Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur l'évaluation des hauts fonctionnaires, leur formation continue et la gestion des ressources humaines dans la Fonction publique, Strasbourg le 21 juin 1999.

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Circonstance : Ouverture du 15ème congrès international des responsables de la formation des fonctionnaires supérieurs à Strasbourg le 21 juin 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi une très grande joie d'ouvrir ce quinzième congrès international des responsables de la formation des fonctionnaires supérieurs et d'accueillir les délégations de 24 pays représentés, aujourd'hui à Strasbourg.
A tous, je souhaite, au nom du Gouvernement français, la bienvenue.
Ce congrès est remarquable à plusieurs titres.
Je voudrais saluer tout d'abord, l'originalité et l'intérêt de ce " réseau " de responsables de la fonction publique et des écoles de formation. Informel, il a fait la preuve, depuis sa création il y a plus de trente ans, de son utilité : même si vos rencontres ne débouchent pas sur des relevés de décisions formalisés, je crois qu'elles apportent à chacun des participants un éclairage essentiel sur les pratiques des différents pays et une ouverture qui me paraît déterminante pour le succès des politiques de modernisation de la gestion publique.
C'est ainsi, je crois que vous concevez vos travaux. L'élargissement progressif de ce congrès à l'ensemble des pays européens et notamment des pays d'Europe centrale et orientale témoigne de l'attrait de ces échanges d'expérience qui se poursuivent d'ailleurs fréquemment en dehors même des rencontres officielles. Je citerai, anticipant sur la conclusion de vos travaux, puisque c'est à ce pays que reviendra le soin d'organiser votre prochain congrès, les contacts très fructueux entretenus par exemple entre la France et la Pologne dans le cadre d'un projet de jumelage institutionnel en matière de fonction publique.
J'en viens à l'objet de vos débats qui vont permettre d'apporter une approche comparative des expériences nationales et de développer nos réflexions sur un thème qui est au coeur des problématiques du management public à l'aube du 21è siècle, l'évaluation et plus particulièrement l'évaluation des hauts fonctionnaires.
L'évaluation des agents.
Nous connaissons tous je crois les enjeux de l'évaluation individuelle dans le secteur public.
L'évaluation et notamment l'entretien individuel qui en est le support, constitue un instrument essentiel de gestion des ressources humaines. L'entretien individuel d'évaluation constitue, à ce titre, un moment clef de la gestion sociale. C'est en effet pour le responsable hiérarchique et son collaborateur une occasion privilégiée de s'entretenir à partir d'une analyse bilan-objectif, de l'implication du collaborateur dans les activités de son service.
L'évaluation est aussi un outil de la gestion individuelle des carrières car elle doit permettre de faciliter l'adéquation entre un homme ou une femme, ses compétences, et un poste. Elle constitue, de plus, la base de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. En effet, elle sert de point de référence à la politique de formation, avec ses déclinaisons individuelles et collectives, à la gestion des effectifs et plus généralement, à l'évolution des compétences. L'évaluation constitue également une occasion privilégiée de détermination et d'analyse des besoins de formation. En utilisant et valorisant ainsi les atouts du service public, l'évaluation s'inscrit au coeur de la modernisation de la gestion des ressources humaines.
La comparaison régulière des secteurs public et privé à laquelle différentes publications de presse ont coutume de se livrer, tend, le plus souvent, à mettre en avant les rigidités statutaires qui entravent la mise en place d'une vraie gestion des ressources humaines dans le secteur public. Je trouve cette présentation des choses fausse et biaisée. En effet, les spécificités des deux secteurs méritent d'être nuancées et les écarts ne sont sans doute pas aussi importants qu'il peut sembler.
Sans forcer à l'excès le trait, on peut affirmer, au contraire, qu'à de multiples égards il existe une forme de continuum, en matière de gestion des ressources humaines, entre les services publics et le secteur privé. Dans tous les cas, en effet, la gestion des ressources humaines se fait sous " contrainte " au sens de nécessité de respecter des règles. Ainsi, le statut général de la fonction publique tel qu'il existe en France n'est pas nécessairement et a priori beaucoup plus " contraignant " pour les responsables de la gestion des ressources humaines que ne peuvent l'être certaines conventions collectives, d'essence " quasi-statutaires ". Dans l'un ou l'autre cas, d'ailleurs, bien des marges d'action nombreuses existent pour les gestionnaires, à charge pour eux de s'en servir au mieux.
