponses du ministère de l'économie. C'est une question d'équité : il faut absolument que les GAFA soient traités comme les autres entreprises de l'Union européenne. Je vous remercie d'y veiller.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, pas une semaine ne passe sans que la politique de concurrence dans l'économie mondiale soit sous le feu de l'actualité, en ce sens qu'elle est souvent utilisée comme un outil pour déployer des politiques publiques ou subordonnée à des décisions géostratégiques.
Par ailleurs, la définition de la politique de concurrence varie d'un État à l'autre, voire d'un continent à l'autre, et affecte les entreprises publiques et privées, ce qui rend l'approche tout particulièrement délicate et a nécessairement des conséquences sur les stratégies d'implantations industrielles et commerciales.
L'équilibre à trouver entre, d'une part, la lutte contre le protectionnisme parfois clairement affiché de certains États, l'entente ou la concurrence déloyale, que vous avez vous-même évoquée, madame la secrétaire d'État, et, d'autre part, l'intérêt des consommateurs et la liberté d'entreprendre est un exercice complexe, qui, certes, ne peut déboucher que sur des résultats imparfaits.
À ce jour, quelques bassins géographiques au sein d'organisations régionales connaissent de longue date ces situations ou prennent des initiatives louables pour concilier ces impératifs avec des règles particulièrement transparentes. Je pense bien entendu, en premier lieu, à l'Union européenne, qui a fait de la politique de la concurrence un pilier de sa construction.
Il ne faut pas cependant que cet effort éthique de la France et des pays de l'Union européenne cède à une forme de naïveté, qui ne ferait que pénaliser nos économies et empêcher la constitution de champions européens, dont l'émergence est particulièrement souhaitable dans le cadre d'une concurrence mondialisée.
Ma question portera sur la manière d'aborder, sur le plan éthique et sur le plan opérationnel, de graves atteintes au droit légitime des entreprises de librement commercer face à des décisions de boycott décrétées de façon unilatérale par certains pays. Je pense en particulier à des pays dits « amis », comme les États-Unis, qui veulent empêcher toute entreprise d'entretenir des relations d'affaires avec l'Iran, et ce au mépris de l'ensemble des règles internationales, puisque leurs décisions politiques et économiques ont un caractère totalement unilatéral.
Quelle réponse apporter à cette difficulté majeure, qui, en dehors de son caractère néfaste sur le plan géopolitique et en termes de sécurité, est la manifestation d'une attitude impérialiste et constitue une entrave insupportable à la liberté du commerce et des échanges ? (MM. Pierre Louault, Marc Laménie et Sébastien Meurant applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur Gabouty, sur ce sujet en effet d'une brûlante actualité, les ministres Bruno Le Maire et Jean-Yves Le Drian on fait le point avec les entreprises concernées.
Il s'agit de disposer, au niveau national, d'une évaluation du risque encouru et des positions des uns et des autres pour en discuter avec les États-Unis et protéger les intérêts légitimes de nos entreprises, sachant toutefois que ce sera, in fine, à ces opérateurs privés de prendre la décision de rester ou non en Iran.
Bien évidemment, pour trouver une réponse au bon niveau, c'est au sein de l'Union européenne que nous devons travailler et réfléchir à l'impact de telles sanctions extraterritoriales. L'Europe doit affirmer sa souveraineté économique. Pour cela, nous allons travailler sur trois pistes.
Premièrement, il convient de renforcer les outils existants pour empêcher l'application de lois extraterritoriales et protéger nos entreprises. S'il existe un règlement européen de blocage, publié en 1996, celui-ci n'est pas parfait et doit donc être révisé, renforcé, afin d'inclure les dispositions sur l'Iran.
Deuxièmement, il importe de créer les moyens de notre autonomie financière, car le financement de nos entreprises et de leurs investissements dans cette zone est le nerf de la guerre. Nous devons donc mettre en place des instruments de financement européens ad hoc quand les canaux traditionnels ne peuvent plus être utilisés.
Troisièmement, et enfin, il nous faut nous donner les moyens de parler d'égal à égal avec les États-Unis, en particulier avec l'OFAC américain, le bureau qui fait partie du Trésor, met en oeuvre les sanctions et poursuit les entreprises. Nous réfléchissons à la création d'un OFAC européen.
En un mot, nous devons nous donner les moyens, en Europe, de façon autonome, de pouvoir continuer à commercer avec les pays et dans des conditions que nous estimons légitimes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour la réplique.
M. Jean-Marc Gabouty. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d'État. Vous nous dites c'est un constat que nous partageons et nous en sommes tous responsables que nous sommes désarmés pour répondre effectivement au diktat américain, puisque nous n'avons pas, jusqu'à présent, mis en place les moyens nécessaires.
Cela aura comme traduction, par exemple, le retrait de Total du premier projet gazier iranien, dans lequel l'entreprise détenait 51 %. Elle va laisser sa part à l'actionnaire n° 2, qui est une compagnie chinoise Loin d'être uniquement une affaire privée, c'est pour moi une affaire d'État, et je ne suis pas sûr que M. Trump soit sensible aux câlins ou aux accommodements. Si nous en avions les moyens, il serait peut-être plus sensible à la menace qu'à autre chose. (M. Sébastien Meurant applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la politique de concurrence est une dimension historique fondamentale de la construction européenne depuis les années cinquante.
Seule une concurrence libre et non faussée permet au marché unique de fonctionner efficacement et de produire pleinement ses effets, qu'il s'agisse de la dynamisation des entreprises, de l'accroissement de la compétitivité ou de la baisse des prix pour les consommateurs.
