Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
"Is the euro a success story ?". A partir de cette interrogation, vous avez eu une discussion certainement intéressante ce matin. L'expression de "Success story " n'aurait sans doute pas déplu à la romancière Barbara Cartland, elle peut paraître un peu étrange dans l'univers monétaire. Et pourtant, elle me semble assez opportune.
1 - Certes, nous savons qu'alors que l'euro est adopté sur tous les marchés - ce qui est une évidente marque de confiance de la part des investisseurs - et alors que le niveau des obligations émises en euros est équivalent à celles émises en dollars, la valeur externe actuelle de l'euro oscille assez loin de son cours d'introduction. Si une telle situation continuait, elle pourrait entraîner des tensions inflationnistes dans nos économies et conduire à terme à des hausses des taux d'intérêt préjudiciables à notre croissance, donc préjudiciables à ces trois priorités fortes du gouvernement français que sont le plein emploi, la réduction des déficits publics et la baisse des impôts.
Ce scénario là ne serait pas seulement dangereux. Il serait absurde car les "eurofondamentaux" sont bons : croissance rapide, créations d'emplois nombreuses, inflation faible. La vitalité des économies européennes est forte, singulièrement celle de la France qui connaît son rythme de croissance et d'investissement le plus élevé depuis 25 ans et dont les perspectives économiques sont excellentes. Je suis personnellement très confiant dans l'euro. Ce n'est pas seulement un credo. C'est un constat.
De cela, lors de notre dernière rencontre à Lisbonne, en présence de la Banque centrale européenne tous mes collègues ministres des Finances des onze pays de l'Euro ont convenu. Pour la première fois, nous avons même souligné publiquement que nous n'étions pas hostiles si nécessaire à l'utilisation des instruments propres à préserver ce double objectif : un euro solide et stable, des taux faibles et adaptés à un objectif de croissance forte et durable. Au cours du prochain semestre, je proposerai avec mes collègues de renforcer l'Euro-11, pour qu'il fonctionne encore mieux et acquière plus de visibilité.
2 - En fait, l'euro, s'il est une monnaie jeune, est le fruit d'un cheminement engagé depuis 25 ans pour réduire le dumping monétaire entre européens et renforcer notre potentiel de développement. Nous en avons déjà tiré un grand bénéfice. Avant même que ne commence la "troisième phase" de l'UEM, l'euro a déjà démontré son utilité en protégeant les Européens des crises russe, latino-américaine et asiatique. Sans euro, songeons à ce que chacune aurait déclenché, à partir d'analyses non concertées ou de décisions à court terme : une succession de divergences monétaires, d'ajustements brutaux et peut-être de dévaluations entre nos pays, freinant la croissance, brisant la confiance, menaçant l'emploi. De cela, l'euro nous a protégés. Je suis convaincu qu'il continuera son rôle de bouclier.
Un an et demi après son avènement, il est clair que l'euro a montré son utilité économique. Nous lui devons pour une part le niveau relativement faible de nos taux d'intérêt à 10 ans, la baisse des coûts de transaction, et le parachèvement d'un grand marché à l'intérieur duquel la France effectue 75 % de son commerce. Que les Européens achètent, vendent, produisent et négocient désormais dans leur propre monnaie, sans risque de change, constitue un progrès majeur. L'euro nous rend des marges de manuvre que nous avions perdues depuis un quart de siècle.
3 - En réalité, plus qu'une "success story "", l'euro est un "work in progress". Car au-delà des fluctuations conjoncturelles, il ne faut pas oublier que l'euro, c'est aussi un projet politique, dont seule, jusqu'ici, la première étape a été franchie. L'existence de l'euro, financièrement très réelle, demeure encore virtuelle dans la vie quotidienne des citoyens, des salariés, des consommateurs européens. Réussir le passage en douceur à l'euro concret est le défi des 18 prochains mois pour le groupe de l'Euro 11, cette première esquisse du "gouvernement économique", en tous cas du groupe de pilotage économique dont nous avons besoin pour que se diffusent les "bonnes pratiques". Ces bonnes pratiques ne sont dirigées contre personne, elles sont de l'intérêt de tous, Européens bien sûr, mais aussi Américains, Asiatiques, pays du Nord, pays du Sud, tant le développement ordonné de l'euro est de l'intérêt général. A partir du 1er janvier 2002 l'euro, ce sera en effet l'Europe au fond de la poche des citoyens-consommateurs, et cette réalité concrète changera beaucoup, y compris dans l'attachement interne et externe à notre monnaie unique.
