Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur le soutien nécessaire à apporter à l'industrie du disque et au développement des musiques actuelles, Cannes le 18 janvier 1998.

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Circonstance : Inauguration du 32ème Marché international du disque et de l'édition musicale (Midem), à Cannes, le 18 janvier 1998

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,

La musique est un élément fondamental de notre culture et l'un des modes d’expression artistique, individuel et collectif, le plus présent dans la vie quotidienne de nos concitoyens et surtout de la jeunesse.
Le Midem est pour moi un rendez-vous important, car je souhaite saisir dans sa globalité et sa diversité l'importance de l'industrie musicale au plan national comme international.
Vous me permettrez d'abord d'en saluer la qualité de l'organisation. Avec près de 11 000 participants représentant 3 855 sociétés en provenance de 83 pays, cette 33e édition du Midem s'annonce comme un nouveau succès.
Ce rendez-vous est aussi l'occasion, pour moi, de vous exprimer l'approche que je souhaite développer, avec votre concours, à l’égard de vos secteurs d'activités.
Les problèmes de l'industrie musicale, et de la pratique musicale au travers de ses supports, sont en définitive assez bien connus : définition et rémunération des droits, coût de la production, concentration de la distribution et régulation de la concurrence, optimisation des nouveaux supports, difficultés rencontrées dans les domaines de la production et de la diffusion audiovisuelle, ouverture internationale et pleine intégration de l'environnement européen.
Ce qui m'a frappé depuis mon arrivée rue de Valois, c'est la constance avec laquelle les problèmes ont toujours été posés, cependant que les premières solutions avancées se sont révélées, avec le temps, souvent insuffisantes.
J'en citerai trois exemples en particulier :
– la nécessité de relancer un véritable réseau de distribution et pour cela de réguler le prix du disque ;
– l'enjeu d'un soutien financier à la production pour aider la création ;
– bien évidemment I'engagement français en faveur d'une baisse de la TVA sur le disque tout autant que le souhait de disposer d'outils d'observations et d'interventions au plan européen.
Les effets espérés des premières mesures prises ne sont pas au rendez-vous et je sais le découragement qui vous anime parfois, tout comme le scepticisme de nombre d'entre vous face à ce constat.
Incontestablement, compare aux autres industries culturelles, le bilan réalisé est encore trop faible.
Je n'y vois pas un manque d'intérêt à l'égard de vos professions mais l'illustration des difficultés qu’ont pu rencontrer mes prédécesseurs, et qui m'incitent à rechercher avec vous les moyens d'aboutir réellement.
Je tâcherai aujourd'hui, sans langue de bois, d'opter pour une approche pragmatique vous indiquant mes intentions en la matière, aux niveaux international et hexagonal.
Au plan européen tout d'abord, je souhaiterais vous faire part de quelques convictions fortes.
Plus que jamais, les questions de droits et de fiscalité doivent se traiter dans un cadre européen.
Sur le plan de la TVA tout d'abord, je me réjouis du mémorandum présenté par la présidence italienne en juillet dernier demandant à ce que le disque soit véritablement traité comme un bien culturel : l'étude qui sera lancée par la commission devrait permettre de déterminer précisément les effets budgétaires d'une part, et sur la consommation d'autre part, d'une baisse de la TVA.
Vous savez cependant que l'adoption d'un taux réduit est soumise à la règle de l'unanimité.
Il faut se réjouir, ici, que la position initiée par la France soit reprise aujourd'hui par d'autres partenaires.
Je prends l'engagement politique de poursuivre ce combat pour l'équité du traitement fiscal de tous les biens culturels.
Mais la mobilisation de tous les professionnels européens est nécessaire afin de vaincre les quelques réticences qui demeurent.
Nous devons faire évoluer positivement ce dossier, afin que nous supprimions d'ici peu cette absurdité qui veut que la musique enregistrée soit traitée différemment que le livre ou le cinéma.
Nous avons également prévu la création d'un observatoire européen de la musique : je voudrais rendre ici hommage à la qualité du travail préparatoire réalisé par le Bureau européen de la musique et vous dire toute l'importance que j'attache à la construction de ce premier outil.
