Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, dans "Les Echos" du 23 juin 1999, sur la seconde loi sur les 35 heures, notamment sur la taxation à 10% des heures supplémentaires, les accords de branche et les allégements de charges sociales.

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" Ernest-Antoine Seillière rejette en bloc le nouveau projet Aubry " titre aujourd'hui en " une " Les Echos qui, en page deux, donne la parole au président du Mouvement des Entreprises de France. " Nous ne sommes pas dupes " avertit Ernest-Antoine Seillière qui retient " trois caractéristiques " des propositions formulées par Martine Aubry il y a deux jours.
D'abord, dénonce le président du MEDEF, " une immense désinvolture " ainsi qu'" un évident mépris pour les acteurs économiques et sociaux ", lesquels " font la croissance et l'emploi ". En effet, " 18 mois après avoir été avertis du 'projet du siècle' ", les chefs d'entreprise " découvrent de façon floue et ambiguë des intentions, des souhaits, des perspectives ". Ce, fustige le président du MEDEF, " avant même qu'un texte précis soit présenté ". Il s'agit là " d'une méthode inconvenante ".
Deuxième caractéristique : " une manoeuvre tactique des plus claires " puisque " la pseudo-concertation qui va suivre ces propositions sera suivie des arbitrages de Matignon ". Du coup, " la donne sera encore modifiée " avertit Ernest-Antoine Seillière qui en est convaincu : " à la rentrée, le débat parlementaire transformera encore une fois les choses, et, bien sûr, dans le sens du durcissement ".
Enfin, les entrepreneurs français y voient " une astuce politique médiocre " dont l'objectif " est de faire croire que le délai de transition est une concession au patronat ". Or, dans la réalité, " ce délai résulte de l'impossibilité pratique de faire rentrer dans les faits à la date annoncée " ce que le président du MEDEF n'hésite pas à qualifier " d'usine à gaz technocratique imaginée comme nous l'avions prévu ! " En outre, " si cadeau il y avait, il serait de toute façon fait à la CFDT ". D'ailleurs, " sur le fond " retient Ernest-Antoine Seillière, " ce soi-disant cadeau va permettre au gouvernement d'accorder concession sur concession aux forces politiques et syndicales ", lesquelles pourront ensuite " dire au gouvernement : les entreprises ont eu un délai, nous devons avoir des contreparties ". C'est la raison pour laquelle " il ne faut pas se faire d'illusions ". En effet, le " texte final se retrouvera durci en fin de parcours " prévient le président du MEDEF qui le répète avec vigueur : " nous ne sommes pas dupes ".
Preuve en est, depuis six mois, Ernest-Antoine Seillière a rencontré " entre 15 000 et 20 000 entrepreneurs de terrain " qui ont tous " conscience du caractère absurde et inacceptable de tout ce qu'on veut nous imposer " et qui " se mobilisent " fortement. A ce propos, il annonce avoir déjà reçu " 50 000 signatures pour la lettre ouverte " qui sera adressée à Martine Aubry " pour lui demander de respecter les entreprises ". Et le président du MEDEF persiste : " je ne vois que des manoeuvres dans les intentions du gouvernement ". Aussi, met-il en garde les entreprises qui " ont tout à redouter dans cette affaire ", surtout " dans une Europe où nous serons complètement isolés " et où " le risque est réel de ne plus être capables d'ici à quelques années de faire tourner les entreprises ". En outre, Ernest-Antoine Seillière avoue " redouter l'anesthésie d'une opinion à laquelle on fera croire, par une communication redoutable, que les entrepreneurs sont ravis ". Alors qu'" il n'en est rien ". Depuis des mois, l'avenue Pierre Ier de Serbie " a dit que les 35 heures seront inapplicables au 1er janvier 2000 ". C'est pourquoi elle souhaite " que les choses continuent comme avant pendant que les entreprises négocient ". Aujourd'hui, ajoute-t-il, " nous ne disons pas 'non' aux 35 heures comme nous l'avons dit avant la première loi " car depuis, " il y a eu deux sortes de négociations ". D'abord, " dans les entreprises " avec des résultats que le président du MEDEF n'hésite pas à qualifier de " minables " car ils ne représentent que " 0,4 % des entreprises françaises ". Et surtout, il y a eu des négociations dans les branches qui ont abouti " à des résultats considérables " puisque, calcule Ernest-Antoine Seillière, " 10 millions de salariés sont potentiellement couverts par environ 70 accords ". Aussi, " l'année de transition en 2000, qui est d'abord un constat d'échec, doit servir à négocier sur la base des accords de branche ".
