Interview de M. Jack Lang, député PS, à TF1 le 3 octobre 1993, notamment sur la construction européenne, la situation en Russie, le GATT et la politique de l'emploi.

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Intervenant(s) : 

Média : TF1

Texte intégral

Anne Sinclair : Bonsoir.

Peut-être le savez-vous déjà, la crise politique qui en était à son treizième jour a finalement basculé à Moscou dans la violence. Après la rébellion du Parlement russe, face à la décision de Boris Eltsine de le dissoudre, la situation ne cessait en effet de se dégrader depuis quelques jours. Aujourd'hui, de violents incidents ont opposé les manifestants anti-Eltsine et les forces de l'ordre.

La mairie est désormais aux mains des conservateurs ainsi que, dit-on, la télévision. Le gouvernement, en retour, se dit obligé de recourir à la force pour mettre fin au désordre.

Tout de suite, le récit de la journée.

Reportage

On peut ajouter, comme on le disait, qu'il y aurait eu des bagarres violentes au siège de la télévision et quant au vice Premier ministre russe, il a appelé, dimanche à la radio, la population moscovite à descendre dans la rue pour défendre les conquêtes de la démocratie.

Jack Lang, bonsoir.

Jack Lang : Bonsoir.

Anne Sinclair : Nous allons bien entendu commencer ce 7 sur 7 par ces informations du jour. Je vous invite à suivre, dès 20 heures, le journal de Claire Chazal où vous seront donnés tous les détails.

Dites-vous aujourd'hui, comme la semaine dernière la plupart des dirigeants occidentaux et comme Bill Clinton l'a réaffirmé aujourd'hui : "Tous derrière Boris Eltsine qui est le seul garant des réformes à venir" ?

Jack Lang : C'est clair ! Boris Eltsine est le seul dans le régime russe qui ait obtenu deux fois le sacre populaire.

Anne Sinclair : En 1 000 ans d'Histoire russe.

Jack Lang : En 1 000 ans d'Histoire russe, donc il est deux fois légal, deux fois légitime, il est le chef de la Russie et je crois que nous devons, tous, faire bloc autour de lui pour résister à ce mouvement qui fait partie de la réaction. Dans un mouvement de libération, les choses ne se construisent pas en un seul jour. Ce qu'il faut espérer, c'est que très rapidement Eltsine devienne le maître de la situation et surtout qu'il n'y ait pas davantage de heurts et de morts au cours de ces événements tristes.

Anne Sinclair : On a tout de même le sentiment d'une Histoire qui pédale à l'envers. Les communistes reviennent par les urnes en Pologne, là, la réaction des conservateurs communistes n'est violente que parce que la rue a l'air aussi de suivre en partie. Est-ce que la réforme déçoit tellement ou est-ce si dur de transformer le régime ?

Jack Lang : Il faut voir de près la rue...

Anne Sinclair : ... 10 000 manifestants, violents.

Jack Lang : Imaginez la population de Moscou, simplement, des millions de gens. Ce sont quelques milliers de manifestants qui sont animés par d'anciens communistes, des apparatchiks, ce Parlement n'avait plus aucune légitimité. J'espère de tout mon cœur que la démocratie triomphera et que Eltsine réussira à maîtriser la situation.

Anne Sinclair : Ce retour en arrière ne vous fait pas peur, qu'on voit dans tous les pays ex-communistes ?

Jack Lang : C'est différent, ne comparons pas ces actes de réaction à Moscou et puis des élections libres qui se sont déroulées en Pologne. Il y a eu, là, en Pologne, un choix démocratique vers des partis plus à Gauche. Cela est le droit des Polonais et cela a été fait de manière pacifique, légale et sans que le sang soit versé.

Anne Sinclair : Bien entendu, encore une fois, des détails dans le journal de 20 heures. Une explication et une grande partie du journal y seront consacrées et, nous, bien entendu, au fur et à mesure que nous aurons des nouvelles, nous les commenterons si nous en avons la possibilité. 

Je ne vous ai pas reçu pour commenter la Russie, bien sûr, vous êtes député-maire de Blois, bientôt à nouveau professeur à l'Université et, pour ceux qui l'auraient oublié, vous avez été, Jack Lang, pendant 10 ans, ministre de la culture, de la communication, de l'éducation nationale... J'en laisse encore de côté.

Homme de Gauche, ami personnel de François Mitterrand, vous êtes célèbre en France et à l'étranger. Vous arrivez d'ailleurs de Berlin où vous avez participé à la célébration du troisième anniversaire de l'unification.

Vous êtes aussi, dans le naufrage de la Gauche, un des rares rescapés sur le radeau avec une étonnante popularité. Y aurait-il un cas Lang ou est-ce qu'une des seules choses qui reste du gouvernement socialiste, c'est la Culture ?

Jack Lang : Vous voulez dire que je suis un des derniers des Mohicans. Les Mohicans peuvent avoir longue vie et surtout peuvent renaître. Pas facile de répondre à votre question.

Je dirai simplement que j'ai eu une grande chance. Ma grande chance a été d'être, vous l'avez rappelé à l'instant, deux fois cinq ans, ministre, j'ai par conséquent bénéficié du temps de l'action et j'ai pu ainsi agir, construire, transformer, faire bouger les mentalités...

Anne Sinclair : ... Il y en a que cela a usé ?

Jack Lang : Oui, mais je l'ai exercé dans une fonction qui était celle de la culture et de l'éducation et j'ai bénéficié de la continuité, du soutien personnel du chef de l'État. Ce faisant, à travers l'action, j'ai réussi à faire partager, je crois, aux Français ma passion, mon enthousiasme et mon idéal.

Anne Sinclair : Vous dites : "Vive l'homme d'action, à bas le militant", c'est cela qui marche ?

