Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, en réponse à une question sur la création d'une Cour criminelle internationale chargée de juger les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, à l'Assemblée nationale de 24 juin 1998.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Monsieur le Député
La Conférence diplomatique chargée d'établir et d'adopter, nous l'espérons, le statut de la Cour criminelle s'est ouverte le 15 juin à Rome et j'ai présenté le 17 juin les positions arrêtées par le Premier ministre avec l'accord du président de la République. C'est une conférence qui va durer plusieurs semaines et qui s'annonce compliquée.

Nous l'abordons avec l'intention de réussir et de participer pleinement à l'adoption de ce statut. Pour cela, il faut pouvoir concilier plusieurs exigences qui, à l'ouverture de la Conférence, apparaissent encore comme contradictoires.

Nous voulons une Cour qui puisse véritablement s'imposer, rendre la justice pour mettre un terme à l'impunité intolérable s'agissant de crimes particulièrement odieux, d'où la compétence que nous estimons pouvoir être automatique, en ce qui concerne notamment les crimes de génocide, les crimes contre l'Humanité en général. En revanche, nous avons proposé que ce soit la négociation à Rome qui détermine les modalités de compétence, en ce qui concerne les crimes de guerre, qui n'ont pas toujours le caractère planifié automatique des autres crimes que j'ai cités. Mais la négociation est là pour conclure sur ce point.

Une des questions sur lesquelles l'accord n'est pas encore fait, est la question de la saisine, indépendamment de la question de la compétence dont j'ai parlé. Nous proposons que la Cour puisse s'autosaisir à partir du moment où il y aurait un accord entre le procureur et la Chambre préliminaire que nous avons proposé en même temps pour une autre raison qui est d'essayer de réconcilier dans cette institution à créer, le droit de tradition romano-germanique, le droit civil et d'autre part la Common Law, parce qu'il ne faut pas que ces institutions ne se bâtissent que sur la base de la Common Law.


D'autre part, nous avons fait des propositions sur l'accès des victimes à la procédure. Il reste la question compliqué du Conseil de sécurité. Elle est compliquée car, au point de départ de la Conférence, les positions sont très tranchées avec un certain nombre de pays qui considèrent que le Conseil de sécurité n'a pas du tout son mot à dire et d'autres, dont la France, qui considèrent qu'il ne faut pas créer un organisme qui risque d'entrer en contradiction avec les responsabilités du Conseil de sécurité dont vraiment il ne faut pas se passer : ce n'est pas le moment, quand on voit ce qui se passe dans le monde, et un certain nombre de conflits qui échappent à tout contrôle.
Nous avons proposé, en nous inspirant d'une suggestion de Singapour que, dans les cas, - peut-être hypothétiques, mais il vaut mieux y penser à l'avance -, où la Cour serait amenée à se saisir d'un sujet que le Conseil de sécurité traiterait en même temps, le Conseil de sécurité pourrait demander à la Cour de renoncer, peut-être d'ailleurs momentanément.

Voilà où nous en sommes. Nous avons adopté une position ouverte mais en même temps, une position responsable. Nous voulons que cette organisation s'installe dans la durée et s'impose dans le système international, contribue à la fois à empêcher l'impunité et à mieux maîtriser la vie mondiale. Mais, je ne sais pas encore aujourd'hui si nous pourrons avoir un accord à Rome étant donné que les positions sont très différentes. La France est dans une position médiane, je crois respectée par tous. Elle est en mesure de contribuer dans les semaines qui viennent, de façon décisive, à une solution. En tout cas, c'est dans ce sens que nous travaillons./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 septembre 2001)