Et il le répète avec insistance : " la loi doit prendre comme base et rendre possible ces accords entre partenaires sociaux ". Des accords dont la " signature n'est pas négociable ". Et le président du MEDEF de poursuivre ses critiques virulentes contre les propositions formulées par Martine Aubry qui vont à l'encontre de ces accords de branche : " le niveau soi-disant fixé à 130 heures pour le contingent supplémentaire sur la base des 35 heures n'est pas compatible avec les accords signés ", tout comme " l'idée que l'annualisation soit soumise à la conclusion d'un accord dans l'entreprise ". Car, rappelle Ernest-Antoine Seillière, " les branches prévoient une annualisation de droit ". Enfin, le président du MEDEF dénonce également " le lien entre les aides sous forme de baisse des charges, qui seront financées par deux nouveaux impôts, et ne sera accordée qu'aux entreprises qui seront aux 35 heures effectives ". Conséquence : " toutes les entreprises devront rendre compte aux inspecteurs du travail de leur manière de travailler ". En un mot, fustige le président du MEDEF, " de la bureaucratie que nous serons les seuls à mettre en oeuvre en Europe ".
Et il en profite pour lancer à Martine Aubry un avertissement très ferme : " si la loi vient annuler les résultats " des accords de branche, " ce sera le conflit ". En effet, les entrepreneurs ont " joué le jeu de la première loi sur le temps de travail " et ils ne veulent pas " que les règles du jeu soient radicalement modifiées en milieu de parcours ". Des entrepreneurs qui ne sont " pas des pantins " et qui attendent " de voir les textes " en ce qui concerne notamment le coût horaire du Smic. Et " s'il semblerait que l'on ait été intéressé par notre approche ", Ernest-Antoine Seillière fait cependant remarquer qu'au bout du compte, " ce sont les entreprises qui vont payer la prime correspondant aux 4 heures comprises entre 35 et 39 heures ". Certes, " il y a les aides " mais " elles ne seront versées qu'aux entreprises qui sont 'effectivement' passées aux 35 heures ".
En marge des 35 heures, Ernest-Antoine Seillière revient, au cours de cette longue interview, sur la présence du MEDEF à la Cnam où " les choses sont simples " : il y a " un plan présenté par Gilles Johanet, le directeur général de l'assurance maladie, qui est quelqu'un de compétent et de responsable " salue le président du MEDEF. Ceci étant, " la Sécurité sociale est une entreprise en difficulté, incapable de se moderniser, de se réformer, d'organiser ses relations avec ses clients et ses fournisseurs ". Tout en rappelant que le MEDEF a " approuvé " le plan de Gilles Johanet, Ernest-Antoine Seillière demande " qu'il soit globalement mis en oeuvre, (...) afin d'obtenir un retour à l'équilibre des comptes ". Là, deux solutions : " si ce plan est validé, nous le soutiendrons " mais " s'il ne l'est pas, nous demanderons à notre base, au moment du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, s'il est raisonnable que les entreprises continuent de donner l'illusion de participer à la gestion de quelque chose qui ne se gère pas ". Et c'est " à ce moment-là que nous déciderons de rester ou de partir " fait observer Ernest-Antoine Seillière.