Jack Lang : Non, un militant est aussi un homme d'action. Il ne faut jamais séparer l'un de l'autre.

Anne Sinclair : Vous couvrez de fleurs vos successeurs, j'oserais dire qu'en même temps, comme au rugby, – vous me pardonnerez l'expression –, "vous les marquez à la culotte". De temps en temps, ne vous arrive-t-il pas encore de vous prendre pour le ministre de la culture ?

Jack Lang : Je crois que vis-à-vis de personnes qui vous succèdent dans les fonctions que vous avez exercées, en l'occurrence j'ai quatre successeurs, culture, communication, université, éducation, j'estime, – cela peut paraître un peu vieux jeu ou étrange –, qu'il y a un devoir d'élégance d'abord. Je n'ai pas envie de jouer au roquet aux basques de tel ou tel de mes successeurs. Il faut, je crois, dans la vie, et d'abord peut-être en politique, être si j'ose dire classe, beau joueur.

Deuxièmement, il y a un devoir de vérité et d'honnêteté. Il n'y a pas de raison, – c'est un point très important de notre vie publique –, de changer d'avis selon que vous êtes dans l'Opposition ou au gouvernement.

Anne Sinclair : C'est toujours ce qu'on dit avant d'être au pouvoir ou après, mais jamais pendant.

Jack Lang : Je le dis et je le prouve. Lorsque Monsieur Alain Carignon reprend à son compte le projet de chaîne éducative, que nous avions envisagé avec Pierre Bérégovoy, je dis "bravo". Lorsque Jacques Toubon et Alain Carignon se battent pour le GATT culturel, comme nous l'avions fait, je dis "bravo".

Anne Sinclair : Quand Jacques Toubon signe un article à La Une du Monde avec ce très beau titre, "Laissez respirer nos âmes", – on reviendra sur le GATT – auriez-vous pu le signer après lui ?

Jack Lang : Naturellement, et je me réjouis que sur certains points la France parle d'une voix. Il n'y a pas de raison, encore une fois, de prendre modèle, si j'ose dire, sur l'ancienne Opposition devenue Majorité car, à l'époque, le RPR et l'UDF tiraient sur nous, sur tous les sujets et, parfois, aujourd'hui, sont obligés, parce qu'ils ont tout de même le sens de l'État, de pratiquer une politique différente de celle qu'ils avaient condamnée naguère.

Anne Sinclair : Je voudrais d'un moi qu'on parle de votre avenir. Aujourd'hui, vous allez redevenir professeur, c'est très bien. Vous voyez-vous député et maire de Blois à vie ou avez-vous d'autres ambitions ? À Paris-Match, vous avez dit : "Le moment viendra où je prendrai une initiative pour rebondir", le moment est-il venu ?

Jack Lang : Tout d'abord, être maire de Blois, c'est une fonction belle, qui me passionne.

Anne Sinclair : Bien sûr, mais ce n'est pas nouveau.

Jack Lang : Ce n'est pas nouveau, mais c'est une fonction merveilleuse. Être député d'un département comme le Loir et Cher est quelque chose qui me prend et qui me plaît.

Anne Sinclair : Rebondir, est-ce le moment et jusqu'où ?

Jack Lang : Pour l'Europe, je crois qu'il faut regarder la situation. Elle est un peu, malgré tous les efforts entrepris par les uns et par les autres et par Jacques Delors en particulier, dans la panade. Je crois que le moment viendra, d'abord pour l'Europe, de rebondir, et la question devrait être posée : Oui ou non, souhaite-t-on plus d'Europe ou moins d'Europe ? Moi, je souhaite plus d'Europe et plus d'Europe politique.

C'est pourquoi je souhaiterais que les États, pour sortir de l'ornière dans laquelle nous sommes, choisissent une personnalité indépendante pour faire des propositions de relance. Je pense que nous pourrions faire appel à un homme comme Monsieur Genscher qui a une grande expérience et qui pourrait, dans les mois qui viennent, éclairer les Européens sur leur avenir.

Anne Sinclair : Cela est au plan européen. J'en viens au plan hexagonal. Il va y avoir des élections européennes, il y a eu des bruits, ici et là, que vous pourriez peut-être être une tête de liste aux Européennes, le souhaiteriez-vous ?

Jack Lang : Les bons candidats ne manquent pas. Si je peux être utile, je répondrai "présent".

Anne Sinclair : Si vous cédez à l'affectueuse pression de vos amis socialistes...

Jack Lang : ... Si l'on pense qu'à ce moment-là mon rôle peut être utile, je répondrai "présent".

Anne Sinclair : Bernard Kouchner, interrogé sur ce point à L'Heure de Vérité, aujourd'hui sur France 2, a dit qu'il souhaitait conduire une liste aux prochaines élections européennes et s'engager clairement dans la vie politique. Souhaitez-vous que toutes les bonnes volontés conduisent des listes ou craignez-vous l'émiettement ?

Jack Lang : C'est une bonne chose qu'un homme de talent comme Bernard Kouchner s'engage dans l'action politique, et je n'en suis pas surpris, c'est un vrai militant. Le moment venu, je crois qu'il sera sage que les uns et les autres puissent dialoguer, disserter, discuter pour que ceux qui partagent le même idéal, personnellement je suis la même longueur d'ondes que Bernard Kouchner et, j'imagine, réciproquement, puissent proposer aux Français une liste unique.

Anne Sinclair : Est-ce vrai, quand on est populaire, qu'on ne peut pas s'empêcher de rêver un jour à l'élection présidentielle ?

Jack Lang : Je l'ignore. Mes rêves ne sont pas habités par cette obsession. Je sais que certains rêvent à cela dès le berceau, ce n'est pas mon cas.

Anne Sinclair : Ni plus tard, dans la vie ?