Or nous sommes aujourd'hui confrontés à plusieurs défis : tout d'abord, l'accélération des évolutions de l'environnement économique international ; ensuite, l'émergence de nouveaux acteurs, dont les pratiques sont parfois discutables au regard des principes de concurrence ; enfin, le développement des échanges matériels et immatériels. Autant d'éléments qui doivent conduire l'Union européenne à adapter sans plus tarder sa politique de concurrence.
Je prendrai l'exemple de son approche en matière de contrôle des concentrations d'entreprises. Vous le savez, trop souvent, nos entreprises sont empêchées de se rapprocher de partenaires européens dans des secteurs-clés.
M. Gérard Longuet. C'est vrai !
M. Jean Bizet. Elles sont condamnées à rechercher des alliances extraeuropéennes. C'est la condition pour atteindre une taille critique qui leur permette d'affronter la concurrence internationale.
L'Europe perd ainsi le contrôle des technologies qu'elle a elle-même créées. Elle devient dépendante des centres de décision étrangers ; sa souveraineté économique est fragilisée. Voilà tout simplement mise en cause une approche datée, restrictive, d'une politique de la concurrence, qui doit changer d'échelle de référence.
La commission des affaires européennes du Sénat le répète depuis longtemps, cessons d'être naïfs, cessons de mettre en oeuvre une vision inadaptée du marché pertinent. Cette approche erronée empêche l'émergence de champions européens capables d'affronter la compétition internationale.
Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous dire comment le Gouvernement entend faire évoluer les approches européennes en la matière, dans un domaine qui relève de la compétence exclusive de l'Union ?
Au-delà, quelles sont les perspectives de rééquilibrage de la concurrence au niveau international, alors que des États interviennent directement au soutien de leurs entreprises nationales, tant en matière d'investissements directs étrangers qu'en matière d'offres de service ? Et je ne ferai que mentionner la dimension anticoncurrentielle de l'application extraterritoriale des lois américaines ; ce sujet mériterait un débat à lui tout seul. (M. Sébastien Meurant applaudit.)
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur Bizet, je ne reviendrai pas sur les évolutions que nous sommes en train d'encourager pour ce qui concerne les plateformes numériques.
S'agissant de la réponse à apporter à la politique extraterritoriale américaine, je me concentrerai sur les nouveaux thèmes que vous avez évoqués. Avoir des champions industriels au niveau européen est évidemment un objectif qui nous tient à coeur. Le Gouvernement a montré d'ailleurs qu'il était prêt à l'action, à l'occasion d'opérations récentes de rapprochement.
C'est un sujet que nous continuerons à porter dans le cadre de la promotion d'une politique européenne industrielle. Il importe vraiment que l'Europe ait une vision industrielle, qui nous conduise à identifier les voies menant à la création de ces champions dont nous avons besoin pour renforcer notre tissu européen et garantir de façon pérenne son ancrage sur notre continent.
Par ailleurs, dans le droit fil du souhait du Président de la République de construire une Europe qui protège, les instruments de défense en matière de politique commerciale sont renforcés et rendus plus efficaces, plus réactifs et plus transparents.
Nous continuerons à soutenir des mesures allant dans le sens d'un renforcement des instruments de défense commerciale, notamment en poussant à l'adoption du règlement sur les investissements étrangers au niveau de l'Union européenne, à l'adoption d'un règlement relatif à la mise en place de la réciprocité dans les marchés publics et à l'instauration du procureur commercial européen.
Au niveau national, notre arsenal en matière de contrôle des investissements étrangers va également être renforcé dans le cadre de la future loi PACTE, comme l'a annoncé le Premier ministre : davantage de secteurs seront soumis à la procédure de contrôle, et les sanctions prononcées seront plus crédibles et efficaces.
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous parlons de « concurrence libre et non faussée », objectif inscrit dans le préambule du traité fondant la Communauté économique européenne. On ne peut nier, plus de soixante ans après, les retombées positives de cette vision économique.
Pour autant, il existe des territoires français, européens, restés à l'écart, qui, eux aussi, rêvent de prospérité et attendent leurs « trente glorieuses ». Les territoires ultramarins, puisqu'il s'agit d'eux, restent coincés dans une dépendance économique quasi exclusive avec la France ou l'Union européenne, à l'écart de leur environnement régional.
En effet, si l'accord de Cotonou, adopté en 2000 entre l'UE et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique les pays ACP , donne à ces pays un large accès préférentiel au marché de l'Union européenne, puisque 92 % de leurs produits y entrent en franchise de droits de douane, cet accord est asymétrique, sans réciprocité. Conséquence : les entreprises ultramarines se retrouvent concurrencées par des produits issus des pays ACP bénéficiant des mêmes conditions d'accès au marché européen, souvent subventionnés par l'Europe, fabriqués selon des normes sociales et environnementales beaucoup moins contraignantes, sans pour autant voir en contrepartie s'ouvrir à elles de nouveaux marchés.
Nous sommes donc arrivés à un paradoxe, dans lequel l'Europe, partant d'une volonté louable de faire de l'aide au développement fondée sur le commerce et la libération des échanges, a organisé une concurrence déloyale et complètement faussée au détriment de nos outre-mer.
Personnellement, j'ai vu s'effondrer la riziculture en Guyane, soumise à la réglementation européenne et française, quand, dans le même temps, à quelques kilomètres de là, elle se développait au Suriname. Aujourd'hui, vous trouvez du riz du Suriname dans tous les supermarchés européens, alors que le riz de Guyane a disparu.