Je crois que les verrous qui font obstacle à une gestion de ressources humaines efficace et performante tiennent moins au statut de la fonction publique qu'aux habitudes, et, souvent, à une méconnaissance des marges de manoeuvre offertes par le statut.
Le statut et la gestion paritaire sont encore parfois évoqués comme constituant des facteurs de blocage, par exemple :
- pour la mise en oeuvre des outils de gestion prévisionnelle des effectifs, dans la recherche d'une plus grande professionnalisation des recrutements notamment ;
- pour la recherche d'une gestion sachant concilier l'approche métiers et l'approche carrières ;
- pour la mise en place de démarches de valorisation des performances, ou encore dans l'usage des sanctions...
Les difficultés propres au secteur public ne doivent pas être exagérées. En revanche, ses atouts, je pense au sens du service public des agents, au bon niveau de recrutement, à la place occupée par la formation continue et la promotion interne, mériteraient d'être davantage explicités et valorisés, dans une stratégie de mise en oeuvre de la gestion des ressources humaines.
L'évaluation des agents d'encadrement.
L'évaluation des agents d'encadrement recouvre des enjeux spécifiques particulièrement importants.
Tout d'abord, elle me paraît indissociable de l'évaluation des politiques publiques.
Elle ne peut en effet faire l'impasse sur la problématique plus globale de l'évaluation de l'efficacité du service public et, plus largement, des politiques publiques. Je n'ouvrirai pas aujourd'hui ce débat mais nous ne pouvons en faire abstraction. La culture de l'évaluation, le raisonnement en terme d'objectifs et de missions, et non seulement de moyens alloués, est encore trop peu développée dans l'administration. Il existe trop peu d'indicateurs de résultats et de moyens permettant d'évaluer de manière crédible les performances réalisées par un service et par voie de conséquences d'apprécier les capacités de son responsable.
Cette conviction guide mon travail en tant que ministre de la réforme de l'État. Ainsi, il a été souvent reproché à l'État, chargé de gérer l'argent public, de ne pas savoir rendre compte de l'efficacité de sa dépense. En France, une première tentative pour mettre en place un système d'évaluation des politiques publiques a vu le jour en 1990. Les résultats n'ont pas été à la hauteur des espérances.
J'ai souhaité revitaliser le dispositif en élargissant son champ aux collectivités locales et en simplifiant ses méthodes de travail.
Ainsi, le Conseil national de l'évaluation mis en place depuis le début de cette année aura pour rôle de sélectionner chaque année les politiques interministérielles qui devront être évaluées sous l'égide du Commissariat du Plan.
J'attends beaucoup de ce nouveau dispositif, qui devrait permettre de mener les politiques en toute connaissance de cause, de les améliorer et de les réorienter si nécessaire. Par ailleurs, il s'agit pour le Gouvernement de diffuser une véritable culture de l'évaluation.
Cette préoccupation est de plus en plus présente chez les gestionnaires. Dans le cadre des programmes pluriannuels de modernisation demandés à chaque ministère par le Premier ministre Lionel JOSPIN, la question de l'évaluation est au centre de la réflexion sur le pilotage stratégique des services territoriaux de l'État dans un contexte de déconcentration.
La fonction gestion des ressources humaines.
Le second défi de l'évaluation des hauts fonctionnaires c'est, dans le cadre général de l'évaluation individuelle, d'intégrer la prise en compte des compétences en matière de gestion des ressources humaines et la définition des moyens à mettre en oeuvre pour développer les capacités de l'encadrement en la matière.
Les travaux réalisés par M. Vallemont, qui fait autorité dans notre pays en la matière, ont montré que d'une manière générale l'implication de l'encadrement en matière de gestion des ressources humaines reste encore trop souvent insuffisante. Pour beaucoup de cadres, la fonction " gestion des ressources " humaines est encore comprise comme relevant uniquement des services de gestion de personnel en charge " d'administrer " les agents. Pour certains, il est plus facile et plus confortable de se décharger sur ces spécialistes de ces questions délicates pour le traitement desquelles ils n'ont eux-mêmes reçu aucune formation.
Les fonctions de la gestion des ressources humaines, qui renvoient à la gestion de proximité, donc à la responsabilité directe de toute personne en charge d'animer une équipe, ne sont donc pas encore pleinement assumées par l'encadrement des administrations françaises et je le regrette. Mais, en même temps, ces cadres n'ont pas toujours une connaissance précise des responsabilités qui leur reviennent, de l'articulation avec les responsabilités propres aux directeurs des ressources humaines, des compétences spécifiques qui doivent être les leurs en la matière. Ils ne savent pas non plus s'ils sont ou non appréciés sur leur engagement dans la gestion de proximité et à plus long terme, des personnels qu'ils encadrent.
