Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur les carences de la télévision en matière d'information scientifique, le rôle du CSA pour l'élaboration des programmes et les mesures prises par le ministère de la recherche pour collaborer avec les chaînes de télévision, Paris le 22 novembre 2001.

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Circonstance : 3ème manifestation des assises de la culture scientifique et technique"-journée "Science et télévision" à la cité des Sciences à Paris le 22 novembre 2001

Texte intégral

Je suis heureux d'ouvrir aujourd'hui la troisième manifestation des Assises de la culture scientifique et technique, consacrée à la place de la science à la télévision.
La journée de lancement des Assises, le 12 novembre, rassemblait les représentants des ministères concernés, des organismes de recherche, des grands établissements, des associations d'éducation populaire, des centres culturels scientifiques et techniques pour dresser un bilan des actions menées par ces différents acteurs. Tous ces intervenants ont pu faire état de leurs expériences sur le terrain, et proposer des perspectives de développement.
La deuxième séance, organisée le 17 novembre par l'association "Femmes et sciences", a permis de répertorier les obstacles rencontrés par les femmes dans l'exercice des métiers scientifiques et techniques. Les participantes ont également réfléchi aux moyens de faire évoluer, auprès du public, l'image d'une science encore trop ressentie comme un domaine réservé aux hommes.
Les 11, 12 et 13 janvier 2002, trois jours de débats organisés par l' "Association Science Technologie Société" se tiendront à l'Unesco.
Je serai naturellement présent à chacune de ces étapes dont les conclusions, augmentées de celles fournies par d'autres partenaires éventuels des Assises, seront rassemblées lors d'un symposium de clôture.
Les Assises de la culture scientifique et technique font donc se succéder rencontres et colloques sur plusieurs thèmes complémentaires, pour parvenir à une vision globale de la médiation scientifique. C'est dans cet ensemble que prend place cette rencontre avec les médias télévisuels, dont le rôle en matière de culture scientifique et technique est primordial. L'intitulé très mobilisateur choisi par l'association "Science télévision", "Aux sciences, citoyens !", rend d'ailleurs parfaitement compte de l'urgence, presque militante, dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.
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Jamais la science n'a progressé si vite. Jamais elle n'a donc suscité autant d'interrogations dans le public
Très légitimement, nos concitoyens veulent donc pouvoir s'informer, puis se prononcer sur ces grands enjeux scientifiques et technologiques qui, souvent, concernent leur vie quotidienne et engagent leur avenir : les applications de la génomique, les recherches sur les cellules souches embryonnaires, l'ESB, les OGM, l'effet de serre ou le devenir des déchets radioactifs.
Or les Français ne s'estiment pas suffisamment informés sur les découvertes scientifiques.
En novembre 2000, la SOFRES a réalisé pour le ministère une enquête sur "Les Français et la recherche scientifique" : 63% des personnes sondées par ne s'estiment "pas suffisamment informées sur les découvertes scientifiques". Ce pourcentage monte même à 74% chez les 18-24 ans.
D'où vient ce déficit d'information ? Des médias, surtout audiovisuels. "Diriez-vous qu'il y a suffisamment ou pas suffisamment d'informations scientifiques ?". Pour la presse écrite, la réponse est presque équilibrée : "suffisamment" : 44%, "pas suffisamment" 42%. En revanche, pour la télévision et la radio, la réponse "pas suffisamment" l'emporte très nettement avec respectivement 62% et 58%.
Enfin, les sondés estiment que les médias en général rendent plutôt mal compte des découvertes scientifiques (47%), des applications pratiques des innovations scientifiques (51%) et des sujets sur lesquels les chercheurs travaillent (60%).
Ce désir de connaissance, cette volonté d'être informé et de disposer du droit de savoir se heurte donc à une fonction d'information scientifique mal assurée par les médias, surtout audiovisuels.
