Texte intégral
INTERVENTION DE M. HUBERT VEDRINE DEVANT LE CONSEIL MINISTERIEL DE L'OTAN
Monsieur le Secrétaire général,
Chers collègues,
Nous tenons aujourd'hui notre première réunion depuis le 11 septembre.
Il s'agit d'un moment critique pour l'Alliance : pour la première fois depuis sa création, l'Alliance a mis en jeu l'article 5 ; nous avons ainsi collectivement et immédiatement marqué notre solidarité à l'égard de notre allié et notre ami américain, si cruellement frappé.
Nous avons reconnu que les attaques du 11 septembre, dirigées de l'extérieur sur le territoire d'un pays membre, étaient une attaque contre chacun d'entre nous.
Et s'agissant de mon pays, cette solidarité est naturelle : comme à chaque fois que l'essentiel était en jeu, la France s'est tenue aux côtés de son allié américain et du peuple des Etats-Unis. C'est encore le cas aujourd'hui en soutenant la campagne menée en Afghanistan contre les responsables des attentats du 11 septembre et je dis à cet égard notre confiance en Colin Powell.
Notre solidarité s'est traduite par un soutien effectif et concret : dans le cadre de l'OTAN d'abord, la France a ainsi mis à disposition ses Awacs pour les Balkans, en remplacement de ceux affectés à la surveillance du territoire des Etats-Unis.
Cette solidarité s'est traduite aussi, à titre bilatéral, par une présence militaire en appui de l'opération conduite par les Américains en Afghanistan par le déploiement de navires dans l'Océan indien, par l'envoi d'avions de reconnaissance, par l'envoi de troupes pour la sécurisation de l'aide humanitaire, sur la base de la résolution 1378. De nombreux pays ici représentés ont, d'une façon ou d'une autre, apporté leur contribution.
Nous avons considéré dès le début que l'action militaire ne saurait suffire à elle seule. Notre plan d'action pour l'Afghanistan insistait dès le premier octobre sur la dimension politique des problèmes de ce pays et sur sa reconstruction.
Aussi, dans le même temps où se poursuivent les opérations militaires, il fallait travailler à préparer l'avenir politique et le rétablissement d'une stabilité qui puisse être durable. Nous nous réjouissons à cet égard, grâce à l'attitude constructive des Afghans et grâce aux efforts du représentant du SGNU, M. Brahimi, de l'accord politique trouvé à Bonn, au Petersberg, qui permet l'installation, pour commencer, d'une administration de transition représentative. Il faut maintenant que les dirigeants afghans, tous les chefs afghans, jouent le jeu. Ce doit être aussi le cas des pays voisins.
Nous devons également réfléchir à la façon de répondre aux différents problèmes posés par le nouveau contexte consécutif au 11 septembre, au-delà de la réaction militaire immédiate.
Dans cette réflexion, l'OTAN doit évidemment prendre sa place et réfléchir à l'adaptation de ses outils militaires à la nouvelle dimension de la lutte contre le terrorisme, tout en tenant compte des compétences des autres institutions. Le principe qui doit nous guider, à chaque pas, devrait être celui de la valeur ajoutée, c'est-à-dire de la non-duplication et de la non-confusion des rôles.
D'autant plus que la lutte contre le terrorisme n'est pas exclusivement une affaire de réponse militaire même si celle-ci est indispensable dans les moments clefs, beaucoup d'entre nous l'ont dit.
L'effort à long terme, qui seul permettra de vaincre le terrorisme, a été lancé dans toutes les enceintes multilatérales compétentes et doit s'y poursuivre :
- aux Nations unies, dont le rôle en la matière demeure évidemment essentiel. L'adoption par le Conseil de sécurité des résolutions 1368 et 1373 a marqué une étape décisive de la lutte contre le terrorisme et pour l'organisation de la réponse de la communauté internationale.
- au sein de l'Union européenne, seule capable de mettre en place des réponses appropriées et coordonnées, dans les domaines qui sont essentiels pour le combat engagé, à savoir le domaine du financement, du contrôle judiciaire et des mesures policières ; cette action sera déterminante pour le succès de ces politiques à long terme.
Enfin, nous devons nous attaquer aussi à la racine des conflits, aux injustices et à l'instabilité, qui ne créent peut-être pas le terrorisme mais dont le terrorisme se nourrit, pour pouvoir complètement l'éradiquer.
La réaction de la Russie à ces attentats a été remarquable. En effet, le président Poutine a confirmé son choix stratégique, un choix sur le rôle de la Russie dans le monde et aussi pour un partenariat avec le monde occidental.
Nous devons y répondre par une ouverture aussi décidée, avec pour objectif d'établir avec la Russie, une relation fondée non plus sur l'équilibre des forces et des menaces, mais sur la confiance. Cela est vrai pour l'OTAN, mais aussi pour nos relations bilatérales ou celles que nous développons dans les autres enceintes internationales.
C'est pourquoi en ce qui concerne l'OTAN et la Russie, la France, qui a été avec l'Allemagne à l'origine de l'Acte Fondateur, pense comme le Premier ministre britannique, qu'il faut aujourd'hui aller plus loin et que nous devons répondre aux ouvertures reçues par une novation véritable :
- cela veut dire la création d'une nouvelle enceinte où la Russie et les Alliés seraient des partenaires égaux.
- cela veut dire aussi des travaux de substance portant sur ce qui est au cur des compétences de l'OTAN.
Je pense notamment au domaine de la gestion des crises, où des opérations conjointement décidées, planifiées et dirigées par l'OTAN et la Russie pourraient être examinées et mises en oeuvre, par exemple dans les Balkans.
On peut penser à d'autres sujets tels que le désarmement et la maîtrise des armements, la défense antimissile de théâtre et les aspects militaires du contre-terrorisme.