Jack Lang : II faut suivre sur ce point le sage avis de Monsieur Balladur adressé à ses ministres, "le moment n'est pas venu. Attendons la fin de l'année 1994".

Anne Sinclair : Ah, vous ne dites pas carrément "non".

Au début de la semaine, on va commenter l'actualité de la semaine, on a débattu du GATT, de l'OM et de Soljenitsyne qui n'y est pas allé par quatre chemins.

Dimanche : 
week-end vendéen pour Alexandre Soljenitsyne
Elle aussi était une exilée, elle avait quitté la Russie en 1922 parce que l'on commençait à y fusiller les poètes. Nina Berbereva est morte à Philadelphie à 92 ans.

Lundi : 
"Pas question de toucher à l'accord de Blair House", à l'issue de six heures d'entretien, Washington avec le commissaire européen, Leon Brittan, le négociateur américain, Mickey Kantor, demeure intraitable
L'OM poursuit son chemin de croix.

Anne Sinclair : Jack Lang, un mot sur l'OM. Trouvez-vous qu'il y a acharnement sur Bernard Tapie et sur l'OM ?

Jack Lang : Je connais mal ces sujets. Je dirai simplement : Oui à la moralisation du football, deux fois "oui" ; "non", deux fois "non" à l'assassinat de l'OM qui est un grand club de football et, enfin, halte à la chasse à l'homme ou à la chasse à courre contre le président de l'OM et si j'ose dire "qu'on lui lâche les baskets".

Anne Sinclair : Nina Berbevera, – nous sommes obligés de passer assez vite sur un certain nombre de sujets –, qui est morte cette semaine, beaucoup de Français l'ont découverte, il y a 10 ans, grâce à Hubert Nissen, fondateur des éditions "Acte Sud", l'avez-vous lu ?

Jack Lang : Je l'ai lu et je recommande qu'on la lise, en particulier "L'accompagnatrice" qui a été adaptée au cinéma par Claude Miller, sa merveilleuse autobiographie, puis il y a ce que vous dites : un éditeur qui vit en province, Hubert Nissen qui est un découvreur de talents. Il l'a découverte à 85 ans, mieux vaut tard que jamais, mais lui a découvert beaucoup d'autres talents, et c'est un fait nouveau, en France, depuis quelques années. Lorsque cette fameuse loi sur le livre est contestée, que j'avais fait adopter en 1981, je réponds toujours : "Hubert Nissen", c'est- à-dire un éditeur qui, sans cette protection, aurait été laminé, décimé par le système des supermarchés. Grâce à lui, chaque mois, nous découvrons des merveilles.

Anne Sinclair : Avec une recherche dans l'objet livre lui-même, qui en a fait un bel objet...

Jack Lang : … De beaux livres.

Anne Sinclair : On reconnaît tout de suite une couverture d'Acte Sud.

Jack Lang : De bons et de beaux livres. Je crois qu'il sera très présent à Arles lors des fêtes de "La Fureur de Lire" qui auront lieu dans 15 jours.

Anne Sinclair : Oui, j'oubliais, c'est vrai que c'est que Jacques Toubon qui les inaugurera, mais comme vous m'annoncez les fêtes de "La Fureur de Lire", j'ai eu un moment d'égarement.

Jack Lang : Vous n'êtes pas femme à vous égarer, si j'ai bien compris.

Anne Sinclair : Soljenitsyne, autre Russe, autre combat. Il fait, le week-end dernier, un hommage à la révolution vendéenne. Son aversion pour toute révolution, la comprenez-vous, vu son histoire, ou ne l'admettez-vous pas ?

Jack Lang : Très rapidement, ne revenons pas sur le personnage, le grand écrivain, le géant, la reconnaissance que nous avons pour lui, il a ébranlé le système soviétique, mais on lui a fait croire, je pense, que les historiens français de la Révolution n'avaient jamais reconnu les excès commis par la Révolution. Relisez Victor Hugo, relisez Jaurès, relisez Michelet, tous ont dit que ces excès, notamment en Vendée, étaient des tâches sur le drapeau de la Révolution.

Anne Sinclair : Furet, plus récemment.

Jack Lang : Ce que nous pouvons dire sur Soljenitsyne, – ce que me disait Alexandre Adler –, c'est qu'il est un peu le produit, lui-même, de la culture soviétique. Les manuels soviétiques n'ont cessé, pour couvrir les crimes du goulag, de les enrober du drapeau de la Révolution française et c'est une des raisons pour lesquelles il a identifié notre Révolution à la Révolution soviétique alors qu'elles n'ont rien à voir, l'une avec l'autre.

Si je l'avais rencontré, je lui aurais dit : "Cette devise républicaine que vous mettez en cause, qui est si belle, "Liberté, Égalité, Fraternité", nous en avons besoin et, notamment, dans votre pays en Russie, la fraternité en particulier, il faut la réinventer". Je lui dirais aussi, un dernier point, "c'est que 1993, ce furent ces excès mais ce furent aussi la création de grandes Institutions culturelles, l'École polytechnique, l'École normale supérieure et le Louvre que l'on fêtait dans trois semaines, François Mitterrand, avec l'achèvement du grand Louvre, le bicentenaire de la mise à disposition du peuple des collections royales", c'est un grand événement.

Anne Sinclair : Cette semaine, va sortir une nouvelle pièce de Robert Hossein, d'Alain Decaux et de Jacques Castelot sur Marie-Antoinette. Il paraît qu'à la fin de la représentation, on fait voter les spectateurs. Voteriez-vous la mort aujourd'hui ?

Jack Lang : Je n'aurais pas de problème, je suis contre la peine de mort donc je n'aurais pas accepté de voter la mort et j'aurais fait un peu comme mon illustre prédécesseur à Blois, auquel je n'ose pas me comparer, le fameux Abbé Grégoire qui fût évêque de Blois, ce que je ne suis pas, mais aussi député de Blois, ce que je suis, il avait refusé de voter la mort du roi.