Au plan national, ma tâche comme ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie sera de faciliter le passage en douceur à l'euro pratique. J'ai retenu à cet égard trois priorités : informer et rassurer les particuliers en veillant à ce qu'il n'y ait pas d'exclus de l'euro, sécuriser les transactions et adapter nos administrations, épauler et préparer nos entreprises notamment les PME à analyser très vite les conséquences stratégiques de l'euro sur leurs prix et leurs marchés et à surmonter paisiblement ce changement.
Sur le plan européen à partir du mois de juillet, en tant que président du Conseil Ecofin, j'aurai l'occasion de favoriser aussi la coordination des dispositifs nationaux de passage à l'euro pratique. Nous allons faire en effet de la préparation du passage en commun à la monnaie unique un des éléments forts de notre programme de travail européen du 2ème semestre 2000 avec l'harmonisation fiscale, le renforcement de la coordination des politiques économiques nationales et la lutte contre le blanchiment de l'argent sale, avec aussi la recherche d'une plus grande stabilité du système financier international, le soutien à l'innovation et à la création d'entreprises,
Mesdames et Messieurs,
La mise en place de l'euro pratique nous conduira à poursuivre et à amplifier la construction de l'Europe. Car il n'y a pas historiquement d'exemple de monnaie unique sans projet politique et la naissance de l'euro est le premier événement historique de l'Europe du 21ème siècle. A moyen terme, je suis convaincu que la solidité financière de l'euro ira de pair avec la consolidation institutionnelle de l'Union. Sans imiter exactement le schéma des Etats-Unis d'Amérique dont il faut rappeler que le dollar n'a pas toujours été la monnaie unique, nous devons obtenir en Europe pour le siècle qui vient une efficacité voisine. Sans doute parce que nous avons mené à bien en 15 ans un calendrier économique très chargé (la libéralisation des marchés de capitaux, le marché unique, l'euro), nous, les Etats membres de l'Europe, nous paraissons parfois oublier le sens de la durée, la capacité à inscrire nos pas dans un projet à long terme. Or l'Europe a besoin d'une vision dans laquelle s'incarnent nos valeurs communes et le projet que nous souhaitons pour nos enfants. Réorienter l'Europe ne signifie nullement changer de politique économique ou monétaire, mais redonner à l'Union cette part de volonté et d'imagination, d'émulation et d'inventivité qui anima, voici 50 ans, Robert Schuman et Jean Monnet.
De ce point de vue, les récentes propositions du ministre allemand Joschka Fischer, pour peu qu'on les analyse rigoureusement, sont importantes et me paraissent très intéressantes. Certes, il a prononcé des mots d'ordinaire tabous chez nous, "fédéralisme" et "constitution", parlé de "loi" et de "gouvernement" comme l'avait fait Jacques Delors en son temps, mais, ce faisant, il a posé de vraies questions pour l'avenir. Des réponses, il n'y en aura pas sans une étroite concertation notamment entre Paris et Berlin, ni sans Europe unie.
Oui, l'euro est lié à l'Europe. L'un est déjà là. L'autre se renforcera si nous parvenons à maîtriser et à anticiper les conséquences de l'élargissement. Car il nous faut certes accueillir de nouveaux Etats au sein de l'Union européenne et, après la chute du Mur de Berlin, faire coïncider à l'échelle de notre continent l'histoire et la géographie, la politique et l'économie. Mais, sauf à devenir une sorte de magma informe, cette évolution exige que soit préalablement, je dis bien préalablement, modifié le mode de fonctionnement institutionnel de l'Union. De l'ambition donc oui, mais pas de fuite en avant. Une plus grande proximité, une plus grande transparence et responsabilité, davantage de solidarité, une meilleure subsidiarité et le recours à la majorité qualifiée, une démocratie plus achevée pour une Europe plus puissante : tel est, de manière immédiate, le programme de travail de la CIG.
