Texte intégral
JULIEN PEARCE
Bonjour Nicole BELLOUBET.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour.
JULIEN PEARCE
Garde des sceaux et ministre de la Justice. Merci d'être avec nous ce matin. Pour commencer, on a appris hier soir qu'un enfant de 10 ans a été mis en examen dans l'incendie qui a causé la mort d'une mère de famille et de ses trois enfants, jeudi dernier, à Aubervilliers. Cet enfant ne sera pas jugé, car il est pénalement irresponsable. Ça veut dire qu'il n'y aura pas de justice pour la famille des victimes ?
NICOLE BELLOUBET
Si, il peut y avoir des questions de responsabilité qui seront mises en jeu, et évidemment, l'enfant sera pris en charge de manière spécifique. Nous serons très attentifs à cette famille qui a été dramatiquement meurtrie, puisqu'il y a eu plusieurs morts. Evidemment, ça ne peut pas rester ainsi. Donc la famille sera évidemment appuyée.
JULIEN PEARCE
Mais ça sert à quoi de mettre en examen un enfant de 10 ans ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien, écoutez, il faut bien prendre en compte un certain nombre d'actes qui ont été commis. Ils sont pénalement irresponsables jusqu'à 13 ans, mais cela ne veut pas dire que cet enfant va être livré à lui-même, encore une fois, il va être pris en charge par des structures adaptées.
JULIEN PEARCE
Nicole BELLOUBET, Redoine FAÏD court toujours un mois après son évasion en hélicoptère de la prison de Réau, en Seine-et-Marne. Vous avez présenté hier les conclusions du rapport d'inspection, mais avant de les détailler, on a appris ces dernières heures qu'une infirmière a été retenue hier en otage par un détenu à Salon-de-Provence, elle en est sortie indemne physiquement. Un peu plus tôt, deux évasions se sont produites à la Maison d'arrêt de Colmar. Madame la Garde des sceaux, c'est ça la prison française ?
NICOLE BELLOUBET
Vous savez, les phénomènes que vous soulevez ne sont pas nouveaux, ils sont en même temps, je crois, à la fois très quotidiens, les surveillants pénitentiaires doivent faire face, bien entendu, à des phénomènes de violences, mais j'avais l'occasion de le rappeler hier, il faut aussi bien voir que les évasions par exemple sont numériquement assez peu nombreuses, je citais en 2017 le chiffre de 15 évasions, dont 6 venant des centres de semi-liberté. Donc ce sont des phénomènes très présents dans les violences quotidiennes. Les phénomènes graves sont relativement peu nombreux numériquement. Ça ne signifie pas qu'il n'y a pas une difficulté. La difficulté, nous la connaissons, c'est la surpopulation dans les établissements pénitentiaires, et c'est la raison pour laquelle, dans le projet de loi que je présenterai à l'automne, au Sénat, au Parlement, mais je commencerai au Sénat, dans ce projet de loi, il y a des mesures sur les peines, et puis, également un plan de construction de places pénitentiaires.
JULIEN PEARCE
Exactement, quelles ont été les défaillances qui ont permis l'évasion de Redoine FAÏD ?
NICOLE BELLOUBET
Alors, il y a des défaillances, je dirais liées à la sécurité passive de l'établissement, c'est-à-dire que, on l'a dit à plusieurs reprises, la cour d'honneur de l'établissement n'était pas couverte de filet anti-hélicoptère, ce n'était pas une erreur, c'est quelque chose qui avait été c'est peut-être une erreur, a posteriori, mais cela avait été pensé, parce que dans cette cour d'honneur, théoriquement, les détenus n'y circulent jamais. Donc on n'avait pas pensé à couvrir cette cour de fils. On va le faire maintenant, bien entendu. Il y a eu également des problèmes architecturaux avec des portes qui sans doute étaient mal situées, avec d'autres éléments, une organisation des parloirs qui mérite d'être revue, bref, un certain nombre d'éléments qui méritent d'être retravaillés.