On ne peut encore trancher tout cela, c'est compliqué, mais nous devons engager cette réflexion sans tarder et sans réserves. Il ne s'agit pas de faire du neuf avec de l'ancien, mais de penser l'avenir.
Je n'aborderai pas ici, à dessein, les trois sujets importants que sont les progrès de la défense européenne, la question des Balkans - qui sont à l'ordre du jour cet après midi de notre réunion conjointe avec l'Union européenne - ni celui de l'élargissement. Nos positions sur ce dernier point sont bien connues, l'absence d'exclusive d'aucune sorte. Elles ont été exposées clairement ; nous aurons tout loisir d'y revenir dans les mois qui viennent, dans la perspective des décisions qui devront être prises au Sommet de Prague.
Ce Sommet doit être préparé avec soin sur les autres dossiers également. L'Alliance doit d'ici là poursuivre son adaptation avec le pragmatisme nécessaire, et en même temps avec le dynamisme que le Secrétaire général lui apporte, en se gardant des débats théologiques, à l'heure où, comme nous venons de le voir, c'est dans l'action concrète que l'utilité des organisations doit être démontrée chaque jour.
L'Alliance a su s'adapter progressivement et de façon pragmatique, à toutes les évolutions fondamentales de notre monde. Il faut maintenir le lien transatlantique qui est notre richesse commune. Continuons, il faut persévérer dans cette voie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2001)
CONFERENCE DE PRESSE DE M. VEDRINE
Mesdames et Messieurs bonjour,
La réunion du Conseil de l'Atlantique nord de ce matin m'a permis de redire notre solidarité et de redire pourquoi nous pensons que c'est un moment important et critique pour l'Alliance puisque c'est la première fois que nous avons mis en jeu l'article 5. J'ai d'autre part exprimé à nouveau notre grande satisfaction à propos de l'accord qui a été passé entre les représentants afghans à Bonn et indiqué que nous resterions très engagés dans la suite du processus sous toutes ces formes. J'ai souligné, comme les autres l'ont fait, que l'OTAN devait jouer tout son rôle dans la lutte contre le terrorisme.
A propos de la lutte contre le terrorisme, le cadre général - selon nous - est fourni par l'ONU et chaque organisation, dans sa zone géographique et dans son domaine de compétence, doit apporter une pleine contribution. Nous savons tous que la lutte contre le terrorisme va bien au-delà des réactions légitimes et militaires qui sont en cours, en ce moment, contre des cibles précises. Nous savons que cela se poursuivra dans la durée, que c'est nécessaire sur beaucoup de plans, que cela passe par des coopérations de toutes sortes, judiciaires, militaires, policières, fiscales, etc. A cet égard, de nombreuses organisations, pas uniquement les Nations unies globalement, mais aussi l'Union européenne, l'OSCE - on en a parlé à Bucarest lundi et mardi - l'OTAN et d'autres organisations encore doivent intervenir. Pour des raisons de commodité et d'efficacité, il faut essayer de faire tout cela sans duplication, sans redondance.
Nous avons parlé également ce matin de la question de la Russie. A ce propos, j'ai souligné la réaction remarquable du président Poutine après ces événements tragiques du 11 septembre. En ce qui concerne l'OTAN et la Russie, j'ai fait part de notre attitude ouverte. J'ai rappelé que la France avait été avec l'Allemagne à l'origine de l'Acte fondateur OTAN/RUSSIE, mais il faut certainement aller plus loin parce que le contexte est nouveau et que l'attitude russe est nouvelle. Nous sommes favorables à la création d'une nouvelle enceinte où la Russie et les alliés seraient des partenaires égaux, où ils pourraient travailler ensemble dans des domaines qui seraient de la compétence de l'Alliance. A cet égard, nous sommes tout à fait favorables aux ouvertures qui ont été faites par Tony Blair à ce sujet.
Voilà les points principaux des échanges de ce matin. Il y a beaucoup d'autres sujets importants pour nous, dont il n'a pas été question directement ce matin, mais dont il sera question à d'autres moments de ce Conseil, comme la défense européenne, les Balkans, l'élargissement et d'autres sujets encore. Voilà le résumé de nos positions pour ce matin.
Q - Vous avez évoqué les relations avec la Russie, y a-t-il eu des décisions en la matière ? () Avez-vous aussi évoqué, s'agissant de la lutte contre le terrorisme, l'adaptation de l'outil militaire ?
R - Je crois que j'ai souligné une évidence, qui est que la lutte contre le terrorisme est tellement diverse - si on veut qu'elle soit efficace - qu'elle doit être menée sur tous les plans, dans toutes les zones et sur tous les terrains. Chaque organisation doit faire ce qu'elle fait de mieux, là où elle est la plus compétente. On ne peut pas avoir une organisation qui veut coordonner l'ensemble des autres, sauf l'ONU. Donc l'ONU, c'est le cadre général ; c'est normal. Après, il y a des actions qui doivent être menées sur tous les plans.
Regardez par exemple ce qui se passe dans le cadre du GAFI ; parce que nous savons que la lutte contre le terrorisme ce n'est pas uniquement un problème de blanchiment de l'argent sale, c'est aussi un problème de salissement de l'argent propre, nous avons élargi la compétence du GAFI. Nous avons élargi la composition du GAFI à d'autres pays. Cela n'est pas du tout dans le domaine de l'OTAN.
Je prends cet exemple et il y en a d'autres, pour dire que je ne réduis pas du tout les compétences de l'OTAN. Au contraire, je souhaite que l'OTAN puisse utiliser toutes ses compétences dans son domaine et dans sa zone pour lutter contre le terrorisme. Je ne conçois pas une lutte mondiale contre le terrorisme sans un engagement de l'OTAN, bien sûr, mais chacun dans son rôle.