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En janvier 2001, j'ai donc écrit aux présidents des sociétés de télévision pour leur demander d' "accorder davantage de place à la science dans leurs programmes, conformément au vu exprimé par nos concitoyen".
Alors que la science a occupé une part importante dans les programmes télévisés jusqu'aux années 1975, celle-ci est peu présente sur les chaînes françaises, en tout cas aux heures d'écoute réellement accessibles au grand public. Elle a même disparu de certaines dont les écrans sont vides d'émissions sur la science. Il serait regrettable que, pour la science, la télévision devienne le monde du silence.
Ce désintérêt relatif de l'audiovisuel pour la recherche est d'autant plus paradoxal que celle-ci s'identifie au changement et que les télévisions doivent être naturellement portées à s'intéresser à tout ce qui change, à tout ce qui évolue, à tout ce qui fait mouvement dans la société.
La télévision peut-elle vraiment être elle-même si elle n'est pas le reflet de son époque, si elle semble à l'écart des préoccupations de la société ?
Dans le même but, j'ai écrit le 23 janvier à M. Dominique BAUDIS, président du CSA : "Il appartient au CSA, en se fondant sur les cahiers des charges des sociétés publiques audiovisuelles d'engager celles-ci à assurer effectivement l'information scientifique et technique des téléspectateurs et auditeurs".
Le CSA m'a transmis, en réponse à ma lettre, une étude de la programmation des chaînes en matière d'émissions scientifiques. Il y confirme que, si les chaînes hertziennes ont augmenté leur offre dans ce domaine, celle-ci ne représente qu'une faible proportion de l'ensemble de leur programmation. Et, à l'intérieur de cette faible proportion, une grande majorité des programmes porte sur les sciences humaines, beaucoup plus que sur les sciences exactes ou techniques : c'est dire le peu de temps qu'il reste à ces dernières.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Voici le pourcentage en heures des magazines et documentaires scientifiques, tous domaines confondus, sur les chaînes nationales hertziennes de janvier à novembre 2000 :
- TF1 : 1,5 %
- France 2 : 3 %
- France 3 : 3,4 %
- Canal + : 2,5 %
- M6 : 1,2 %
- Arte : 18,6 %
- La 5e : 34,2 %
A l'exception d'Arte et de la Cinquième, qui proposent respectivement près d'un cinquième et un tiers de programmes scientifiques, les autres chaînes ne semblent guère préoccupées des aspirations manifestées par leur public.
Quant à la part des sujets d'actualité sur les sciences ou la santé dans les journaux télévisés, elle atteignait en moyenne, de janvier à novembre 2000, 4,4% sur TFI ; 3,9% sur France 2 ; 2,72% sur France 3 ; 4,25% sur Canal + ; 4,1 % sur M6.
En outre, sur TF1, FR2 et FR3, il n'y a pas de diffusion d'émissions scientifiques en première ou seconde partie de soirée. A la différence de l'Allemagne ou du Royaume-Uni : chaque semaine, la BBC diffuse "Horizon" en seconde partie de soirée et cette émission est suivie par 13% de l'audience nationale.
Il faut donc faire le constat de la faible place des sciences à la télévision. Il ne manque pourtant pas, en France et en Europe, de scientifiques, de producteurs et de réalisateurs prêts à mettre en commun leurs compétences pour valoriser des découvertes scientifiques, expliquer les démarches des chercheurs, poser publiquement les interrogations qui guident leurs travaux. Les "Rencontres internationales de l'audiovisuel scientifique", dont la 18ème édition se déroulait en octobre à Paris, rassemblent aujourd'hui 230 sociétés de télévision publiques et privées, représentant 65 pays. Elles ont fortement contribué à rapprocher le monde de la télévision et celui de la recherche. Elles ont donné lieu à de multiples coproductions internationales. Il est donc possible d'utiliser ces acquis pour renforcer la place de la science sur les écrans français de télévision.