Anne Sinclair : Il est à l'origine, je le rappelle, de l'émancipation des Juifs et de l'abolition de l'esclavage.

Jack Lang : Cela a été un grand révolutionnaire sur le plan de l'esprit.

Anne Sinclair : Venons-en aux sujets graves qui agitent la France aujourd'hui, le GATT.

Cette semaine, Leon Brittan, commissaire européen, a eu avec Mickey Kantor, le négociateur américain, une négociation, une rencontre difficile. Pensez-vous, comme le Président de la République, que la France doit envisager la crise voire le veto si on n'arrive pas à un compromis acceptable ?

Jack Lang : Pour parler vite je dirais, je force un peu le trait, "ne vendons pas notre âme pour un plat de lentilles", je veux dire par là, "pensons, un peu comme Jimmy Goldsmith, qu'il n'est pas assuré, contrairement à ce qu'on dit, que cet accord du GATT sur les autres plans, industrie en particulier, nous rapportent beaucoup".

Anne Sinclair : En tout cas, on n'est pas forcément d'accord non plus sur les autres plans. On ne parle que de l'agriculture...

Jack Lang : … On n'est pas forcément d'accord sur les autres plans.

Si vous permettez de rappeler, ce que les Romains utilisaient pour museler le peuple, ces deux mots : du pain et des jeux. La puissance économique qui a la maîtrise sur l'estomac, l'arme alimentaire, et sur les rêves, l'audiovisuel et le cinéma, est une puissance considérable. Si l'Amérique se bat avec tant d'énergie pour maîtriser l'arme alimentaire et l'arme intellectuelle, c'est qu'elle sait que c'est l'un des moyens de dominer le Monde. Un pays comme le nôtre qui a une Histoire, une tradition, un art de vivre doit refuser cela.

Anne Sinclair : Agriculture et culture, les deux mamelles des États-Unis ?

Jack Lang : Non, je dirais "Agriculture et culture, même combat et, en particulier, pour un pays comme la France". Je vois les dégâts que pourrait faire ce pré-accord de Blair House. Dans mon département, le Loir et Cher, ce serait 10 % de jachère en plus...

Anne Sinclair : ... C'est vrai que vous avez, dans le Loir et Cher, une partie de la Beauce...

Jack Lang : ... Pas seulement la Beauce. 

Anne Sinclair : C'est aussi cela qui vous fait réagir comme ça ?

Jack Lang : Pas seulement la Beauce, d'autres terres qui sont menacées et en danger. Puis il n'y a pas que les céréaliers, il y a la viande bovine, le lait, d'autres formes d'agriculture qui sont en danger.

C'est parce que je crois que, agriculture et culture constituent un même combat qu'avec les animateurs de la coordination rurale, que j'ai rencontrés ces temps derniers, nous allons organiser, avant la fin du mois d'octobre, une grande manifestation qui réunira, côte à côte, intellectuels, artistes et agriculteurs. Nous voulons faire comprendre ainsi que nous ne défendons pas seulement des intérêts économiques mais nous défendons une civilisation, un art de vivre, une Histoire, un patrimoine.

Anne Sinclair : N'avez-vous pas l'impression que c'est un peu de la mise en scène, faire défiler la coordination rurale et Isabelle Huppert ensemble ?

Jack Lang : Ce n'est pas de la mise en scène, non, c'est l'expression d'un cri, c'est l'expression d'un espoir. Si les Français et les Européens ne se battent pas, becs et ongles, et ne disent pas avec fermeté "non, nous n'accepterons pas cet accord", alors nous serons roulés dans la farine. Je n'ai aucune confiance, personnellement, dans Sir Leon Brittan qui, comme ses prédécesseurs, est un cheval de Troyes des intérêts américains.

François Mitterrand, en effet, j'en ai été le témoin, au conseil des ministres, voici quelques mois, avait dit à Pierre Bérégovoy : il n'y a qu'un seul mot à répondre à ce pré-accord, c'est "non". Je regrette simplement qu'à l'époque, lorsque Pierre Bérégovoy est venu devant l'Assemblée nationale, les partis d'Opposition de l'époque n'aient pas accepté de le soutenir. Aujourd'hui, nous disons, nous qui sommes dans l'Opposition, nous faisons bloc autour des autorités publiques, le Président, le Premier ministre pour refuser cet accord et au besoin nous pratiquerons la politique de la chaise vide.

Anne Sinclair : Si je vous écoute bien, la logique de ce que vous dites est : "Au fond, il vaudrait peut-être mieux ne pas signer non pas Blair House mais les négociations sur l'Uruguay Round" ?

Jack Lang : Franchement, cela fait 7 ans que cette discussion dure, ne peut-elle pas durer quelques mois de plus, un an de plus ? Pourquoi cette date du 15 décembre ? Est-on si sûr que, indépendamment de l'agriculture et de la culture, cet accord soit si utile pour redonner de l'oxygène à nos économies ? Nous savons très bien que nous sortirons de la difficulté que si nous trouvons, en France, en Allemagne, en Europe, des solutions originales.

Anne Sinclair : Là, vous redevenez très européen dans le discours, j'ai le sentiment néanmoins qu'il y a quelquefois, dans les arguments donnés, une sorte de relent protectionniste. Peut-on être totalement Européen et défendre en fait l'État-Nation à chaque fois que quelque chose nous gêne ? Là, dire, "notre agriculture est en danger, notre culture est en danger, replions-nous sur nous", où est l'esprit européen ?

Jack Lang : L'esprit européen est à travers ce sentiment qui, je l'espère, habite les autres pays, que ce combat pour sauvegarder notre art de vivre, nos 200 000 villages d'Europe, ce n'est pas seulement en France, c'est en Allemagne, en Italie...