Alors, en ce qui concerne l'adaptation des missions de l'OTAN - adaptation continue, parce que cela ne commence pas maintenant, ces dernières années l'OTAN a déjà fait preuve de beaucoup de capacité d'adaptation et Lord Robertson doit être salué sur ce plan - il faut tirer les leçons de ce qui s'est passé au Kosovo et dans les Balkans : Qu'est-ce qui a marché ? Qu'est-ce qui n'a pas marché ? Sous quelles formes ? La contribution de l'OTAN à la lutte contre le terrorisme, qu'est-ce que c'est ? Sous quelle forme, par rapport aux autres organisations ? On ne peut pas y penser qu'à l'intérieur de l'OTAN. Il faut qu'il y ait une réflexion entre l'OTAN et les autres organismes engagés dans cette lutte. L'Union européenne aussi est engagée dans la lutte contre le terrorisme. Tout ce qui tourne autour de la mise en uvre d'un espace judiciaire est un élément de cette lutte. D'autre part, il y a la dimension "renseignement" qui est très importante, qui à mon avis est appelée à se développer.
Pour la Russie, j'ai dit tout à l'heure ce que j'en pensais. On n'a pas encore conclu - je parle des instructions précises - cela doit se poursuivre.
Q - Est-ce que, à la réflexion et étant donné ce qui s'est passé, vous pensez que ça a été une bonne idée d'invoquer l'article 5 ? Et est-ce que on n'a pas tendance à assister à une marginalisation de l'Alliance atlantique ?
R - Je pense que ça a été une bonne réaction d'invoquer l'article 5, parce que c'était une réaction politique et, sur le plan de la relation presque amicale et humaine entre les peuples, je pense que nous aurions manqué quelque chose si cette expression de solidarité n'avait pas été faite. D'autant que si vous prenez l'article 5, c'est une réalité : c'est vrai qu'un des alliés a été touché sur son territoire par une attaque venue de l'extérieur. Donc cela aurait même été une faute de ne pas l'invoquer. Cela avait, je le répète, une grande force politique et humaine. Donc je crois que c'était bien de le faire. Cela restera un moment important de la relation entre les Etats-Unis et leurs alliés.
Maintenant, sur le plan pratique c'est différent. Nous savons tous que depuis le début, les Etats-Unis, et plus particulièrement le Pentagone - pour des raisons presque concrètes de commodité et de fonctionnement - ont préféré agir pour l'essentiel seuls en utilisant quelques contributions, à tel ou tel moment, de tel ou tel pays, de tel ou tel allié qui avait des capacités dans tel ou tel domaine particulier ou qui, pour des raisons géographiques, était utile. C'est resté marginal, on le sait. C'est un choix qui appartenait aux Etats-Unis. Je ne pense pas que cela soit négatif dans sa signification, ni par rapport à l'OTAN, ni par rapport à n'importe quel autre pays. La force politique de l'invocation de l'article 5 reste entière.
Q - Peut-on avoir votre position sur les possibilités d'entente avec la Turquie sur la défense européenne ? Il paraît que maintenant ce sont les Grecs qui posent problème. Est-ce que vous croyez qu'on va pouvoir convaincre les Grecs, ou est-ce que cela va recommencer de nouveau ?
R - Je ne veux pas rentrer dans le détail de cette affaire très compliquée. J'espère qu'on va y arriver. Ce ne serait vraiment pas raisonnable si on n'y parvenait pas ! Il n'y pas de contradiction vraie entre le projet européen, le bon fonctionnement de l'Alliance et la défense des intérêts légitimes de la Turquie. Il n'y a pas de contradiction. Il faut trouver une formule dans laquelle il y ait des consultations qui permettent à la Turquie de faire valoir ses intérêts légitimes sans que cela paralyse le projet européen. J'espère que nous sommes proches du but. Je n'en dis pas plus pour ne pas compliquer notre travail.
Q - Monsieur le Ministre, quel est l'avenir de la politique européenne de défense et de sécurité dans ce " feuilleton " que vous venez d'évoquer, avant le Sommet de Laeken qui doit permettre de déclarer l'opérationnalité des troupes ?
R - Je pense que la Politique européenne de sécurité et de défense a un grand avenir. Bien sûr, c'est difficile à mettre en uvre parce qu'il fallait concilier un certain nombre de choses : concilier d'une part le bon fonctionnement de l'Alliance atlantique auquel nous sommes attachés, d'autre part la légitimité du projet européen. Et puis tenir compte d'un certain nombre de situations particulières - des pays qui sont dans l'Union européenne mais qui ne sont pas dans l'OTAN, des pays qui sont dans l'OTAN mais qui ne sont pas dans l'Union européenne, des statuts particuliers, des traditions nationales différentes, des précautions à prendre - pour que les intérêts des uns et des autres ne soient pas maltraités. C'est très compliqué, vous le savez. Cela fait quelques années que l'on travaille là-dessus. Mais, compte tenu de la difficulté, je trouve qu'on avance assez vite quand même. Nous surmontons les obstacles les uns après les autres et je suis convaincu que nous arriverons à cette déclaration d'opérationnalité et même à lui donner un vrai contenu.
Etape après étape, l'Europe se dotera de cet instrument dont elle a besoin. Je suis très optimiste, disons dans le moyen terme. Dans le court terme, je vois bien qu'il y a encore beaucoup de difficultés à surmonter, mais je n'imagine pas une seconde que le projet s'arrête.
Q - Dans votre discours vous avez parlé de l'élargissement de l'OTAN "sans exclusive", dans un autre contexte vous avez parlé de "Big Bang" de l'Union européenne. Est-ce que vous pensez qu'il est possible de parler d'un Big Bang simultané ? Et est-il possible de parler d'un Sommet OTAN/UE en 2004 ?
