Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, sur les orientations du budget de son ministère en 1994, devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale le 21 octobre 1993.

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Circonstance : Audition du ministre de la santé, devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale le 21 octobre 1993

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames, Messieurs les Députés,

Les crédits du ministère de la Santé vous sont présentés en forte augmentation malgré un contexte budgétaire extrêmement tendu : cette progression est la traduction concrète de la priorité que le gouvernement accorde à la Santé publique, et elle est, à elle seule, plus éloquente que tous les discours.

Les crédits prévus en 1994 pour le ministère de la Santé s'élèvent en effet à 2,738 milliards de francs, soit une augmentation de près de 7 % par rapport aux crédits votés en Loi de Finance Initiale pour 1993.

Pourquoi ? Parce que l'urgence est là : qu'il s'agisse de l'accès aux soins, de la qualité de la médecine, du progrès technique, de la situation des professions de santé, de l'inquiétude face aux nouvelles maladies – au premier rang desquelles le SIDA – les Français attendent du gouvernement une attitude volontariste et déterminée.
C'est dire que les responsabilités qui incombent aux pouvoirs publics sont immenses et s'accroissent chaque jour. Naguère, la santé était avant tout l'affaire des médecins et des malades, l'État se bornant à fixer les règles générales d'organisation et de financement. Mais des événements récents et dramatiques sont venus nous rappeler la responsabilité éminente de la puissance publique : c'est à elle qu'il incombe, dans le respect des compétences des personnels médicaux, de rendre notre système de soins plus efficace, mieux adapté aux besoins, plus sûr.

Le projet de budget qui vous est soumis, Mesdames et Messieurs les Députés, traduit la volonté du gouvernement de se donner les moyens d'une véritable politique de santé publique, si nécessaire aujourd'hui.

Bien sûr, les quelque deux milliards de demi de francs inscrits sur le budget du ministère ne représentent qu'une faible part de l'ensemble des sommes que la collectivité nationale consacre à la santé.

Telle est la particularité de notre système de protection sociale : il confie aux partenaires sociaux une responsabilité importante dans la gestion de la santé.

Mais l'État a un rôle essentiel et spécifiques, qui ne peut pas et ne doit pas être abdiqué : celui de veiller à la cohérence d'ensemble de la politique de santé publique, en donnant les impulsions fondamentales et en exerçant pleinement sa fonction d'arbitrage, dans l'intérêt général. L'État doit notamment faire en sorte que la maîtrise des dépenses de santé et des mécanismes de prise en charge des soins soient compatibles avec les impératifs de santé publique.

Il dispose à cette fin de multiples outils : je pense en particulier au pouvoir d'agrément de la convention médicale ; ou à la définition et à la mise en place des références médicales que les organisations syndicales de médecins et les caisses d'assurance maladie ont décidé de créer. Soyez assurés que le ministère de la Santé jouera pleinement son rôle en la matière, car il s'agit là d'un outil indispensable et à la maîtrise des dépenses et à la promotion de la santé publique.

Mesdames et Messieurs les députés, un budget quel que soit son volume, n'est rien, si les crédits disponibles sont dispersés, si les priorités ne sont pas clairement affichées.

C'est pourquoi l'action que je compte mener en 1994 s'orientera autour de cinq axes essentiels : intensifier les actions de prévention et de prise en charge du SIDA ; développer sans relâche la lutte contre la toxicomanie ; renforcer les outils de veille et de sécurité sanitaire ; mettre en œuvre une véritable politique de restructuration hospitalière ; enfin, améliorer l'accès aux soins des plus démunis.

1. La lutte contre le SIDA est une priorité absolue ; vous savez en effet, Mesdames et Messieurs les députés, que la France est le pays d'Europe le plus touché par l'épidémie de SIDA : plus de 100 000 personnes séropositives, plus de 23 000 cas cumulés de SIDA déclaré ! Ne nous voilons pas la face : c'est une véritable situation d'urgence sanitaire, qui nous impose de frapper fort et vite. Chaque bataille perdue est une chance de moins de gagner la guerre contre l'épidémie.

Pour frapper fort et vite, pour que le Gouvernement puisse assumer pleinement ses responsabilités, il faut des moyens.

Ces moyens, Mesdames et Messieurs les députés, nous les avons aujourd'hui ; nous mettons en place une stratégie forte, tous azimuts, contre le SIDA.

Je souhaite souligner que les crédits budgétaires consacrés au SIDA progresseront en 1994 de 26 % et atteindront 267 millions de francs.