Une manière complémentaire de nous diriger vers le succès, ce sera probablement d'instituer, au sein des traités, un ou des ensembles de nations, une sorte d'avant garde - Joschka Fischer parle, lui, d'un "centre de gravité" - soudée par des "coopérations renforcées" dans les domaines de l'économie et de la monnaie, mais aussi par exemple dans ceux de la défense, de la sécurité intérieure et de la diplomatie. Après tout, qu'est-ce que l'euro sinon une coopération renforcée, voulue et animée par onze pays - bientôt 12 - au sein d'une Union de quinze membres ?
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, ce que je veux dire, c'est que le défi que les Européens se sont lancés à eux-mêmes en imaginant et en réalisant l'euro est une grande ambition économique, elle-même inséparable d'un projet de société. Je crois personnellement que l'Europe est le moyen dont nous disposons pour faire en sorte que nos cultures vivent à l'avenir en se nourrissant mutuellement l'une l'autre plutôt que d'être, chacune isolément, balayée par les forces uniformisantes de la globalisation. C'est pourquoi l'organisation politique future à laquelle je pense ne pourra que refléter dans ses textes constitutifs cette exigence de subsidiarité dont on parle constamment mais que l'on précise rarement.
Evoquant cette perspective, je ne peux pour conclure m'empêcher de songer, paradoxalement diront certains à une réflexion du général de Gaulle au début des années 60 : "une fédération européenne ? disait-il pourquoi pas, mais dans 50 ans". Eh bien, en 2007, le traité de Rome aura précisément 50 ans, ce serait une belle ambition pour notre génération que de préparer d'ici là la structure politique adéquate de l'Europe, avec sa force économique et monétaire, qu'on appelle cette structure "Fédération d'Etats nations" ou "co-souveraineté".
Déjà vivant pour les marchés, bientôt réel pour les citoyens et les entreprises, l'euro peut et doit être un nouvel aiguillon de la construction européenne. Je suis optimiste quant à la force de l'euro. Il ne nous rendra pas moins français, italiens, espagnols ou allemands, mais davantage européens. Nous devons donc réussir l'euro, faire de l'euro plus qu'une monnaie et de l'Europe plus qu'un territoire. Là résidera la véritable success story. Je suis convaincu qu'elle est à notre portée.
( Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2000)
Mesdames, Messieurs,
"Is the euro a success story ?". A partir de cette interrogation, vous avez eu une discussion certainement intéressante ce matin. L'expression de "Success story " n'aurait sans doute pas déplu à la romancière Barbara Cartland, elle peut paraître un peu étrange dans l'univers monétaire. Et pourtant, elle me semble assez opportune.
1 - Certes, nous savons qu'alors que l'euro est adopté sur tous les marchés - ce qui est une évidente marque de confiance de la part des investisseurs - et alors que le niveau des obligations émises en euros est équivalent à celles émises en dollars, la valeur externe actuelle de l'euro oscille assez loin de son cours d'introduction. Si une telle situation continuait, elle pourrait entraîner des tensions inflationnistes dans nos économies et conduire à terme à des hausses des taux d'intérêt préjudiciables à notre croissance, donc préjudiciables à ces trois priorités fortes du gouvernement français que sont le plein emploi, la réduction des déficits publics et la baisse des impôts.
Ce scénario là ne serait pas seulement dangereux. Il serait absurde car les "eurofondamentaux" sont bons : croissance rapide, créations d'emplois nombreuses, inflation faible. La vitalité des économies européennes est forte, singulièrement celle de la France qui connaît son rythme de croissance et d'investissement le plus élevé depuis 25 ans et dont les perspectives économiques sont excellentes. Je suis personnellement très confiant dans l'euro. Ce n'est pas seulement un credo. C'est un constat.
De cela, lors de notre dernière rencontre à Lisbonne, en présence de la Banque centrale européenne tous mes collègues ministres des Finances des onze pays de l'Euro ont convenu. Pour la première fois, nous avons même souligné publiquement que nous n'étions pas hostiles si nécessaire à l'utilisation des instruments propres à préserver ce double objectif : un euro solide et stable, des taux faibles et adaptés à un objectif de croissance forte et durable. Au cours du prochain semestre, je proposerai avec mes collègues de renforcer l'Euro-11, pour qu'il fonctionne encore mieux et acquière plus de visibilité.
