Interview de M. Jean-François Mattei, président du groupe parlementaire Démocratie libérale à l'Assemblée nationale, à France Inter le 10 janvier 2002, sur sa proposition de loi visant à refuser l'indemnisation du "préjudice de la naissance".

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Média : France Inter

Texte intégral

F. Beaudonnet "Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance". La phrase est courte et d'une grande clarté. Elle pourrait mettre fin à plus d'un an de polémiques autour de l'arrêt Perruche. En Novembre 2000, la Cour de cassation avait indemnisé un jeune handicapé, parce que son handicap n'avait pas été décelé durant la grossesse de sa mère. L'amendement du Gouvernement, qui sera examiné ce matin par les députés, empêchera-t-il la plus haute juridiction civile de prendre de nouveaux arrêts en ce sens ? Ne faut-il pas plus largement reposer le problème de la place que notre société accorde aux personnes handicapées ? En décembre dernier, vous aviez déposé une proposition de loi pour lutter justement contre les effets pervers de l'arrêt Perruche. C'est une victoire pour vous ce matin ?
- "Je pense que c'est une victoire. Il faut qu'elle soit modeste, parce qu'elle n'a pas encore abouti. En tout cas, ce qui me fait plaisir, c'est que le Gouvernement qui hésitait à légiférer est désormais convaincu de le faire, et qu'il faut le faire vite, car les conséquences, ne serait-ce que dans l'opinion publique de l'arrêt Perruche, sont un grave trouble. Les personnes handicapées se sont même senties touchées dans leur dignité. Parce que dans cet arrêt Perruche, il y a la notion que la naissance peut être un préjudice. Ce qui sous-entend l'idée que certaines vies ne vaudraient pas la peine d'être vécues, ce qui repose en définitive sur le droit à ne pas naître. On essaie de comparer ce qu'est une vie, certes fragile et amoindrie, à l'inexistence. Ce qui est absurde. Les handicapés se sont sentis touchés et il fallait réagir à cela. La vie nous est donnée. Personne ne peut se plaindre de cette qualité de vie et en obtenir réparation."
Le Gouvernement a changé. Au début, il ne souhaitait pas légiférer. Vous parlez même d'un retournement à 180 degrés. Qu'est-ce qui explique, selon vous, ce retournement ?
- "Je crois que le Gouvernement a mesuré, après la proposition de loi que nous avons déposée, la résonance dans l'opinion publique. Car les associations de parents d'enfants handicapés, les unions familiales, les professionnels de santé et des pétitions de femmes nous sont arrivées, des soutiens et un manifeste de gens, qui ne sont pas connus pour être tous de même philosophie politique, se sont manifestés. Il fallait donc être raisonnable. Cela dit, lorsque je parlais tout à l'heure de plaisir de ma part, je dois dire que ce plaisir est encore incomplet. Dans l'amendement qui nous est présenté par le Gouvernement, certes le principe philosophique est retenu et il me convient tout à fait, mais on n'a pas réglé correctement le problème de la responsabilité médicale."
Que manque-t-il ?
- "Aujourd'hui, il y a encore une ambiguïté dans l'organisation du rapport entre les médecins, les patients et la société. Allons-nous vers une logique d'indemnisation ? A savoir si les parents, au cas par cas, obtiendront-ils une indemnité pour leur enfant handicapé ? Ou bien va-t-on vers la logique de la solidarité nationale ? C'est ce qui est grave. Vous disiez très justement que le problème est de savoir si notre pays est capable d'offrir pour les personnes handicapées un accueil digne, de les intégrer, de les accompagner et de les prendre en charge. Je ne crois pas que la logique indemnitaire soit bonne. Cela dit, les médecins doivent assumer la responsabilité de leurs fautes. Qu'ils soient condamnés en pareil cas, c'est normal. Qu'ils soient condamnés pour réparer un préjudice moral, mais pas un préjudice matériel."
Parlons justement de l'accueil des personnes handicapées. On sait par exemple que les personnes handicapées vivent de plus en plus âgées. C'est un phénomène lourd, puisque leur espérance de vie à gagner, je crois, 12 ans en 18 ans seulement...
- "C'est exact."
Or, après 60 ans, on sait également qu'il y a un problème de statut même, pour les personnes handicapées. Qu'est-ce qu'il faudrait faire, selon vous, pour qu'elles soient mieux accueillies dans notre société ?
- "Je pense qu'il faut que notre société accepte l'idée de la différence, accepte l'idée de la solidarité vis-à-vis des plus faibles et des plus démunis et que lorsque les parents des personnes handicapées disparaissent, le pays en soit responsable, un peu sur le principe des pupilles de la nation au début de la vie. Je pense que c'est ça qui est important, parce que le poids des parents - c'est mon activité professionnelle - est de dire : "Mais quand on ne sera plus là ?". Naturellement, nous devons répondre à cette question. C'est très grave parce qu'aujourd'hui, après l'arrêt Perruche et d'autres affaires comparables, on a le sentiment que la solidarité se défausse un peu sur des décisions de justice accordant des indemnités. Ce qui ne paraît pas juste."