Madame la secrétaire d'État, l'accord de Cotonou arrive à son terme en février 2020 et les négociations entre l'UE et les pays ACP doivent commencer, au plus tard, en août de cette année. Pouvez-vous nous assurer que, cette fois, les régions ultrapériphériques ne seront pas les laissés-pour-compte de ces négociations ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur Patient, le nouvel accord que vous mentionnez, dont le mandat de négociation sera prochainement adopté par le Conseil, doit remplacer le cadre actuel de l'accord de Cotonou, qui structure la relation entre l'Union européenne et les pays ACP et qui prendra fin en 2020. Ce mandat porte sur la négociation, par la Commission, du futur accord de dialogue politique avec les pays ACP.
Dans le cadre des discussions sur ce mandat, la France se montre attentive au traitement des régions Caraïbes et Pacifique, au sein desquelles la présence de pays et territoires d'outre-mer et de régions ultrapériphériques constitue une opportunité pour l'UE de consolider une approche régionale du développement.
Les autorités françaises ont proposé que les territoires ultramarins et les régions ultrapériphériques soient associés à la mise en oeuvre de l'accord et que des modalités spécifiques soient prévues pour le développement de projets de coopération conjoints entre les territoires ultramarins, les pays ACP et les régions ultrapériphériques.
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.
M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie le groupe La République En Marche d'avoir proposé l'organisation de ce débat. Il est en effet intéressant de nous interroger sur notre politique de concurrence, qui mérite peut-être mieux que des mesures de dumping fiscal, telles que la suppression envisagée de l'exit tax.
Au-delà du paradigme concurrentiel mis en avant par le Gouvernement, je souhaiterais évoquer un autre paradigme qui devrait recueillir toute votre attention : je veux bien sûr parler d'environnement, madame la secrétaire d'État. C'est un domaine souvent évoqué par le Président de la République dans ses discours, mais dont on peine à voir les réalisations concrètes.
Les récentes interrogations du ministre de la transition écologique et solidaire sur la feuille de route écologique du Gouvernement démontrent que le « nouveau monde » ne sera pas si vert, si ce n'est de façade. Par exemple, les accords internationaux de libre-échange risquent d'entraîner une harmonisation par le bas des normes environnementales.
Où en est-on, madame la secrétaire d'État, du projet de « veto climatique », qui permettrait d'empêcher des intérêts privés supranationaux de contourner la loi en matière d'obligations environnementales ? Vous le savez, les tribunaux d'arbitrage, chargés de régler les différends entre États et investisseurs, peuvent être un instrument dévastateur pour nos législations. Regardons la réalité en face. Ce veto, très attendu par la société civile, garantirait la primauté de l'accord de Paris sur le climat sur d'autres accords internationaux, tels que le CETA et, demain, le Mercosur.
Où en sont les négociations européennes sur ce veto climatique, que Nicolas Hulot défendait à l'automne dernier ?
Dans le climat de guerre économique actuel, que je qualifierai, pour paraphraser François Mitterrand, de « guerre sans mort, mais de guerre à mort », quelles sont les options choisies par le Gouvernement pour faire du développement soutenable ou durable au mieux un nouveau paradigme, au moins un garde-fou de notre politique de concurrence ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur Joël Bigot, je reviens sur cette préoccupation que vous mentionnez, celle de ne pas voir minés, au travers des accords et échanges commerciaux que nous concluons avec nos partenaires, les enjeux et les objectifs environnementaux que nous nous fixons.
C'est bien un débat qui a émergé au moment de la signature de l'accord CETA et qui a amené le Gouvernement à prendre des positions très en pointe s'agissant des objectifs, sur le fait que les valeurs environnementales et les objectifs environnementaux de l'Union européenne doivent être pleinement reflétés dans sa politique commerciale et dans les futurs accords qui seront négociés par l'Europe.
Sur ce sujet, je puis vous assurer que nous travaillons avec la Commission européenne et que nous poussons cette idée, largement reconnue. Nous avons d'ores et déjà obtenu, dans le cadre des discussions en cours avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, l'inscription de ce sujet à l'ordre du jour, de telle sorte que ces nouveaux accords commerciaux puissent tenir compte de la feuille de route sur le CETA voulue par la France.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en optant pour une économie de marché et une libéralisation de l'ensemble des secteurs industriels, l'État, sous l'impulsion européenne, a laissé notamment libre cours au dumping social.
Ainsi, dans les entreprises industrielles, de nombreuses restructurations ont eu lieu ; la valeur du travail a été niée, au profit de la rémunération de l'actionnariat privé. Les délocalisations et les licenciements boursiers se sont multipliés, alors que l'État devrait les interdire.
Il nous paraît essentiel de renoncer au dogme, aujourd'hui infondé, de la concurrence libre et non faussée. La concurrence n'est pas la seule loi naturelle du marché. La réglementation et la régulation lui sont tout aussi nécessaires. En effet, les échanges marchands ont gagné une telle ampleur qu'ils ne répondent plus aux besoins humains et ne favorisent que des gains financiers déconnectés de l'économie réelle.
C'est pourquoi il est impératif de respecter et de revaloriser nos services publics, voire de réaffirmer la notion de service public à la française, comme le droit de l'Union européenne nous y autorise. Cela implique de protéger les infrastructures essentielles, de reconnaître que certains biens et secteurs énergie, transport, santé, éducation, la liste n'est pas exhaustive sont non pas des marchandises, mais des biens communs de l'humanité.
Or la Commission européenne a négocié un nombre important d'accords de libre-échange avec des partenaires extérieurs. Loin de mettre en avant des clauses de réciprocité sociale et environnementale, ces accords tendent à niveler par le bas nos standards nationaux et européens. Dès lors, une question se pose : ces différents accords servent-ils pleinement les intérêts des citoyens et des entreprises ?