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La réponse non convaincante de M. Baudis
M. Baudis a répondu à ma lettre que les cahiers des charges de FR2 et FR3 sont peu contraignant en ce domaine. Ceux-ci les engagent seulement, indique-t-il, à "privilégier par des émissions de découverte et des émissions documentaires une approche large et pluridisciplinaire de la connaissance."
Le président du CSA écrit aussi que "l'élaboration du cahier des charges des chaînes publiques relève de la compétence du gouvernement".
Croit-il vraiment que cela m'avait échappé, ayant, pour ma part, quelques rudiments de droit public ?
Au plan juridique, la réponse de M. Baudis ne me convainc guère. Au moins pour deux raisons.
D'une part, parce que les cahiers des charges comportent - d'ores et déjà - des obligations précises et qu'il appartient au CSA de veiller à l'exécution de ces obligations.
Pour France 2 (article 29) et France 3 (article 31), le cahier des charges stipule que "la société diffuse des émissions régulières consacrées à l'évolution de la science et des techniques, à l'économie et aux sciences humaines".
Il appartient donc au CSA de veiller à cette "régularité". De plus, les cahiers des charges insistent sur la vocation éducative des chaînes. Rien n'empêche donc le Conseil supérieur de l'audiovisuel de mener une politique incitative en direction des chaînes, en leur rappelant les obligations qui sont les leurs en matière de "programmes scientifiques", et leur mission" culturelle, éducative et sociale".
D'autre part, la réponse de M. Baudis ne me convainc pas non plus en ce qu'elle implique une conception du CSA qui devrait se borner à une application purement passive et mécanique des décrets existants portant approbation des cahiers des charges, sans jamais se livrer à une construction jurisprudentielle à partir de ces textes.
Au lieu de sembler se contenter d'être une machine inerte, le CSA pourrait se comporter de manière créative comme le Conseil constitutionnel, qui, à partir de quelques rares textes de valeur constitutionnelle, construit une jurisprudence qui fait avancer les droits et libertés.
Peut-on solliciter du CSA, composé et nommé comme le Conseil constitutionnel, qu'il consente à sortir de son rôle passif et se mette, enfin, à faire uvre créatrice comme celui-ci ?
L'action du ministère de la Recherche
En tout cas, le ministère de la Recherche qui, lui, a conscience de ses devoirs, agit très concrètement pour faciliter la diffusion de la culture scientifique à la télévision.
Il entend ainsi faire que soit pleinement utilisée la recherche documentaire des organismes de recherche
Comme outil d'investigation, l'audiovisuel est devenu un instrument à part entière pour le chercheur. Les progrès de l'informatique, en multipliant les représentations graphiques, ont donné contours et couleurs à des disciplines qui ignoraient jusqu'ici les formes modernes de représentation.
Pour tenir les citoyens informés des avancées scientifiques, ces images sont très utiles aux médias. L'ouverture au grand public des documents audiovisuels produits par les organismes de recherche doit passer par des accords avec les sociétés de télévision.
La multiplication des chaînes thématiques offre un nouvel avenir aux publications scientifiques en images. "Planète", "Voyage", "Odyssée", "Histoire" proposent aujourd'hui des documents jusqu'alors réservés aux colloques et journées thématiques.
Certaines expériences sont en cours, comme la convention signée entre le CNRS et France Télévision pour les grandes expéditions pluridisciplinaires : les chercheurs fournissent leurs propres images, la chaîne leur offre les moyens de post-production. Ou encore l'équipe du magazine " Archimède ", qui s'est enrichie d'un documentaliste en charge des relations avec les 90 services audiovisuels des universités.
La fiction scientifique constitue également un vecteur important
Les "Rencontres internationales de l'audiovisuel scientifique" ont inauguré, cette année, le premier Festival européen de la fiction scientifique, organisé avec la Commission européenne et le PAW Drama Fund, un organisme britannique qui encourage et subventionne l'écriture de scénarios à thèmes scientifiques. Tous les savants insistent sur la place de l'imaginaire dans l'exploration scientifique. Pourtant, la fiction cinématographique, à l'exception de quelques grands films de référence, ne s'est pas vraiment emparée du matériau scientifique.