Est-ce que vous croyez justement, si la jurisprudence Perruche n'est plus active, qu'il y aura moins de demandes, dans la mesure où les indemnités, par exemple, seraient versées et où les handicapés n'auront plus de problèmes pour vivre ?
-"Je pense que ce serait un effet pervers. Car il y aurait l'inégalité suivante : - pardonnez-moi parce que c'est horrible ce que je vais vous dire - il vaudrait mieux être né handicapé à la suite d'une suite médicale pour laquelle les parents auraient porté plainte que d'être le handicapé de la grossesse ordinaire que les parents accueilleraient avec amour. Ce n'est pas acceptable. Il faut donc que tous les handicapés soient traités de la même façon, avec le même respect et j'allais dire la même attention."
Revenons un instant sur ce qu'il y a à la fois dans votre proposition de loi et dans l'amendement du Gouvernement. Qu'est-ce qui va changer concrètement, si ce texte est voté ?
- "Un enfant né ne pourra pas se tourner vers la justice pour obtenir réparation de ce qu'il pourrait considérer comme un préjudice. Les parents, eux, pourront demander réparation - parce qu'on ne leur aura pas donné l'information, on n'aura pas permis à la mère d'éventuellement opter pour une interruption de grossesse - là, il y a une réaction nécessaire -, mais pas à l'enfant. Les Américains qui sont à l'origine de ce concept qu'on appelle "la vie avec préjudice" l'ont abandonné petit à petit, car un enfant pourrait se retourner vis-à-vis de sa mère qui, informée, n'a pas choisi d'interrompre la grossesse. Il pourrait se retourner vers des parents alcooliques par exemple. Dans notre société, on a besoin de repères. Il y a deux repères qui sont essentiels : la naissance et la mort. Il peut y avoir des périodes de doutes métaphysiques pour l'immédiatement après ou l'immédiatement avant - chez l'embryon. Mais la naissance et la mort sont des repères qui nous rassemblent tous. Et on en a besoin."
Pour pouvoir bénéficier d'une indemnisation, il va falloir que les parents prouvent qu'il y a eu faute caractérisée. Qu'est-ce qu'une faute caractérisée ?
- "Ce n'est pas nouveau dans l'exercice général de la médecine, que ce soit une intervention chirurgicale, un acte médical : les médecins peuvent se tromper. Malheureusement, ils ne peuvent pas tout voir."
Faute et erreur médicale sont deux choses totalement différentes ?
- " Oui, parce que la faute, c'est par exemple lorsque vous êtes coupable d'une maladresse - vous oubliez une pince dans un ventre ou vous opérez le mauvais rein. Cela arrive malheureusement. C'est une faute bien évidemment. L'erreur - c'est ce qui va en tout cas être exposé -, c'est lorsque l'échographiste, l'obstétricien qui est devant son écran et qui essaie de deviner ce qu'est cet enfant en préparation, ne voit pas tout. 40 % des malformations lui échappent. Bien entendu, les parents font confiance. Les obstétriciens et les échographistes prennent la précaution de dire que l'examen est normal. Ils ne disent pas l'enfant est normal. Naturellement, s'ils ne voient pas quelque chose, on pourra considérer que c'est une erreur. On ne peut pas attendre tout. Les médecins insistent beaucoup pour dire qu'ils veulent bien assumer l'obligation de moyens, mais qu'ils ne peuvent en aucun cas assumer l'obligation de résultats."
Les échographistes sont justement en grève depuis le début du mois de janvier : vous avez beaucoup discuté avec eux. Vous pensez que ce texte, aujourd'hui, va les satisfaire ?
- "Non, pas du tout. Ce texte ne va pas les satisfaire. On ne peut malheureusement pas rentrer dans le détail, parce que cela nous entraînerait sur des chemins du droit un peu compliqués. Les hôpitaux publics dépendent de ce qu'on appelle une juridiction administrative qui est le Conseil d'Etat, alors que les médecins libéraux relèvent d'une juridiction judiciaire qui est la Cour de cassation. Or, les conséquences ne sont pas les mêmes. Quand un médecin hospitalier fait une erreur, c'est le budget hospitalier qui va payer - cela n'est pas très compliqué. Tandis que si on applique la même chose à un médecin libéral, c'est son assurance qui va devoir payer et donc sa police d'assurance va augmenter et il ne pourra plus faire face. Nous avons là un problème très grave quant à l'assurance professionnelle des médecins. Je crois que nous prenons le risque d'être privé de ces spécialités dites à risques dans nos populations. Je crains que si on ne précise pas très exactement les limites de la responsabilité du médecin, les femmes enceintes ne trouveront plus d'obstétriciens, de sages-femmes ou d'échographistes."
Dernière question sur un point particulier : que va-t-il se passer pour les enfants nés d'un viol ?
- "C'est un peu différent, dans la mesure où ce que l'on attaque et ce que l'on peut attaquer, ce sont les circonstances dans lesquelles a été conçu l'enfant. Et je trouve tout à fait normal qu'il y ait là un préjudice recherché par l'enfant, parce que les circonstances ne sont quand même pas tout à fait correctes."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 10 janvier 2002)