Anne Sinclair : ... Oui, mais les autres ne sont pas d'accord avec nous là-dessus.

Jack Lang : Vous vous trompez, parce qu'on ne les entend pas assez. J'étais en Allemagne, vous l'avez rappelé, ce matin à Berlin pour célébrer l'unification allemande et pour célébrer l'anniversaire de la naissance de la chaîne culturelle franco-allemande, beaucoup de gens m'ont dit, des intellectuels et des gens de la politique, à quel point eux aussi étaient très touchés et très sensibles, ils m'ont beaucoup interrogé sur cet accord du GATT. Je crois que, aujourd'hui, en Europe, il peut se dégager un assentiment pour refuser de se plier au diktat américain.

Anne Sinclair : Nous allons nous retrouver dans un instant pour la suite de l'actualité de la semaine avec le plan emploi, Germinal, le départ de Georges Marchais.

À tout de suite.

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Anne Sinclair : Alors que les dépêches continuent de nous arriver sur Moscou, de violents combats faisaient rage, là, ce soir, au centre de télévision russe, plusieurs personnes, selon l'Agence Tass, auraient été tuées.

Suite de la semaine : un milieu de semaine dominé par la discussion sur le Plan Emploi, avec aussi le départ de Marchais et le retour de Zola.

Mardi : 
Ils sont tous venus, ils sont tous là, les anciens mineurs figurant du film, les acteurs, une pléiade de vedettes, jusqu'au Président de la République, assistent à Lille, trois ans après la fermeture des derniers puits, à l'avant-première de Germinal ;
Rentrée sur les chapeaux de roues à l'Assemblée nationale. Priorité du gouvernement, le débat sur le projet de loi quinquennal sur l'emploi démarre dans une atmosphère rebelle.

Mercredi :
Alain Boublil relaxé au bénéfice du doute, Max Théret, fondateur de la FNAC et compagnon de route du PS, condamné à deux ans de prison avec sursis et 2 millions et demi de francs d'amende. Deux ans avec sursis également et 25 millions de francs d'amende pour l'homme d'affaires libanais, Sami Traboulsi, qui a aussitôt fait appel. Tel est le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Paris dans le procès des initiés de l'affaire Péchiney-Triangle
Ce sera donc Saint-Denis, enfin sûrement ! Édouard Balladur exprime sa préférence de principe en faveur de cette commune située à trois kilomètres de Paris afin de construire le Grand Stade de la Coupe du Monde du football 98
Cette fois, Georges Marchais s'en va.

Anne Sinclair : Georges Marchais : Alain Duhamel, dans un article de Libération, avait choisi trois épithètes, est-ce que cela lui convient bien ? Fracassant, pittoresque et rugueux ?

Jack Lang : Oui, c'est bien dit.

Anne Sinclair : Que vous inspire son départ ?

Jack Lang : Au moment où quelqu'un quitte la scène, on n'a pas envie de lui taper dessus même si on a eu avec lui des désaccords à de nombreuses reprises. Personnage haut en couleurs, personnage pittoresque qui, c'est vrai, a été prisonnier de la culture soviétique qui était la sienne. Au-delà de lui, je pense à tous ces militants communistes qui, de bonne foi, ont cru à l'utopie communiste et qui sont des militants qui croient, qui se battent et qui restent des compagnons du combat pour la justice.

Anne Sinclair : Quel espace à Gauche voyez-vous, demain, au Parti communiste ?

Jack Lang : Cela dépendra de lui. Est-il capable de se rénover, de se transformer, de se rajeunir ou au contraire s'enfoncera-t-il dans la décadence ?

Anne Sinclair : Germinal, nous avons vu une sortie qui, apparemment, les premiers jours, marche très bien. Avez-vous aimé ou n'avez-vous pas aimé ce film ?

Jack Lang : J'ai beaucoup aimé ce film.

Anne Sinclair : II divise beaucoup les gens.

Jack Lang : C'est normal, des bagarres esthétiques et des bagarres politiques, c'est très bon d'ailleurs qu'il y ait ces polémiques autour de ce film et, à travers le film, autour de Zola.

C'est un beau et grand film populaire. Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit, les acteurs...

Anne Sinclair : ... Qu'est-ce qui vous a plu là-dedans ? Une scène, un jeu d'acteur...

Jack Lang : ... Beaucoup de choses m'ont plu. Ce qui m'a plu, c'est Renaud qui, par la nouveauté même de sa présence au cinéma, apporte une étrangeté et par conséquent une vérité. C'est Miou-Miou, naturellement, qui est très émouvante, je ne parlerai pas de Gérard Depardieu. On a envie de citer tous les acteurs, Dacquemine est fantastique et plusieurs autres. Finalement, ce film noir, dur, émouvant s'achève d'ailleurs comme dans le roman de Zola sur cette scène d'espoir. Ce ciel d'avril un peu pâle encore qui indique que, un jour peut-être, les choses iront mieux. 

Anne Sinclair : Au moment où on discute du GATT culturel ou plutôt de la sortie éventuelle de la culture des négociations du GATT, cela vous rassure-t-il de voir un film français marcher comme cela ?

Jack Lang : C'est certain ! C'est une très bonne illustration et Claude Berri l'a dit : "Si nous n'avions pas en France ces mécanismes de soutien et d'aide, ce film n'aurait pas pu voir le jour". J'ajoute que, en tant que ministre de l'éducation nationale, j'avais pu faire acheter plusieurs milliers de cassettes qui vont circuler dans les écoles et dans les lycées. Je voudrais au passage remercier Michel Charasse et Monsieur Sarkozy qui nous ont aidés à régler un problème juridique très difficile.

