Tribune de M. Noël Mamère, candidat des Verts à l'élection présidentielle de 2002, dans "Le Figaro" du 12 janvier 2002, sur ses propositions pour améliorer le système de santé en revalorisant le sort des médecins généralistes notamment par la "création de maisons de santé", intitulé "Notre système de santé a oublié ses professionnels".

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

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Avec raison, les médecins généralistes, les infirmières et les internes expriment un même désarroi : notre système de santé a oublié ses professionnels. Il s'est construit en grande partie sur leur dévouement. Infirmières sollicitées sans limites, internes malléables à souhait, généralistes dévalorisés par les élites politiques et hospitalo-universitaires : aujourd'hui, ils se révoltent. Qu'on ne compte plus sur eux pour jouer les soutiers, pour colmater les brèches d'une succession de politiques irresponsables : qui a oublié, à coups de numérus clausus dangereusement bas, de former les médecins et les infirmières qui manquent aujourd'hui ? Qui continue à fermer des lits hospitaliers par milliers sans développer d'alternatives ?
Sous la pression des jeunes et des femmes, le système implose. Car ce sont eux qui refusent de continuer à travailler tous les jours, les samedis, les dimanches et les nuits de garde. Plus aucun médecin ne veut s'installer à la campagne. Trop dur de voir 50 patients par jour. Plus aucun ne veut s'installer dans les cités dites sensibles. Trop insupportable d'être caillassé quand on travaille pour le bien de tous.
Ils en ont assez mais ils ne sont plus assez, ces médecins généralistes, pour faire face à la hausse continue des demandes de consultation. Et à une société qui leur demande- sans leur en donner les moyens- de régler des problèmes complexes où la souffrance des corps, la souffrance mentale et sociale se cumulent et se renforcent sans cesse.
Les généralistes méritent mieux que des mots. Mieux que la maladresse technocratique de la CNAM qui entendait leur payer 17, 53 euros la consultation. Avait-on jamais vu une consultation à 98F24 ou 107F92 ? La hausse de leurs honoraires est légitime ; à eux d'en négocier le modalités avec les caisses d'assurance maladie pour qu'elle soit en cohérence avec les objectifs de notre politique de santé.
Comment ne pas voir que cette révolte s'exprime aussi face à une absence de moyens donnés aux généralistes pour remplir toutes les missions qui leur sont reconnues ?
La permanence des soins est difficile à assurer pour un médecin isolé. Il faut inciter les généralistes à se regrouper dans des maisons de santé où seraient assurés cette continuité des soins et où les professionnels disposeraient d'un plateau technique adapté. En fonction des besoins, les collectivités locales, l'assurance maladie et le secteur mutualiste pourraient y financer, à la demande des médecins, l'intervention de personnels sociaux. Libérales conventionnées ou associatives, ces maisons de santé constituent une réponse alliant proximité et qualité des soins. Nous devons proposer aux médecins un soutien financier fort à ces regroupements et contractualiser avec eux les multiples missions de santé publique qu'ils remplissent.
En milieu rural plus qu'ailleurs, la démographie médicale est en baisse. Dans certains cantons, il faut faire plus de 30 kms pour trouver un médecin. Par des mesures incitatives, financières et logistiques, nous devons faire en sorte que chaque bassin de vie de 2 à 3 000 habitants dispose d'au moins trois médecins généralistes. Des aides financières à l'installation et à l'embauche, l'aménagement de locaux, une nomenclature majorée sont autant de propositions réalistes et efficaces pour y parvenir. La qualité des soins et la qualité de vie des médecins y gagneront.
Le paiement à l'acte doit être modulé pour reconnaître l'ensemble des taches médico-sociales et des pathologies lourdes prises en charge par les médecins généralistes : l'hospitalisation à domicile, les personnes dépendantes, les soins palliatifs, les pathologies multiples nécessitent en particulier des rémunérations forfaitaires reconnaissant le travail de synthèse et de continuité des soins effectué. La participation des médecins à la connaissance épidémiologique doit être l'objet de rémunérations spécifiques.
La définition de relations contractuelles rénovées entre les médecins généralistes et les caisses d'assurance maladie par des engagements réciproques clairs, ayant pour finalité un meilleur service médical rendu par des professionnels valorisés, est indispensable. L'option conventionnelle médecin référent est une avancée intéressante qu'il convient de développer hors de toute contrainte bureaucratique.
Reconnus dans leurs fonctions, les médecins généralistes ne seront plus la dernière roue du système de santé, mais bien les acteurs d'une politique de santé réconciliée avec ses professionnels.
Il faudra alors que l'Etat assume ses responsabilités et cesse de considérer la santé comme un appendice de la politique sociale, relégué au rang de sous-ministère. La place occupée par les questions de santé dans l'espace public est sans précédent. Santé environnementale, sécurité alimentaire, inégalités sociales de santé sont autant de questions posées avec une acuité nouvelle. Notre société a besoin de tous pour y répondre, et d'abord de ses professionnels de santé.
(source http://www.noelmamere.eu.org, le 11 février 2002)