Texte intégral
Monsieur le Président, j'ai plaisir à vous féliciter pour votre élection, qui témoigne de l'estime portée à votre pays et à votre personne.
Monsieur le Secrétaire général, venant après votre réélection pour un second mandat, qui marque de la confiance générale dont vous bénéficiez, le prix Nobel de la paix est un hommage mérité rendu à votre action et, à travers votre personne, à l'Organisation des Nations unies toute entière et l'expression d'une espérance plus forte que jamais.
Je voudrais également, ici à New York, où je me trouve pour la troisième fois depuis la tragédie du 11 septembre, redire ma profonde émotion et rendre hommage au peuple de New York, si durement éprouvé, et à son courageux maire qui achève son mandat.
I. L'ampleur et la gravité sans précédent de l'attaque terroriste du 11 septembre, à New York et à Washington, justifiaient une solidarité sans faille et une réponse exceptionnelle. Le Conseil de sécurité a eu raison de qualifier d'agression cet acte, par sa résolution 1368, adoptée à l'unanimité, et de l'inscrire dans une logique de légitime défense et donc de légitime riposte, conformément à l'article 51 de la Charte.
Dans la mise en oeuvre de leur riposte militaire ciblée contre les organisations terroristes responsables de ces actes, les Etats-Unis bénéficient donc d'une pleine légitimité juridique et politique.
L'action militaire en cours était inévitable. Elle doit se poursuivre jusqu'à ce que tous ses objectifs soient atteints, je l'espère le plus tôt possible au delà des premiers résultats obtenus hier. Les responsables de ces réseaux terroristes et ceux qui les soutiennent doivent être mis hors d'état de nuire.
Mais cette action militaire doit naturellement s'inscrire dans une stratégie d'ensemble, ce qui inclut une action humanitaire immédiate de très grande envergure, mieux adaptée aux populations en détresse et durable. La France a fait sur ce point plusieurs propositions et soutient les initiatives en cours pour une meilleure coordination. Cela inclut aussi une solution politique. Celle-ci doit viser à éviter que la disparition du pouvoir des Taleban ne débouche sur des affrontements fratricides et sur le chaos. Elle doit redonner au peuple afghan la maîtrise de son avenir. C'est l'objet même du plan d'action pour l'Afghanistan, présenté par la France dès le 1er octobre, et d'autres contributions inspirées par les mêmes considérations.
Nous attendons avec intérêt les propositions de Lakhdar Brahimi. Elles doivent tracer, pour les Nations unies, des grandes lignes d'actions. Sur ces bases, le Conseil de sécurité devrait pouvoir adopter d'ici à quelques jours une résolution - cadre qui endossera les propositions de Lakhdar Brahimi et précisera les modalités du soutien des Nations unies à la mise en place d'un pouvoir afghan représentatif des différentes composantes de la population. Car il ne s'agit pas de plaquer sur l'Afghanistan une solution toute faite, conçue à l'extérieur. J'appelle toutes les composantes de la nation afghane et tous les pays voisins à faire prévaloir l'intérêt général de l'Afghanistan et de son peuple. C'est compatible avec la prise en compte des intérêts légitimes des uns et des autres et c'est la seule façon de tourner le dos au passé.
Au delà des actions militaires, diplomatiques et humanitaires immédiates, notre lutte commune contre le terrorisme devra se poursuivre sous toutes ses formes, policières, judiciaires et autres. Dans ce combat difficile, les Nations unies auront un rôle essentiel à jouer, en fixant des obligations universelles pour chaque Etat et le cadre de notre action. Une série de conventions sont déjà conclues, en particulier celle contre le financement du terrorisme que j'avais proposée ici même en 1999 ; il faut accélérer leur signature et leur ratification. L'Assemblée générale doit achever rapidement la négociation de la convention générale contre le terrorisme. De son côté, le Conseil de sécurité devra accompagner la mise en oeuvre coordonnée par les Etats de la résolution 1373.