Le ministère de la recherche a établi plusieurs collaborations avec les chaînes
Nous souhaitons démultiplier l'impact des émissions scientifiques, en particulier en direction des jeunes. C'est pourquoi, en coopération avec le ministère de l'éducation nationale, le ministère de la recherche a engagé une double politique : l'achat de droits et la production.
- L'achat de droits permet l'accès à de nombreux programmes, diffusés essentiellement sur les chaînes nationales, d'une durée variant entre 2 et 52 minutes. Il autorise les enseignants à enregistrer ces programmes, et à les utiliser pendant une période de dix ans à compter de la première diffusion à la télévision.
Les enseignants peuvent en faire un usage collectif au sein des établissements d'enseignement, à des fins pédagogiques et dans un cadre strictement non commercial.
Au total, ce sont plus de 2000 émissions qui sont ainsi mises à la disposition des enseignants, et la plupart sont accompagnées d'un livret pédagogique édité par le CNDP. Les élèves peuvent ainsi regarder et commenter des émissions comme C'est pas sorcier, produite par France 3, Le roman de l'homme ou Va savoir, produites par la 5e, et bien d'autres.
Un budget de 2 MF est chaque année consacré à ces achats. Les règles du droit français - contrairement à celles du droit anglo-saxon qui permettent au ministère de négocier directement avec une chaîne l'achat d'un ensemble de programmes - imposent de négocier les droits producteur par producteur. Dans certains cas, cette négociation n'a pu aboutir. Je souhaite qu'une règle générale soit établie, et que des exigences parfois excessives ne viennent plus entraver ce marché ouvert dans l'intérêt de tous.
- La production des "Amphis de la 5e" par le ministère, qui concernait jusqu'à maintenant une heure par jour, portera désormais sur deux heures quotidiennes du lundi au vendredi. Le budget a donc été doublé, pour atteindre plus de 3 MF.
Ces programmes, réalisés dans ou avec les universités françaises et les organismes de recherche, permettent de mettre à la disposition de tous, étudiants et grand public, des cours universitaires et des films sur la recherche scientifique.
Je regrette évidemment que ces émissions, qui pourraient toucher un large public comme l'a prouvé le succès de " l'Université de tous les savoirs ", soient diffusées le matin à partir de 5 heures
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Renforcer la place de la science à la télévision est affaire de volonté. Pour sa part, le ministère de la Recherche a cette volonté. Il souhaite que les directions des sociétés audiovisuelles - et spécialement de celles qui sont financées par la redevance - aient cette même volonté et se conforment effectivement à leur mission de service public.
Si la télévision reste à l'écart de la science, cela signifiera qu'elle restera à l'écart de son temps.
La télévision n'a sans doute pas vocation à être l'avant-garde de la société. Mais elle n'a pas davantage vocation à en être le lourd arrière-train.
Si les directions des télévisions ne sont pas assez observatrices ou intuitives pour comprendre les attentes des téléspectateurs, ceux-ci s'en détourneront en voyant en elles des structures passéistes, déconnectées de leur temps.
En ce début de nouvelle décennie, la télévision a un choix à effectuer face à la demande d'information scientifique et technique qui monte du public.
Elle peut choisir d'être soit l'incarnation du passé, en ignorant le mouvement actuel des sciences et des techniques qui change la société, soit l'image du futur, en épousant son temps et en vivant avec son siècle.
Je préfère ne pas douter qu'elle fera le second choix, parce que c'est le choix de la dignité et de l'honneur. Surtout quand il s'agit de chaînes de service public, qui, par définition, ont pour mission d'agir au service du public.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 26 novembre 2001)