JULIEN PEARCE
Il y a eu aussi, Nicole BELLOUBET, des défaillances liées à votre administration qui avait été alertée des risques d'évasion de Redoine FAÏD ?
NICOLE BELLOUBET
Absolument. Nous devons veiller, et c'est la raison pour laquelle je me suis engagée à ce qu'il y ait une réforme de l'administration centrale, nous devons veiller à ce qu'il y ait une meilleure communication entre les professionnels qui sont sur le terrain et les personnes qui travaillent à l'administration centrale, manifestement, il y a eu parfois des difficultés de compréhension, d'un côté, une application peut-être un peu trop rigide de la règle de droit, mais nous avons des contraintes aussi de ce côté-là, et de l'autre côté, des professionnels en attente de réponses concrètes.
JULIEN PEARCE
Concrètement, les surveillants de la prison de Réau avaient alerté leurs supérieurs hiérarchiques en disant : Redoine FAÏD prépare une évasion, il faut le transférer immédiatement, et on leur a répondu : pas avant septembre.
NICOLE BELLOUBET
C'est ce qui a été répondu, pas de façon absurde, c'est-à-dire qu'il y a eu une analyse, mais cette analyse ne s'est pas suffisamment confrontée à la pratique, autrement dit, il n'y a peut-être pas suffisamment de retour d'expérience, c'est cela que nous allons transformer en modifiant l'administration centrale, ce sera fait à la fin de l'année civile. Est-ce que le personnel de cette prison a, lui aussi, manqué de réactivité ?
NICOLE BELLOUBET
Le personnel a été sidéré, c'est ce que dit le rapport de l'inspection judiciaire, elle parle de sidération des personnels, ils ont fait ce qu'ils avaient à faire, c'est-à-dire, ont tenté de joindre les forces de l'ordre, mais ça n'a pas été possible, il y a eu une difficulté de ce point de vue-là, en revanche, ils n'ont pas utilisé les armes qui étaient à leur disposition, et a postériori, c'est heureux, car évidemment cela aurait pu entraîner des drames humains qui auraient été encore plus douloureux.
JULIEN PEARCE
Est-ce que vous allez pouvoir changer sur ces questions, quelque chose sur ces questions de statut des détenus, Redoine FAÏD, lui, est prévenu, c'est-à-dire qu'il n'a jamais été condamné définitivement, voilà pourquoi il n'était pas en maison centrale. Qu'est-ce que vous pouvez y faire ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, il faut, je crois aujourd'hui, nous avons une distinction qui est opérée entre les gens qui sont prévenus, c'est-à-dire qui n'ont pas encore été jugés et ceux qui sont condamnés ; un prévenu doit être en maison d'arrêt, un condamné est en centre de détention pour longue peine. Il me semble qu'il faut peut-être davantage croiser ces éléments avec la dangerosité des personnes. Vous avez des prévenus dangereux à divers titres, Redoine FAÏD était l'un d'entre eux, et puis, vous avez des condamnés qui sont moins dangereux, il me semble que c'est un élément qui doit être pris en compte, c'est là aussi ce que nous allons faire en modifiant, si besoin en est, les textes.
JULIEN PEARCE
Passons maintenant à l'affaire BENALLA, Madame la Garde des sceaux, estimez-vous que les commissions de justice qui oeuvrent actuellement, les commissions
NICOLE BELLOUBET
D'enquête
JULIEN PEARCE
Parlementaire, excusez-moi, empiètent sur le travail de la justice ?
NICOLE BELLOUBET
Elles ne doivent pas le faire, il y a un principe fort de séparation des pouvoirs, une information judiciaire a été ouverte sur la base des événements qui se sont déroulés autour du 1er mai, et puis, sur la transmission des vidéos. Cette enquête judiciaire, cette information judiciaire doit pouvoir progresser, avancer en toute indépendance. Les commissions d'enquête parlementaire ont leur légitimité, c'est certain, et il faut évidemment qu'elles puissent travailler normalement, pour autant, il me semble absolument capital de préserver l'indépendance de la justice et du travail parlementaire. Et je ne trouve pas sain qu'une commission d'enquête puisse empiéter sur le travail judiciaire.