L'action contre le terrorisme devra également être menée au sein d'autres organisations, en liaison avec l'ONU et en cohérence avec ses orientations. L'Union européenne vient, pour sa part, de prendre des dispositions sans précédent, pour renforcer entre ses Etats membres la coopération policière et judiciaire, notamment par la création d'un mandat d'arrêt européen ; un plan d'action ambitieux a été arrêté. Les 29 pays membres du GAFI ont décidé d'étendre la lutte contre le blanchiment d'argent sale à la lutte contre le financement du terrorisme. Au delà, je propose la création d'un forum de dialogue pour aller plus loin dans cette direction. Plusieurs autres organisations auront, elles aussi, un rôle à jouer afin qu'au total chaque pays apporte sa contribution.
II - Mais, au-delà des résultats espérés à court terme, malgré les obstacles, nous ne gagnerons durablement la lutte contre toutes les formes de terrorisme que si nous sommes capables de les priver de leur terreau, de leur retirer les prétextes dont elles se nourrissent fallacieusement, de les éradiquer au sens propre du terme. Cela suppose ni plus ni moins que de changer notre monde. Et que l'on ne dise pas que cela serait donner raison aux terroristes ! En effet, ni mon pays, ni l'Europe, ni les Nations unies, c'est-à-dire nous tous, n'avons attendu le 11 septembre pour découvrir, pour dénoncer et pour commencer de traiter les plaies du monde. Mais aussi combien de bonnes intentions restées sans lendemain, combien de résolutions inappliquées, d'annonces non concrétisées et qui nourrissent aujourd'hui rancurs et antagonismes ! Il ne sert à rien de se scandaliser de la thèse du "choc des civilisations" ou de la nier ; en revanche, il faut de toutes nos forces lutter contre un tel risque, qui n'est pas totalement imaginaire, et contre ceux qui espèrent en faire une réalité.
1°- Ce devrait être d'abord pour nous tous une impérieuse raison supplémentaire pour trouver une solution aux crises régionales, avant tout au Proche-Orient :
La France ne cesse de demander, depuis 1982, la création d'un Etat palestinien. Naturellement celui-ci devra être viable, mais aussi démocratique et pacifique. Cela va ensemble. Il devra prendre des engagements crédibles quant à la sécurité d'Israël. Des garanties seront nécessaires, mais l'Etat palestinien n'est pas un problème, c'est la solution. Pour des raisons de droit, d'humanité, comme de sécurité. C'est aujourd'hui la position commune de l'Union européenne. Ce matin, devant vous tous, le président Bush a lui même fait sien cet objectif. C'est la voie de la raison, la seule qui puisse arrêter l'engrenage de l'affrontement meurtrier entre les deux peuples.
Certes, la responsabilité première et dernière d'un accord de paix durable incombe aux protagonistes ; sans un sursaut de leur part, il sera impossible de dépasser les peurs ou les ressentiments, et donc de mettre fin aux souffrances des deux peuples. Mais les menaces que ce conflit fait de plus en plus peser sur la paix et la sécurité internationales justifient que tous ceux qui en ont la volonté et les moyens s'associent dans une démarche pour obtenir la paix, dès lors que les protagonistes directs n'y arrivent décidément pas par eux-mêmes.
L'urgence de la situation au Proche-Orient ne peut évidemment pas nous faire oublier l'Iraq. Il est toujours nécessaire d'assurer la sécurité régionale, en rétablissant une capacité de contrôle international, et d'alléger les souffrances du peuple iraquien, en levant l'embargo sur les biens civils. J'espère que les discussions qui se poursuivent au Conseil de sécurité y parviendront enfin.
Le Caucase, où les différends anciens persistent et où de nouveaux apparaissent, ne doit pas non plus être négligé. Là aussi, il n'y a pas d'autre voie que la recherche de solutions politiques négociées.
Dans les Balkans, nous savions que l'engagement international devrait nécessairement être durable. Grâce à lui, grâce à de nouveaux dirigeants, des progrès notables ont été obtenus dans les deux dernières années dans la voie de la démocratie, de la réconciliation et de la coopération régionale : il faut veiller à ce que ces changements positifs ne soient pas remis en cause par des comportements archaïques. Il faut préserver et poursuivre l'européanisation des Balkans.