2 - En fait, l'euro, s'il est une monnaie jeune, est le fruit d'un cheminement engagé depuis 25 ans pour réduire le dumping monétaire entre européens et renforcer notre potentiel de développement. Nous en avons déjà tiré un grand bénéfice. Avant même que ne commence la "troisième phase" de l'UEM, l'euro a déjà démontré son utilité en protégeant les Européens des crises russe, latino-américaine et asiatique. Sans euro, songeons à ce que chacune aurait déclenché, à partir d'analyses non concertées ou de décisions à court terme : une succession de divergences monétaires, d'ajustements brutaux et peut-être de dévaluations entre nos pays, freinant la croissance, brisant la confiance, menaçant l'emploi. De cela, l'euro nous a protégés. Je suis convaincu qu'il continuera son rôle de bouclier.
Un an et demi après son avènement, il est clair que l'euro a montré son utilité économique. Nous lui devons pour une part le niveau relativement faible de nos taux d'intérêt à 10 ans, la baisse des coûts de transaction, et le parachèvement d'un grand marché à l'intérieur duquel la France effectue 75 % de son commerce. Que les Européens achètent, vendent, produisent et négocient désormais dans leur propre monnaie, sans risque de change, constitue un progrès majeur. L'euro nous rend des marges de manuvre que nous avions perdues depuis un quart de siècle.
3 - En réalité, plus qu'une "success story "", l'euro est un "work in progress". Car au-delà des fluctuations conjoncturelles, il ne faut pas oublier que l'euro, c'est aussi un projet politique, dont seule, jusqu'ici, la première étape a été franchie. L'existence de l'euro, financièrement très réelle, demeure encore virtuelle dans la vie quotidienne des citoyens, des salariés, des consommateurs européens. Réussir le passage en douceur à l'euro concret est le défi des 18 prochains mois pour le groupe de l'Euro 11, cette première esquisse du "gouvernement économique", en tous cas du groupe de pilotage économique dont nous avons besoin pour que se diffusent les "bonnes pratiques". Ces bonnes pratiques ne sont dirigées contre personne, elles sont de l'intérêt de tous, Européens bien sûr, mais aussi Américains, Asiatiques, pays du Nord, pays du Sud, tant le développement ordonné de l'euro est de l'intérêt général. A partir du 1er janvier 2002 l'euro, ce sera en effet l'Europe au fond de la poche des citoyens-consommateurs, et cette réalité concrète changera beaucoup, y compris dans l'attachement interne et externe à notre monnaie unique.
Au plan national, ma tâche comme ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie sera de faciliter le passage en douceur à l'euro pratique. J'ai retenu à cet égard trois priorités : informer et rassurer les particuliers en veillant à ce qu'il n'y ait pas d'exclus de l'euro, sécuriser les transactions et adapter nos administrations, épauler et préparer nos entreprises notamment les PME à analyser très vite les conséquences stratégiques de l'euro sur leurs prix et leurs marchés et à surmonter paisiblement ce changement.
Sur le plan européen à partir du mois de juillet, en tant que président du Conseil Ecofin, j'aurai l'occasion de favoriser aussi la coordination des dispositifs nationaux de passage à l'euro pratique. Nous allons faire en effet de la préparation du passage en commun à la monnaie unique un des éléments forts de notre programme de travail européen du 2ème semestre 2000 avec l'harmonisation fiscale, le renforcement de la coordination des politiques économiques nationales et la lutte contre le blanchiment de l'argent sale, avec aussi la recherche d'une plus grande stabilité du système financier international, le soutien à l'innovation et à la création d'entreprises,
Mesdames et Messieurs,
La mise en place de l'euro pratique nous conduira à poursuivre et à amplifier la construction de l'Europe. Car il n'y a pas historiquement d'exemple de monnaie unique sans projet politique et la naissance de l'euro est le premier événement historique de l'Europe du 21ème siècle. A moyen terme, je suis convaincu que la solidité financière de l'euro ira de pair avec la consolidation institutionnelle de l'Union. Sans imiter exactement le schéma des Etats-Unis d'Amérique dont il faut rappeler que le dollar n'a pas toujours été la monnaie unique, nous devons obtenir en Europe pour le siècle qui vient une efficacité voisine. Sans doute parce que nous avons mené à bien en 15 ans un calendrier économique très chargé (la libéralisation des marchés de capitaux, le marché unique, l'euro), nous, les Etats membres de l'Europe, nous paraissons parfois oublier le sens de la durée, la capacité à inscrire nos pas dans un projet à long terme. Or l'Europe a besoin d'une vision dans laquelle s'incarnent nos valeurs communes et le projet que nous souhaitons pour nos enfants. Réorienter l'Europe ne signifie nullement changer de politique économique ou monétaire, mais redonner à l'Union cette part de volonté et d'imagination, d'émulation et d'inventivité qui anima, voici 50 ans, Robert Schuman et Jean Monnet.