Ce film, encore une fois, n'aurait pas pu voir le jour sans le système français. Disons-le sans forfanterie, la France est le seul pays d'Europe qui a réussi à préserver un cinéma national en bonne santé. Ce cinéma en bonne santé, c'est mille et un cinémas, c'est en ce moment même, cette semaine, le film de Klizovski, c'est le film de Godard, c'est le film de Garel, c'est le film de Bertrand Blier, c'est aussi des films d'autres pays, c'est un phénomène assez unique.

Anne Sinclair : Irez-vous voir Jurassic Park dans trois semaines ?

Jack Lang : Je l'ai déjà vu.

Anne Sinclair : Et alors ?

Jack Lang : Je ne vais pas en faire la publicité ni me transformer en critique cinématographique...

Anne Sinclair : ... Ce que je voulais dire, c'est votre position par rapport au cinéma américain. J'ai l'impression que vous avez eu plusieurs périodes.

Dans le premier septennat, vous avez tonné contre le cinéma américain.

Dans le deuxième, cela a été remarqué, vous avez décoré Sylvester Stallone.

Aujourd'hui, vous repartez un peu en guerre contre ce cinéma qui nous envahit.

Jack Lang : Vous dites "tonner", mais si je tonne, c'est contre nous-mêmes, je veux dire : "contre nous, les Européens. Contre les dirigeants des pays d'Europe qui ne se battent pas pour la sauvegarde de leur culture". Après tout, les Américains font leur métier, ce sont de grands professionnels, on peut aimer ou ne pas aimer mais à nous, Européens, à sauvegarder, à préserver nos cinémas nationaux, nos télévisions nationales. Si nous baissons les bras, la route est libre pour la puissante industrie américaine.

Aujourd'hui, quand vous allez à Moscou, quand vous allez à Budapest, quand vous allez à Berlin, il n'y a quasiment plus de films européens dans les salles de cinémas, ce qui n'est pas le cas en France.

Anne Sinclair : Nous allons parler du Plan Emploi qui se discute toujours à l'Assemblée, est-il tout mauvais, un peu mauvais ou pas si mauvais que cela ?

Jack Lang : Notre pays est pris à la gorge et le chômage grimpe à la vitesse grand V, trois fois plus que sous le gouvernement Bérégovoy et ce qui frappe surtout, ce sont ces charrettes de licenciements, c'est révoltant, c'est choquant et on se dit : "Pourquoi n'arrête-t-on pas cela avec plus de fermeté ?".

Anne Sinclair : Une question que vous vous posiez lorsque vous étiez au Pouvoir.

Jack Lang : Bien sûr. Cette loi qui est discutée apporte-t-elle un remède ? Elle a d'abord une vertu, c'est qu'elle permet un débat national. On discute partout, dans la presse, à la radio, au Parlement. Entre parenthèses, cela montre qu'un Parlement qui discute, ce n'est pas inutile, et j'observais à Droite comme à Gauche que certains parlementaires avaient des idées très intéressantes que le Premier ministre devrait méditer.

Et puis le contenu du texte, il y a des idées bonnes mais, pour l'essentiel, j'ose dire, ce sont un peu des rapiéçages, c'est la roue qu'il faut changer, si je peux prendre cette image, c'est la logique qu'il faut changer. Prenons un exemple concret, les avantages, les cadeaux, comme on dit, consentis aux entreprises sans aucune contrepartie en termes de créations d'emploi ou d'investissement, ce sont des recettes qui ont déjà été, dans le passé, éprouvées et qui ont échoué.

Dans les gouvernements auxquels j'ai appartenu, moi-même, j'ai été souvent en discussion amicale et critique avec Michel Rocard ou Pierre Bérégovoy à propos de la baisse de l'impôt sur les sociétés. Je disais : "Je ne comprends pas que vous baissiez cet impôt sans exiger simultanément la création de postes de travail ou des investissements". Nous avons ainsi, à chaque fois, échoué.

Nous sommes arrivés à un moment, cela apparaît un peu partout, où il faut une vraie révolution, il faut changer radicalement la donne. La vraie révolution a été exposée par des personnes aussi différentes que Laurent Fabius ou Martine Aubry et quelques autres...

Anne Sinclair : … Ou Jean-Yves Chamard.

Jack Lang : Ou Jean-Yves Chamard. C'est quoi ? Ce sont deux voies principales : première voie, la réduction de la durée du travail, à condition qu'elle soit accompagnée de la création effective de postes de travail.

Ce système, s'il était pratiqué, je veux dire les 32 heures, puisqu'on parlait "élections européennes", propageons cette belle idée d'une Europe des 32 heures. Cette solution, si elle était pratiquée de façon volontariste, aurait beaucoup d'avantages : d'abord, il y aurait créations d'emploi, les comptes sociaux seraient rééquilibrés, il en résulterait un accroissement de la consommation et, par conséquent, une stimulation du marché et, enfin, du temps serait libéré pour des activités de loisirs, lesquelles représentent aussi des marchés pour demain. 

Anne Sinclair : Ce n'est pas simple, et vous le savez bien qui n'avez pas pu le faire quand vous étiez au pouvoir, c'est difficile à mettre en place, néanmoins cette idée progresse, en effet, dans l'opinion et un consensus général semble se faire sur cette idée, "qu'on est peut-être au bout des recettes classiques".

Ce qui était intéressant, c'était de savoir ce que pensait éventuellement les Français d'une réduction du temps de travail, éventuellement avec diminution du salaire.

Question posée par la SOFRES aux Français : certains proposent de réduire la durée du travail à 4 jours par semaine, les 32 heures dont vous parliez proposées notamment par Laurent Fabius, avec une diminution du salaire de 10 % pour faire reculer le chômage.

Vous-même, seriez-vous favorable ou opposé à une telle mesure ?
Favorable : 55 %
Opposé : 37 %
Sans opinion : 8 %

Parmi les salariés, ce qui est tout de même une catégorie intéressante, 53 % sont favorables, 42 % sont opposés.