A propos des Grands Lacs nous savons que la résolution durable du conflit, qui implique plus de huit pays, passe par une solution négociée, qui assure la restauration de la souveraineté de la République démocratique du Congo ainsi que des clauses de sauvegarde de la sécurité de chacun des Etats. L'accord de Lusaka et les résolutions du Conseil de sécurité fournissent le cadre de sortie de cette crise. Il faut les mettre en oeuvre et, le plus vite possible. Faire cesser l'exploitation illégale des ressources de la République démocratique du Congo, associée souvent au travail forcé des enfants doit être une priorité immédiate.
Dans tous ces cas, que je viens d'évoquer brièvement, le problème est celui de la coexistence de peuples à la fois proches et antagonistes, marqués et opposés par l'histoire, séparés par la peur et l'esprit de revanche. Nous n'arriverons à une solution qu'avec de la persévérance, en associant référence aux principes de l'ONU et intelligence concrète des situations.
2°- Et même si nous parvenions à résoudre toutes ces crises régionales et d'autres encore, notre tâche ne serait pas terminée ! Car globalement, le divorce entre les intentions affichées pour le monde dans les réunions internationales et les réalités devient insupportable à beaucoup de peuples. Il nous faut redoubler d'efforts pour une mondialisation humaine. On l'avait vu à Seattle, on l'a vu à Gênes, et plus encore à Durban. On le constate dans les réactions à la crise afghane, et sur bien d'autres sujets encore : malgré l'ONU et malgré nos bonnes résolutions, il n'y a pas encore de consensus universel réel. Ce que l'on appelle "la communauté internationale" reste à édifier. Est-ce une raison pour baisser les bras ? Au contraire ! Surtout pas ! La France est, depuis longtemps déjà, déterminée à apporter sa pierre à cette construction. Elle a fait de très nombreuses propositions. Elle continuera de le faire, avec une conviction accrue.
Faut-il rappeler nos grands objectifs, bien connus ?
- Parvenir à une répartition moins inéquitable des richesses ; 3 milliards de personnes vivent aujourd'hui avec moins de 2 dollars par jour et l'écart des revenus, dans le monde, entre les plus riches et les plus pauvres, a doublé depuis 40 ans ;
- Faire reculer l'impunité ;
- Assurer enfin le développement, partout ; et un développement durable - durable, ce petit mot qui change tout ou qui devrait changer tout. C'est ainsi que le sommet mondial de Johannesburg, en septembre 2002, sera l'occasion d'affirmer une conception et une mesure du développement fondé sur trois piliers indissociables, économique, social, environnemental ;
- Aider les réfugiés, respecter pleinement le droit d'asile ;
- Gérer humainement les mouvements de population ;
- Elaborer de façon démocratique les normes internationales afin qu'elles soient pleinement légitimes et que dès lors leur respect puisse s'imposer à tous ;
- Ne plus tolérer les situations de détresse humaine. La souveraineté des Etats, qui reste essentielle au système international, ne saurait, dans des situations extrêmes, être un principe absolu, servant de prétexte à l'inaction ; le Conseil de sécurité doit pouvoir assumer pleinement ses responsabilités, en cas de violations massives des Droits de l'Homme, car elles sont aussi des menaces sur la paix et la sécurité internationales.
- Faire progresser un désarmement équilibré et négocié, qui renforce la sécurité et la stabilité stratégique ;
- Permettre à toutes les langues, cultures et civilisations de vivre en dialoguant ;
- Relever le niveau sanitaire mondial, ce qui suppose notamment de consacrer plus de moyens à la lutte contre le sida. Et je souhaite que le nouveau Fonds mondial pour la santé et contre le sida, soit opérationnel dès le début de 2002.
Nous sommes sans doute plus conscients que ces dernières années qu'atteindre ces objectifs à la fois indispensables et très ambitieux supposera d'autres règles, d'autres mécanismes.
A commencer par la réforme et l'élargissement du Conseil de sécurité, trop longtemps attendus ; par le respect du rôle de l'Assemblée générale ; par la ratification des principaux instruments multilatéraux (je pense à la Cour pénale internationale et au Protocole de Kyoto entre autres) ; par un usage plus pertinent et moins indiscriminé des sanctions, quand elles sont nécessaires ; par une clarification des rôles respectifs et légitimes des gouvernements et de la société civile ; par un accord sur les modes d'ingérence pour mettre fin aux situations de détresse massive et extrême ; par un cycle de régulation et de développement à l'OMC, qui commence aujourd'hui à Doha ; un rapprochement et une plus grande cohérence entre l'OMC et l'OIT, la création d'une organisation mondiale de l'environnement ; une réforme des institutions financières internationales. J'arrête là cette liste. Je pourrais continuer car il y a tant à faire.