Nous en attendons une meilleure connaissance de la diffusion de la création musicale, et de la qualité des échanges, notamment en ce qui concerne les jeunes artistes créateurs et artistes interprètes. Ces informations nous permettrons, je l'espère, de donner à la musique la place qu'elle mérite au sein du futur programme-cadre culturel de l'Union européenne, afin de faciliter la circulation des répertoires et des artistes ainsi que la production musicale et la production de spectacles vivants.
L'enjeu est en effet fondamental : rappelons qu'en 1996, pour la première fois depuis longtemps, les ventes de disques ont été plus importantes sur le vieux continent qu'aux États Unis.
Encore faut-il se donner les moyens de protéger ce dynamisme culturel.
La multiplication des supports rend vos métiers plus complexes et les enjeux financiers souvent forts lourds.
Ce dynamisme, à l'heure de négociations qui visent à libéraliser les investissements, est crucial. Et, profondément convaincue de la richesse procurée par la diversité de l'offre culturelle, je m'attache à ce que cette libéralisation ne se fasse pas au détriment des secteurs culturels, dont la spécificité n'est plus à démontrer.
C'est pourquoi le Gouvernement français défend et ne cessera de défendre sans relâche, dans le cadre des négociations sur l'Accord multilatéral sur l'investissement, l'exception culturelle. Cette exception me semble indispensable pour préserver la liberté dont nous avons besoin pour fixer les règles de nos politiques culturelles.
Soyez assurés que je veillerai à ce que les spécificités du secteur culturel, et notamment les dispositions essentielles relatives au droit d'auteur, soient prises en compte lors du débat actuellement en cours sur les nouveaux services, et en particulier sur la convergence entre les télécommunications et ces nouveaux services.
En ce qui concerne la situation spécifiquement française, il convient de dresser honnêtement, sans esprit de système, un constat et s'employer à travailler différemment à l'avenir.
Je souhaite prendre aujourd'hui à ce titre deux types d'initiatives concernant les musiques actuelles et l'économie du disque.
En ce qui concerne les musiques actuelles, il convient peut-être tout simplement que les pouvoirs publics français rattrapent un certain retard.
Ces musiques, qui représentent 80 % du chiffre d'affaires de l'industrie musicale donne lieu à un renouvellement régulier des formes artistiques, dont le Midem s’est d’ailleurs toujours voulu le reflet (encore cette année avec la place accordée aux labels techno).
En France, pourtant, les musiques actuelles de chanson, de rock, de fusion et plus récemment de techno font l'objet d'accompagnements encore très limités de la part des pouvoirs publics, et d'une reconnaissance culturelle encore trop timide, comparé à d’autres esthétiques.
II s'agit là d'une différence de traitement spécifique à la musique et qui n'existe pas dans les arts plastiques, le théâtre ou la danse.
J'ai décidé de rompre avec ce malentendu qui existe parfois entre les professions artistiques et l'État dans ce secteur, en réunissant une commission nationale des musiques actuelles.
Celle-ci, composée sous la responsabilité d'Alex Dutilh, directeur du studio des variétés, se mettra au travail dans les prochains jours pour me remettre ses conclusions et ses propositions pour un plan de développement pluriannuel du secteur des musiques actuelles.
En prenant comme approche des thèmes aussi transversaux que l’élargissement des publics, la création artistique et le développement des nouveaux talents, elle impliquera des représentants de l'ensemble des professionnels concernés et sera l' occasion d'y traiter de manière conjointe les défis de demain : économie des secteurs, modalités d'aides à la création et à la découverte, adaptation aux musiques actuelles des moyens et des logiques de formation, modalités d'associations avec les collectivités locales, prise en compte de la dimension européenne.
En ce qui concerne le disque lui-même, je veux développer de nouvelles approches.
Vous connaissez les chiffres et la situation de la distribution : 60% des ventes de disques le sont dans les grandes surfaces pour quelques milliers de références au plus, et les disquaires spécialistes sont passés de 3 000 il y a 20 ans à quelques centaines aujourd'hui.
Dans le contexte actuel les difficultés que rencontre la production sont moins dues au coût des enregistrements qu'à la diminution des possibilités de distribution pour des titres peu promotionnés.