R - Les sommets sont toujours possibles ! Ce n'est pas le plus compliqué à organiser, d'ailleurs il y a une réunion cet après midi OTAN/UE. Ce sont deux phénomènes différents : les critères ne sont pas les mêmes, les modes de négociations ne sont pas les mêmes. Globalement c'est une sorte de mouvement historique qui va dans la même direction : dans la direction de l'unité, par rapport à des situations antérieures de division. Mais on ne peut pas pousser les ressemblances trop loin. J'ai voulu dire ce matin que nous n'avions pas d'objection de principe, aucun refus a priori en ce qui concerne cette question de l'élargissement de l'OTAN. Après, il faut voir les critères plus précis d'adhésion à l'OTAN. En ce qui concerne l'élargissement de l'Union européenne, c'est une autre discussion.
Q - Dans l'esprit des Français, quand l'article 5 cessera-t-il de s'appliquer ? Est-ce à la fin de l'opération ? Est-ce que cela continuera ?
R - Ce n'est pas une question d'analyse française. L'article 5 c'était le constat d'un fait : une attaque d'un Etat membre contre son territoire. Ce qui a fondé la riposte, ce n'est pas l'article 5, c'est la reconnaissance par le Conseil de sécurité de la situation de légitime défense, de légitime riposte au sens de l'article 51 de la Charte et donc la résolution 1368. C'est ce qui a fondé la légitimité de la réaction. La question de savoir jusqu'où va la résolution 1368, par rapport à quel type d'action, peut donc se poser, peut être examinée au sein du Conseil de sécurité plus valablement qu'au sein de l'OTAN. A ce moment là, il faudra reprendre les termes exacts de la résolution.
Q - Vous avez évoqué la question des relations avec la Russie. Qu'en est-il de la possibilité d'adhésion de la Russie à l'OTAN ? Qu'en est-il aussi des relations entre l'OTAN et la Biélorussie ?
R - Premièrement, je me concentre sur les problèmes qui sont posés et pas sur les problèmes qui ne sont pas posés. Alors je me suis exprimé sur la question russe et pas sur la question de la Biélorussie. Pourquoi sur la question russe ? Parce qu'il y a une attitude et une ouverture du président Poutine depuis un certain temps mais plus encore depuis le 11 septembre. D'autre part, il y a une prise de position du Premier ministre britannique Tony Blair, qui va d'ailleurs dans le sens d'un certain nombre de propositions qui avaient déjà été faites pour qu'il y ait entre l'OTAN et la Russie une relation plus forte que celle qui a été créée par l'Acte fondateur OTAN/Russie que la France avait parrainé avec d'autres pays. Nous sommes donc d'accord pour aller plus loin. Mais ce n'est pas la question de l'adhésion qui a été posée. En réalité, cette question n'a été posée ni par les Russes, ni par les pays membres, ni par l'initiative de Tony Blair qui est celle d'une coopération sur un mode différent entre l'OTAN et la Russie. Je propose qu'on en reste là à ce stade. C'est déjà une progression, une innovation. Notre réponse à nous c'est : une nouvelle enceinte où la Russie et les alliés seraient des partenaires égaux, c'est une enceinte à 19+1, ce n'est pas une adhésion à proprement parler. C'est donc un problème qui n'est pas posé.
Q - Y a-t-il des propositions concrètes pour que l'OTAN travaille, en partenaires égaux, avec la Russie ?
R - Oui, il y a une certaine convergence manifestement que l'on ressent sur ce sujet et je rappelle que notre idée, c'est une nouvelle enceinte, avec des travaux de substance, portant sur des domaines de compétence de l'OTAN. J'ai senti un mouvement général dans ce sens. Dans les sujets, j'ai cité la gestion des crises. On pourrait imaginer des opérations conjointement décidées, planifiées et dirigées par l'OTAN et la Russie, par exemple dans les Balkans. C'est un exemple, mais on peut avoir d'autres idées.
Q - Le président Arafat semble tout seul aujourd'hui. Il n'a plus les moyens de mener sa politique. Comment le voyez-vous capable de mettre en uvre une solution ? Vous avez souligné la nécessité de lutter contre le terrorisme dans ses racines. L'un des conflits majeurs est celui du Proche-Orient.
R - Je vais répondre très brièvement. D'abord, la France n'a pas attendu le 11 septembre pour découvrir la gravité du problème du Proche-Orient. C'est un problème sur lequel la France est engagée depuis des années. Inlassablement elle a fait beaucoup de propositions, beaucoup de démarches, notamment avec ses partenaires européens, mais également par elle-même. Cela fait partie de ce travail général que nous devons avoir par rapport au monde dans son ensemble pour traiter les problèmes à leur racine, en effet. En ce qui concerne la situation au Proche-Orient, je peux redire ici ce que j'ai dit à Bucarest lundi, qui est que nous demandons à Yasser Arafat de faire tout ce qui est en son pouvoir pour lutter contre le terrorisme, qui est d'ailleurs autant son ennemi que celui d'Israël. Il doit faire tout ce qui est en son pouvoir, inlassablement, de façon concrète, visible. C'est une première chose.
Nous demandons aux pays de la région, aux pays voisins, de soutenir Yasser Arafat dans cette lutte contre le terrorisme qui combat à la fois Israël et la politique de l'Autorité palestinienne - le terrorisme combat les deux. Nous demandons aux pays voisins d'aider l'Autorité palestinienne dans cette lutte difficile. Enfin, nous répétons que si on veut que l'Autorité palestinienne soit en mesure de mener cette lutte avec efficacité, il faut plutôt renforcer sa capacité que la diminuer. Il faut plutôt la renforcer, et sur un plan pratique et sur un plan politique. Voilà ce que nous pensons sur la façon de traiter cette affaire.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2001)
Monsieur le Secrétaire général,
Chers collègues,
Nous tenons aujourd'hui notre première réunion depuis le 11 septembre.
