Déclaration de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, sur la charte d'installation des jeunes agriculteurs, la loi d'orientation agricole, notamment le contrat territorial d'exploitation, l'agenda 2000 et l'OMC, Auch le 18 juin 1998.

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Circonstance : 32 ème congrès du CNJA à Auch le 18 juin 1998

Texte intégral

Mon Cher Président,
Mes Chers Amis,
I - Votre axe majeur : l'installation
Quatre ans déjà
Et en 1995, la signature de la Charte nationale d'installation. Avec une volonté forte : remettre l'installation au tout premier plan, dans un contexte de déstabilisation du métier d'agriculteur accélérée par la réforme de la PAC. Certes, l'objectif initial des 12 000 installations aidées n'est pas encore atteint : nous en sommes à 9200.
Mais il importait avant tout de stopper l'hémorragie.
De regagner le terrain perdu.
De recréer une dynamique.
Ce nouvel élan, vous avez su l'incarner !
Et au-delà, vous avez redonné du sens au métier et renforcé son attractivité.
Pour transmettre aux fils d'agriculteurs le désir de rejoindre le métier de leurs pères.
Pour inciter aussi les générations issues d'autres horizons à venir grossir nos rangs.
"L'imagination au pouvoir" écrivait-on sur les murs il y a tout juste 30 ans, en mai 1968.
Vous n'avez pas été en reste pendant ces 4 ans pour prendre de nouvelles initiatives. Pour imaginer et développer de nouveaux outils. Le FIDIL, le répertoire à l'installation, les points installation sont venus compléter les dispositifs existants.
Le message est passé.
L'installation est aujourd'hui plus qu'hier présente dans les orientations départementales. Elle figure dans tous les projets départementaux.
Travaillons maintenant à traduire complètement cette orientation en actes sur le terrain. L'action locale est le terreau de cette reconquête, vous l'avez bien souligné dans votre rapport.
"Préférer des voisins à des hectares", comme tu l'as rappelé, Christiane, avec vigueur et conviction, c'est militer pour une agriculture riche de sa diversité. Qui offre sa chance à chacun. Qui présente le visage de la complémentarité des produits et des hommes plutôt que celui d'un modèle uniforme d'exploitation.
S'installer, et durer. A ce titre, promouvoir la formation comme l'a toujours fait le CNJA peut aider le jeune à pérenniser son installation. 95% des entreprises agricoles sont encore en activité 5 ans après leur démarrage. C'est une réussite enviée.
S'installer, et transmettre. C'est l'affaire de tous. Jeunes et anciens. Car les obstacles sont nombreux. Et la solidarité entre les générations, plus que jamais nécessaire pour les franchir. Il nous appartient à nous syndicalistes, de convaincre et d'entraîner sur le terrain.
Mais nous avons aussi besoin d'une volonté politique forte de la part des pouvoirs publics.
D'un engagement clair, au-delà des incantations de principe !
La loi d'orientation agricole devra effectuer de vrais choix en faveur de l'installation, de la transmission, et de la rénovation de la politique des structures.
II la LOA, une ambition inachevée
Le projet de loi d'orientation agricole a l'ambition de dessiner les contours d'une agriculture multifonctionnelle. Une agriculture tournée vers la production, mais aussi une agriculture qui aménage les territoires, qui protège l'environnement, qui forme et emploie les hommes.
Cette vision élargie de l'agriculture à travers les produits, les hommes et les territoires, nous la partageons !
Mais le projet dans son état actuel a-t-il réellement les moyens de son ambition ?
Le CTE ne doit pas se réduire à quelques contraintes environnementales supplémentaires. Il n'a de sens que s'il est fondé sur un projet économique fort de l'exploitant.
D'ailleurs vous l'avez bien montré en parlant de "Contrat d'Entreprise"; nous aussi en évoquant le Contrat d'Initiative et de Développement Territorial (CIDT). Et nous commençons à être entendu par le gouvernement qui replace les finalités socio-économiques du contrat au même rang que le volet environnemental.
C'est maintenant le parlement qui ramasse la copie. C'est l'occasion d'aller plus loin !
Oui au CTE s'il redonne l'initiative au "paysan-entrepreneur"!
Non au CTE s'il sert uniquement à renforcer la machine de guerre administrative !