Autre thème abordé par Les Echos : la conjoncture. Tout comme la présence du MEDEF à la Cnam, la conjoncture française " n'a rien à voir avec les 35 heures " précise le président du MEDEF pour la simple raison qu'elles " ne sont pas encore entrées en vigueur ". Mais, comme il l'a déjà dit à Jacques Chirac et à Martine Aubry, il le répète : " imposer les 35 heures rigoureuses aux entreprises constituerait pour elles un handicap pour l'emploi et l'expansion " et ferait de la France un " pôle d'archaïsme ". Toujours en matière économique, Ernest-Antoine Seillière s'insurge également contre un constat dont " on nous rabat les oreilles " : celui selon lequel la France reste un pays qui attire les investissements étrangers. Or, rectifie-t-il, " un investissement étranger, c'est une prise de participation de plus de 10 % au capital d'une entreprise " alors que " tout le monde imagine qu'il s'agit de la construction d'une usine ". Quant à la différence de croissance entre l'Europe et les Etats-Unis, Ernest-Antoine Seillière en donne la raison : " nous n'avons pas su desserrer les freins innombrables, comme le font aujourd'hui le Royaume-Uni, l'Espagne ou les Pays-Bas ". Du coup, " l'Allemagne et la France restent à l'écart ".
Interrogé également par Les Echos sur les propos tenus la semaine dernière par Dominique Strauss-Kahn qui annonçait que toutes les marges de manoeuvre fiscale seront réservées en 2000 à des baisses d'impôt pour les ménages, Ernest-Antoine Seillière s'insurge : " c'est de la politique ! ". " On tape sur les entreprises en créant une écotaxe " martèle-t-il, et " on supprime la majoration de 10 % de l'impôt sur les sociétés, mais on lui substitue au franc pour franc un nouveau prélèvement ". Conséquence ? Dans cinq ans, " on constatera les retards de l'économie française par rapport à ses voisins ", alors que la solution est de " réduire les dépenses, comme partout dans le monde ".
Enfin, dernier thème abordé au cours de cette interview : le combat Société Générale-Paribas-BNP. Là, le président du MEDEF se dit " frappé par l'intervention vigoureuse de l'administration dans une affaire de marché mondiale ". Tout ceci " confirme bien l'idée que l'on se fait dans le monde qu'en France, les choses ne fonctionnent pas comme ailleurs ".
Les propos d'Ernest-Antoine Seillière au cours de cette longue interview aux Echos sont repris par France Inter, France Info, LCI, Europe 1 et RTL. Au micro de RTL justement, Nicolas Beytout, dans sa chronique quotidienne, constate que " le président du MEDEF envoie une véritable volée de bois vert à Martine Aubry et à son nouveau projet de loi de réduction du temps de travail ". Ce, " pour trois raisons " note l'éditorialiste. Il s'agit d'abord d'" une question de forme " car Martine Aubry " a divulgué son projet au travers d'une interview, avant d'avertir les partenaires sociaux ". Deuxième " critique " précise Nicolas Beytout : " même s'il est effectivement plus souple que ce que le patronat craignait, le fond du projet ignore en fait ou prend le contre-pied de plusieurs dispositions connues dans des accords de branche déjà signés ". Enfin, " le MEDEF craint que le texte ne soit durci au cours du débat parlementaire qui se déroulera à l'automne ". Conclusion, assure l'éditorialiste, " le risque existe donc bien, désormais, de mécontenter tout le monde en essayant de pousser jusqu'au bout un projet de plus en plus complexe dont personne n'a encore pu démontrer concrètement l'efficacité ".
Enfin, toujours à propos des 35 heures, Le Progrès de Lyon, Nice Matin, L'Union, La Montagne, La Charente Libre, Le Républicain Lorrain, Le Télégramme de Brest, L'Alsace, Le Midi Libre et Sud Ouest, datés du 22 juin, reviennent sur l'entretien entre Ernest-Antoine Seillière et Jacques Chirac lundi à l'Elysée.
(source http://www.medef.fr, le 13 février 2001)