Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur le projet de loi portant organisation de la réserve militaire et du service de défense, au Sénat le 4 février 1999.

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Circonstance : Audition de M. Richard lors des travaux de la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées du Sénat le 4 février 1999

Texte intégral

Monsieur le Président
Mesdames et messieurs les sénateurs
Le projet de loi portant organisation de la réserve militaire et du service de défense est le dernier élément de nature législative nécessaire à la mise en oeuvre de l'armée professionnelle.
Il a l'ambition de parachever le travail de réforme des armées, mis en oeuvre par loi de programmation militaire et la loi portant réforme du service national. Il poursuit la rénovation en profondeur du lien indispensable qui unit la Nation à son armée. Il assure, en cohérence avec l'ordonnance de 1959, la continuité de l'Etat dans le fonctionnement régulier des services dont dépend la vie de la Nation. Pour cet ensemble de raisons, il s'agit d'abord et avant tout de l'accomplissement d'une mission régalienne.
Au terme du vote de ce projet de loi, les trois composantes que sont la réserve militaire, première réserve et deuxième réserve, et le service de défense, représenteront chacune à sa place trois engagements au service de l'Etat et de la Nation, à partir de trois types de missions égales en dignité.
I. POURQUOI UN PROJET DE LOI ?
Le changement de contexte opérationnel est la première raison de la réforme de notre réserve. Notre réserve de masse précédente, nombreuse, répondait aux besoins d'un conflit majeur en Europe. Elle n'était plus adaptée aux missions de l'armée professionnelle.
Désormais, la réserve est une réserve au format resserré, comprenant 100 000 postes de réservistes. Mais cette première réserve est une réserve d'emploi, totalement intégrée aux forces d'active et à la gendarmerie nationale.
Ce point est essentiel pour comprendre cette réforme : il n'y a plus de concept d'emploi spécifique aux réserves. Toutes les forces, d'active comme de réserve, peuvent concourir à la réalisation de la totalité des missions des armées. Il n'y aura plus, comme auparavant, deux armées différentes, l'une d'active qui remplit les missions quotidiennes, l'autre constituée de régiments de réserve en attente et demeurant dans la virtualité.
Cette exigence nécessite que le réserviste soit un militaire à par entière pendant ses périodes d'activité, et que la loi organise la disponibilité requise, c'est à dire garantisse concrètement la possibilité de s'engager dans la réserve de manière compatible avec sa vie professionnelle ou sociale.
La volonté constante du gouvernement de renouveler le lien armées-Nation constitue une deuxième raison majeure. La loi portant réforme du service nationale en a été une des premières expressions concrètes : elle a instauré un parcours de citoyennetés pour toutes les jeunes Françaises et tous les jeunes Français, avec comme coeur l'appel de préparation à la défense.
Ce parcours de citoyenneté permet à nos concitoyens qui le souhaitent de pouvoir servir sous les drapeaux sans expérience militaire préalable et sans en faire leur métier, notamment dans la réserve. A la place d'une ancienne réserve constituée pour une large part d'anciens du service militaire, maintenus dans cette obligation, nous avons voulu une réserve basée sur le volontariat, ouverte à tous, hommes et femmes .
Il nous semble qu'ainsi, nous apportons une contribution majeure au maintien d'un lien fort entre la Nation et son armée. Pour cette dimension nouvelle, il nous fallait un texte législatif qui reconnaisse le rôle éminent des réservistes et de leurs associations et qui fixe leurs droits et leurs obligations.
Enfin, je souhaite rappeler que les dispositions juridiques fondant la réserve et le service de défense seront suspendues le 1er janvier 2003. Ainsi l'examen de ce projet de loi me semble intervenir au bon moment pour assurer le passage progressif de système ancien au nouveau.
