Texte intégral
Curieux destin que celui de la loi Falloux, initialement conçue comme la garantie de la « liberté » de l'enseignement et devenue, après les abandons des lois Debré et Guermeur et avec la menace du déplafonnement des investissements publics dans l'école privée, le point de ralliement emblématique de la gauche laïque.
Laïque, l'essentiel est dit. La laïcité : un principe qui ne serait plus guère avouable, une valeur qui fleurerait bon l'archaïsme. Telle qu'elle est, fût-elle archaïque aux yeux de certains, nous revendiquons la laïcité. Et tout ce que nous voyons nous incline à penser qu'elle n'a peut-être jamais été aussi actuelle et nécessaire, et jamais aussi menacée.
Il y a encore beaucoup de citoyens dans ce pays qui pensent que l'école libre, c'est celle de la République et qui pensent aussi que l'argent public devrait aller à l'enseignement public. Même s'ils sont désormais méprisés par une opinion officielle de droite comme de gauche qui, au prétexte de tolérance, arme l'intolérance, il y a beaucoup de Français qui estiment qu'une neutralité absolue doit protéger toutes les institutions publiques – et particulièrement l'école – contre le pouvoir des factions, de l'argent, ou des religions.
La Guerre scolaire n'est pas finie
Il est vrai que nous avons perdu en 1984 une bataille politique sur la question scolaire. Était-ce une raison pour amener pavillon ? Il est vrai sans doute que beaucoup de responsables sont autant préoccupés par le contenu de l'enseignement que par son statut. Est-ce à dire que le statut de l'école serait devenu sans importance ? Il est vrai encore que l'argent public affecté à l'enseignement privé n'atteint pas des sommes extravagantes. Mais n'y aurait-il pas des dépenses plus symboliques que d'autres ? Bien vrai enfin que nombre d'anciens militants laïcs inscrivent leurs enfants dans des établissements privés en raison de la dégradation de certains segments du service public. Devons-nous pour autant consentir à cette dégradation et faire du renoncement un exemple ?
Chacun peut comprendre qu'une situation politique impose un repli tactique, une pause dans un grand effort. Chacun peut voir que, pour nos concitoyens, les priorités sont ailleurs. Mais nous n'acceptons pas l'idée que le fou laïc serait éteint et, pour dire les choses bien franchement, pour nous la guerre scolaire n'est pas finie. Que le mot « guerre » soit excessif, nous en conviendrons, mais cette guerre-là n'a pas été imposée par les Républicains. Dès lors que nous voulions que l'école fût gratuite et obligatoire, elle ne pouvait être que laïque. Ceux qui depuis plus d'un siècle s'insurgent contre cette évidence toute simple, ceux-là ont déclaré la guerre. Et elle ne sera pas finie aussi longtemps que l'école, qui devrait être la lumière libérant les consciences, éveillant l'esprit critique des futurs citoyens, sera la proie des intérêts économiques, des factions et des corporations, des influences cléricales et de l'irrationnel.
Se trouvera-t-il, à la fin, un responsable politique de ce pays pour dire que la République est déjà assez bonne fille en tolérant l'obscurantisme pour qu'on ne lui demande pas en outre de le financer ? Pour des générations de Français, l'école fut le creuset de l'unité nationale, de la cohésion sociale et la matrice de valeurs républicaines constamment actualisées. C'en était trop pour la pensée réactionnaire arc-boutée depuis deux siècles et, puisque la gauche en avait donné les moyens, il fallait décentraliser. Plus que d'autres, les radicaux ont porté et défendu la décentralisation. Plus que d'autres, ils pensent aujourd'hui qu'il faut l'approfondir et la prolonger. Mais en matière d'enseignement, si la décentralisation signifie l'abandon des programmes et des diplômes nationaux, la discrimination par le niveau des investissements, le renoncement à la gestion nationale des personnels, c'est à la décentralisation qu'il faut renoncer. Sinon notre pays connaîtra un enseignement riche dans les régions riches et un enseignement catholique dans les régions catholiques ; et c'est le projet tout à fait délibéré de certains parlementaires de droite.
Pour notre part, nous proposons un système simple, propre à contrecarrer les visées du privé mais aussi le pseudo-élitisme républicain qui privilégie les milieux bourgeois dans les grands établissements publics. Que l'État calcule le coût moyen théorique annuel d'un élève à tous les stades de sa scolarité et que s'imputent, sous ce plafond, toutes les participations (parents, entreprises, collectivités locales, etc.) autres que celles de l'État à qui incomberait alors le paiement de la différence jusqu'au plafond. Si ce mécanisme prend en compte les coûts réels de l'enseignement, y compris les différences de traitement des enseignants, on se rapprochera de l'égalité sans toucher à la liberté.
Un acte de revanche des Conservateurs
En réalité, la poussée actuelle contre une législation déjà globalement très défavorable à l'enseignement public n'est qu'un acte de revanche politique et sociale des Conservateurs. Il faut y répondre avec la plus grande détermination. De toutes parts remontent dans notre société les mauvais ruisseaux de l'irrationnel et de la religiosité. L'Europe de l'Est sinistrée ne semble avoir de choix qu'entre le stalinisme et l'intégrisme. Dans le monde entier, le tribalisme ethnico-religieux bouscule l'humanisme. Chaque terrain – et en particulier le terrain scolaire – est celui d'une bataille dans une guerre qui n'est jamais finie.
Rétro, archéo, la laïcité ? Si cette idée-là est surannée, c'est la République qui est devenue archaïque.