D'un point de vue juridique, une politique de concurrence doit s'appuyer sur un réseau de contrôle efficace sur tout le territoire, sur un renforcement des moyens et des compétences de la répression des fraudes. Il doit aussi renforcer le droit de la concurrence dans son volet répression. Or le mouvement de dépénalisation du droit des affaires et du droit de la concurrence fragilise le rôle de l'État, gardien de l'ordre public économique.
Une politique de concurrence doit savoir protéger les entreprises, en particulier les PME et les TPE. Dans cette perspective, cela fait plusieurs années que nous appelons à un Small Business Act à la française.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur Gay, je ne pense pas qu'il faille laisser s'installer l'idée qu'il y aurait un dogme de la concurrence libre et non faussée. En revanche, il existe des règles dont l'objet est de garantir le bon fonctionnement des marchés au bénéfice de l'emploi, de la croissance et des consommateurs. Le Président de la République a d'ailleurs insisté sur la nécessité de ne pas faire preuve de naïveté en matière de concurrence.
Cette approche, qui vise à garantir la coexistence entre les mécanismes de marché et les activités économiques d'intérêt général, est une constante historique de notre action européenne. La France a toujours promu ce modèle, qui préserve les services publics, et elle a plutôt réussi, le droit européen de la concurrence s'étant largement inspiré du droit français.
C'est d'ailleurs sous l'impulsion de la France que la notion de service d'intérêt général économique a été consacrée par le droit de l'Union européenne, dans les traités. Un exemple de conciliation de ces deux orientations réside dans le rôle joué par l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l'ARAFER, pour réguler le marché du transport par autocar, avec comme souci de préserver la qualité et la continuité du service public.
S'agissant du rôle de l'État comme régulateur et garant de l'ordre public économique, nous restons pleinement mobilisés, je vous l'assure. La DGCCRF est extrêmement active et elle a à coeur d'utiliser les nouveaux outils à sa disposition, en particulier les sanctions renforcées de la loi Sapin.
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les accords commerciaux entre l'Union européenne et un certain nombre de pays Canada, Nouvelle-Zélande, Australie, Brésil posent le problème de l'harmonisation et de la cohérence des normes et principes sociaux, sanitaires et environnementaux auxquels les produits agricoles sont soumis.
Des contraintes importantes sont aussi une garantie de qualité des produits agricoles et alimentaires. Aujourd'hui, l'agriculture française ne peut lutter face à la concurrence internationale, voire européenne, qui applique des normes sanitaires et environnementales très éloignées de notre réglementation.
Les produits agricoles correspondant à l'exigence des consommateurs sont des produits de très haute qualité blé sans OGM, camembert au lait cru, élevages en plein air , mais cette qualité a un prix pour les agriculteurs. L'absence de normes des produits agricoles importés entraîne l'agriculture française vers la faillite : un tiers des agriculteurs français est déjà en situation de cessation de paiement.
Madame la secrétaire d'État, n'est-il pas possible d'imaginer l'introduction d'un nouveau marché ? Aujourd'hui, les céréales relèvent du marché de Chicago, régi par des normes américaines. Afin de valoriser nos cultures, mais aussi notre culture, ne peut-on imaginer un second marché de produits de qualité, distinct du marché mondial et répondant à des normes européennes ou françaises ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Vous abordez, monsieur Louault, le sujet sensible du traitement du secteur agricole et agroalimentaire dans les accords commerciaux. Celui pose un défi, mais aussi présente des potentialités. Je vous l'assure, le Gouvernement est très attentif à l'ensemble de ces enjeux et porte à Bruxelles des positions extrêmement fermes.
Les concessions faites dans le domaine agricole et agroalimentaire lors des négociations commerciales à l'OMC ou dans le cadre des accords de libre-échange doivent bien entendu être maîtrisées, pour ne pas déstabiliser les filières de production en France.
Par ailleurs, les ouvertures des marchés extérieurs obtenues en retour doivent être substantielles, afin de garantir l'équilibre des accords.
Enfin, il est évident que ces accords ne doivent absolument pas conduire à une détérioration de nos exigences sanitaires. Au contraire, ils doivent favoriser un alignement vers le haut.
Enfin, les normes et les standards européens, notamment en matière de protection des indications géographiques, doivent être promus. Ces négociations commerciales doivent nous permettre d'exporter notre modèle, nos niveaux d'exigence et nos indications géographiques, afin que ceux-ci soient aussi mieux protégés à l'extérieur.
En effet, les avantages et les gains potentiels des négociations commerciales pour nos filières agricoles sont substantiels, en ouvrant de nouveaux marchés pour nos exportateurs. Prenons l'exemple de la viande bovine : nous avons des intérêts défensifs à l'égard de certains partenaires, et non des moindres, mais aussi des intérêts offensifs vis-à-vis d'autres partenaires tout aussi importants.
Les négociations menées par l'Union européenne dans le cadre d'accords de libre-échange ou les négociations bilatérales sanitaires menées par le gouvernement français devraient ainsi permettre, dans les années qui viennent, l'ouverture de marchés asiatiques comme la Corée du Sud ou la Chine, avec la levée effective de l'embargo ESB annoncé par les autorités chinoises lors de la visite en Chine du Président de la République. Je pourrais aussi citer des exemples de marchés ouverts sur le fromage.
Nous devons donc trouver un équilibre dans la relation commerciale et utiliser celle-ci pour exporter notre qualité.
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.
M. Pierre Louault. Aujourd'hui, le défi pour les agriculteurs français et européens est de produire de la qualité au cours mondial.
Notre objectif est que la qualité se paye à un prix supérieur au cours mondial, et il faut pour cela la faire reconnaître, au travers de normes françaises ou européennes. Sinon, demain, l'agriculture française et une partie de l'agriculture européenne disparaîtront. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie le groupe La République En Marche d'avoir demandé et obtenu l'organisation de ce débat.