Il s'agit d'un moment critique pour l'Alliance : pour la première fois depuis sa création, l'Alliance a mis en jeu l'article 5 ; nous avons ainsi collectivement et immédiatement marqué notre solidarité à l'égard de notre allié et notre ami américain, si cruellement frappé.
Nous avons reconnu que les attaques du 11 septembre, dirigées de l'extérieur sur le territoire d'un pays membre, étaient une attaque contre chacun d'entre nous.
Et s'agissant de mon pays, cette solidarité est naturelle : comme à chaque fois que l'essentiel était en jeu, la France s'est tenue aux côtés de son allié américain et du peuple des Etats-Unis. C'est encore le cas aujourd'hui en soutenant la campagne menée en Afghanistan contre les responsables des attentats du 11 septembre et je dis à cet égard notre confiance en Colin Powell.
Notre solidarité s'est traduite par un soutien effectif et concret : dans le cadre de l'OTAN d'abord, la France a ainsi mis à disposition ses Awacs pour les Balkans, en remplacement de ceux affectés à la surveillance du territoire des Etats-Unis.
Cette solidarité s'est traduite aussi, à titre bilatéral, par une présence militaire en appui de l'opération conduite par les Américains en Afghanistan par le déploiement de navires dans l'Océan indien, par l'envoi d'avions de reconnaissance, par l'envoi de troupes pour la sécurisation de l'aide humanitaire, sur la base de la résolution 1378. De nombreux pays ici représentés ont, d'une façon ou d'une autre, apporté leur contribution.
Nous avons considéré dès le début que l'action militaire ne saurait suffire à elle seule. Notre plan d'action pour l'Afghanistan insistait dès le premier octobre sur la dimension politique des problèmes de ce pays et sur sa reconstruction.
Aussi, dans le même temps où se poursuivent les opérations militaires, il fallait travailler à préparer l'avenir politique et le rétablissement d'une stabilité qui puisse être durable. Nous nous réjouissons à cet égard, grâce à l'attitude constructive des Afghans et grâce aux efforts du représentant du SGNU, M. Brahimi, de l'accord politique trouvé à Bonn, au Petersberg, qui permet l'installation, pour commencer, d'une administration de transition représentative. Il faut maintenant que les dirigeants afghans, tous les chefs afghans, jouent le jeu. Ce doit être aussi le cas des pays voisins.
Nous devons également réfléchir à la façon de répondre aux différents problèmes posés par le nouveau contexte consécutif au 11 septembre, au-delà de la réaction militaire immédiate.
Dans cette réflexion, l'OTAN doit évidemment prendre sa place et réfléchir à l'adaptation de ses outils militaires à la nouvelle dimension de la lutte contre le terrorisme, tout en tenant compte des compétences des autres institutions. Le principe qui doit nous guider, à chaque pas, devrait être celui de la valeur ajoutée, c'est-à-dire de la non-duplication et de la non-confusion des rôles.
D'autant plus que la lutte contre le terrorisme n'est pas exclusivement une affaire de réponse militaire même si celle-ci est indispensable dans les moments clefs, beaucoup d'entre nous l'ont dit.
L'effort à long terme, qui seul permettra de vaincre le terrorisme, a été lancé dans toutes les enceintes multilatérales compétentes et doit s'y poursuivre :
- aux Nations unies, dont le rôle en la matière demeure évidemment essentiel. L'adoption par le Conseil de sécurité des résolutions 1368 et 1373 a marqué une étape décisive de la lutte contre le terrorisme et pour l'organisation de la réponse de la communauté internationale.
- au sein de l'Union européenne, seule capable de mettre en place des réponses appropriées et coordonnées, dans les domaines qui sont essentiels pour le combat engagé, à savoir le domaine du financement, du contrôle judiciaire et des mesures policières ; cette action sera déterminante pour le succès de ces politiques à long terme.
Enfin, nous devons nous attaquer aussi à la racine des conflits, aux injustices et à l'instabilité, qui ne créent peut-être pas le terrorisme mais dont le terrorisme se nourrit, pour pouvoir complètement l'éradiquer.
La réaction de la Russie à ces attentats a été remarquable. En effet, le président Poutine a confirmé son choix stratégique, un choix sur le rôle de la Russie dans le monde et aussi pour un partenariat avec le monde occidental.
Nous devons y répondre par une ouverture aussi décidée, avec pour objectif d'établir avec la Russie, une relation fondée non plus sur l'équilibre des forces et des menaces, mais sur la confiance. Cela est vrai pour l'OTAN, mais aussi pour nos relations bilatérales ou celles que nous développons dans les autres enceintes internationales.
C'est pourquoi en ce qui concerne l'OTAN et la Russie, la France, qui a été avec l'Allemagne à l'origine de l'Acte Fondateur, pense comme le Premier ministre britannique, qu'il faut aujourd'hui aller plus loin et que nous devons répondre aux ouvertures reçues par une novation véritable :
- cela veut dire la création d'une nouvelle enceinte où la Russie et les Alliés seraient des partenaires égaux.
- cela veut dire aussi des travaux de substance portant sur ce qui est au cur des compétences de l'OTAN.
Je pense notamment au domaine de la gestion des crises, où des opérations conjointement décidées, planifiées et dirigées par l'OTAN et la Russie pourraient être examinées et mises en oeuvre, par exemple dans les Balkans.
On peut penser à d'autres sujets tels que le désarmement et la maîtrise des armements, la défense antimissile de théâtre et les aspects militaires du contre-terrorisme.
