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L'Information agricole - Vous êtes rapporteur au CES du projet de loi d'orientation agricole. Etes vous satisfaite du projet Le Pensec ? Celui de Philippe Vasseur n'était-il pas plus "dynamique" pour les jeunes agriculteurs ?
Christiane Lambert - Le projet Le Pensec reprend bon nombre de propositions du projet Vasseur sur la multifonctionnalité des agriculteurs, la priorité à l'installation, la nécessité d'un registre, d'une politique des structures, d'une simplification des formalités facilitant l'embauche, le statut des conjoints collaborateurs. Il innove par la création du contrat territorial d'exploitation, clé de voûte du développement agricole qui, à mon sens, doit poursuivre deux objectifs :
- la création d'activités nouvelles pour augmenter la richesse créée par l'agriculture française.
- La valorisation des fonctions territoriales et sociales de l'activité. agricole (diversification, qualité, gestion des ressources naturelles...).
Cet outil est la matérialisation concrète de la multifonctionnalité des agriculteurs, qui sont incités à reprendre l'initiative sur des champs de compétence élargis.
Par contre, le projet Vasseur était plus ferme sur l'organisation économique et politique de qualité. Le projet Le Pensec pèche sur ces dossiers pourtant déterminants pour conforter l'orientation majeure de sa loi d'orientation : reconnecter économie agricole et territoire, pour que les politiques de filières s'appuient davantage sur les diversités régionales par des initiatives ancrées dans les potentialités locales.
I. A. - Ne pensez-vous pas qu'il soit trop tard pour que cette loi (qui devrait voir le jour avant la fin de l'actuelle session parlementaire) soit un modèle pour la réforme de la politique agricole commune ?
C. L. - Non, franchement non, il n'est pas trop tard ! Puisque syndicalistes et Gouvernement rejettent le Paquet Santer en dénonçant son manque d'ambition, montrons que nous en avons ! S'il faut redonner une orientation qui soit autre chose qu'une "mise aux normes" de la mondialisation, c'est vraiment le moment puisque la négociation va être longue en raison des élections en Allemagne (septembre 98) et des échéances au Parlement européen (juin 99).
La France, premier pays agricole européen, a un rôle de leader d'opinion et peut rallier à sa position bon nombre de pays qui affichent aussi leur souci d'une agriculture multifonctionnelle, reconnue pour ses missions économiques, sociales et territoriales et la nécessité d'un développement plus équilibré, pas seulement guide par le seul marché. J'ai parfois l'impression que les blocages sont plus forts dans le débat franco-français où il s'agit pour certains d'une révolution culturelle et culturale à assumer.
L'agriculture fera-t-elle son "Mai 98" ? Les pressions externes (OMC, Peco...) et internes (attentes sociales, sécurité alimentaire, équilibre territorial) nous poussent à accélérer la réflexion et l'orientation vers une agriculture française et européenne de la "différenciation" résistant à la banalisation des produits à prix toujours plus bas alors que nos régions comptent des atouts enviés aux quatre coins du monde ! Le Gers n'est pas le Minnesota, la Thiérache n'est pas la Pampa, la Bretagne n'est pas la Nouvelle-Zélande !
I. A. - Quels griefs les jeunes agriculteurs nourrissent-ils à l'encontre de la réforme de la politique agricole commune et pourquoi ?
C. L. - L'actuel projet ne fait qu'approfondir les effets pervers de la Pac 92 ; une Pac mangeuse d'hommes, dévoreuse d'espaces, complice de l'appauvrissement général de l'agriculture. En proposant une baisse généralisée des prix, partiellement compensée par des aides directes, la Commission conforte les logiques de rente et encourage la course aux volumes. Cette libéralisation excessive s'accompagnera d'une banalisation des produits. Les jeunes agriculteurs ne peuvent tolérer une telle dérive et condamnent ce projet de pseudo-réforme. Une approche plus équilibrée et plus cohérente entre politique agricole, politique rurale et politique socio-structurelle s'impose. Des propositions adaptées à chaque production doivent dire recherchées pour conserver les mécanismes régulateurs et aborder ainsi des réalités de marchés différentes. Quant à la modulation des soutiens, le CNJA se prononce pour la mise en place progressive d'une dégressivité des soutiens, afin d'éviter les ruptures brutales. Il faut en même temps l'inscrire dans un dispositif dynamique, confortant les projets équilibrés entre volumes de production, activités humaines et valorisation du territoire par des modes découplés de distribution des soutiens compatible avec l'OMC. Le contrat territorial d'exploitation devrait devenir cet instrument moderne de gestion incitative des soutiens.
I. A. - Vous retrouvez-vous dans le slogan "agriculture innovante, citoyenne et durable" ? Pensez-vous que l'agriculture doit s'ouvrir sur d'autres horizons et à d'autres personnes ? Le Fonds pour l'installation en agriculture (FIA) vous semble-t-il être, en ce sens, une réponse appropriée ?
C. L. -- "Innovante, citoyenne et durable". oui bien sûr ! mais derrière les slogans, il faut changer les mentalités, reconstruire les projets d'entreprise en dehors des chemins balisés du développement conventionnel des 30 glorieuses et se montrer plus ouverts aux changements ! Les jeunes sont mieux formés, plus touchés par la précarité qui concerne aujourd'hui toute la jeunesse et n'ont rien à perdre. Leurs projets innovants sont parfois jugés "farfelus" car plus risques et ne rencontrent pas toujours le soutien des partenaires locaux. Beaucoup de succès d'entreprises reconnus aujourd'hui ont aussi dérangé les habitudes à leur création.