Je suis un libéral et j'ai eu la chance de mettre en oeuvre mes convictions en signant, en avril 1994 c'était au siècle précédent , les accords de Marrakech instituant l'OMC. Hélas, aucune clause environnementale ou sociale n'avait été fixée alors. Plus de vingt ans après, nous nous trouvons dans une situation paradoxale : le volontarisme politique exprimé par les accords de Paris est détricoté par la réalité d'échanges internationaux qui ne prennent pas en compte les effets directs et indirects de la production industrielle sur l'environnement.
Depuis vingt ans, l'empreinte globale de notre pays a augmenté, alors même que l'empreinte directe des productions françaises en CO2 a diminué. En effet, la désindustrialisation de la France, facilitée notamment par les contraintes réglementaires environnementales, nous a conduits, à tout le moins dans certains domaines acier, aluminium, produits chimiques, silicium à nous tourner vers des producteurs étrangers qui émettent davantage de CO2.
Ma question est simple, madame la secrétaire d'État : pensez-vous raisonnablement que nous puissions durablement porter le certificat carbone à un niveau dissuasif ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur Longuet, c'est un vaste débat ! Nous devons tout d'abord faire en sorte que le souci de l'empreinte carbone et de la lutte contre le changement climatique soit partagé par un maximum de pays.
Au cours de l'année écoulée, nous avons pu voir à quel point la mobilisation au plus haut niveau en France avait eu un effet sur la mobilisation des acteurs, publics ou privés, partout dans le monde.
M. Gérard Longuet. Pas sur les États-Unis
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État. Les opinions publiques, les municipalités ou encore certaines régions peuvent avoir un impact important : de multiples interlocuteurs et acteurs sont aujourd'hui en mouvement, dans le sillage de l'accord de Paris et des sommets organisés en France l'an dernier.
Les politiques de protection de l'environnement et de lutte contre le changement climatique doivent également irriguer l'ensemble des politiques européennes et déterminer la façon dont nous négocions nos accords commerciaux. Nous tenons en effet à ce que nos partenaires commerciaux et les pays avec lesquels nous signons des accords de libre-échange soient engagés dans la dynamique de l'accord de Paris et dans la lutte contre les changements climatiques.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour la réplique.
M. Gérard Longuet. Madame la secrétaire d'État, je crains que votre patience ne conduise à poursuivre la désindustrialisation du pays
Je vous fais une proposition. Nous débattrons bientôt de la révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie et du schéma national bas carbone. Faisons en sorte que le prix du certificat soit dissuasif. Affichons notre conviction qu'une industrie décarbonée est possible dans notre pays et militons pour un prix du CO2 qui soit réellement décourageant au plan mondial. Faisons payer lourdement ceux qui savent le produire et reversons le cas échéant une partie des bénéfices à ceux qui savent l'épargner ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-François Longeot. Je veux à mon tour remercier le groupe La République En Marche d'avoir demandé ce débat.
La politique de concurrence au niveau mondial nous amène à nous interroger sur les questions de concentrations d'entreprise et sur les régulations internationales qui peuvent intervenir.
Les phénomènes de concentration sont récurrents et touchent quasiment tous les secteurs de l'économie. Pour leurs promoteurs, ils sont favorables, non seulement aux entreprises, avec des capacités nouvelles de levées de fonds et des effets de mutualisation, mais aussi aux consommateurs, par une diminution des prix.
Ces concentrations conduisent toutefois à des situations de monopole, et les craintes s'amplifient actuellement dans un certain nombre de domaines. Je pense notamment aux entreprises du numérique et de l'internet, qui détiennent énormément de données personnelles. Lorsque l'on observe que Facebook a racheté progressivement WhatsApp et sa concurrente Instagram, on imagine la quantité phénoménale de données que cette entreprise est capable de posséder et de traiter.
La richesse, c'est aujourd'hui l'information personnelle, mais nous ne sommes plus capables de mesurer les capacités cumulées. Comment pouvons-nous adapter nos outils de régulation à ce type de mesures et d'évaluation de richesses ?
Nous mesurions jusque-là les effets de monopole sur des données économiques. Aujourd'hui, la politique de concurrence doit prendre en compte la détention de données personnelles, et pas seulement de matière. Le Gouvernement milite-t-il aujourd'hui au niveau international pour réguler ces concentrations, non plus économiques, mais de l'intelligence ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur Longeot, la question de la valeur des données dans le monde d'aujourd'hui est assez nouvelle, et les politiques de la concurrence ne la prennent pas forcément totalement en compte.
La donnée constitue pourtant un avantage décisif pour l'économie. En France, l'existence de bases de données centralisées massives, en particulier dans le secteur public, peut créer une dynamique de création de valeurs et offrir des occasions extrêmement intéressantes de développement d'outils d'intelligence artificielle, par exemple. L'ouverture et l'exploitation de ces masses de données constituent donc un premier axe stratégique en faveur de la compétitivité des activités françaises dans ce secteur.
Toutefois, il convient aussi d'engager les entreprises dans une nouvelle logique d'ouverture et de partage de données. Le Gouvernement soutiendra et encouragera toutes les initiatives sectorielles des entreprises, notamment dans les domaines de la voiture connectée ou de l'aéronautique, qui visent à mettre en place des plateformes d'échange, de partage et de fertilisation croisée des données entre acteurs industriels, pour éviter justement l'appropriation des données par un seul acteur.
Ces politiques d'ouverture et de valorisation des données, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, sont inconcevables sans un cadre protecteur des données personnelles.