Nous tous, membres des Nations unies, sommes placés devant ce défi. Mais, je n'hésite pas à le dire, les pays riches, ou autrement dit, les Occidentaux et quelques autres pays de l'OCDE - soit un milliard cent trente cinq millions d'hommes et de femmes - ont encore plus de responsabilité que les autres. Désormais, une fois dissipées les illusions des dix dernières années, le choix est rude, mais clair : soit un monde d'affrontements sans fin prévisible parce que trop injuste. Soit, au contraire, une communauté internationale, des Nations unies qui méritent enfin ce nom, pour résoudre ensemble les problèmes communs de l'humanité et assurer son avenir. Mais bâtir cette communauté, au lieu d'en parler ou de seulement la souhaiter, supposera pour certains d'entre nous de renoncer à des privilèges, de partager autrement les richesses ou les pouvoirs, de modifier certaines règles présentées hier comme intangibles. Le prix Nobel d'économie Joseph E. Silglitz n'a-t-il pas dit que "la libéralisation a été programmée par les pays occidentaux pour les pays occidentaux ?". Cela se discute certes. Mais tout cela n'ira pas sans sacrifices, et d'abord pour les pays riches et puissants.
En ce moment même une vaste redistribution des cartes diplomatiques est en cours entre les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l'Europe, le monde arabo-musulman, les autres partenaires de la coalition, le reste du monde, l'ONU. J'espère, oui j'espère vraiment qu'elle facilitera le sursaut indispensable ; que mon pays, que l'Europe, que l'ONU sauront emprunter des voies nouvelles, en actes et pas seulement en paroles, et que tous ensemble nous saurons prolonger la nécessaire coalition contre le terrorisme par une coalition pour un monde équitable et que sur cette base nous refondrons le système international.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 novembre 2001)
Monsieur le Secrétaire général, venant après votre réélection pour un second mandat, qui marque de la confiance générale dont vous bénéficiez, le prix Nobel de la paix est un hommage mérité rendu à votre action et, à travers votre personne, à l'Organisation des Nations unies toute entière et l'expression d'une espérance plus forte que jamais.
Je voudrais également, ici à New York, où je me trouve pour la troisième fois depuis la tragédie du 11 septembre, redire ma profonde émotion et rendre hommage au peuple de New York, si durement éprouvé, et à son courageux maire qui achève son mandat.
I. L'ampleur et la gravité sans précédent de l'attaque terroriste du 11 septembre, à New York et à Washington, justifiaient une solidarité sans faille et une réponse exceptionnelle. Le Conseil de sécurité a eu raison de qualifier d'agression cet acte, par sa résolution 1368, adoptée à l'unanimité, et de l'inscrire dans une logique de légitime défense et donc de légitime riposte, conformément à l'article 51 de la Charte.
Dans la mise en oeuvre de leur riposte militaire ciblée contre les organisations terroristes responsables de ces actes, les Etats-Unis bénéficient donc d'une pleine légitimité juridique et politique.
L'action militaire en cours était inévitable. Elle doit se poursuivre jusqu'à ce que tous ses objectifs soient atteints, je l'espère le plus tôt possible au delà des premiers résultats obtenus hier. Les responsables de ces réseaux terroristes et ceux qui les soutiennent doivent être mis hors d'état de nuire.
Mais cette action militaire doit naturellement s'inscrire dans une stratégie d'ensemble, ce qui inclut une action humanitaire immédiate de très grande envergure, mieux adaptée aux populations en détresse et durable. La France a fait sur ce point plusieurs propositions et soutient les initiatives en cours pour une meilleure coordination. Cela inclut aussi une solution politique. Celle-ci doit viser à éviter que la disparition du pouvoir des Taleban ne débouche sur des affrontements fratricides et sur le chaos. Elle doit redonner au peuple afghan la maîtrise de son avenir. C'est l'objet même du plan d'action pour l'Afghanistan, présenté par la France dès le 1er octobre, et d'autres contributions inspirées par les mêmes considérations.
