Interview de M. Georges Sarre, président du Mouvement des citoyens, à "France 2" le 16 janvier 2002, sur l'insuffisance des mesures prises pour résoudre la crise de la justice et de la police, la montée de la délinquance, sur l'annulation par le Conseil constitutionnel de la disposition sur le droit de licenciement économique de la loi de modernisation sociale, et sur la candidature de Jean-Pierre Chevènement à l'élection présidentielle 2002.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde - Est-ce que le départ tonitruant du juge Halphen est révélateur d'une crise de la justice ou est-ce simplement le désarroi d'un homme ?
- "Il y a les deux. Il y a bien sûr le désarroi d'un homme seul qui a eu à traiter des dossiers extrêmement sensibles et difficiles et qui dit des choses intéressantes sur la justice. Ce qu'il a exprimé correspond à ce que souhaitent les Français : une justice sereine, équitable. Autrement dit, pas une justice selon La Fontaine qui fait que, selon que vous être puissant ou misérable, vous êtes blanc ou noir. C'est une position forte. Deuxièmement, il me semble que le juge Halphen pose de vrais problèmes, car la justice, aujourd'hui, est dans une sorte de tourmente. Pourquoi ? Parce qu'il y a une grave crise de société et que la justice et la police sont dans l'oeil du cyclone et qu'il faut prendre des décisions pour que cela change."
Les chiffres de la sécurité ne sont pas bons. Ils ne sont pas encore officiels, mais on sait qu'en 2001, l'insécurité a augmenté d'environ 8 à 9 % sur l'ensemble du territoire et que la petite délinquance, des jeunes notamment, explose. Que peut-on faire ?
- "J.-P. Chevènement avait proposé, quand il était au Gouvernement, beaucoup de mesures. Il avait demandé, par exemple, une loi de programmation tant pour la justice que pour la police ; il avait souhaité qu'il y ait une évolution de l'ordonnance de 1945, parce qu'à l'heure actuelle, s'il y a une explosion..."
L'ordonnance de 1945, c'est celle qui fait que les mineurs ont un traitement différent...
- "C'est une ordonnance qui correspondait à la société française à ce moment-là - à la Libération - et qui privilégiait l'éducation. On ne dit pas qu'il faut supprimer l'éducation aujourd'hui, mais on dit qu'il faut donner les moyens aux magistrats de ne pas laisser sans réponse tout acte incivil ou beaucoup plus grave. Tant qu'il n'y aura pas cette réforme, il n'y aura pas d'amélioration possible. Car autrement, les magistrats et les policiers ont les mains nues [sic] pour entreprendre quoi que ce soit. Il faut donc une politique de prévention, d'éducation, il faut que les parents fassent leur métier de parents et que l'appareil d'Etat puisse fonctionner normalement."
Vous voulez dire que le gouvernement Jospin ne prend pas les mesures suffisantes ?
- "Indiscutablement, des choses ont été faites, mais nous sommes victimes de deux démarches. Celle de la droite, c'est la démagogie, c'est toujours plus, dans des conditions invraisemblables. L'autre, c'est l'angélisme inspiré par l'idéologie libérale libertaire, c'est voir les choses telles qu'elles ne sont plus."
Il faut dire qu'il y a des "sauvageons" - comme l'a dit J.-P. Chevènement, ce qui lui avait valu un certain nombre de critiques - et prévoir peut-être un encadrement pour eux ?
- "Il faut tout simplement faire en sorte que les jeunes, une petite minorité, n'évoluent plus mal. Il faut prendre des dispositions pour permettre de les éduquer, de les former, de leur donner un travail et de les sortir du milieu dans lequel il se trouve. C'est pourquoi, par exemple, il avait préconisé des centres de retenu. On a déformé cette proposition en disant "maisons de correction"... Pas du tout, ce sont des centres avec des éducateurs, des enseignants, des gens qui les prépareraient à la vie, mais ce ne sont pas des maisons où on entre et sort comme on veut, comme c'est le cas aujourd'hui dans le peu de centres qui existent."