C'est une sorte de révolution parce que jusqu'ici l'opinion n'acceptait pas l'idée éventuelle de salaire. Seuls les sympathisants du Parti communiste et du Front national sont opposés à ce bouleversement, mais le jugement est positif partout, même chez les ouvriers, traditionnellement très vigilants en matière de maintien de leur pouvoir d'achat.

Jack Lang : Il faut savoir qu'il y a différents modes de financement de la réduction du temps de travail, pas seulement la réduction des hauts salaires. Il y a aussi la prise en charge par l'État des cotisations sociales ou des cotisations chômage, ce qui a d'ailleurs été proposé par certains.

L'autre grande voie, ce sont naturellement les emplois de services qui avaient été déjà explorés par Martine Aubry. Elle avait tout de même contribué à créer 100 000 emplois familiaux.

Anne Sinclair : Le Plan Giraud reprend cela.

Jack Lang : C'est vrai, mais il faudrait le faire avec plus d'ampleur, plus de souffle. Je vois, comme maire de Blois, que si demain l'État me dit : "J'apporterai moi-même un sou pour la création de gardiens d'immeuble, d'aides-soignantes, de soutiens scolaires, d'aides à domicile", sur cette lancée, ce serait peut-être, disent les spécialistes, un million d'emplois supplémentaires qui pourraient être créés.

Si vous permettez, Anne Sinclair, vous évoquez ce sondage qui est, en effet, intéressant. On a envie vraiment de bonne foi, parce que nous souhaitons, tous, quelle que soit notre appartenance politique, que nous en sortions et j'ai envie, écoutant votre sondage, de m'adresser à Monsieur Balladur et de lui dire : "Monsieur le Premier ministre, foncez, allez plus loin, osez bousculer les tabous, sortez des sentiers battus. Monsieur Balladur, vous avez des atouts entre les mains, les atouts politiques que nous n'avions plus depuis deux ans une Majorité importante, vous êtes populaire, les Français sont mûrs. Les atouts économiques, la France est un pays riche, la quatrième puissance du Monde et, par conséquent, a des ressources. La question que je me pose et que se posent les Français : pourquoi a-t-on réussi à déplacer les montagnes pour faire la paix entre Israéliens et Palestiniens ou pour faire l'unité allemande à laquelle personne ne croyait et pourquoi ne réussirait-on pas aujourd'hui, si on s'y met tous, à vaincre le chômage ?".

Anne Sinclair : Vous parlez d'Édouard Balladur, vous parlez même à Édouard Balladur, ce soir, sa popularité est au zénith, ne bouge pas, trouvez-vous cela juste ou injuste ?

Jack Lang : Je crois qu'il faut parler du fond de sa politique...

Anne Sinclair : ... C'est ce que nous sommes en train de faire.

Jack Lang : Oui, c'est un aspect du fond. Sa politique comporte des aspects positifs, nous reconnaissons que, dans certains domaines, il va dans le bon sens, par exemple, lorsqu'il reprend la politique étrangère qui est celle du Président de la République, lorsqu'il a confirmé les délocalisations au Service public en province ou encore lorsque la rénovation des lycées et des universités a été confirmée.

Dans d'autres domaines, il y a de bonnes déclarations, malheureusement, les actes ne suivent pas. Je prends l'exemple de l'aménagement du territoire, on nous dit qu'on va l'entreprendre, bravo ! Malheureusement, concrètement, sur le terrain, je constate, par exemple, dans la région Centre que les crédits vont diminuer. On dit "sécurité", youpi, bravo, mais on regarde le budget, "pas un poste de fonctionnaire de police supplémentaire pour assurer la sécurité". On dit "prélèvements obligatoires, ils vont baisser", bravo ! On s'aperçoit qu'ils grimpent.

En effet, il y a un phénomène...

Anne Sinclair : Comment se fait-il qu'avec tout cela, néanmoins, il séduit les Français car il les séduit ?

Jack Lang : Il y a un aspect qui est normal, c'est que les socialistes ont reçu, disons, une dégelée et les Français ne peuvent pas se déjuger en quelques mois. Le même phénomène a joué après l'élection présidentielle de 88, la Droite, si j'ose dire, était dans les choix huit mois après, il lui a fallu un an pour se reconstituer une santé.

Il y a un phénomène, en effet, original Balladur, homme d'État sans conteste. Il tient sa Maison, je veux dire son gouvernement et puis il y a cet art très particulier, qu'il faudrait qu'un musicien ou qu'un homme de la sémantique analyse, cette espèce de musique douce, une sorte de nouvelle thérapeutique de la déprime collective, une sorte de calino-thérapie par massage verbal. Cela fait penser à cette émission que je regrette beaucoup de naguère, "Nounours ou le marchand de sable", "dormez les petits, faites de beaux rêves et je m'occupe du reste".

Le Premier ministre, je crois, est trop intelligent pour imaginer que cet endormissement est durable. Il n'est pas possible que les Français soient silencieux alors que les impôts grimpent, que le chômage grimpe...

Anne Sinclair : ... Nous verrons cela dans les mois qui viennent et nous poserons au Premier ministre qui sera là dans quinze jours les questions que vous posez.

Vous êtes un opposant, vous dites, vous-même, il y a des choses que nous n'acceptons pas dans la politique de Monsieur Balladur.

Question posée par la SOFRES : à l'égard du gouvernement de Monsieur Balladur, estimez-vous que le Parti socialiste se montre trop critique ou pas assez critique ?
Trop critique : 24 %
Pas assez critique : 45 %
Comme il faut : 12 %

En revanche, les sympathisants du Parti socialiste sont encore plus nets :
Trop critique : 16 % 
Pas assez critique : 56 %

Au fond, les Français trouvent les socialistes trop gentils avec le gouvernement Balladur.