Nous attendons avec intérêt les propositions de Lakhdar Brahimi. Elles doivent tracer, pour les Nations unies, des grandes lignes d'actions. Sur ces bases, le Conseil de sécurité devrait pouvoir adopter d'ici à quelques jours une résolution - cadre qui endossera les propositions de Lakhdar Brahimi et précisera les modalités du soutien des Nations unies à la mise en place d'un pouvoir afghan représentatif des différentes composantes de la population. Car il ne s'agit pas de plaquer sur l'Afghanistan une solution toute faite, conçue à l'extérieur. J'appelle toutes les composantes de la nation afghane et tous les pays voisins à faire prévaloir l'intérêt général de l'Afghanistan et de son peuple. C'est compatible avec la prise en compte des intérêts légitimes des uns et des autres et c'est la seule façon de tourner le dos au passé.
Au delà des actions militaires, diplomatiques et humanitaires immédiates, notre lutte commune contre le terrorisme devra se poursuivre sous toutes ses formes, policières, judiciaires et autres. Dans ce combat difficile, les Nations unies auront un rôle essentiel à jouer, en fixant des obligations universelles pour chaque Etat et le cadre de notre action. Une série de conventions sont déjà conclues, en particulier celle contre le financement du terrorisme que j'avais proposée ici même en 1999 ; il faut accélérer leur signature et leur ratification. L'Assemblée générale doit achever rapidement la négociation de la convention générale contre le terrorisme. De son côté, le Conseil de sécurité devra accompagner la mise en oeuvre coordonnée par les Etats de la résolution 1373.
L'action contre le terrorisme devra également être menée au sein d'autres organisations, en liaison avec l'ONU et en cohérence avec ses orientations. L'Union européenne vient, pour sa part, de prendre des dispositions sans précédent, pour renforcer entre ses Etats membres la coopération policière et judiciaire, notamment par la création d'un mandat d'arrêt européen ; un plan d'action ambitieux a été arrêté. Les 29 pays membres du GAFI ont décidé d'étendre la lutte contre le blanchiment d'argent sale à la lutte contre le financement du terrorisme. Au delà, je propose la création d'un forum de dialogue pour aller plus loin dans cette direction. Plusieurs autres organisations auront, elles aussi, un rôle à jouer afin qu'au total chaque pays apporte sa contribution.
II - Mais, au-delà des résultats espérés à court terme, malgré les obstacles, nous ne gagnerons durablement la lutte contre toutes les formes de terrorisme que si nous sommes capables de les priver de leur terreau, de leur retirer les prétextes dont elles se nourrissent fallacieusement, de les éradiquer au sens propre du terme. Cela suppose ni plus ni moins que de changer notre monde. Et que l'on ne dise pas que cela serait donner raison aux terroristes ! En effet, ni mon pays, ni l'Europe, ni les Nations unies, c'est-à-dire nous tous, n'avons attendu le 11 septembre pour découvrir, pour dénoncer et pour commencer de traiter les plaies du monde. Mais aussi combien de bonnes intentions restées sans lendemain, combien de résolutions inappliquées, d'annonces non concrétisées et qui nourrissent aujourd'hui rancurs et antagonismes ! Il ne sert à rien de se scandaliser de la thèse du "choc des civilisations" ou de la nier ; en revanche, il faut de toutes nos forces lutter contre un tel risque, qui n'est pas totalement imaginaire, et contre ceux qui espèrent en faire une réalité.
1°- Ce devrait être d'abord pour nous tous une impérieuse raison supplémentaire pour trouver une solution aux crises régionales, avant tout au Proche-Orient :
La France ne cesse de demander, depuis 1982, la création d'un Etat palestinien. Naturellement celui-ci devra être viable, mais aussi démocratique et pacifique. Cela va ensemble. Il devra prendre des engagements crédibles quant à la sécurité d'Israël. Des garanties seront nécessaires, mais l'Etat palestinien n'est pas un problème, c'est la solution. Pour des raisons de droit, d'humanité, comme de sécurité. C'est aujourd'hui la position commune de l'Union européenne. Ce matin, devant vous tous, le président Bush a lui même fait sien cet objectif. C'est la voie de la raison, la seule qui puisse arrêter l'engrenage de l'affrontement meurtrier entre les deux peuples.
