Tribune de M. Noël Mamère, candidat des Verts à l'élection présidentielle, dans "Le Télégramme de Brest" du 16 janvier 2002, sur la recherche sur l'embryon humain et sa condamnation du clonage, intitulée "Révision des lois sur la bioéthique : en route pour le meilleur des mondes".

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La révision des lois sur la bioéthique est arrivée à reculons sur le bureau de l'Assemblée nationale parce qu'elle tourne autour d'un tabou : celui du clonage. Il y a clonage et clonage nous dit-on. Il y a le méchant clonage, le clonage reproductif - celui qui a donné naissance en 1997 à la brebis Dolly (toute jeune, mais déjà arthritique) - et il y a le clonage éthiquement correct : le clonage thérapeutique, aux fins de la recherche scientifique. Le gouvernement a tranché, en interdisant dans le projet de loi le clonage reproductif, explicitement prohibé par l'article 15 de la loi. En revanche, la technique du clonage thérapeutique n'est pas ouvertement exclue par le texte, ce qui a permis au député socialiste Henri Emmanuelli de proposer un amendement visant à autoriser cette technique, supposée ouvrir de grands espoirs de nouvelles thérapies pour traiter des maladies incurables. Avec empressement, on a rouvert la boîte de Pandore. Chassez le tabou du clonage, il revient au galop. Le feu vert donné par la loi à la recherche sur les "embryons surnuméraires", abandonnés par les couples renonçant à leur projet parental, renverra à la question du clonage thérapeutique : comme il y a à peu près 40 000 embryons "orphelins", environ 25 000 survivront après décongélation, ce qui mènera rapidement à un épuisement des stocks et à la demande de pouvoir créer des embryons pour la recherche, via le clonage thérapeutique. CQFD !
Qu'il soit thérapeutique ou reproductif, le clonage humain doit être inconditionnellement condamné : dans les deux cas, il s'agit de créer un embryon qui peut potentiellement donner naissance au clone d'un être humain déjà existant. Le clonage thérapeutique est le cache-sexe du clonage reproductif : lorsqu'on arrivera à un embryon cloné, il sera bien plus facile d'aller vers un bébé clone que de soigner des maladies rares.
L'"éthique" de la bioéthique consiste à encadrer la recherche, en particulier la recherche portant sur l'embryon humain. Mais de quelle recherche s'agit-il ? De la recherche fondamentale, financée par l'Etat ? C'est celle-ci qu'il faut défendre, à l'heure où ce sont les multinationales des "sciences de la vie" qui financent les chercheurs. Ce sont ces multinationales qui font pression pour que soit autorisé le clonage thérapeutique.
Les tenants du clonage "thérapeutique" défendent l'utilisation de cellules souches produites par un embryon, clone du patient, pour reproduire un tissu ou un organe abîmé. Dans le cas du clonage thérapeutique, l'embryon est fabriqué à des fins marchandes, il est instrumentlisé dans la fabrication d'un traitement. En permettant un transfert de gènes sur un embryon anormal, les progrès accomplis en thérapie génique transforment de fait l'embryon en patient et favorisent l'apparition d'une médecine de l'embryon.
Ce qui revient à considérer les embryons comme des machines à fabriquer des cellules, au service des industries pharmaceutiques. Les femmes en seront les premières victimes, qui seront sollicitées financièrement et physiquement pour donner des ovules.
L'exclusion du clonage reproductif ne règle donc pas le problème de la marchandisation du corps humain. Rien ne garantit que le cheval de Troie du clonage thérapeutique ne refera pas surface, sous la pression des groupes pharmaceutiques, qui ne se contenteront pas des embryons surnuméraires auxquels la loi leur donne accès. Il existe pourtant d'autres moyens, moins problématiques, de développer ce type de thérapie : les recherches sur les cellules souches adultes, qui pourraient ouvrir la voie à des traitements équivalents.
Qui dit recherche dit brevets : les brevets sont devenus le nerf de la guerre du financement des industries pharmaceutiques. Or nulle part la loi "bioéthique" n'interdit les brevets sur le vivant, qui ne manqueront pourtant pas de se multiplier à la faveur des recherches sur les embryons orphelins. Le patrimoine génétique humain tombera peu à peu sous la coupe des intérêts privés. On a affaire à une éthique en trompe-l'il. La vérité est que breveter des gènes issus de la recherche sur les embryons rapportera beaucoup d'argent et privatisera les découvertes. Dans cette course folle à l'appropriation des ressources génétiques, la véritable priorité d'une éthique digne de ce nom devrait s'atteler à faire prévaloir l'intérêt public face aux intérêts particuliers. Hélas, c'est l'inverse qui risque d'arriver. L'affaire des gènes de prédisposition au cancer du sein donne un avant-goût des difficultés qui vont survenir dans ce domaine. En mai 1998, la société américaine Myriad Genetics se retrouve la seule propriétaire des deux gènes de prédisposition à ce cancer. Aujourd'hui, cette société a le monopole mondial des tests de dépistage des cancers du sein et de l'ovaire. Leur coût est exorbitant : seuls les riches y auront accès, ou alors la collectivité paiera et la multinationale sera en situation de rente. En Europe, les établissements ayant élaboré des systèmes propres de dépistage se voient dans l'impossibilité de les mettre en pratique, sous peine de contrefaçon. L'Institut Curie a fait opposition à ces brevets devant l'Office européen des brevets - lui-même juge et partie dans cette affaire. Alors, plutôt que légiférer sur mesure au service de la recherche privée, plutôt que modeler le droit sur celui des intérêts financiers, il faut légiférer dans le sens de la défense de la recherche fondamentale indépendante des intérêts privés et exclure immédiatement et explicitement la possibilité de déposer des brevets sur les gènes, qu'ils soient d'origine végétale, animale ou humaine. Le vivant n'est pas une marchandise, voilà ce que la loi doit clairement proclamer.
(source http://www.noelmamere.eu.org, le 11 février 2002)