Cette stratégie passe d'abord, et avant tout, par la prévention. Pourquoi ? Parce que – il faut le dire et le redire sans cesse – tant que nous ne disposerons pas de thérapeutique efficace, le seul vaccin, c'est la prévention.

Et la prévention c'est deux choses : des campagnes générales d'information bien sûr, et croyez bien que je ne négligerai rien en ce domaine ; mais aussi des actions de prévention sur le terrain, auprès des publics les plus exposés. Je pense en particulier aux jeunes, en direction desquels un effort tout particulier devra être fait.

Qui dit prévention dit aussi dépistage : nous devons, dans la confiance et la concertation, encourager de toutes les manières, les crédits budgétaires, déjà notablement renforcés lors du collectif du printemps, seront portés à 18 millions de francs en 1994. Nous pourrons ainsi ouvrir de nouveaux centres de dépistage anonyme et gratuit.

Enfin nous devons Mesdames et Messieurs les députés, améliorer la prise en charge de ceux qui sont malades. Je pense en particulier à la prise en charge extrahospitalière.

Il est de notre responsabilité d'humaniser dans toute la mesure du possible les conditions de vie de ceux qui souffrent. C'est pourquoi le budget 1994 permettra d'accroître de plus de 80 % les dispositifs d'aide à la vie quotidienne, de développer les capacités d'hébergement et les appartements thérapeutiques.

Permettez-moi d'ajouter que ces crédits viennent ne plus de ceux que consacrent les hôpitaux aux soins des malades du SIDA : plus de 4 milliards de francs.

Je crois, au total, que le budget que je vous présente marque une inflexion importante dans la lutte contre la SIDA : nous avons eu trop de mots, pas assez d'actes et de moyens. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

2. La deuxième priorité de mon ministère, c'est la lutte contre la toxicomanie.

Notre pays compte près de 150 000 toxicomanes, qui sont aussi, nous le savons, l'une des populations les plus exposées aux risques de contaminations par le virus du SIDA.

Il y a deux mois, le Premier ministre, Monsieur Édouard Balladur, a fait de la lutte contre la toxicomanie une priorité gouvernementale ; nous avons dégagé des moyens importants ; ici encore, un tournant a été pris.

Ce n'est bien sûr que la première bataille ; bien d'autres devront être menées ; nous aurons besoin de toutes les bonnes volontés ; et je salue ici l'action courageuse des membres de la représentation nationale qui, sur le terrain, mènent la lutte contre ce fléau.

Car c'est un redoutable défi auquel nous sommes tous confrontés : gouvernement, parlementaires, élus locaux, médecins, associations. Tous ensemble, nous devons redoubler d'efforts.

Le gouvernement a, pour sa part, pris ses responsabilités et s'est fixé un programme ambitieux : doublement des places de postcure sur trois ans, ouverture de près de 1 000 places de méthadone, augmentation des moyens consacrés aux injonctions thérapeutiques, actions de prévention à l'école, programme d'échange et seringues, journée nationale d'information.

Bien sûr, beaucoup reste à faire : mais permettez-moi de rappeler que lorsque je suis arrivé avenue de Ségur, il n'y avait guère plus de 50 places de méthadone disponibles dans ce pays ! Voilà, me semble-t-il, une priorité en actes et non en paroles.

Le projet de budget pour 1994 nous donne les moyens de nos ambitions. Les crédits consacrés à la lutte contre la toxicomanie s'élèveront en effet à 721 millions de francs en 1994 ; et ils connaîtront une forte progression jusqu'en 1996 ; au total, ce sont ainsi plus de 400 millions de francs supplémentaires qui seront dégagés dans les prochaines années, conformément au plan gouvernemental de lutte contre la toxicomanie.

Mais ce n'est pas tout : nous devons prendre toute la mesure de ce fléau et mener une action aussi diversifiée que possible.

Je vous l'ai dit : cette bataille exige la mobilisation de toutes les énergies. La délégation générale de lutte contre la toxicomanie devra, notamment, jouer pleinement son rôle de coordination interministérielle, d'animation et d'innovation. Les hôpitaux devront accroitre leurs efforts pour accueillir plus largement les toxicomanes qui souhaitent suivre une cure de désintoxication. Enfin, les associations spécialisées, qui sont le relais indispensable de l'action des pouvoirs publics, seront largement associées à cet effort.

3. Mais une véritable politique de santé publique ne consiste pas uniquement dans la lutte contre les grands fléaux : l'un des changements les plus marquants des dix dernières années et sans doute l'attention nouvelle portée aux exigences de veille et de sécurité sanitaire.