Certes, la responsabilité première et dernière d'un accord de paix durable incombe aux protagonistes ; sans un sursaut de leur part, il sera impossible de dépasser les peurs ou les ressentiments, et donc de mettre fin aux souffrances des deux peuples. Mais les menaces que ce conflit fait de plus en plus peser sur la paix et la sécurité internationales justifient que tous ceux qui en ont la volonté et les moyens s'associent dans une démarche pour obtenir la paix, dès lors que les protagonistes directs n'y arrivent décidément pas par eux-mêmes.
L'urgence de la situation au Proche-Orient ne peut évidemment pas nous faire oublier l'Iraq. Il est toujours nécessaire d'assurer la sécurité régionale, en rétablissant une capacité de contrôle international, et d'alléger les souffrances du peuple iraquien, en levant l'embargo sur les biens civils. J'espère que les discussions qui se poursuivent au Conseil de sécurité y parviendront enfin.
Le Caucase, où les différends anciens persistent et où de nouveaux apparaissent, ne doit pas non plus être négligé. Là aussi, il n'y a pas d'autre voie que la recherche de solutions politiques négociées.
Dans les Balkans, nous savions que l'engagement international devrait nécessairement être durable. Grâce à lui, grâce à de nouveaux dirigeants, des progrès notables ont été obtenus dans les deux dernières années dans la voie de la démocratie, de la réconciliation et de la coopération régionale : il faut veiller à ce que ces changements positifs ne soient pas remis en cause par des comportements archaïques. Il faut préserver et poursuivre l'européanisation des Balkans.
A propos des Grands Lacs nous savons que la résolution durable du conflit, qui implique plus de huit pays, passe par une solution négociée, qui assure la restauration de la souveraineté de la République démocratique du Congo ainsi que des clauses de sauvegarde de la sécurité de chacun des Etats. L'accord de Lusaka et les résolutions du Conseil de sécurité fournissent le cadre de sortie de cette crise. Il faut les mettre en oeuvre et, le plus vite possible. Faire cesser l'exploitation illégale des ressources de la République démocratique du Congo, associée souvent au travail forcé des enfants doit être une priorité immédiate.
Dans tous ces cas, que je viens d'évoquer brièvement, le problème est celui de la coexistence de peuples à la fois proches et antagonistes, marqués et opposés par l'histoire, séparés par la peur et l'esprit de revanche. Nous n'arriverons à une solution qu'avec de la persévérance, en associant référence aux principes de l'ONU et intelligence concrète des situations.
2°- Et même si nous parvenions à résoudre toutes ces crises régionales et d'autres encore, notre tâche ne serait pas terminée ! Car globalement, le divorce entre les intentions affichées pour le monde dans les réunions internationales et les réalités devient insupportable à beaucoup de peuples. Il nous faut redoubler d'efforts pour une mondialisation humaine. On l'avait vu à Seattle, on l'a vu à Gênes, et plus encore à Durban. On le constate dans les réactions à la crise afghane, et sur bien d'autres sujets encore : malgré l'ONU et malgré nos bonnes résolutions, il n'y a pas encore de consensus universel réel. Ce que l'on appelle "la communauté internationale" reste à édifier. Est-ce une raison pour baisser les bras ? Au contraire ! Surtout pas ! La France est, depuis longtemps déjà, déterminée à apporter sa pierre à cette construction. Elle a fait de très nombreuses propositions. Elle continuera de le faire, avec une conviction accrue.
Faut-il rappeler nos grands objectifs, bien connus ?
