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Pouvoirs Locaux : Lyon a été plusieurs capitales successivement – de la chrétienté, de la banque, de la Résistance. Pour son maire, de quoi Lyon est-elle capitale ?
Michel Noir : Faut-il dire que nous sommes une capitale ? L'identité de Lyon, c'est d'avoir toujours tiré sa félicité de l'extérieur : Lyon a vocation à rayonner. Depuis des siècles, Lyon pense sans frontières, ce qui n'est pas antinomique avec une identité propre. Lyon ne supporte pas les décisions venues d'ailleurs et vit fortement le couple tradition-innovation.
Voilà pour l'aspect spatial et historique qui définit son internationalité.
L'autre définition vaut d'être assumée, celle du général de Gaulle Lyon, capitale de la Résistance. Envers cela, les Lyonnais ont devoir de mémoire.
Néanmoins, une cité, un "espace-homme" s'analyse dans la durée. Méfions-nous donc des définitions trop cursives, auxquelles je préfère une définition plus humble et plus essentielle.
Pouvoirs Locaux : Y-a-t'il cohérence du rayonnement régional et du rayonnement international ?
Michel Noir : Lyon, à la tête du réseau de villes Rhône-Alpes, appartient aux réseaux des villes sans frontières, à forte valeur ajoutée. Au-delà de l'étiquette, notre position de tête de réseau amène les villes de Rhône-Alpes à concevoir ce réseau régional de façon plus positive, en dépit de l'histoire, de la tradition du Dauphiné qui n'est pas celle du Lyonnais-Forez. En revanche, Rhône-Alpes est une région sans historicité : les deux Savoie n'étaient ni le Dauphiné ni le Lyonnais-Forez.
Pouvoirs Locaux : Quelle est l'utilité de la "Région Urbaine" de Lyon ?
Michel Noir : La Région Urbaine de Lyon n'est pas une structure administrative, mais simplement une volonté de mise en cohérence des schémas de développement et d'aménagement urbain, assortie d'une "charte d'objectif". La Région Urbaine de Lyon répond à une réalité pour les hommes de cet espace. Voyez l'aire géographique de la conurbation de Saint-Étienne, de la conurbation de Lyon, du bassin du Lyonnais : chacune de ces réalités correspond à un bassin de vie. Avec toute la prudence requise, nous voulons travailler en commun en dépassant cette dualité d'espaces séparés et de pouvoirs séparés, héritages d'une histoire qui, elle-même, nous séparait.
À cet égard, nous devons sortir là du raisonnement de réseau de villes. Je différencierai donc l'espace de cette "Région urbaine", qui accède à une réalité humaine, de celui des autres agglomérations de la région.
Pouvoirs Locaux : Resserrons notre propos sur la Communauté urbaine. La Courly est devenue le "Grand Lyon". A-t-on peur du "Grand Lyon"
Michel Noir : S'agissant des communes, aucune n'a peur du Grand Lyon. La nécessité de penser en agglomération est acquise, de même que le principe des compétences déléguées. Ainsi, s'il y a débat normal sur la politique de déplacements urbains, sur le boulevard périphérique, etc., chacun considère néanmoins que la compétence en matière de déplacements urbains ne peut qu'être communautaire.
Pour les communes limitrophes et celles qui nous séparent de l'aéroport de Satolas, la frontière n'existe pas : elles appartiennent à notre aire urbaine. Même si elles sont hors de la communauté, de facto, elles sont dans l'orbite du Grand Lyon, de par la vie de leurs habitants, les activités économiques et les flux. Or, elles tirent les avantages structurants de l'agglomération sans devoir y contribuer financièrement. Quel intérêt auraient-elles à entrer dans le système ? Ces communes ne songent pas à contribuer, mais réclament des voiries ou des transports en commun. Alors nous négocions avec elles. Il serait préférable, d'ailleurs, de pouvoir négocier avec des ensembles de communes. La loi ATR – son unique aspect positif – permettra un début de structuration.
Pouvoirs Locaux : Dépasser les frontières et le raisonnement partiel, cela relève aussi d'une éthique de l'action : a-t-on le droit de raisonner à court terme parce que l'on est décideur temporaire d'une région et d'un espace ?
Michel Noir : Ma conception intègre la dimension de patrimoine à léguer avec une "valeur ajoutée". Celui qui endommage un espace à vie en porte la lourde responsabilité. L'intérêt général veut un équilibre entre espace naturel et espace urbain aménagé, des fonctions de déplacement les plus cohérentes possibles, des schémas reconnaissant la primauté du transport collectif. Chacun dans nos pouvoirs et compétences respectifs, tâchons de dépasser nos décisions d'intendance, pour décider en cohérence de cette charte d'objectifs. Dans vingt ans, la primauté aux transports en communs laissera des traces, de même que la réussite de la mixité sur l'ensemble de l'espace apportera des réponses à la crise des banlieues. L'intérêt général dans la durée va dans le sens du bien commun. Tel est l'enjeu pour l'actuel président du Grand Lyon.
Pouvoirs Locaux : Qu'est-ce que la mixité de l'espace urbain ?