Le Conseil constitutionnel, sur la loi de modernisation sociale, a censuré un des articles - l'article 107 - ; on attend la décision du Conseil sur la Corse, avec peut-être une décision concernant l'article 1. On sait que vous y étiez très opposé. Est-ce que le fait que le Conseil constitutionnel prenne systématiquement position contre des textes gouvernementaux vous surprend ? Est-ce une prise de position politique de sa part ou est-ce que les textes sont mal ficelés ?
- "Je suis sûr que les gens s'attendent à ce que je dise "oui". Pour ce qui concerne la loi de modernisation sociale, nous, députés ou sénateurs du MDC, nous n'avions pas voté ce texte, parce que c'était une loi en trompe-l'oeil. En apparence, elle apportait beaucoup de réponses, dans la réalité, peu. Car cette loi de modernisation sociale aurait dû permettre à l'Etat, donc au pouvoir public, d'intervenir quand il y a délocalisation d'entreprise, car cette loi est venue au moment de l'affaire Danone, Marks Spencer, etc. Le Gouvernement a fait un texte en apparence durci par le PC. A partir de ce moment-là, le PC ayant obtenu gain de cause sur un article, le Medef est parti à l'assaut. Et voilà, on a monté un théâtre pour faire croire que les choses allaient changer. Dans la réalité, cela ne risquait rien - si j'ose ainsi m'exprimer."
Le Conseil constitutionnel a eu raison de le censurer ?
- "Je ne dis pas cela. Je dis que le Conseil constitutionnel agit en fonction de principes très larges, généraux et quand il le veut, vraisemblablement, il peut aller dans cette direction, il a été mis en place pour cela."
Ce n'est pas une décision politique ?
- "Certains penseront que c'est une décision politique et les autres diront que c'est tout à fait conforme à la mission du Conseil constitutionnel. La loi de modernisation sociale, comme je vous l'ai dit, n'était qu'apparences."
Samedi, le Pôle républicain de J.-P. Chevènement se réunit au Cnit. On a beaucoup dit qu'il y avait un fond de soutien autour de J.-P. Chevènement, dont on se passerait, qu'il vienne de la droite ou de l'extrême droite...
- "Ceux qui disent cela, ce sont des gens qui ne nous veulent pas du bien, car J.-P. Chevènement a déclaré sa candidature le 4 septembre ; le 9, il réunissait à Vincennes des milliers de gens. Le principe est simple : il a présenté 10 grandes orientations ; ceux qui sont d'accord avec ces orientations, auxquels on ne demande jamais d'où ils viennent - il n'y a pas de tractations ou de négociations - rejoignent ce qu'on appelle "le Pôle républicain", c'est-à-dire le MDC et toutes les femmes et tous les hommes, des milliers, qui, aujourd'hui, viennent de sensibilités communiste, socialiste, gaulliste ou UDF, et se retrouvent avec nous. Nous allons donc nous réunir, J.-P. Chevènement interviendra, il y aura beaucoup d'ateliers et vous verrez sortir une force militante dévouée au service de la campagne de J.-P. Chevènement."
Cela préfigure ce que pourrait être le MDC de demain ?
- "Chaque chose en son temps. En tout cas, nous nous déciderons aussi en fonction du résultat. Si comme je l'espère et je le crois, J.-P. Chevènement est au second tour et peut l'emporter..."
Il est, pour le moment, crédité à 11 % dans les sondages...
- "Je voudrais dire deux mots là-dessus : on a trois offres politiques majoritaires incarnées par trois hommes, le président de la République, le Premier ministre et J.-P. Chevènement ; les sondages confirment cela. J'observe que d'habitude, aux autres élections présidentielles, il y a toujours trois hommes, mais à chaque élection présidentielle, le président de la République et le Premier ministre, avant d'entrer officiellement dans le jeu, dans la arène, sont à plus de 30. Aujourd'hui, J. Chirac et L. Jospin sont loin d'établir ce score et J.-P. Chevènement a une moyenne de 11 %, ce qui prouve que si nous démarrons bien au Cnit, vous verrez qu'il surprendra."
Vous pensez évidemment qu'il sera au second tour ?
- "Bien sûr."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 16 janvier 2002)