II. L'EMPLOI DES RESERVES
Lorsque j'ai reçu certains parlementaires, pour un échange sur ce dossier, j'ai remarqué l'intérêt que vous portez à l'emploi concret des réservistes. Je vais l'illustrer, en abordant successivement la première réserve, c'est à dire la réserve d'emploi, et la deuxième réserve, véritable vivier de citoyens désireux de consacrer une partie de leur temps au profit du lien armées-Nation.
La première réserve est donc la réserve d'emploi, pleinement intégrée aux forces. Elles est constituée des réservistes qui disposent tous d'affectation précise dans les unités. Elle comprend 100 000 réservistes.
Ces réservistes suivront des activités de formation et de préparation opérationnelle, individuellement et collectivement en unités. Leur équipement sera identique à celui des unités d'active, rompant ainsi avec les pratiques anciennes et désuètes.
J'entends consacrer aux réserves les moyens nécessaires. Ainsi, le budget 1999 présente une augmentation de 40 MF des crédits affectés aux réserves par rapport à 1998. Cette progression se poursuit sur la période de programmation : en 2002, les crédits s'élèveront à 584 MF en franc 1995, soit une progression de 140 % par rapport 1997. Par ailleurs, je veille à ce que la répartition de ces ressources au sein des armées et de la gendarmerie nationale se fasse en considération des effectifs et de l'emploi des réserves. Le budget 1999 en est une première illustration : un peu plus de 50 % des 40 MF supplémentaires sont en effet destinés à la gendarmerie nationale.
Cette dernière disposera de 50 000 postes de réservistes, soit la moitié. Ces réservistes renforceront les capacités des unités territoriales, brigades et PSIG, ou les structures de commandement. Le recours pourra avoir lieu de manière déconcentrée, par exemple au niveau du département, lors d'événements prévisibles de grande ampleur ou de calamités...Il pourra également être envisagé à titre individuel dans des actions de prévention, sécurisation de transports publics ou prévention routière, ou au profit du lien armées-Nation, présence sur des stands d'information ou participation à l'encadrement de l'APD et des préparations militaires. Par ailleurs, des escadrons et des pelotons de gendarmerie mobile seront constitués, susceptibles d'être engagés en tout point du territoire en renfort de l'active, par exemple dans des missions de sécurisation des zones sensibles.
L'armée de terre disposera pour sa part de 30 000 réservistes. Par exemple, chaque régiment de combat d'active comprend 5 compagnies dont une de réservistes, l'unité de réserve de régiment professionnalisé, URRP, présentant un effectif de 130 personnes. Ce sont des unités de combat, entraînées, disposant du même équipement que les unités d'active, susceptibles de participer à toutes les missions du régiment, y compris à l'extérieur. Les réservistes pourront être appelés individuellement, et collectivement en unités constituées, De la même manière, il existe des URARP, unités de réserves d'arme du régiment professionnel, pour le Train ou le Génie. Enfin, des réservistes seront présents dans les états-majors de tous niveaux.
La marine aura 6 500 réservistes, qui apporteront leur concours dans le domaine des renforts d'état-major, de la protection des ports et des installations sensibles, du soutien des forces.
De la même manière, l'armée de l'air utilisera ses 8 000 réservistes dans des missions de protection ou de soutien des bases, dans des structures de commandement ou dans des unités logistiques et de transmissions.
Le service de santé utilisera 7 000 réservistes, pour assurer le remplacement ou le renfort des personnels techniques d'active de ses propres hôpitaux, et également la constitution des formations sanitaires de chaque armée.
500 réservistes du service des essences renforceront les tâches de soutien pétrolier des unités.
Par ailleurs, ces réservistes contribueront tous aux actions menées par leur armée au profit du lien armée-Nation, plus particulièrement pour l'encadrement des journées APD et des préparations militaires.
Je voudrais citer un dernier exemple. Il s'agit du besoin en spécialistes, dans des domaines spécifiques, je pense aux actions civilo-militaires. La réserve constitue un cadre parfait dans lequel ce type de compétence est indispensable et peut être recruté et utilisé efficacement.