- Parvenir à une répartition moins inéquitable des richesses ; 3 milliards de personnes vivent aujourd'hui avec moins de 2 dollars par jour et l'écart des revenus, dans le monde, entre les plus riches et les plus pauvres, a doublé depuis 40 ans ;
- Faire reculer l'impunité ;
- Assurer enfin le développement, partout ; et un développement durable - durable, ce petit mot qui change tout ou qui devrait changer tout. C'est ainsi que le sommet mondial de Johannesburg, en septembre 2002, sera l'occasion d'affirmer une conception et une mesure du développement fondé sur trois piliers indissociables, économique, social, environnemental ;
- Aider les réfugiés, respecter pleinement le droit d'asile ;
- Gérer humainement les mouvements de population ;
- Elaborer de façon démocratique les normes internationales afin qu'elles soient pleinement légitimes et que dès lors leur respect puisse s'imposer à tous ;
- Ne plus tolérer les situations de détresse humaine. La souveraineté des Etats, qui reste essentielle au système international, ne saurait, dans des situations extrêmes, être un principe absolu, servant de prétexte à l'inaction ; le Conseil de sécurité doit pouvoir assumer pleinement ses responsabilités, en cas de violations massives des Droits de l'Homme, car elles sont aussi des menaces sur la paix et la sécurité internationales.
- Faire progresser un désarmement équilibré et négocié, qui renforce la sécurité et la stabilité stratégique ;
- Permettre à toutes les langues, cultures et civilisations de vivre en dialoguant ;
- Relever le niveau sanitaire mondial, ce qui suppose notamment de consacrer plus de moyens à la lutte contre le sida. Et je souhaite que le nouveau Fonds mondial pour la santé et contre le sida, soit opérationnel dès le début de 2002.
Nous sommes sans doute plus conscients que ces dernières années qu'atteindre ces objectifs à la fois indispensables et très ambitieux supposera d'autres règles, d'autres mécanismes.
A commencer par la réforme et l'élargissement du Conseil de sécurité, trop longtemps attendus ; par le respect du rôle de l'Assemblée générale ; par la ratification des principaux instruments multilatéraux (je pense à la Cour pénale internationale et au Protocole de Kyoto entre autres) ; par un usage plus pertinent et moins indiscriminé des sanctions, quand elles sont nécessaires ; par une clarification des rôles respectifs et légitimes des gouvernements et de la société civile ; par un accord sur les modes d'ingérence pour mettre fin aux situations de détresse massive et extrême ; par un cycle de régulation et de développement à l'OMC, qui commence aujourd'hui à Doha ; un rapprochement et une plus grande cohérence entre l'OMC et l'OIT, la création d'une organisation mondiale de l'environnement ; une réforme des institutions financières internationales. J'arrête là cette liste. Je pourrais continuer car il y a tant à faire.
Nous tous, membres des Nations unies, sommes placés devant ce défi. Mais, je n'hésite pas à le dire, les pays riches, ou autrement dit, les Occidentaux et quelques autres pays de l'OCDE - soit un milliard cent trente cinq millions d'hommes et de femmes - ont encore plus de responsabilité que les autres. Désormais, une fois dissipées les illusions des dix dernières années, le choix est rude, mais clair : soit un monde d'affrontements sans fin prévisible parce que trop injuste. Soit, au contraire, une communauté internationale, des Nations unies qui méritent enfin ce nom, pour résoudre ensemble les problèmes communs de l'humanité et assurer son avenir. Mais bâtir cette communauté, au lieu d'en parler ou de seulement la souhaiter, supposera pour certains d'entre nous de renoncer à des privilèges, de partager autrement les richesses ou les pouvoirs, de modifier certaines règles présentées hier comme intangibles. Le prix Nobel d'économie Joseph E. Silglitz n'a-t-il pas dit que "la libéralisation a été programmée par les pays occidentaux pour les pays occidentaux ?". Cela se discute certes. Mais tout cela n'ira pas sans sacrifices, et d'abord pour les pays riches et puissants.
En ce moment même une vaste redistribution des cartes diplomatiques est en cours entre les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l'Europe, le monde arabo-musulman, les autres partenaires de la coalition, le reste du monde, l'ONU. J'espère, oui j'espère vraiment qu'elle facilitera le sursaut indispensable ; que mon pays, que l'Europe, que l'ONU sauront emprunter des voies nouvelles, en actes et pas seulement en paroles, et que tous ensemble nous saurons prolonger la nécessaire coalition contre le terrorisme par une coalition pour un monde équitable et que sur cette base nous refondrons le système international.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 novembre 2001)