On ne peut encore trancher tout cela, c'est compliqué, mais nous devons engager cette réflexion sans tarder et sans réserves. Il ne s'agit pas de faire du neuf avec de l'ancien, mais de penser l'avenir.
Je n'aborderai pas ici, à dessein, les trois sujets importants que sont les progrès de la défense européenne, la question des Balkans - qui sont à l'ordre du jour cet après midi de notre réunion conjointe avec l'Union européenne - ni celui de l'élargissement. Nos positions sur ce dernier point sont bien connues, l'absence d'exclusive d'aucune sorte. Elles ont été exposées clairement ; nous aurons tout loisir d'y revenir dans les mois qui viennent, dans la perspective des décisions qui devront être prises au Sommet de Prague.
Ce Sommet doit être préparé avec soin sur les autres dossiers également. L'Alliance doit d'ici là poursuivre son adaptation avec le pragmatisme nécessaire, et en même temps avec le dynamisme que le Secrétaire général lui apporte, en se gardant des débats théologiques, à l'heure où, comme nous venons de le voir, c'est dans l'action concrète que l'utilité des organisations doit être démontrée chaque jour.
L'Alliance a su s'adapter progressivement et de façon pragmatique, à toutes les évolutions fondamentales de notre monde. Il faut maintenir le lien transatlantique qui est notre richesse commune. Continuons, il faut persévérer dans cette voie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2001)
CONFERENCE DE PRESSE DE M. VEDRINE
Mesdames et Messieurs bonjour,
La réunion du Conseil de l'Atlantique nord de ce matin m'a permis de redire notre solidarité et de redire pourquoi nous pensons que c'est un moment important et critique pour l'Alliance puisque c'est la première fois que nous avons mis en jeu l'article 5. J'ai d'autre part exprimé à nouveau notre grande satisfaction à propos de l'accord qui a été passé entre les représentants afghans à Bonn et indiqué que nous resterions très engagés dans la suite du processus sous toutes ces formes. J'ai souligné, comme les autres l'ont fait, que l'OTAN devait jouer tout son rôle dans la lutte contre le terrorisme.
A propos de la lutte contre le terrorisme, le cadre général - selon nous - est fourni par l'ONU et chaque organisation, dans sa zone géographique et dans son domaine de compétence, doit apporter une pleine contribution. Nous savons tous que la lutte contre le terrorisme va bien au-delà des réactions légitimes et militaires qui sont en cours, en ce moment, contre des cibles précises. Nous savons que cela se poursuivra dans la durée, que c'est nécessaire sur beaucoup de plans, que cela passe par des coopérations de toutes sortes, judiciaires, militaires, policières, fiscales, etc. A cet égard, de nombreuses organisations, pas uniquement les Nations unies globalement, mais aussi l'Union européenne, l'OSCE - on en a parlé à Bucarest lundi et mardi - l'OTAN et d'autres organisations encore doivent intervenir. Pour des raisons de commodité et d'efficacité, il faut essayer de faire tout cela sans duplication, sans redondance.
Nous avons parlé également ce matin de la question de la Russie. A ce propos, j'ai souligné la réaction remarquable du président Poutine après ces événements tragiques du 11 septembre. En ce qui concerne l'OTAN et la Russie, j'ai fait part de notre attitude ouverte. J'ai rappelé que la France avait été avec l'Allemagne à l'origine de l'Acte fondateur OTAN/RUSSIE, mais il faut certainement aller plus loin parce que le contexte est nouveau et que l'attitude russe est nouvelle. Nous sommes favorables à la création d'une nouvelle enceinte où la Russie et les alliés seraient des partenaires égaux, où ils pourraient travailler ensemble dans des domaines qui seraient de la compétence de l'Alliance. A cet égard, nous sommes tout à fait favorables aux ouvertures qui ont été faites par Tony Blair à ce sujet.
Voilà les points principaux des échanges de ce matin. Il y a beaucoup d'autres sujets importants pour nous, dont il n'a pas été question directement ce matin, mais dont il sera question à d'autres moments de ce Conseil, comme la défense européenne, les Balkans, l'élargissement et d'autres sujets encore. Voilà le résumé de nos positions pour ce matin.
Q - Vous avez évoqué les relations avec la Russie, y a-t-il eu des décisions en la matière ? () Avez-vous aussi évoqué, s'agissant de la lutte contre le terrorisme, l'adaptation de l'outil militaire ?
R - Je crois que j'ai souligné une évidence, qui est que la lutte contre le terrorisme est tellement diverse - si on veut qu'elle soit efficace - qu'elle doit être menée sur tous les plans, dans toutes les zones et sur tous les terrains. Chaque organisation doit faire ce qu'elle fait de mieux, là où elle est la plus compétente. On ne peut pas avoir une organisation qui veut coordonner l'ensemble des autres, sauf l'ONU. Donc l'ONU, c'est le cadre général ; c'est normal. Après, il y a des actions qui doivent être menées sur tous les plans.
Regardez par exemple ce qui se passe dans le cadre du GAFI ; parce que nous savons que la lutte contre le terrorisme ce n'est pas uniquement un problème de blanchiment de l'argent sale, c'est aussi un problème de salissement de l'argent propre, nous avons élargi la compétence du GAFI. Nous avons élargi la composition du GAFI à d'autres pays. Cela n'est pas du tout dans le domaine de l'OTAN.
Je prends cet exemple et il y en a d'autres, pour dire que je ne réduis pas du tout les compétences de l'OTAN. Au contraire, je souhaite que l'OTAN puisse utiliser toutes ses compétences dans son domaine et dans sa zone pour lutter contre le terrorisme. Je ne conçois pas une lutte mondiale contre le terrorisme sans un engagement de l'OTAN, bien sûr, mais chacun dans son rôle.
