Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
« Oui, mais il y a les maisons familiales. » Depuis un an que j'occupe mes fonctions, depuis un an que je m'attache à la réforme de l'enseignement agricole, combien de fois ai-je entendu cette phrase : « Oui, mais il y a les maisons familiales. » Un problème est posé, une solution s'esquisse qui paraît simple et rationnelle, oui, mais il y a les maisons familiales pour lesquelles un traitement particulier s'avère indispensable. Mais, cette difficulté je la crois riche et je veux la préserver. Votre particularité, je n'en tire pas l'agacement mais le respect. Vous vous êtes vous-mêmes déclarés, par la voix de votre président, « irréductiblement inclassables et inassimilables », et vous avez raison.
Depuis votre création dans les années 1930 – et non sous Vichy comme on l'a rappelé – vous avez développé des méthodes à nulles autres pareilles. Vous avez su associer la totalité des acteurs du monde rural dans une démarche éducative où nul ne reste dans un rôle étroit, où chacun apporte et retire, enseigne et apprend, où l'expérience et le savoir refusent le sens unique.
Ce système est tout ensemble votre force et votre faiblesse. Votre force car sans lui vous perdriez jusqu'à la raison d'être. S'il s'agissait de dispenser une formation identique à celle des autres établissements vous le feriez moins bien qu'eux car ce n'est ni votre ambition ni votre vocation. Au contraire, votre existence trouve sa source dans la mission d'éducation populaire que vous vous assignez. Mais – ne le cachons pas – votre originalité est aussi la cause de certaines de vos difficultés. D'abord parce que dans notre pays de juristes on aime les indices clairs et les signes tangibles, et que la qualité d'une formation s'appréciera sur les titres et diplômes, plutôt que sur la capacité réellement donnée, faute de critères pour l'évaluer. Ainsi a-t-on souvent vu des exploitants qui après avoir brillamment passé toutes les épreuves scolaires n'ont pas résisté à celles que leur a ménagées la vie professionnelle, là où d'autres, moins titrés, avaient acquis un sens de leur métier qui leur a permis de s'adapter. C'est là une réalité à laquelle je suis sensible mais donc vous comprenez bien que l'État ne peut sur elle bâtir toute sa politique. Même si les titres et diplômes ne sont pas des gages suffisants, ils sont pourtant nécessaires pour des agriculteurs qui devront de plus en plus prouver leur aptitude, au moins à produire, avant que l'État les aide avec l'argent de la collectivité. C'est pourquoi, si je suis prêt à vous rejoindre dans votre refus de l'élitisme, c'est à condition qu'il ne soit pas l'excuse d'une formation inadaptée, mais bien plutôt le ferment d'un relèvement général des niveaux. Je vous y sais prêts, je vous sais aptes à cet effort pour peu qu'on vous laisse le mener sans renoncer à ce que vous êtes.
Mais c'est ici la seconde difficulté : dans notre pays – et j'en sais quelque chose – la différence est toujours suspecte, et l'originalité est souvent jugée provocatrice. Comment s'étonner alors de la marginalité dans laquelle on veut vous tenir, des critiques dont vous faites l'objet et que nourrissent parfois des échecs réels – qui n'en a pas ? Il y a chez vous comme partout du bon et du moins bon. Simplement on taira le bon pour dénoncer le moins bon comme fatal, lié à ce que vous êtes, indissociable de votre différence.
C'est assez et le temps est venu de ne plus vous traiter comme un appendice, une curieuse excroissance à laquelle on donne un nom de code : le rythme approprié. Quel rythme ? Approprié à quoi ? On ne l'a jamais su précisément. C'est pourquoi il nous faut mieux définir ce que vous êtes et le faire sans peur et sans ambiguïté pour que vous occupiez la place qui est la vôtre. La réforme nécessaire des relations de l'État avec l'enseignement agricole privé en offre une bonne occasion.
Vous vous êtes, Monsieur le président, inquiété des retards pris par ce dossier. Je ne referai pas ici la démonstration que j'ai eu l'occasion de faire, le 30 mars, devant le CNEAP. Envisager de faire participer l'enseignement agricole privé au service public supposait une rénovation préalable de ce dernier. Ce sera très prochainement chose faite puisque, comme vous le savez, le Conseil des ministres sera appelé à adopter dès demain un projet de loi à ce sujet.