Michel Noir : Tout groupe humain, pour vivre dans la durée, a besoin du principe de variété. Tout groupe humain qui tend vers le modèle unique va à la mort, à travers l'affrontement et le refus de l'autre. Aussi, pas d'espaces ségrégués : telle catégorie logée là, telle autre ici, selon les différences d'âge, de revenu, d'origine sociale, de culture.
Voici trois ans, nous avons donc voté à l'unanimité une politique de logement social. Toutes les opérations immobilières au-delà de 80 à 100 logements comportent un minimum de 15 % de logements sociaux. Sur les cinquante-cinq communes, neuf accueillaient 90 % des logements sociaux ; mais on commence à voir des logements sociaux dans des communes qui n'en avaient pas. Ainsi, nous avons implanté des PLA Insertion 280 f. de loyer mensuel – dans le troisième arrondissement, aux côtés de PAP, de logements réalisés par des promoteurs privés, de quelques opérations HLM de logements sociaux. Telle est la démarche de répartition des logements sur le territoire, selon le principe de variété.
Pouvoirs Locaux : Comment le Grand Lyon s'articule-t-il avec vos partenaires politiques du département et de la région ?
Michel Noir : Il y a connivence entre les chefs des exécutifs de ces trois structures. Sur la plupart des sujets, nous sommes partenaires, en cofinancement partiel pour nombre des actions inclues dans nos contrats de ville. Nous-mêmes sommes co-signataires de contrats de financement sur des agglomérations différentes.
Pouvoirs Locaux : Les chantiers du Grand Lyon pèsent-ils sur le niveau d'endettement de la communauté ?
Michel Noir : Nous avons été les premiers en France à publier un rapport financier annuel devant nos partenaires, la place financière et l'ensemble des dirigeants économiques.
Nous poursuivons deux axes stratégiques, dans la durée : le premier, sur le plan fiscal, respecter une base zéro, une fiscalité ajustée au taux d'inflation; le deuxième sur le plan budgétaire, maintenir un ratio de charge de la dette inférieur à 20 % du produit perçu des recettes de fonctionnement, soit à peu près 15 % de l'ensemble du budget. Depuis trois ans, nous maîtrisons la progression fiscale.
Pour une collectivité dont les compétences légales sont les équipements structurants et les investissements, ces ratios sont raisonnables. Nous sommes le meilleur des neuf élèves de la classe des communautés urbaines : en 1993, sur un budget de 6,5 milliards, plus de 3 milliards d'investissement. Et, sur de grands chantiers comme la construction du périphérique, nous innovons : outre les crédits publics, nous traitons en concession tout ce qui peut l'être. Pour le plan de développement des transports en communs (plus de 5 milliards d'investissements), nous avons voté, en 1990, le principe d'une augmentation annuelle de 20 % de la dotation au syndicat des transports en commun. La croissance est exponentielle : 150 millions en 1989, 315 en 1993, 575 en 1994. Cette progression annuelle de 20 % est programmée sur cinq ans.
Nouveaux contrats de pouvoir
Pouvoirs Locaux : Quel avenir pour la décentralisation de 1982, "timidement" relancée en 1992 ?
Michel Noir : Nous sommes dans une demi-décentralisation. La France a besoin de nouveaux contrats de pouvoir. C'est vrai de la décentralisation, mais aussi de la réforme institutionnelle au plan national. Il était révolutionnaire d'imposer les communautés urbaines en 1966, comme l'était le référendum pour la régionalisation.
Le texte du 6 février 1992, lui, est timoré et sera inefficace. Il n'arbitre pas entre l'esprit de clocher et son dépassement par l'acceptation d'un ensemble plus vaste auquel on délègue les compétences. Cela donnera une nouvelle génération de syndicats. Intercommunaux à vocation multiple… Cette loi est une demi-mesure par rapport à la situation communautaire. La loi de décembre 1966 créant les communautés urbaines (cinq d'entre elles ont été créées par la loi elle-même) était plutôt révolutionnaire. Depuis vingt ans, elle fait l'unanimité, toutes options politiques confondues. Le législateur de la loi ATR note d'ailleurs que les communautés urbaines restent la forme la plus avancée de coopération intercommunale.
"Notre effort multiséculaire de centralisation ne s'impose plus…" : depuis cette géniale formule gaullienne, nous aurons perdu trente ans. Pour un pays, perdre trente ans, c'est rageant… De ce point de vue, il nous reste une révolution à accomplir.
L'enchevêtrement des compétences reste un embrouillamini. Allons plus loin dans la décentralisation des compétences vers les régions. Avec bon sens et dans le respect de notre histoire, traçons les nouvelles lignes de partage des compétences. Que l'État conserve son impérium sur quelques lignes directrices, mille fois plus important que l'impérium de la sous-circulaire du 6 mai 1989 sur l'initiation aux langues étrangères dans les classes élémentaires – seize pages !
Les systèmes enchevêtrés sont généralement a-décisionnels. Posons – enfin – la question simplement : "Qui fait quoi ?"