C'est précisément tout l'intérêt du règlement général de la protection des données, qui entre en vigueur le 25 de ce mois. Il offre aux Européens un niveau de protection inégalée dans le monde, et c'est un atout fondamental pour la France et l'Europe dans la compétition internationale. Les produits et services numériques commercialisés par les Européens sont les seuls à offrir de tels standards de protection sur la vie privée et les données personnelles : il s'agit d'un atout commercial que toutes les entreprises françaises et européennes doivent systématiquement mettre en avant.
Les évolutions récentes illustrées par l'affaire Cambridge Analytica montrent que le modèle européen apparaît de plus en plus comme une référence au plan international. L'avance dont nous disposons nous permet d'espérer la création d'activité et d'entreprises puissantes en Europe.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne.
Mme Catherine Conconne. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j'habite un pays particulier, situé à 8 000 kilomètres des centres classiques d'approvisionnement, qui se trouvent, peut-être par réflexe atavique, en Europe. J'habite la Martinique, mais ces propos valent aussi pour mon île soeur, la Guadeloupe.
Dans nos pays, des filières de production animale se battent pour tendre vers un maximum d'autonomie alimentaire pour notre population.
Parallèlement, nos pays dits « d'outre-mer », membres de l'Union européenne malgré des régimes d'exception de moins en moins protecteurs, deviennent des zones de déversement des trop-pleins de production de la zone Europe. Ces produits arrivent en quantité astronomique et font l'objet d'une grande braderie, aussi bien en qualité qu'en prix. Les producteurs locaux, impuissants, assistent à cette concurrence sauvage de ces productions aidées par les régimes d'éloignement de l'Union européenne, entre autres le POSEI, le Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité !
Dans ladite « outre-mer », plus encore qu'ailleurs en France, vu la cherté de la vie, la course au moindre coût oriente le choix des consommateurs.
Ces déversements sont fréquents, sauvages. Ils n'obéissent à aucune règle, ne sont pas contingentés et surviennent à tout moment de l'année, sans aucun regard des administrations qui se cachent derrière la sacro-sainte liberté du commerce.
La libre concurrence n'est pas, pour moi, un blasphème ni un gros mot, madame la secrétaire d'État. Mais, pour nos pays, les règles ne sont pas équitables. Petite population, petits marchés éloignés des centres d'approvisionnement : la situation vire à l'affrontement entre pot de terre et pot de fer !
Je prendrai l'exemple de l'une de nos productions principales, la banane étiquetée « banane française ». Figurez- vous que l'enseigne Monoprix a choisi de l'évincer de ses étals au profit d'une banane équatorienne dite « bioéquitable ». Le drapeau bleu-blanc-rouge qui sertissait nos fruits jaunes a été remplacé par le label international Max Havelaar
D'après le président de l'enseigne, que j'ai interpellé, cette banane garantirait « une plus juste rémunération du producteur ». En gros, on essaie de nous faire croire que les lois sociales et les conventions collectives françaises, appliquées à la lettre dans nos pays, ne permettent pas de garantir l'aspect dit « social » de la production. Malgré notre système de protection sociale et nos normes appliquées strictement, l'Équateur serait donc meilleur élève que nous !
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Conconne. Madame la secrétaire d'État, osez ce qui est devenu un gros mot en Europe : le protectionnisme est légitime pour certaines activités, afin de permettre à ces insulaires éloignés de vous de vivre, tout simplement ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. J'entends votre plaidoyer, madame la sénatrice. Les marchés de dégagement outre-mer posent en effet des problématiques spécifiques. Je rappelle à cet égard que la loi relative à l'égalité réelle outre-mer a prévu la possibilité pour les préfets d'intervenir en cas de situation anormale causée par un afflux de produits.
Au sujet de la banane, un accord commercial est entré en vigueur le 1er janvier 2017 entre l'Union européenne et l'Équateur, premier exportateur mondial 27 % du total des exportations , avec pour conséquence une situation particulièrement difficile pour les producteurs de bananes ultramarins, soumis à des normes sociales et environnementales exigeantes. En effet, l'Équateur a obtenu, dans cet accord, de passer d'un tarif douanier de 167 euros par tonne à un tarif de 75 euros par tonne.
La ministre Annick Girardin et le ministre de l'économie et des finances, qui connaissent très bien ce sujet, plaident auprès du commissaire européen compétent pour que la situation des producteurs de bananes ultramarins soit mieux prise en compte dans le futur accord en 2020.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Je m'associe aux remerciements adressés pour l'organisation de ce débat à nos collègues du groupe La République En Marche.
Je rappelle le savoir-faire de nos entreprises vous aviez pu le mesurer lors de votre déplacement dans les Ardennes, madame la secrétaire d'État et notre attachement au développement économique.
Les démarches engagées au niveau de l'Union européenne ont été rappelées, mais nos entreprises méritent aussi d'être soutenues par l'État et les collectivités territoriales. Il est nécessaire par ailleurs de lutter contre la fraude et de s'interroger sur l'imposition des géants du numérique, car le manque à gagner pour les États est considérable. La lutte contre la contrefaçon est aussi un sujet particulièrement sensible.
Je note enfin que les entreprises, notamment les plus petites, ont encore des difficultés d'accès au haut débit, et parfois même à la téléphonie mobile mon département compte toujours de nombreuses zones blanches.
De façon générale, quelles mesures envisagez-vous pour réduire les contraintes qui pèsent au quotidien sur les chefs d'entreprises artisanales, commerciales ou industrielles ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Votre question a plusieurs facettes, monsieur le sénateur.
Vous avez souligné combien il était important pour les entreprises d'accéder aux outils numériques et de profiter de tout ce que la technologie peut aujourd'hui leur apporter.