La formation de l'encadrement.
Il faut profondément faire évoluer cet état des choses. J'ai engagé une action pour améliorer, dans cette perspective, la formation initiale de la haute fonction publique, dont les grandes lignes ont été présentées mardi dernier, ici même au Conseil d'administration de l'ENA qui forme nos plus hauts fonctionnaires.
La formation initiale.
L'objectif est désormais bien identifié. Il s'agit de former des cadres capables à la fois de contribuer à l'élaboration, à la mise en oeuvre, à l'évaluation et au contrôle des politiques publiques, de définir les conditions de la modernisation des services publics et l'amélioration de la qualité des services rendus à l'usager et de surcroît de gérer de manière dynamique une équipe de collaborateurs.
Cet objectif final suppose pour notre pays l'adaptation du contenu de la scolarité de l'ENA, qui doit rester une école d'application, et plus largement des autres écoles administratives afin de développer chez les élèves des aptitudes pratiques à la négociation, à la prise de décision, à la gestion de systèmes complexes, à la communication, ainsi qu'au management et à la gestion des ressources humaines.
La formation continue et l'évaluation.
D'une manière plus générale, les travaux que j'ai engagés en matière de rénovation de la gestion de la haute fonction publique devraient permettre de progresser selon deux axes :
gEn matière de formation continue, les actions prioritaires doivent concerner les formations d'adaptation aux situations professionnelles concrètes rencontrées par les agents et d'élargissement de leurs compétences. Il s'agit de généraliser :
- des stages d'adaptation au milieu professionnel, s'agissant du premier poste, précédé par une information complète sur les règles statutaires et de gestion applicables à chaque corps ;
- des stages de management pour l'accès à un premier emploi de direction ;
- et enfin, des formations interministérielles de haut niveau portant sur des politiques publiques ou des compétences transversales : le contrôle de gestion, la conduite de l'action publique et de la déconcentration, la gestion des ressources humaines.
gEn matière d'évaluation des compétences et des performances, je me propose :
- de rendre obligatoire l'entretien individuel d'évaluation pour l'ensemble des cadres supérieurs. Il doit notamment conduire à la fixation d'objectifs explicites ;
- d'homogénéiser les pratiques ministérielles d'évaluation ou de notation de manière à favoriser la pratique d'une mobilité entre ministères et entre corps, voire vers les collectivités locales et les établissements publics. Un groupe de travail interministériel a été mis en place sous l'égide de la direction générale de l'administration et de la fonction publique sur ce thème.
- Enfin, il me semble indispensable de développer la pratique des bilans de compétences aux moments charnières de la carrière : accès à des responsabilités d'encadrement importantes, préparation de la seconde partie de la carrière aux alentours de 45 ans par exemple.
Il s'agit là de compléter la nécessaire évaluation des performances sur les postes précédemment occupés, par l'appréciation du potentiel de l'agent, en tenant compte, selon le cas, de son souhait de spécialisation ou de diversification ou de réorientation de ses activités.
Ces orientations devront s'appuyer sur les expériences très positives d'ores et déjà engagées dans certains ministères mais également s'inspirer des actions engagées par nos partenaires européens.
C'est pourquoi, je souhaite que votre congrès soit l'occasion de contribuer au partage indispensable des expériences menées dans chaque pays et à l'enrichissement de nos réflexions sur ce thème qui est au coeur de la modernisation de la gestion publique.
Notre pays, et notamment le Gouvernement auquel j'appartiens, sont très attachés au rôle du service public et attendent beaucoup des fonctionnaires au premier rang desquels les cadres supérieurs. La gestion publique doit progresser, nos concitoyens sont toujours plus exigeants et ils ont raison car nous sommes responsables du bon usage des finances publiques notamment des impôts. En France, des progrès importants ont été faits démontrant la capacité d'adaptation des administrations, je m'en félicite car ils démontrent que loin d'être condamnée, la gestion publique sait être efficace, remplir ses missions d'intérêt général et c'est cela qui la distingue du secteur privé qui a d'autres atouts mais aussi d'autres objectifs.
Je suis certain que vos travaux seront très fructueux et je vous souhaite un agréable séjour à Strasbourg.
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 21 juin 1999)