Face à cette situation préoccupante, il faudrait quelques mesures fortes, concertées entre les pouvoirs publics et la profession, afin de réguler la concurrence et permettre le redémarrage d'une économie de la filière soutenant la diversité de la création musicale et non sa raréfaction.
Au lieu de cela et malgré des bonnes volontés incontestables, les mesures déjà prises apparaissent encore timides face aux enjeux :
– une aide aux commerces culturels de proximité a bien été mise en place par le département ministériel en charge du commerce et de l'artisanat.
Mais il est clair que tout mécanisme d'aide à l'installation n'a que peu d'effet si nous ne traitons pas en même temps des conditions économiques de l'activité de disquaire.
J'observe d'ailleurs que nous recevons davantage de dossiers d'installation de libraires que de disquaires: c'est logique puisque précisément les premiers, à la différence des seconds bénéficient d'un cadre concurrentiel protégé dont on ne peut, 17 ans après la loi Lang, que constater l’efficacité.
Un effort a également été fait en modifiant le code de la concurrence afin d'introduire la notion de sanction du prix abusivement bas dans le domaine du disque.
Il s'agit là d'un pas intéressant d'autant que l'avis du conseil de la concurrence permet, par exemple, de s'attaquer à des pratiques de prix coûtants sur une seule référence, dès lors que celle-ci aurait un poids prédominant sur le marché, ou de poursuivre des enseignes qui profiteraient des économies d'échelles que leur permet une forte implantation sur le territoire national, et de concurrencer ainsi des commerces isolés.
Je sais d'ailleurs que des saisines du conseil de la concurrence sont ainsi intervenues sur le fondement de la nouvelle loi.
Même s'il est encore un peu tôt pour dresser un bilan définitif de cette loi, celle-ci n'a malheureusement pas suffisamment inversé la tendance. C'est pourquoi, si ce premier pas est intéressant, peut-être faut-il aller plus loin, imaginer des dispositions plus résolues ?
J'entends, sans aucun tabou, mener un travail d'expertise sur des hypothèses plus précises que par le passé.
J'ai décidé de faire étudier la mise en place d'un mécanisme de fixation du prix du disque susceptible d'en améliorer la distribution et de favoriser ainsi une plus grande diversité de l'offre discographique. L'idée, vous l'avez bien compris, serait de s'inspirer, dans le domaine du disque, de la loi de 1981 sur le prix du livre, tout en tenant compte des spécificités de l'économie actuelle de la production, de la distribution et de la diffusion du disque.
Dans mon esprit, cette réflexion englobera l'étude de mécanismes de soutien financier à la production dans le but, naturellement, de favoriser une réelle diversité de l'offre.
J'observe évidemment que les nouvelles technologies se développent dans le domaine musical et leur présentation dans le cadre de ce Midem en témoigne. Les initiatives déjà prises par plusieurs opérateurs reçoivent le soutien du ministère de la culture et de la communication, qui peut intervenir en particulier par le moyen d'une aide à l'écriture multimédia.
Je pense ici notamment au site Internet mis en place par le Réseau Printemps, dont la mission au service de la découverte d'artistes n'est plus à présenter, et à celui réalisé par l'association Francophonie Diffusion, et qui permet aux 130 radios adhérentes dans le monde d'échanger leurs informations sur les titres de production française diffusés.
Je souhaite que nous prenions en compte ces nouveaux modes de distribution musicale : des expériences voient le jour dont certaines sont présentées ici au Midem. Elles témoignent de la richesse des possibilités nouvelles en ce domaine et ouvrent, notamment pour nombre de producteurs indépendants, des perspectives intéressantes.
Mais en parallèle nous devons trouver un dispositif équilibré et protecteur dans le domaine des droits d'auteurs et des droits voisins, dans le secteur de ces technologies nouvelles, afin de pouvoir les développer harmonieusement.
II est vital aujourd'hui que les pouvoirs publics s'impliquent un peu plus dans le soutien et la régulation de toute la filière professionnelle, toujours au profit de la création musicale.
C'est le sens des décisions que j'ai déjà prises et des positions que je défendrai dans les mois à venir.