Mais, à cette occasion, je prendrai également la parole devant mes collègues pour une communication sur l'enseignement agricole dans laquelle je traiterai des relations avec le secteur privé. Les règles habituelles veulent que je réserve à ce Conseil la primeur de mes déclarations, mais je pense pouvoir faire état de ce que sont mes intentions, car pour la retranscription écrite officielle il conviendra d'attendre le communiqué de demain après-midi. Elles tournent autour de trois préoccupations : faire participer l'enseignement agricole privé au service public, garantir la situation des personnels, modifier les mécanismes de financement.
Faire participer l'enseignement agricole privé au service public exige tout d'abord qu'un contrat fixe clairement les droits et les devoirs de chacun, que soient déterminées les conditions de fonctionnement concernant notamment les programmes et contrôles en les adaptant aux diverses méthodes d'enseignement.
Mais cela implique également l'institution d'un schéma prévisionnel national, commun à l'ensemble de l'enseignement agricole, rationalisant la géographie des filières et énumérant celles que l'État accepte de financer.
Il va de soi que ce schéma sera élaboré en concertation avec des instances représentatives où vous aurez pleinement votre place.
Dès lors, vous serez en mesure d'assumer des missions communes avec celles de nos autres partenaires de l'enseignement agricole et ainsi de participer dans le respect de votre originalité à la mission de service public.
Garantir la situation des personnels, en second lieu, suppose que leur soient offertes toutes celles des garanties inspirées du droit de la fonction publique qui sont compatibles avec votre statut associatif et les particularités de votre fonctionnement.
Enfin la modification des mécanismes de financement conduira à renoncer à la subvention à l'élève au profit d'un système qui soit plus stable et plus efficace.
La rémunération directe des personnels enseignants n'apparaît possible que pour ceux d'entre eux qui, travaillant dans des établissements comparables au public, pourront être reclassés par référence aux rémunérations de leurs collègues fonctionnaires.
Vos personnels, au contraire, ne sont assimilables à aucune catégorie d'agents publics. C'est pourquoi la subvention que vous recevrez sera destinée à l'association et non directement à ses salariés, sera globale et calculée sur la base du coût théorique de la rémunération des enseignants dans une filière équivalente de l'enseignement public.
Par ce système chaque association aura non seulement accès à un financement amélioré par rapport à l'état actuel mais aussi assorti d'une garantie de stabilité.
Les fédérations représentatives, enfin, se verront reconnaître diverses capacités propres et notamment celle d'être mandatées par les associations pour des missions d'intérêt collectif.
Si le gouvernement accepte mes propositions, celles-ci feront rapidement l'objet d'un projet de loi qui, après concertation, devra être adopté en conseil des ministres puis déposé au Parlement avant l'été. Je nourris en outre l'espoir qu'il puisse également, dès cette session, faire l'objet d'une première lecture dans chaque assemblée, mais ceci dépendra évidemment de leur ordre du jour, que je crains surchargé.
Vous me demandiez, Monsieur le président, des engagements et un calendrier. Les voilà. Jugez-en. Mais je vous rappelle qu'ils ne seront ceux du gouvernement que lorsque celui-ci, demain, les aura authentifiés.
Ainsi seront, je pense, aménagées efficacement nos relations dans le respect de votre identité. Toutefois je n'ignore pas que le succès de l'entreprise est subordonné à un travail quotidien qui ne soit pas conflictuel. Je sais vos problèmes et vous me les avez rappelés.
Sur les quatrième et troisième préparatoires des mesures ont été prises, après discussion avec vous, qui montrent ma volonté de ne pas vous tenir à l'écart et ont permis l'élaboration de solutions adaptées dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Vous avez également évoqué deux problèmes concernant l'accueil des jeunes à partir de 14 ans, d'une part, et, d'autre part, le fait que les établissements publics ouvriraient des filières dont vous auriez pris l'initiative.
Sur le premier point existe une réalité incontournable : l'enseignement agricole débute au plus tôt à la première année du cycle d'orientation. L'âge normal pour y accéder est de 14 ans, en application des textes en vigueur. Et le Conseil d'État, que vous avez vous-mêmes saisi de cette question, à propos d'ailleurs d'un décret qui date de 1980, le Conseil d'État, donc, a confirmé, par un arrêt du 2 décembre 1983, la légalité de ces dispositions.