En la matière, l'Europe porte une ambition assez forte et entend mettre à niveau l'ensemble du tissu économique. La France a également consacré des moyens significatifs et mène une action résolue en direction des opérateurs pour accélérer le déploiement du très haut débit partout sur le territoire, avec un premier rendez-vous en 2020, pour offrir un haut débit de 8 mégabits par seconde sur l'ensemble du territoire, et un second rendez-vous en 2022, cette fois pour rendre accessible partout le très haut débit.
Nous sommes absolument convaincus qu'il s'agit là d'éléments-clés de la compétitivité des entreprises et de leur capacité à affronter une concurrence forte.
S'agissant de la fraude, j'ai compris que vous vouliez évoquer la difficulté à taxer les géants du numérique. Sur le plan européen, nous avons désormais sur la table une proposition intermédiaire de taxation des géants du numérique qui nous convient et sur laquelle nous allons travailler avec nos partenaires.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.
M. Marc Laménie. Je vous remercie de votre réponse et de votre engagement, madame la secrétaire d'État. Ce débat aura permis d'identifier les problèmes essentiels et d'avancer. C'est un combat permanent, et il ne faut surtout pas baisser les bras !
M. le président. La parole est à M. Serge Babary.
M. Serge Babary. Dès l'origine, le processus d'intégration européenne a été marqué par le choix de l'économie de marché. C'est ce même choix qui prévaut pour l'ouverture à la mondialisation.
Le principe d'une économie ouverte n'implique cependant pas une foi inconditionnelle dans le fonctionnement des mécanismes du marché. Il exige au contraire une vigilance constante, pour que le jeu de ces mécanismes puisse être préservé et orienté dans le sens de l'intérêt général.
Conçue comme la contrepartie de la libre circulation des marchandises, la politique de concurrence européenne consiste à repérer et à sanctionner les pratiques anticoncurrentielles : concentrations, ententes, abus de position dominante.
Cette politique de concurrence a aujourd'hui atteint ses limites et ne peut plus être appréhendée d'une manière purement juridique. Elle doit également être envisagée d'un point de vue économique, social et sanitaire.
En ouvrant ses frontières, l'État français participe à la mondialisation de l'économie. Il doit en assumer les responsabilités. À ce titre, il doit assurer la protection non seulement des consommateurs, mais également des producteurs nationaux, qu'ils soient industriels, transformateurs, éleveurs ou agriculteurs.
Dans de nombreux domaines, on constate en effet que les produits français se voient imposer des normes très strictes induisant des coûts de production élevés, pour ensuite subir la concurrence de produits importés qui ne respectent pas ces obligations. Cela concerne, par exemple, les normes sanitaires et phytosanitaires, environnementales, sociales, les conditions de travail et les obligations de description des produits à la vente.
L'État négocie des accords internationaux qui permettent l'importation de produits ne respectant pas les normes européennes et françaises imposées à nos producteurs. Ces transactions doivent être empêchées ou, à tout le moins, taxées, afin de limiter la concurrence déloyale qu'elles représentent, et faire l'objet d'une information précise auprès du consommateur. Instaurer cette exigence est impératif pour la pérennité de nos capacités productives industrielles et agricoles. Pouvez-vous, madame la secrétaire d'État, me préciser les intentions du Gouvernement à ce sujet ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, vos observations rejoignent une préoccupation forte du Gouvernement. Je peux vous assurer que ce sujet nous tient à coeur.
Vous exprimez la crainte que des produits d'importation ne respectent pas les normes européennes. Je peux vous garantir que nous sommes pleinement mobilisés sur ce sujet et prêts à prendre des sanctions le cas échéant. Il est bien évident que les normes sanitaires ou phytosanitaires et les mesures de protection des consommateurs, en particulier, doivent absolument être respectées par tous.
Par ailleurs, vous relevez que, même quand les produits importés sont conformes, ils peuvent avoir été manufacturés dans des conditions qui ne sont pas celles en vigueur dans les pays européens, où les contraintes environnementales, sociales et fiscales sont plus fortes. Cela fait écho à ce qui a été dit tout à l'heure sur les éléments de dissymétrie qui existent par exemple en matière environnementale, mais que l'on retrouve aussi dans les champs financier, économique ou social. Là encore, il s'agit pour l'Europe d'utiliser sa puissance commerciale, de faire preuve de cohésion, de promouvoir, sur le plan international, sa vision et son modèle dans le cadre de la négociation des accords commerciaux, afin que puissent être pris en compte ces effets de dissymétrie. Je suis toutefois bien consciente que l'on ne peut pas y parvenir en toutes circonstances.
M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.
M. Serge Babary. Madame la secrétaire d'État, je vous donne acte, sinon de votre optimisme, du moins de votre bonne volonté affichée, mais j'ai plutôt l'impression d'un fatalisme certain face à la situation qui a été décrite par beaucoup d'intervenants. Pendant ce temps, notre tissu économique se délite, qu'il s'agisse de l'industrie ou de l'agriculture. Dans tous les cas, le sacro-saint accès au marché mondialisé ne profite pas aux consommateurs, qui se voient proposer des produits low cost. C'est sur ces sujets qu'il faut travailler pour éviter un effondrement de notre économie marchande. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Madame la secrétaire d'État, vous nous avez parlé de souveraineté industrielle européenne : croyez-vous vraiment que l'Allemagne en ait besoin pour asseoir sa domination sur l'industrie européenne ? La France enregistre un déficit commercial de plus de 60 milliards d'euros, l'Allemagne un excédent de quelque 230 milliards d'euros Nous sommes les dindons de la farce de la concurrence mondialisée et de l'hyperconcurrence au sein de l'Union européenne.