Oui au CTE s'il replace le projet d'exploitation en harmonie avec son territoire et son environnement !
Non au CTE s'il se réduit à la peau de chagrin d'un gadget environnemental !
Oui au CTE, outil raisonné et incitatif de la valorisation des produits, des hommes et des territoires!
Non au CTE s'il nous est présenté comme la solution miracle pour l'agriculture française!
Le CTE ne doit être considéré ni comme un gadget, ni comme une panacée.
Ne passons pas d'un extrême à l'autre !
N'attendons pas du CTE qu'il nous apporte la réponse à toutes nos questions.
S'il favorise la création de valeur ajoutée, s'il encourage la qualité, promeut la diversification et valorise la dimension territoriale de l'exploitation, le CTE est un atout.
S'il sert de cache misère à l'absence de proposition sur le statut de l'exploitant et le cadre juridique et fiscal de l'exploitation, alors il y a maldonne !
Le CTE doit être ouvert à tous, et nous refusons les zonages ou les quotas départementaux. La profession, le syndicalisme, doivent s'engager pleinement dans sa réalisation. Nos outils professionnels, en particulier les ADASEA, sont là pour cela.
Sachons être cohérent dans la profession, la complémentarité entre les Chambres, le syndicalisme et les ADASEA est essentielle et nous y sommes prêts.
Cette loi, nous l'avons toujours voulu, et nous la voulons toujours. Mais il reste encore beaucoup à faire.
Pour que la loi mérite son nom de loi d'orientation, elle devra combler plusieurs attentes :
1) Aménager la fiscalité des plus-values pour faciliter le passage de relais avec le cédant
2) Définir un véritable statut de l'exploitant qui affirme la responsabilité du chef d'entreprise agricole, et reconnaisse la pluriactivité.
3) Reconnaître et promouvoir pleinement l'organisation économique des producteurs à travers les interprofessions et la coopération.
Face au risque d'intégration rampante par l'amont comme par l'aval, notre meilleure réponse, c'est l'émergence d'un pouvoir économique fort.
Et c'est vous, les jeunes, qui construirez ce pouvoir économique de demain ! C'est vous qui le réinventerez, qui le ferez grandir jour après jour !
Non, nous n'avons pas à être les exécutants serviles de la grande distribution, qui fait sa laine sur notre dos !
Solidaires, nous devons l'être, et nous l'avons été encore récemment de manière exemplaire, CNJA et FNSEA côte à côte dans l'opération "vérité sur les marges" !
Solidaires, nous devons l'être aussi pour relever ensemble les défis de l'avenir. Face aux incertitudes de la dérégulation, face à la fragilisation de la PAC, les agriculteurs devront de plus en plus compter sur leurs propres forces.
Nous devons nous réapproprier notre destin collectif.

III Agenda 2000 et OMC : défendre notre modèle agricole européen
Dans les grands vents de la libéralisation, il nous faut garder le cap, ferme à la barre.
Le cap, c'est celui du modèle agricole européen.
Avec le choix d'un développement équilibré entre les produits, les hommes et les territoires, par préférence à la jungle des marchés et au libéralisme à tout crin.
Avec le choix de normes de sécurité alimentaires strictes pour nos consommateurs. N'en déplaise aux américains, nous n'avons pas à accepter le tout-venant pour le panel hormones, sous prétexte de démantèlement des obstacles non tarifaires au commerce.
Dans cette perspective, ne jetons pas la préférence communautaire aux oubliettes de l'Histoire! La préférence communautaire c'est bien sûr des mécanismes de prix institutionnels, et ceux-ci restent essentiels. Mais c'est aussi et aujourd'hui plus que jamais la protection de notre haut niveau de sécurité alimentaire.
Sur cette exigence forte, faisons donc alliance avec nos consommateurs !
Ce pari pour un modèle agricole européen, nous devons le tenir au côté de tous nos partenaires de l'Union Européenne. Pour les convaincre de réorienter le paquet Santer !
Et de ne pas abdiquer d'avance sous les coups de boutoir de l'OMC !
La Commission ne doit pas démanteler systématiquement les OCM pour cause de marche forcée vers la mondialisation.
Le schéma Santer : baisse des prix - aides directes compensatrices, est inacceptable en l'état.
