Texte intégral
Le Parisien : 28 juillet 1998
le Parisien
- Pourquoi avoir décidé d'abaisser le déclenchement de la procédure d'alerte de niveau 2 ?
Dominique Voynet. - La raison essentielle est sanitaire. A partir du moment où les études médicales ont démontré que les premières conséquences de la pollution de l'air sur la santé apparaissent à des niveaux inférieurs à ceux qui étaient admis jusque-là, il m'est apparu indispensable d'adapter les niveaux. Il ne suffit pas de s'attaquer au problème de la pollution lors des pics, mais aussi tout au long de l'année, car la pollution chronique est tout aussi grave, si ce n'est plus. J'ajoute qu'il est recommandé aux automobilistes de ne pas utiliser leur voiture dès le niveau 2. Je souhaite que la généralisation de cette procédure permette de mobiliser le civisme et le sens de la responsabilité de nos concitoyens, comme ils l'ont montré lors de la circulation alternée du 1er octobre dernier.
le Parisien
- L'ozone, le polluant le plus fréquent en été, ne fait pas partie de ces modifications. Pourquoi ne pas en tenir compte ?
Dominique Voynet. - Les niveaux d'alerte concernant l'ozone, sont fixés par une directive européenne de 1992. C'est pourquoi nous ne les avons pas modifiés. Par ailleurs, l'ozone n'est qu'un polluant secondaire : il se forme par réaction chimique, sous l'effet du soleil, à partir des polluants tels que les oxydes d'azote. En intervenant en amont sur la pollution par les oxydes d'azote, on prévient de fait la pollution par l'ozone.
le Parisien
- Ne faudrait-il pas plutôt abaisser le niveau 3 ?
Dominique Voynet. - Là encore des discussions européennes ont été entamées. Au risque de vous surprendre, la France est plus en pointe en ce domaine que ses partenaires. Les niveaux en vigueur sont moins élevés que ceux retenus par le Conseil européen.
Le Figaro : 12 août 1998
LE FIGARO. - Depuis quelques jours, le niveau 2 a été dépassé dans quatorze villes. Les mesures mises en place vous semblent-elles suffisantes ?
DOMINIQUE VOYNET, - Elles s'appuient sur le dispositif existant qui découle de la loi sur l'air de décembre 1996. Au niveau d'alerte 2, le gouvernement privilégie une approche de recommandation et d'incitation, en réservant au niveau 3 de la procédure les mesures contraignantes. A la différence d'autres pays, la France n'a pris conscience que tardivement de la nécessité de s'attaquer à la pollution en milieu urbain, il y a un an encore, peu de villes étaient capables de faire face à un « pic » parce qu'elles ne pouvaient le mesurer. Strasbourg constituait l'exception. Nous avons donc travaillé à améliorer ce dispositif.
LE FIGARO. - Quel est ce dispositif ?
DOMINIQUE VOYNET, - Cela se traduit d'ores et déjà par la multiplication des capteurs qui permettent de connaître le niveau exact de pollution et la mise en place de la pastille verte le 17 août. Dès le début de la semaine prochaine, les préfets et les collectivités recevront un ensemble de textes sur les situations d'urgence.
LE FIGARO. - Que répondez-vous à Corinne Lepage et à ceux qui estiment que la circulation alternée et l'usage de la pastille verte devraient être mises en œuvre dès le niveau 2 de pollution ?
DOMINIQUE VOYNET, - Elle a eu le mérite de faire adopter la loi sur l'air dans des conditions politiques difficiles. Cependant, le texte qu'elle a fait voter ne prévoyait pas de restrictions de circulation au niveau 2. Plutôt que d'adopter une nouvelle législation, j'ai choisi de mettre en place l'ensemble du dispositif réglementaire prévu, et, après une période de « rodage », de voir comment le faire évoluer. Je rappelle que les seuils de déclenchement du niveau 2 seront prochainement abaissés pour plusieurs polluants. Mais on ne doit pas rester figés sur les textes. C'est pourquoi j'ai décidé de lancer une réflexion avec le Conseil national de l'air, sur l'évolution du dispositif de riposte aux différents niveaux d'alerte.
LE FIGARO. - L'ancien ministre de l'Environnement regrette que les décrets d'application de sa loi sur l'air se fassent attendre. Comment expliquez-vous ce retard ?
DOMINIQUE VOYNET, - Pas un décret d'application de la loi n'était paru lorsque je suis arrivée au gouvernement. Trois décrets ont été publiés le 6 mai dernier, relatifs notamment aux objectifs de qualité de l'air, aux plans à définir dans chaque région pour les atteindre et aux réseaux de mesure. Tout un train de mesures : paraîtra très prochainement, en plus du dispositif d'urgence : contrôles techniques renforcés, rendements des chaudières urbaines, achats de véhicules propres par les flottes publiques ou des collectivités locales. Chacun de ces textes a nécessité un long travail. Il est dommage qu'entre le 30 décembre 1996, date à laquelle la loi a été promulguée, et juin 1997, si peu a été fait.
LE FIGARO. - Bien qu’il soit important de traiter les pics de pollution, ne serait-il pas bon de réduire la pollution quotidienne, en s'attaquant notamment aux véhicules municipaux, mais aussi en privilégiant le transport de marchandises par le rail plutôt que par la route ?
DOMINIQUE VOYNET, - C'est parfaitement exact. Dès mon arrivée au ministère, j'ai indiqué que la reconquête de la qualité de l'air dans les villes constitue un des objectifs majeurs. Les pics ne doivent pas masquer la priorité essentielle : réduire la pollution chronique - la « pollution de fond » – que subissent quotidiennement nos concitoyens. Cette démarche de longue haleine vise deux objectifs : la réduction du trafic automobile en ville et le développement d'une offre de transport de personnes et de marchandises moins polluantes. A la différence de ce que l'on disait il y a quelques décennies, il faut adapter la voiture à la ville et non l'inverse.