L'Allemagne a développé ses relations nearshore avec l'Europe de l'Est, en proposant des emplois sous-payés dans l'agriculture et d'autres secteurs. Même l'industrie italienne est mieux armée que la nôtre ! L'Espagne, quant à elle, est en train de redévelopper un certain nombre de filières. Les résultats, terribles, sont là : nous sommes, je le répète, les dindons de la farce.
On assiste depuis des années à une désindustrialisation. On a fait disparaître Alcatel-Alsthom, qui employait 200 000 personnes il y a vingt ans ; aujourd'hui, Alstom connaît une forte croissance. On pourrait également évoquer Péchiney, et bien d'autres exemples.
Il est clair que la France souffre d'un grave handicap en matière de concurrence économique au sein même de l'Union européenne par rapport aux autres pays socialement comparables.
À mon sens, ce handicap a deux causes.
La première est le niveau des prélèvements obligatoires : 57 % du PIB ; lorsqu'on prélève plus de la moitié de la richesse produite, on prive de plus de la moitié de leur liberté la société et les créateurs de richesses.
La seconde cause, c'est une certaine forme de haine de soi, très répandue chez certaines élites françaises, conjuguée à une fascination pour les modèles étrangers, au détriment de nos propres atouts. La marque France représente pourtant tout de même quelque chose, à condition de faire preuve d'un minimum de patriotisme économique, à l'instar des Allemands, des Italiens et, bien entendu, des Japonais, des Chinois et des Américains. Nous, nous faisons confiance à l'Europe pour nous défendre dans la concurrence mondialisée
Qu'attend le Gouvernement pour aider les petites entreprises françaises, notamment, qui sont bien souvent écrasées par les grands groupes ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Sébastien Meurant. Qu'attend-il pour promouvoir un patriotisme économique intelligent et une forme de protectionnisme, afin de défendre la marque France, les emplois et les producteurs français ?
M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, la situation que vous évoquez n'est pas nouvelle. En effet, l'érosion de la base industrielle française est constatée depuis plusieurs décennies. (M. Victorin Lurel s'exclame.) On pourrait débattre à perte de vue de ce qui a été fait ou de ce qui n'a pas été fait, de ce qu'il aurait fallu faire pour réussir aussi bien que certains de nos voisins, mais, pour notre part, nous sommes dans l'action. Le Gouvernement est prêt à tout mettre en oeuvre pour redonner aux entreprises et à la base industrielle françaises toute leur place dans l'économie européenne ; il entend agir, et non pas rester dans la sinistrose ambiante.
C'est dans cet esprit que nous avons engagé une réforme de notre système fiscal et une réforme du marché du travail d'une ampleur inédite, que nous nous attaquons à la problématique cruciale de la compétitivité hors coût, en travaillant sur l'amélioration de la qualité du travail et de l'adéquation des compétences aux besoins.
Nous sommes prêts à ouvrir les chantiers de la simplification des normes, de la « dé-surtransposition », à agir sur tous les leviers pour faire en sorte que notre économie retrouve du dynamisme et puisse exprimer pleinement son potentiel. Quelques signes nous donnent aujourd'hui à penser que le programme très cohérent du Gouvernement est de nature à le permettre.
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Richard Yung, pour le groupe auteur de la demande.
M. Richard Yung, pour le groupe La République En Marche. Monsieur Meurant, nous ne devons pas avoir honte de la marque France. La France est un grand pays de marques, nous avons sans doute l'un des plus importants portefeuilles de marques au monde, notamment dans le secteur du luxe. Nous comptons aussi nombre d'indications géographiques protégées, dont la haute qualité est reconnue partout dans le monde, y compris dans le domaine agricole.
Une des principales demandes exprimées au cours de ce débat est la prise en compte des normes environnementales, en particulier en matière d'émission de gaz à effet de serre, dans les relations économiques et commerciales. L'obtenir sera difficile, car si certains traités prennent en compte cette dimension environnementale, tel n'est pas le cas des traités économiques. Il faudra donc renégocier ceux-ci ; comme on peut l'imaginer, ce ne sera pas une tâche facile, beaucoup de pays ne marquant pas un grand enthousiasme pour s'engager dans cette voie, qui est néanmoins la voie à suivre.
La remise en cause du multilatéralisme commercial par le président des États-Unis est un élément important. Nous sommes confrontés à de nombreuses difficultés : sanctions commerciales additionnelles contre la Russie, exigences, dans le domaine commercial et dans celui de la propriété industrielle, tout à fait inacceptables par la Chine, menaces à l'encontre de la France, de l'Allemagne et de l'Europe en matière de déficit commercial, sortie des États-Unis de l'accord nucléaire avec l'Iran, de surcroît assortie de menaces de représailles commerciales et financières contre nos entreprises La presse de ce matin nous apprend ainsi que Total envisage de se retirer d'un grand projet gazier en Iran. PSA et Renault sont également très présents dans ce pays. Ajoutons que les banques françaises, qui ont déjà eu à payer entre 2 milliards et 9 milliards d'euros d'amendes à nos amis Américains, sont désormais très prudentes pour consentir des prêts aux entreprises exportant vers l'Iran.
C'est regrettable, mais un conflit s'annonce donc, qu'aucun d'entre nous ne souhaitait. Madame la secrétaire d'État, vous avez détaillé un certain nombre de mesures envisagées au niveau européen, mais nous devons avant tout adopter une position ferme à l'égard des États-Unis, ne pas accepter ces mesures unilatérales et ces menaces, montrer que l'Europe est forte, qu'elle peut, étant l'une des premières puissances commerciales du monde, si ce n'est la première, résister, développer ses relations avec d'autres partenaires, comme l'Inde, la Chine ou l'Amérique latine. Nous ne sommes pas voués à nous plier au diktat américain. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thme : « La politique de concurrence dans une économie mondialisée ».
source http://www.senat.fr, le 25 mai 2018