JULIEN PEARCE
Est-ce qu'Alexandre BENALLA doit être entendu au Sénat ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien, écoutez, c'est précisément la question qui est liée à votre observation précédente, Alexandre BENALLA est la principale personne qui est mise en cause dans cette information judiciaire, il me semble délicat qu'il puisse intervenir et parler devant une commission d'enquête parlementaire, parce que je crois, là, qu'il y aurait une confusion des rôles et des genres, qui n'est pas forcément très saine.
JULIEN PEARCE
Quelle est votre observation, Nicole BELLOUBET, sur cette affaire, est-ce que vous êtes de l'avis du président qui dit que c'est une tempête dans un verre d'eau ?
NICOLE BELLOUBET
Je dis que c'est un événement très grave, parce qu'il y a eu des défaillances, des dérives personnelles qui doivent être sanctionnées, j'ai dit que ces dérives ne formaient pas un système, et donc je pense que ce n'est pas une affaire d'Etat, je pense vraiment qu'il y a, là je le redis des dérives individuelles qui doivent impérativement être sanctionnées, que, pour autant, la séparation des pouvoirs n'est pas remise en cause et que le fonctionnement des institutions doit pouvoir se dérouler normalement.
JULIEN PEARCE
Alors dans ce contexte rude ces dernières semaines pour vous, Nicole BELLOUBET, j'imagine que vous avez hâte de partir en vacances vendredi ?
NICOLE BELLOUBET
Je ne sais pas, à vrai dire, je ne sais pas si j'ai hâte de partir en vacances, j'ai, comme tous mes collègues, besoin de repos, mais quand on est ministre, on est toujours sur le qui-vive.
JULIEN PEARCE
Votre rentrée s'annonce d'ores et déjà chargée avec vous le mentionniez plus tôt la réforme de la justice, réforme qui a été
NICOLE BELLOUBET
Et puis, le texte sur la Constitution, sur la révision constitutionnelle qui reviendra devant le Parlement, bien entendu, et la réforme de la justice.
JULIEN PEARCE
Alors pour revenir sur cette réforme de la justice, elle est très décriée par une partie des magistrats, concrètement
NICOLE BELLOUBET
Je vous trouve excessif
JULIEN PEARCE
Mais en tout cas, c'est ce qu'ils disent, en tout cas pour une partie d'entre eux
NICOLE BELLOUBET
Certains
JULIEN PEARCE
Qu'est-ce que ça va changer cette réforme si elle passe en tant que telle pour les Français ?
NICOLE BELLOUBET
Ce que nous souhaitons faire, c'est vraiment mettre le justiciable au centre de nos préoccupations, et donc faire en sorte que le justiciable ait accès partout en proximité à une justice rapide et de qualité.
JULIEN PEARCE
Mais ça veut dire quoi concrètement, parce que ces éléments de langage, on les a entendus il y a dix ans avec Rachida DATI
NICOLE BELLOUBET
Mais ça veut dire alors là, vraiment, je m'inscris totalement en faux contre cette observation, ce que je fais n'a absolument rien à voir avec la politique qui a été suivie par madame DATI, je vous ferai observer que tous les tribunaux sont maintenus, tous sur l'ensemble du territoire, ce n'était pas, je crois, le cas de la politique que vous mentionnez, et nous souhaitons vraiment recentrer chacun des acteurs sur le coeur de leur métier pour que la justice soit rendue plus efficacement le plus rapidement.
JULIEN PEARCE
Merci Nicole BELLOUBET, Garde des sceaux, ministre de la justice, d'avoir été mon invitée ce matin, sur Europe 1.
NICOLE BELLOUBET
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er août 2018