Jack Lang : Il y a un temps pour chaque chose. Je crois qu'il faut que ce Parti se reconstitue encore une fois une santé, qu'il prenne un bon coup de jeune et qu'il aille de l'avant, qu'il soit inventif, imaginatif, constructif...

Anne Sinclair : ... La direction actuelle n'est pas assez jeune ?

Jack Lang : Je ne dis pas ça, il faut le temps pour faire les choses. On ne se reconstruit pas en six mois aussi rapidement.

Anne Sinclair : Vous disiez tout à l'heure que la Droite avait mis un an à renaître après avoir pris un grand coup sur la figure, cela veut-il dire que, pour vous, la Présidentielle est encore gagnable en 1995 ou sentez-vous complètement démobilisé et prêt à faire l'impasse sur cette échéance ?

Jack Lang : Rien n'est écrit à l'avance. Tout ce qu'on dit, ici ou là, est de la supputation. La Société est mobile et ce sommet dont nous parlions à l'instant est un sommet provisoire. Sous la cendre couve parfois la braise. Rappelez-vous de ce mot à l'époque de Charles X : "Lorsqu'on dansait au palais royal, le peuple était sourdement en colère", on disait : "Nous dansons sur un volcan". Il n'est pas impossible, malheureusement, que sous ce calme apparent il y ait une sourde colère. Parfois trop, c'est trop, trop de souffrances, trop de misère, trop d'inquiétudes, il faut que chacun dans ce pays, gouvernement et Opposition, apporte un peu plus de volonté, de changement et d'espoir.

Anne Sinclair : Je vais vous faire descendre une minute du volcan pour rester un peu sur le terrain politique...

Jack Lang : ... Il ne faut pas philosopher sur une poudrière.

Anne Sinclair : Je vous posais la question : faut-il que le Parti socialiste se montre très dur dans son opposition ? Le sondage montre que, apparemment, les Français le souhaitent. J'ai demandé votre opinion. Je vous posais la question sur la Présidentielle, vous savez bien à quoi on pense quand on dit cela, on se dit : Est-ce que le mitterrandiste, Jack Lang, est prêt à soutenir et à se défoncer pour Michel Rocard ?

Jack Lang : Si Michel Rocard est candidat, naturellement, chacun d'entre nous sera derrière lui.

Anne Sinclair : Question annexe et on termine là-dessus : François Mitterrand a reçu Laurent Fabius à Latche, il a reçu Henri Emmanuelli et Lionel Jospin, trouvez-vous qu'il serait bon qu'il reçoive Michel Rocard ?

Jack Lang : Je crois que le Président de la République rencontre les uns et les autres et tous ceux qui souhaitent le rencontrer, socialistes bien sûr ou non socialistes, c'est un homme respectueux des opinions des uns et des autres.

Anne Sinclair : Avant de terminer l'actualité de la semaine, toute une série de livres sur François Mitterrand et sur sa présidence : 

Journal apocryphe d'un Président, paru chez Jean-Claude Lattès. Son auteur s'est dévoilé tout à l'heure dans l'émission de Jean-Pierre Elkabbach, il s'agit de Philippe Barré qui fut un temps directeur de cabinet de Jean-Pierre Chevènement.

Franz-Olivier Giesbert, "La fin d'une époque" parue chez Fayard et au Seuil. C'est talentueux, quelquefois cruel, acharné contre le Président de la République mais piquant aussi sur Chirac ou Balladur.

Le livre d'Erik Orsenna qui marche très bien, il est sorti depuis un moment, paru au Seuil, qui s'appelle "Grand amour" et qui est à la fois drôle et délirant.

Je ne voudrais pas si vous les avez lus parce qu'on est un peu pressés...

Jack Lang : … J'observe simplement que le Président de la République donne matière à ouvrages et à vente importante.

Anne Sinclair : Fin de la semaine en image avec, notamment, le Vaucluse sinistré et l'Inde ravagée.

Bien entendu, nous avons parlé de la Russie, nous continuons d'en parler, c'est pour cela que, dans les images-là, nous ne la mentionnons pas. 

Jeudi : 
Plus de 30 000 morts, des dizaines de milliers de blessés et de sans-abris, tel est le bilan encore provisoire du tremblement de terre qui a dévasté une province, à 400 kilomètres à l'est de Bombay.
Dépenses de santé, enfin un accord entre médecins et sécurité sociale.
Bosnie, un pas en avant, deux pas en arrière.

Vendredi : 
Le Vaucluse à nouveau sous les eaux
La Géorgie au bord de l'éclatement.

Anne Sinclair : Jack Lang, nous sommes très pressés par le temps et le journal attend derrière. Je ne peux pas, hélas, vous interroger sur l'Inde, 30 000 morts, sur les inondations dans le Vaucluse, sur la convention médicale... Il faudra revenir... sur des tas d'autres sujets. Je vous demanderai peut-être un mot de conclusion parce que je vous coupe un peu la parole.

Jack Lang : Je voudrais dire simplement que, qui que nous soyons, Majorité ou Opposition, il faut croire à notre pays, à ce pays qui a des ressources formidables.

J'aurais envie de terminer par ce mot de Sénèque : "Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles". Alors, ayons l'enthousiasme pour faire bouger les choses, les transformer et je vous assure que c'est possible.

Anne Sinclair : Merci Jack Lang.

Dans huit jours, je recevrai Paul McCartney, c'est le dernier Beatles chantant. Il va bientôt venir chanter à Bercy, c'est la fête pour les jeunes et les quadras.

Claire Chazal, dans un instant, le journal de 20 heures et, bien sûr, tout ce qui se passe à Moscou où deux colonnes de chars viennent d'ailleurs d'entrer.

Merci à tous.

Bonsoir.