De ce point de vue, les récentes propositions du ministre allemand Joschka Fischer, pour peu qu'on les analyse rigoureusement, sont importantes et me paraissent très intéressantes. Certes, il a prononcé des mots d'ordinaire tabous chez nous, "fédéralisme" et "constitution", parlé de "loi" et de "gouvernement" comme l'avait fait Jacques Delors en son temps, mais, ce faisant, il a posé de vraies questions pour l'avenir. Des réponses, il n'y en aura pas sans une étroite concertation notamment entre Paris et Berlin, ni sans Europe unie.
Oui, l'euro est lié à l'Europe. L'un est déjà là. L'autre se renforcera si nous parvenons à maîtriser et à anticiper les conséquences de l'élargissement. Car il nous faut certes accueillir de nouveaux Etats au sein de l'Union européenne et, après la chute du Mur de Berlin, faire coïncider à l'échelle de notre continent l'histoire et la géographie, la politique et l'économie. Mais, sauf à devenir une sorte de magma informe, cette évolution exige que soit préalablement, je dis bien préalablement, modifié le mode de fonctionnement institutionnel de l'Union. De l'ambition donc oui, mais pas de fuite en avant. Une plus grande proximité, une plus grande transparence et responsabilité, davantage de solidarité, une meilleure subsidiarité et le recours à la majorité qualifiée, une démocratie plus achevée pour une Europe plus puissante : tel est, de manière immédiate, le programme de travail de la CIG.
Une manière complémentaire de nous diriger vers le succès, ce sera probablement d'instituer, au sein des traités, un ou des ensembles de nations, une sorte d'avant garde - Joschka Fischer parle, lui, d'un "centre de gravité" - soudée par des "coopérations renforcées" dans les domaines de l'économie et de la monnaie, mais aussi par exemple dans ceux de la défense, de la sécurité intérieure et de la diplomatie. Après tout, qu'est-ce que l'euro sinon une coopération renforcée, voulue et animée par onze pays - bientôt 12 - au sein d'une Union de quinze membres ?
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, ce que je veux dire, c'est que le défi que les Européens se sont lancés à eux-mêmes en imaginant et en réalisant l'euro est une grande ambition économique, elle-même inséparable d'un projet de société. Je crois personnellement que l'Europe est le moyen dont nous disposons pour faire en sorte que nos cultures vivent à l'avenir en se nourrissant mutuellement l'une l'autre plutôt que d'être, chacune isolément, balayée par les forces uniformisantes de la globalisation. C'est pourquoi l'organisation politique future à laquelle je pense ne pourra que refléter dans ses textes constitutifs cette exigence de subsidiarité dont on parle constamment mais que l'on précise rarement.
Evoquant cette perspective, je ne peux pour conclure m'empêcher de songer, paradoxalement diront certains à une réflexion du général de Gaulle au début des années 60 : "une fédération européenne ? disait-il pourquoi pas, mais dans 50 ans". Eh bien, en 2007, le traité de Rome aura précisément 50 ans, ce serait une belle ambition pour notre génération que de préparer d'ici là la structure politique adéquate de l'Europe, avec sa force économique et monétaire, qu'on appelle cette structure "Fédération d'Etats nations" ou "co-souveraineté".
Déjà vivant pour les marchés, bientôt réel pour les citoyens et les entreprises, l'euro peut et doit être un nouvel aiguillon de la construction européenne. Je suis optimiste quant à la force de l'euro. Il ne nous rendra pas moins français, italiens, espagnols ou allemands, mais davantage européens. Nous devons donc réussir l'euro, faire de l'euro plus qu'une monnaie et de l'Europe plus qu'un territoire. Là résidera la véritable success story. Je suis convaincu qu'elle est à notre portée.
( Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2000)