Il est techniquement contestable, économiquement fallacieux, et politiquement lâche.
La commission s'est placée dans une impasse.
Comment croire que les aides directes compenseront durablement la baisse des prix, sous le regard d'une opinion publique de plus en plus sourcilleuse, dans un contexte de pression à la baisse de la place de l'agriculture dans le budget européen ?
Devons-nous accepter sans broncher une coupe sombre dans le revenu agricole, pour complaire au jeu de mécano de quelques technocrates bruxellois en ébullition ?
Non, la baisse systématique et généralisée des prix ne doit pas devenir la nouvelle parole d'évangile de la PAC, n'en déplaise aux prédicateurs de la Commission.
Et l'Europe n'a pas à abandonner toute ambition d'organiser les marchés!
Ni à renoncer à faire reconnaître ses spécificités agricoles, comme le Japon a su le faire pour la culture du riz ! Ne baissons pas la garde sous les fourches caudines des américains!
Il s'agit bien de préserver notre modèle agricole européen, car c'est lui qui est assailli de toute part. Sachons le défendre, et, mieux, menons l'offensive pour le faire reconnaître en Europe comme outre-Atlantique. Notre modèle agricole européen doit être l'horizon de notre action commune, et le pivot de toute réforme digne de ce nom pour les années 2000.
Nous pouvons et nous devons être ambitieux et conquérants. Le remarquable talent agricole de la France, fer de lance de l'Europe, a fait de nous un acteur majeur du marché mondial. Nos exportations, socle de l'excédent commercial français, démontrent le potentiel économique de l'agriculture. Nous avons avec nos partenaires hissés l'Europe au rang de grande puissance agricole. Et la PAC a été le moteur de la construction européenne.
Soyons fiers de nos réalisations, et sachons les rappeler à ceux qui les ont si vite oubliées!
Participer à l'équilibre alimentaire mondial, c'est plus qu'un objectif économique, c'est un dessein politique et géostratégique !
Aujourd'hui, la segmentation des marchés, le développement de la valeur ajoutée, l'agriculture biologique, les biocarburants, les évolutions génétiques maîtrisées. Soyons exigeants mais n'ayons pas peur de l'avenir. Tels sont les gisements prometteurs de l'avenir. La "nouvelle frontière" qu'il nous faut dépasser, le ferment d'une nouvelle conquête paysanne!
Préservation de l'Europe agricole, ouverture d'une agriculture citoyenne à la société, nouveau contrat entre l'agriculture et la société française : telles sont les perspectives renouvelées dans lesquelles pourront s'inscrire la pérennité de notre agriculture et de nos exploitations.
Sur ces nouvelles voies nous chemineront ensemble, CNJA et FNSEA, le CNJA comme laboratoire d'idées, la FNSEA comme force de proposition et d'action dans l'unité syndicale et conforté dans la cohérence du CAF. Quelle autre profession a-t-elle reconnue à ses jeunes une part aussi forte dans l'action syndicale, que celle tenue par le CNJA dans l'agriculture ? Réunis dans nos convictions, complémentaires dans nos actions et nos moyens, nous pourrons relever ensemble les défis de l'avenir. L'unité indispensable ne veut pas dire uniformité, mais sachons vivre et débattre malgré nos différences. C'est notre force.
Durant ces quatre années, Christiane, tu nous as montré avec audace et pugnacité que tu savais faire avancer tes idées, et faire progresser le débat. En femme engagée, en responsable animée de convictions fortes. Je me sens autorisé à te dire au nom de tous les agriculteurs français "merci". Le syndicalisme a besoin de personnalités comme la tienne, et je t'encourage à prolonger ton engagement syndical à la FNSEA. Je voudrais saluer aussi toute l'équipe qui t'entourait, pour son enthousiasme et sa détermination. Et vous tous aussi, nous vous attendons à la FNSEA. Enfin, à l'heure du passage de relais, je me tourne vers toi, Pascal et à ton équipe. Les liens étroits qui unissent nos deux organisations, il nous appartiendra de les renforcer encore, dans nos propositions et nos actions, pour donner à l'agriculture la place qui lui revient dans le monde d'aujourd'hui et celui de demain.
Bon courage, bonne chance à tous, vous avez notre plein soutien.
(source http://www.fnsea.fr, le 14 février 2002)