L'agriculture a devant elle des boulevards d'activités nouvelles, mais les agriculteurs ont besoin de se sentir épaulés, compris dans cette nécessaire évolution : formation, recherche, développement, vulgarisation, accompagnement sont à moderniser pour réussir ce challenge.
Ainsi, des jeunes nombreux pourront rejoindre nos rangs. La subsidiarité régionale des mesures installation dans le cadre du FIA est une bonne réponse à la diversité des situations locales et porte ses fruits. Les installations hors cadre familial progressent et atteignent 10 % au plan national (30 % dans certaines régions).
I.A. - Atteinte par la limite d'âge pour le renouvellement de votre mandat, vous devez céder votre place. Quel bilan tirez-vous de vos deux mandats ?
C. L.- En 1994, nous avions choisi de réaffirmer une priorité : l'installation des jeunes agriculteurs, avec un slogan fort, "Nous avons plus besoin de voisins que d'hectares" et l'ambition de réussir le pari du 1 pour 1 : une installation pour un départ.
Cette idée à fait son chemin et a suscité de vrais engagements ou de franches oppositions. Elle a eu le mérite de donner un "supplément d'âme" aux débat syndicaux en déplaçant l'homme au cœur des débats économiques, sociaux, territoriaux. Les organisations professionnelles ont majoritairement soutenu et relayé cette orientation.
Les pouvoirs publics en ont fait une des priorités de la loi de modernisation avec la réflexion à conduire dans les projets agricoles départementaux et l'élaboration de la charte nationale signée en 1995. A ce jour, 70 chartes départementales et 18 chartes régionales "vivent" et réactivent la volonté locale d'installation et mettent en évidence l'inadaptation des politiques agricoles et européennes. En 1997, nous avons donc proposé une nouvelle orientation des soutiens par un double contrat : contrat de marché pour les missions économiques, contrat d'entreprise pour les fonctions plus qualitatives : territoriales et sociales.
La loi d'orientation en débat reprend cette idée de contrat entre agriculteurs et société sur des objectifs élargis, pour passer d'une logique de guichet à une logique de projet. Si l'initiative est confortée, les jeunes agriculteurs pourront entreprendre et construire leur avenir !
I. A. – L'installation restera-t-elle toujours votre combat ?
C. L. - L'installation est un combat passionnant et permanent, car chaque jour ouvre des débats et des enjeux nouveaux. Le plus difficile est souvent de convaincre au plus proche des hommes, au cœur des réalités locales, sur le terrain. Mais si cette volonté d'installation résiste au temps et aux événements, c'est qu'elle est moderne, pertinente. Si elle a pu rassembler les décideurs au-delà des sensibilités syndicales ou politiques, c'est qu'elle est impérieuse pour l'avenir de notre profession, capable de contribuer au mieux-être de la société.
I. A. Des regrets au moment de votre départ ? Avez-vous le sentiment du devoir accompli ?
C. L. Ma plus grande satisfaction est le témoignage de jeune qui ont fait le pas de l'installation, portés par l'esprit des chartes départementales et régionales et qui affichent aujourd'hui leur réussite et leurs ambitions pour l'avenir.
Bien sûr les échéances nationales et européennes les poussent à s'interroger sur l'évolution de leur projet mais pour beaucoup, l'envie d'agir l'emporte sur la résignation. J'ai apprécié aussi au cours de mes nombreux déplacements, les témoignages des cédants ayant transmis leur exploitation à un jeune et dont la fierté et l'émotion suscitaient en moi émotion et respect.
Des regrets, j'en ai aussi, notamment pour les secteurs de productions où les crises structurelles minent l'espoir des agriculteurs en place et rendent plus difficiles les projets d'avenir. Je comprends leur impatience.
I. A. - Vous avez été la première femme présidente d'un syndicat agricole. Serez-vous la première femme présidente de la FNSEA ?
C. L. - Les jeunes agriculteurs m'ont fait confiance et j'espère ne pas les avoir déçus. La confiance, ça se gagne sur le terrain par un travail de proximité et une ligne de conduite claire. Mon ambition s'arrête au désir d'assumer pleinement mes responsabilités pour le bien commun. Où me porteront ces responsabilités à terme, je ne me pose pas la question. J'aime l'action collective qui transcende les hommes et les idées dans l'intérêt du plus grand nombre.
I. A. - S'il fallait résumer votre présidence en un mot, un fait ou un sentiment, quel serait-il ?
C. L. - Un mot : la passion, un fait, l'élan suscité par la charte de l'installation, un sentiment : l'enthousiasme d'une équipe.
I. A. - Y a-t-il un après CNJA ? Autrement dit, qu'allez-vous faire à partir du 20 juin ?
C. L. - Ces quatre années ont passé très vite, même si certaines semaines, paraissent longues loin de ma famille.
L'après CNJA, c'est donc un peu de répit et le souhait de mieux assumer mes responsabilités départementales, car c'est l'action locale qui fait grandir la réflexion propective et qui nourrit les véritables convictions.