Alors, en ce qui concerne l'adaptation des missions de l'OTAN - adaptation continue, parce que cela ne commence pas maintenant, ces dernières années l'OTAN a déjà fait preuve de beaucoup de capacité d'adaptation et Lord Robertson doit être salué sur ce plan - il faut tirer les leçons de ce qui s'est passé au Kosovo et dans les Balkans : Qu'est-ce qui a marché ? Qu'est-ce qui n'a pas marché ? Sous quelles formes ? La contribution de l'OTAN à la lutte contre le terrorisme, qu'est-ce que c'est ? Sous quelle forme, par rapport aux autres organisations ? On ne peut pas y penser qu'à l'intérieur de l'OTAN. Il faut qu'il y ait une réflexion entre l'OTAN et les autres organismes engagés dans cette lutte. L'Union européenne aussi est engagée dans la lutte contre le terrorisme. Tout ce qui tourne autour de la mise en uvre d'un espace judiciaire est un élément de cette lutte. D'autre part, il y a la dimension "renseignement" qui est très importante, qui à mon avis est appelée à se développer.
Pour la Russie, j'ai dit tout à l'heure ce que j'en pensais. On n'a pas encore conclu - je parle des instructions précises - cela doit se poursuivre.
Q - Est-ce que, à la réflexion et étant donné ce qui s'est passé, vous pensez que ça a été une bonne idée d'invoquer l'article 5 ? Et est-ce que on n'a pas tendance à assister à une marginalisation de l'Alliance atlantique ?
R - Je pense que ça a été une bonne réaction d'invoquer l'article 5, parce que c'était une réaction politique et, sur le plan de la relation presque amicale et humaine entre les peuples, je pense que nous aurions manqué quelque chose si cette expression de solidarité n'avait pas été faite. D'autant que si vous prenez l'article 5, c'est une réalité : c'est vrai qu'un des alliés a été touché sur son territoire par une attaque venue de l'extérieur. Donc cela aurait même été une faute de ne pas l'invoquer. Cela avait, je le répète, une grande force politique et humaine. Donc je crois que c'était bien de le faire. Cela restera un moment important de la relation entre les Etats-Unis et leurs alliés.
Maintenant, sur le plan pratique c'est différent. Nous savons tous que depuis le début, les Etats-Unis, et plus particulièrement le Pentagone - pour des raisons presque concrètes de commodité et de fonctionnement - ont préféré agir pour l'essentiel seuls en utilisant quelques contributions, à tel ou tel moment, de tel ou tel pays, de tel ou tel allié qui avait des capacités dans tel ou tel domaine particulier ou qui, pour des raisons géographiques, était utile. C'est resté marginal, on le sait. C'est un choix qui appartenait aux Etats-Unis. Je ne pense pas que cela soit négatif dans sa signification, ni par rapport à l'OTAN, ni par rapport à n'importe quel autre pays. La force politique de l'invocation de l'article 5 reste entière.
Q - Peut-on avoir votre position sur les possibilités d'entente avec la Turquie sur la défense européenne ? Il paraît que maintenant ce sont les Grecs qui posent problème. Est-ce que vous croyez qu'on va pouvoir convaincre les Grecs, ou est-ce que cela va recommencer de nouveau ?
R - Je ne veux pas rentrer dans le détail de cette affaire très compliquée. J'espère qu'on va y arriver. Ce ne serait vraiment pas raisonnable si on n'y parvenait pas ! Il n'y pas de contradiction vraie entre le projet européen, le bon fonctionnement de l'Alliance et la défense des intérêts légitimes de la Turquie. Il n'y a pas de contradiction. Il faut trouver une formule dans laquelle il y ait des consultations qui permettent à la Turquie de faire valoir ses intérêts légitimes sans que cela paralyse le projet européen. J'espère que nous sommes proches du but. Je n'en dis pas plus pour ne pas compliquer notre travail.
Q - Monsieur le Ministre, quel est l'avenir de la politique européenne de défense et de sécurité dans ce " feuilleton " que vous venez d'évoquer, avant le Sommet de Laeken qui doit permettre de déclarer l'opérationnalité des troupes ?
R - Je pense que la Politique européenne de sécurité et de défense a un grand avenir. Bien sûr, c'est difficile à mettre en uvre parce qu'il fallait concilier un certain nombre de choses : concilier d'une part le bon fonctionnement de l'Alliance atlantique auquel nous sommes attachés, d'autre part la légitimité du projet européen. Et puis tenir compte d'un certain nombre de situations particulières - des pays qui sont dans l'Union européenne mais qui ne sont pas dans l'OTAN, des pays qui sont dans l'OTAN mais qui ne sont pas dans l'Union européenne, des statuts particuliers, des traditions nationales différentes, des précautions à prendre - pour que les intérêts des uns et des autres ne soient pas maltraités. C'est très compliqué, vous le savez. Cela fait quelques années que l'on travaille là-dessus. Mais, compte tenu de la difficulté, je trouve qu'on avance assez vite quand même. Nous surmontons les obstacles les uns après les autres et je suis convaincu que nous arriverons à cette déclaration d'opérationnalité et même à lui donner un vrai contenu.
Etape après étape, l'Europe se dotera de cet instrument dont elle a besoin. Je suis très optimiste, disons dans le moyen terme. Dans le court terme, je vois bien qu'il y a encore beaucoup de difficultés à surmonter, mais je n'imagine pas une seconde que le projet s'arrête.
Q - Dans votre discours vous avez parlé de l'élargissement de l'OTAN "sans exclusive", dans un autre contexte vous avez parlé de "Big Bang" de l'Union européenne. Est-ce que vous pensez qu'il est possible de parler d'un Big Bang simultané ? Et est-il possible de parler d'un Sommet OTAN/UE en 2004 ?