Le drame du sang contaminé a été, à cet égard, le révélateur des carences de notre système de santé.

Surveiller l'apparition des nouvelles maladies, organiser le plus tôt possible les dispositifs de prévention et de prise en charge, veiller à la sécurité de nos dispositifs sanitaires, telles sont les missions prioritaires que doit aujourd'hui se fixer l'État. C'est dans cet esprit que nous entendons, Madame Veil et moi-même, réformer l'Agence française du médicament, dans le sens d'un renforcement de la responsabilité de la puissance publique.

De même le réseau national de santé publique, qui a montré au cours des dernières semaines sa remarquable efficacité dans la détection de l'épidémie de listériose, verra ses moyens budgétaires renforcés. Je souhaite que la plus grande coordination s'établisse entre les différentes structures chargées de la veille sanitaire et de l'épidémiologie : le réseau national, bien sûr mais également les observatoires régionaux de santé et les médecins inspecteurs des DRASS et des DDASS dont il est souhaitable que le nombre s'accroisse sensiblement dans les prochaines années.

4. Parallèlement, nous devons en 1994 travailler à mieux adapter le système hospitalier aux besoins de la population, et ce dans un contexte budgétaire très étendu.

Madame Veil vous a rappelé les grands principes qui fondent notre politique hospitalière.

L'évolution des technologies médicales, le souci d'offrir des réponses adaptées aux besoins des populations, la nécessité d'assurer pleinement la sécurité sanitaire au sein de l'hôpital, enfin les contraintes qui pèsent sur les finances sociales, sont autant de facteurs qui rendent nécessaire et urgente une politique globale de restructuration.

La loi hospitalière de 1991 en offre le cadre juridique.

Les schémas régionaux d'organisation sanitaire en cours d'élaboration dans les directions régionales nous indiqueront l'état des lieux et les priorités d'organisation de l'offre des soins hospitaliers dans chaque région.

Le ministre d'État et moi-même prendrons, sur la base de ces schémas, les décisions qui s'imposeront pour assurer les regroupements et les complémentarités nécessaires entre les structures existantes. Cette politique ne pourra produire ses pleins effets qu'à moyen terme. J'en suis conscient. Elle n'en doit pas moins être engagée dès maintenant. C'est la mission à laquelle le ministre d'État et moi-même sommes résolus.

5. Enfin, j'entends renforcer de manière significative l'accès des plus démunis au système de soins. Nous savons en effet que la lutte contre l'exclusion se joue aussi et peut être avant tout sur le terrain sanitaire. La marginalisation de couches importantes de population rend plus nécessaire que jamais une action volontariste qui doit offrir à tous les moyens de bénéficier de soins de qualité et prendre le relais des dispositifs d'aide sociale, d'aide médicale, d'aide au logement. Là encore l'action de mon ministère devra, en un véritable partenariat, s'appuyer sur celle des collectivités locales, des hôpitaux des milieux associatifs, et des médecins de ville.

Pour ne prendre qu'un seul exemple, la lutte contre la tuberculose, hélas en pleine recrudescence dans les milieux les plus défavorisés, doit mobiliser les efforts de tous. Nous ne pouvons pas accepter, Mesdames et Messieurs les députés, le retour dans nos cités d'un mal du 19ème siècle !

Nous devrons faire preuve d'imagination, et faciliter l'accueil des plus démunis dans les hôpitaux, en les aidant à s'orienter dans les dispositifs sanitaires, à faire valoir leur droit à l'aide médicale, à l'assurance maladie.

De même, il importe d'en finir avec la coupure encore trop forte entre l'hôpital et la médecine ambulatoire. Je souhaite, en ce domaine, favoriser la création de réseaux ville-hôpital qui assurent la continuité des soins de la prise en charge. Soyez assurés que je veillerai à ce que les idées nouvelles ne soient pas rejetées parce qu'elles sont nouvelles et que, au contraire, les expériences, les actions pilotes soient encouragées.

Mesdames et Messieurs les députés,

Le budget qui vous est présenté ce matin est un budget ambitieux ; ambitieux par la croissance importante du volume de crédit dont nous disposerons, bien sûr ; ambitieux aussi, parce que, loin de disperser et d'éparpiller les moyens nouveaux qui nous sont accordés, il en organise au contraire la concentration autour de quelques axes prioritaires. Ce n'est en effet que par un effort accru de volontarisme et de lisibilité qu'une véritable politique de santé publique pourra voir le jour dans notre pays. C'est la tâche que le ministre d'État et moi-même sommes résolus à mener à bien.