Il reste qu'elles vous posent des problèmes que nous ne méconnaissons pas, pas plus que vous ne devez méconnaître les difficultés que créerait, pour l'ensemble du système, l'absence de cet âge minimum.
Et c'est pourquoi, lors d'une réunion organisée le mois dernier par le directeur général de l'enseignement et de la recherche de mon ministère, il a été admis que les élèves n'atteignant pas 14 ans dans l'année ne pourront accéder à ces filières ; ceux qui auront 14 ans à la date de la rentrée scolaire y accéderont normalement ; pour ceux enfin qui atteindront 14 ans entre la date de la rentrée et le 31 décembre de l'année, des dérogations seront admises sans difficulté. Si des problèmes subsistent je serai ouvert à toute discussion permettant, dans le dernier cas, de substituer au système de la dérogation celui de l'acceptation automatique. Mais je ne dois pas vous cacher que je n'ai ni le droit ni le désir de baisser la limite d'âge de 14 ans.
Quant à l'idée d'une concurrence déloyale que vous ferait l'enseignement public, je ne puis y adhérer. Permettez-moi de rappeler tout d'abord que, depuis 1972, les classes de quatrième par exemple ont été progressivement supprimées dans le public. Ceux qui auraient dû les remplir se sont naturellement tournés vers vous et, effectivement, vous les avez utilement accueillis. Mais il faut que deux choses soient claires entre nous. Premièrement je suis en désaccord avec la politique qui a conduit à ces fermetures et crois au contraire qu'il est du devoir – ne serait-ce que constitutionnel – de l'enseignement public d'être présent à tous les niveaux de formation ; parce que la liberté de l'enseignement exige aussi que les parents qui souhaitent confier leurs enfants à l'école publique puissent le faire, le gouvernement sans esprit de concurrence, mais par la volonté d'assumer ses responsabilités, mène dans ce secteur une politique dynamique. Deuxièmement, il n'est ni dans votre intérêt ni dans mes intentions de considérer l'enseignement agricole privé comme une béquille de l'enseignement agricole public. Les besoins en formation sont tels que vous n'avez pas lieu de craindre une espèce de chômage technique, et s'il est vrai que le public intervient dans des filières qui vous motivent particulièrement, n'oublions pas les cas où, notamment, faute de moyens il ne peut intervenir et dont vous savez faire un judicieux d'usage. Aucune filière n'est la propriété naturelle de quiconque et ce sera précisément l'intérêt du schéma prévisionnel d'organiser la complémentarité plutôt que d'aiguiser la concurrence.
Et votre apport sera dans ce domaine d'autant plus constructif que vous aurez su préserver votre originalité.
Encore faut-il, me direz-vous, que vos établissements puissent vivre en attendant la réforme. Nous nous en sommes occupés et vous savez que les crédits alloués au titre de la reconnaissance sont revalorisés de 12,3 % à compter du 1er janvier 1984. De même, si la loi nouvelle n'est pas applicable de cette année, 30 000 élèves réels pourront être agréés. Il s'agit là d'un effort sans précédent qui, mieux que n'importe quel discours, nous innocente de toute intention homicide. De même, sans doute, avez-vous été sensibles au relèvement général des bourses de 10 %, porté à 20 et même 40 % pour certaines filières.
Ainsi, pourrez-vous continuer votre offre au service d'un monde rural avec lequel vous vivez en symbiose. Vous avez su prendre la dimension de sa complexité et vous y adapter moyennant une pratique que je tenterai de définir positivement en disant qu'elle conjugue les enseignements théoriques et pratiques d'une part dans l'établissement et d'autre part en étroite liaison avec le milieu, selon un rythme approprié.
Avec le président Anquetil, et M. Duffaure, dont j'ai eu l'occasion d'apprécier le sérieux et l'ouverture autant que… la vigilance, nous poursuivrons la réflexion pour une réforme efficace à laquelle, en ce qui me concerne, j'assigne au moins un but : qu'au moment de prendre une décision plus personne, jamais, ne dise au ministre de l'agriculture « oui, mais les maisons familiales ? », parce que leur existence et leur originalité auront été d'abord prises en compte, comme une donnée de fait à respecter, car elles sont un partenaire à part entière de l'enseignement agricole.