R - Les sommets sont toujours possibles ! Ce n'est pas le plus compliqué à organiser, d'ailleurs il y a une réunion cet après midi OTAN/UE. Ce sont deux phénomènes différents : les critères ne sont pas les mêmes, les modes de négociations ne sont pas les mêmes. Globalement c'est une sorte de mouvement historique qui va dans la même direction : dans la direction de l'unité, par rapport à des situations antérieures de division. Mais on ne peut pas pousser les ressemblances trop loin. J'ai voulu dire ce matin que nous n'avions pas d'objection de principe, aucun refus a priori en ce qui concerne cette question de l'élargissement de l'OTAN. Après, il faut voir les critères plus précis d'adhésion à l'OTAN. En ce qui concerne l'élargissement de l'Union européenne, c'est une autre discussion.
Q - Dans l'esprit des Français, quand l'article 5 cessera-t-il de s'appliquer ? Est-ce à la fin de l'opération ? Est-ce que cela continuera ?
R - Ce n'est pas une question d'analyse française. L'article 5 c'était le constat d'un fait : une attaque d'un Etat membre contre son territoire. Ce qui a fondé la riposte, ce n'est pas l'article 5, c'est la reconnaissance par le Conseil de sécurité de la situation de légitime défense, de légitime riposte au sens de l'article 51 de la Charte et donc la résolution 1368. C'est ce qui a fondé la légitimité de la réaction. La question de savoir jusqu'où va la résolution 1368, par rapport à quel type d'action, peut donc se poser, peut être examinée au sein du Conseil de sécurité plus valablement qu'au sein de l'OTAN. A ce moment là, il faudra reprendre les termes exacts de la résolution.
Q - Vous avez évoqué la question des relations avec la Russie. Qu'en est-il de la possibilité d'adhésion de la Russie à l'OTAN ? Qu'en est-il aussi des relations entre l'OTAN et la Biélorussie ?
R - Premièrement, je me concentre sur les problèmes qui sont posés et pas sur les problèmes qui ne sont pas posés. Alors je me suis exprimé sur la question russe et pas sur la question de la Biélorussie. Pourquoi sur la question russe ? Parce qu'il y a une attitude et une ouverture du président Poutine depuis un certain temps mais plus encore depuis le 11 septembre. D'autre part, il y a une prise de position du Premier ministre britannique Tony Blair, qui va d'ailleurs dans le sens d'un certain nombre de propositions qui avaient déjà été faites pour qu'il y ait entre l'OTAN et la Russie une relation plus forte que celle qui a été créée par l'Acte fondateur OTAN/Russie que la France avait parrainé avec d'autres pays. Nous sommes donc d'accord pour aller plus loin. Mais ce n'est pas la question de l'adhésion qui a été posée. En réalité, cette question n'a été posée ni par les Russes, ni par les pays membres, ni par l'initiative de Tony Blair qui est celle d'une coopération sur un mode différent entre l'OTAN et la Russie. Je propose qu'on en reste là à ce stade. C'est déjà une progression, une innovation. Notre réponse à nous c'est : une nouvelle enceinte où la Russie et les alliés seraient des partenaires égaux, c'est une enceinte à 19+1, ce n'est pas une adhésion à proprement parler. C'est donc un problème qui n'est pas posé.
Q - Y a-t-il des propositions concrètes pour que l'OTAN travaille, en partenaires égaux, avec la Russie ?
R - Oui, il y a une certaine convergence manifestement que l'on ressent sur ce sujet et je rappelle que notre idée, c'est une nouvelle enceinte, avec des travaux de substance, portant sur des domaines de compétence de l'OTAN. J'ai senti un mouvement général dans ce sens. Dans les sujets, j'ai cité la gestion des crises. On pourrait imaginer des opérations conjointement décidées, planifiées et dirigées par l'OTAN et la Russie, par exemple dans les Balkans. C'est un exemple, mais on peut avoir d'autres idées.
Q - Le président Arafat semble tout seul aujourd'hui. Il n'a plus les moyens de mener sa politique. Comment le voyez-vous capable de mettre en uvre une solution ? Vous avez souligné la nécessité de lutter contre le terrorisme dans ses racines. L'un des conflits majeurs est celui du Proche-Orient.
R - Je vais répondre très brièvement. D'abord, la France n'a pas attendu le 11 septembre pour découvrir la gravité du problème du Proche-Orient. C'est un problème sur lequel la France est engagée depuis des années. Inlassablement elle a fait beaucoup de propositions, beaucoup de démarches, notamment avec ses partenaires européens, mais également par elle-même. Cela fait partie de ce travail général que nous devons avoir par rapport au monde dans son ensemble pour traiter les problèmes à leur racine, en effet. En ce qui concerne la situation au Proche-Orient, je peux redire ici ce que j'ai dit à Bucarest lundi, qui est que nous demandons à Yasser Arafat de faire tout ce qui est en son pouvoir pour lutter contre le terrorisme, qui est d'ailleurs autant son ennemi que celui d'Israël. Il doit faire tout ce qui est en son pouvoir, inlassablement, de façon concrète, visible. C'est une première chose.
Nous demandons aux pays de la région, aux pays voisins, de soutenir Yasser Arafat dans cette lutte contre le terrorisme qui combat à la fois Israël et la politique de l'Autorité palestinienne - le terrorisme combat les deux. Nous demandons aux pays voisins d'aider l'Autorité palestinienne dans cette lutte difficile. Enfin, nous répétons que si on veut que l'Autorité palestinienne soit en mesure de mener cette lutte avec efficacité, il faut plutôt renforcer sa capacité que la diminuer. Il faut plutôt la renforcer, et sur un plan pratique et sur un plan politique. Voilà ce que nous pensons sur la façon de traiter cette affaire.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2001)