La deuxième réserve a un rôle tout aussi important qui s'inscrit dans notre volonté collective de renouveler le lien armées-Nation : les réservistes sont en effet un lien essentiel entre les armées et la société civile.
Cette réserve, plus nombreuse, présente la même diversité que la première réserve, le même dévouement au service de la promotion de l'esprit de défense. Elle comprend plus particulièrement les réservistes non titulaires d'une affectation, disponibles pour participer bénévolement, à titre individuel ou dans un cadre associatif, à des activités définies avec l'autorité militaire. Des réservistes de la deuxième réserve peuvent éventuellement rejoindre la première réserve si les conditions réglementaires le permettent, s'ils le souhaitent et si leurs propres contraintes personnelles les y autorisent.
III. LE PROJET OFFRE LES GARANTIES A TOUTES LES PARTIES PRENANTES
Je vous l'ai dit tout à l'heure, pour permettre aux hommes et aux femmes désireux de s'engager dans la réserve, pour assurer la disponibilité dont nous avons besoin, il fallait garantir les intérêts de toutes les parties prenantes, réservistes, employeurs et Etat.
Pour ce qui concerne les réservistes, tous les Français volontaires pour être réservistes souscriront un engagement de service dans la réserve (ESR) où, sous une forme contractuelle, seront clairement indiquées les conditions d'exécution de leur choix.
Le réserviste est certes un militaire à temps partiel. Mais c'est un militaire en tous points égal au militaire d'active pendant ses périodes d'activité. En conséquence, tout réserviste qui effectue une période dans les armées, dans le cadre d'un ESR ou au titre de la disponibilité, perçoit une solde et des indemnités identiques à celles des militaires d'active placés dans la même situation que lui.
Pendant les périodes d'activité dans la réserve, le contrat de travail du réserviste est suspendu. La loi garantit au salarié, par une modification du code du travail, qu'il ne fera l'objet d'aucun licenciement ni d'aucune sanction du fait des absences résultant de ses activités dans la réserve.
Les périodes dans la réserve sont néanmoins considérées comme travail effectif chez l'employeur habituel pour l'estimation de certains droits sociaux : avancement, primes et avantages liés à l'ancienneté, congés payés et droit aux prestations sociales
Pendant les périodes d'activité dans la réserve, le réserviste, qu'il soit salarié ou non, est maintenu dans son système de protection sociale habituel. Il bénéficie aussi des soins gratuits du Service de santé des armées et de la couverture offerte par le code des pensions militaires d'invalidité, en cas d'invalidité permanente ou temporaire résultant de l'activité militaire. Enfin, pour ce qui concerne l'assurance vieillesse, par une modification apportée au code des pensions civiles et militaires, le réserviste bénéficie d'une affiliation rétroactive proportionnelle au nombre de jours effectués dans la réserve au régime général et à l'IRCANTEC. Le paiement des cotisations correspondantes est à la charge de l'Etat.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit une clause de disponibilité à laquelle sont astreints les anciens militaires. Elle a été entourée des garanties nécessaires pour éviter qu'une contrainte légale ne puisse gêner leur reconversion civile. Limitée dans le temps à cinq ans, elle ne se traduit, hors circonstances exceptionnelles que par des convocations à des fins de vérification d'aptitude ou de suivi administratif pour des durées n'excédant pas cinq jours cumulés sur les cinq années. Cette clause a pour but de garantir en tout temps une ressource suffisante et de pouvoir mettre à profit, si la situation l'exigeait, le capital de savoir-faire et d'expériences accumulés par les anciens militaires.
Enfin, en dehors des activités dans la première réserve, un cadre concret est établi pour tous les réservistes ainsi que ceux qui ont obtenu l'honorariat, pour pouvoir participer à des activités organisées par les armées et la gendarmerie, notamment au profit du lien armées-Nation : ils sont alors collaborateurs bénévoles du service public.
