Article de M. Alain Krivine, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire, dans "Rouge" le 5 novembre 1992 intitulé "Leur droit de violence humanitaire", sur l'expulsion des familles maliennes du campement de Vincennes et leur droit au logement.

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Circonstance : Évacuation par les CRS des familles africaines mal logées occupant les abords du camp de Vincennes le 29 octobre 1992

Média : Rouge

Texte intégral

Sur ordre du gouvernement douze compagnies de CRS ont évacué, le 29 octobre, à l'aube, le camp de Vincennes. Cette rafle restera dans les mémoires comme une apothéose honteuse du pouvoir "socialiste". Marie-Noëlle Lienemann, ministre du logement, a bien résumé la raison évoquée : "mesures humanitaire" – comme si cela permettait tous les reniements, justifiait toutes les violences.

Dès le 29, MM. Sautter et Verbrugghe, respectivement préfets de région et de police, assuraient que l'évacuation s'était opérée dans la douceur et que toutes les familles seraient logées dans la douceur et que toutes les familles seraient logées dans des hébergements d'urgence. Pourtant, le jour même, plusieurs dizaines de familles se sont retrouvées à la rue, jetées devant des foyers et des hôtels où on ne les attendait pas, tandis que la majorité des autres dorment dans des conditions extrêmement précaires. La confusion et l'improvisation prouvent qu'il n'y avait là aucune motivation humanitaire – ces mêmes autorités avaient refusé pendant des semaines l'installation des moyens sanitaires minimum.

Pourquoi une telle violence contre des gens qui ne réclament que l'application de la loi, le droit au logement ? Pourquoi, depuis le 9 septembre, les autorités n'ont-elles jamais voulu dialoguer avec les familles qui rejetaient le protocole signé en leur nom par le conseil des Maliens de France ? La pression exercée depuis un mois par les fascistes a-t-elle décidé de l'intervention ? Le FN le comprend bien ainsi, comme l'explique l'éditorial de Président : "Le préfet rejoint l'analyse du Front national". Quant à Marie-Noëlle Lienemann, ministre du logement, elle s'est bien vite empressée de manifester sa solidarité gouvernementale et d'applaudir.

Nos dirigeants ont sans doute estimé que cette solution était la moins coûteuse pour se sortir du guêpier. En dispersant les familles dans toute la région parisienne, en les séparant, c'est la méthode classique de la régression qui a prévalu pour tenter de casser l'unité de la lutte, le campement. Les réactions suscitées par cette rafle dans la presse à l'opinion publique montrent que l'opération n'est pas un franc succès politique. Comment admettre que la loi de réquisition n'ait pas été utilisée lorsqu'on sait que plusieurs milliers de logements sont libres en région parisienne ? Cette loi d'attribution d'office, toujours en vigueur, doit être appliquée pour répondre aux situations d'urgence. Les logements vacants, publics ou appartenant aux institutionnels et gros investisseurs privés, peuvent accueillir les familles de Vincennes. S'attaquer à ces requis n'est qu'une affaire de volonté politique.

Nous emprunterons à l'abbé Pierre une formule qui tord le cou à l'idée selon laquelle des gens en lutte depuis six mois ne seraient pas plus prioritaires que d'autres dans l'attribution de logements : "Qu'est-ce que ça veut dire d'attendre son tour, lorsqu'il n'y a pas de tour ?" Les luttes pour le logement se multiplient depuis trois ans. Le camp de Vincennes mettait trop en évidence, depuis six mois, les graves carences des pouvoirs publics en la matière. Ceux qui, pendant dix ans, se sont bâtis des fortunes à coups de spéculation, ceux qui ont trempé dans les affaires les plus louches, sont maintenant au bout du chemin : des milliers de mètres carré de bureaux vides, faute d'acquéreurs.

Le ministère du Logement s'est avéré totalement incapable de traiter ce dossier et s'est discrédité en ne respectant pas les engagements pris (installation de sanitaires, desserrement de l'eau policier, etc.) – rappelons que les anciens hôtels de passe réquisitionnés par Lienemann n'ont jamais été attribués. Le ministre de l'intégration, Kofi Yamgname, a exprimé le même mépris pour les familles. La mairie de Paris a voulu ignorer totalement la situation, réclamant sans cesse la violence pour expulser le campement et refusant d'appliquer la loi en scolarisant les enfants. C'est en dernier recours, le préfet de région, Christian Sautter, qui s'est retrouvé en charge du dossier et qui a exécuté "proprement" les consignes.

Mais la revendication demeure et la mobilisation des familles reste entière. On peut retourner son argument au préfet, qui, en parlant du camp, disait qu'il est inadmissible que ces familles soient à la rue au début de l'hiver. Il est maintenant indispensable que toutes les associations, syndicats et organisations impliqués s'entendent et se coordonnent. Seule l'unité peut permettre de poursuivre cette lutte avec succès. Ensemble, nous devons faire assumer aux autorités les conséquences de l'évacuation. Il faut donner immédiatement un toit à ces familles. Les négociations doivent reprendre pour trouver une solution définitive pour les 304 familles de Vincennes et, pour cela, utiliser la loi de réquisition, seul moyen de loger toutes les familles dans les conditions décentes.