Venons en aux garanties pour l'employeur. Au-delà de cinq jours ouvrés par année civile, pour lesquels l'employeur doit être informé par le salarié avec un préavis d'un mois, la possibilité de réaliser des périodes dans la réserve résulte d'un consensus entre l'employeur et le réserviste. Ce dernier est tenu d'obtenir l'accord de l'employeur, en l'informant avec un préavis de deux mois. Cette disposition permet à l'entreprise d'adapter l'organisation de son activité.
En fait, c'est dans le dialogue entre le réserviste et son employeur, et dans la réalisation systématique d'un véritable partenariat entre l'Etat et l'entreprise que réside l'une des clés du succès de cette réforme. Ainsi, le principe de base qui sera mis en oeuvre est de rechercher avec l'entreprise au cas par cas, de manière personnalisée, des dispositions de nature conventionnelle favorables à ce partenariat.
Ce partenariat se traduira par l'établissement de conventions entre le ministère de la défense et les entreprises, qui permettront de formaliser ces nouvelles relations et la convergence d'intérêts réciproques. Dans ce cadre, les entreprises signataires de telles conventions se verront attribuer la qualité de partenaire de la défense. Leurs dirigeants pourront à ce titre avoir accès à certaines distinctions honorifiques.
IV. LA CONCERTATION
Ce projet de loi répond à une grande attente des réservistes et de leurs associations. Il était également attendu par les employeurs. J'ai souhaité m'appuyer sur une concertation méthodique avec l'ensemble des partenaires, et consacrer le temps nécessaire à la prise en compte des intérêts de toutes les parties prenantes pour dégager le plus large consensus et aboutir à un projet équilibré.
Le conseil supérieur d'étude des réserves, qui regroupe sous ma présidence les plus hautes autorités du ministère de la défense et les douze associations de réservistes les plus représentatives au niveau national, a servi de cadre pour la concertation avec les réservistes. Ces associations se sont révélées comme une force de proposition responsable, particulièrement riche et dynamique, soucieuse de parvenir à un projet qui convienne à tous.
Les grandes organisations d'employeurs ont pu faire valoir leurs contraintes propres à l'occasion de travaux approfondis avec le ministère de la défense et le MEDEF et la CGPME. J'ai reçu personnellement Monsieur SELLIERE sur ce sujet, et nous avons pu constater une convergence sur l'essentiel des questions.
J'ai également recueilli les réflexions des parlementaires des deux chambres qui marquent pour cette question un vif intérêt personnel.
V. LE SERVICE DE DEFENSE
Quarante ans nous séparent de l'ordonnance du 7 Janvier 1959 portant organisation générale de la défense. C'est elle, qui fonde le service de défense, qui contribue - je cite le texte de l'ordonnance : "... à assurer, en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d'agressions, la sécurité et l'intégrité du territoire ainsi que la vie de la population."
Il nous a paru essentiel de redonner au service de défense des bases législatives modernisées. Le nouveau texte donne au Gouvernement la possibilité d'utiliser une procédure cohérente de mise à disposition collective. En cas de menace grave ou de crise majeure, des personnels de la fonction publique, ainsi que des entreprises publiques ou privées qui assurent des fonctions vitales pourront être maintenus à leur poste. Administrations de l'Etat et des collectivités territoriales de la République et éléments du secteur productif en matière de transport, d'énergie ou de communications seront ainsi, chacun pour ce qui les concerne, investis d'une partie des devoirs défense nationale.
VI. DISPOSITIONS DIVERSES
La loi comporte un certain nombre de dispositions diverses cohérentes avec la professionnalisation et le recrutement de réservistes : il s'agit de modifications apportées au statut général des militaires permettant la mise en oeuvre du corps des chirurgiens-dentistes et du corps de soutien de la gendarmerie nationale. Il s'agit également des dispositions qui fondent la préparation militaire.
Je suis prêt à répondre à vos questions.