Texte intégral
A la suite de la condamnation de Jean-Marie Le Pen par le tribunal correctionnel de Versailles, notre journal a posé aux porte-parole de la gauche et de la droite quatre questions sur le FN, son président, ses électeurs.
Question n° 1 - Sa condamnation marque-t-elle la fin politique de Jean-Marie Le Pen ?
Question n° 2 - Fallait-il inviter le président du FN aux consultations menées par Jacques Chirac sur la rénovation de la vie publique ?
Question n° 3 - Faut-il interdire le Front national ?
Question n° 4 - Comment peut-on réintégrer, dans le jeu politique classique, les électeurs du FN ?
> Clément (UDF)
QUESTION 1. La justice, dans cette affaire, a fait preuve d'une grande sévérité : n'est-elle pas, du coup, en train d'interpeller le gouvernement sur sa responsabilité vis-à-vis du FN ?
QUESTION 2. Monsieur le président de la République considérant M. Le Pen comme xénophobe et raciste, on peut concevoir son attitude qui a consisté à ne pas recevoir le président du Front national.
QUESTION 3. La conséquence logique de votre première question est que l'hypothèse de la dissolution du FN, en effet, se pose.
QUESTION 4. Depuis quinze ans, les imprécations, les excommunications, les anathèmes, les défilés ont prouvé, au moins, une chose : cela reste sans effet sur les électeurs du FN, qui grossissent à chaque consultation. En démocratie, il n'y a qu'un système qui vaille : le débat pour mieux combattre. Les libéraux que nous sommes ont la tâche particulièrement facile. Le FN est protectionniste, antieuropéen, jacobin, replié sur un égoïsme national. Nous sommes pour l'ouverture des marchés, européens, décentralisateurs, modernes et généreux. Quant à la sécurité et aux « valeurs » de droite, nous sommes les seuls à pouvoir les mettre en œuvre, puisque le FN s'est mis de lui-même hors du champ démocratique par ses outrances et ses excès qui desservent les valeurs de la droite parlementaire.
> Idrac (UDF)
QUESTION 1. Je n'en sais rien. Simplement, je prends acte avec satisfaction que la justice a sanctionné des actes de transgression. Le Front national est un parti de l'extrême, comme le montrent les comportements de transgression de Jean-Marie Le Pen.
QUESTION 2. Le président de la République avait en tête le souci de la modernisation de la vie politique et, en même temps, l'apaisement dans le pays après les élections régionales. Je ne crois pas que l'objectif du FN soit de moderniser et d'apaiser.
QUESTION 3. Non. Franchement, on ne peut interdire un parti politique qui rassemble autant d'électeurs. Ce serait de nature à accroître le désarroi de l'électorat FN.
QUESTION 4. Je crois, d'abord que les électeurs du FN doivent comprendre que leur vote n'est pas utile, car il n'y a pas d'alliance possible avec eux. Nous devons, ensuite, restaurer le lien de confiance avec tous ces déçus de la politique et des partis. Cela passe, notamment, par un travail de terrain afin de répondre aux problèmes quotidiens des gens. Enfin, nous devons affirmer plus clairement nos valeurs afin que les électeurs croient davantage en l'avenir de la droite et du centre. Ces valeurs, ce sont la modernité économique, l'Europe et la fraternité entre les différentes catégories de la population.
> Baylet (PRG)
QUESTION 1. Finir sa carrière politique en étant condamné en correctionnelle, c'est, peut-être, l'aboutissement logique du parcours du leader frontiste !... Le FN survivra de toute façon à Jean-Marie Le Pen. Et je ne pense pas que la prise du pouvoir au FN par Mégret, ou qui que ce soit d'autre, modifie le caractère raciste, xénophobe et antirépublicain de ce parti.
QUESTION 2. Non. Le FN n'est pas un parti comme les autres. Il véhicule une idéologie et une méthode contraires à la démocratie, à la République et à ses valeurs. Ce parti est factieux.
QUESTION 3. Je ne suis pas favorable à l'interdiction du FN. Ce n'est pas en jetant dans la clandestinité une organisation politique, si dangereuse qu'elle soit, que l'on réglerait le problème comme par enchantement. Une extrême droite clandestine serait encore plus nuisible qu'une extrême droite opérant au grand jour. Mais je suis persuadé que notre démocratie doit aussi trouver les moyens efficaces de se protéger. Ainsi suis-je favorable au renforcement des sanctions (perte des droits civiques, inéligibilité, lourdes amendes) pour racisme, xénophobie, violences verbales et physiques.
QUESTION 4. Il y a trois types d'électeurs FN. D'abord, une petite minorité d'irréductibles fachos, irrécupérables. Ensuite, il y a ceux qui, notamment en milieu urbain, sont confrontés chaque jour à des problèmes : chômage, insécurité, immigration, cadre de vie dégradé, échec scolaire, exclusion sociale, etc. Des problèmes que le FN exploite en mélangeant tout dans une dialectique de racisme, de haine, de violence, et de rejet de l'autre comme des institutions. Il est clair que ces électeurs-là ne seront convaincus de réintégrer le débat démocratique que si les partis leur apportent des réponses concrètes. Notamment en termes d'emploi, de sécurité et de cadre de vie. Restent, enfin, les électeurs du FN qui ne sont pas confrontés à ces problèmes, mais qui les vivent comme des peurs ou des fantasmes. C'est notamment le cas du vote FN en milieu rural. Là, c'est à la droite qu'il appartient d'agir pour reconquérir sur ses propres valeurs un électorat qu'elle a laissé partir à l'extrême droite.
> Fillon (RPR)
QUESTION 1. Je ne veux pas commenter cette décision de justice qui sanctionne moins la carrière de Jean-Marie Le Pen que la façon dont est mené son combat politique.
QUESTION 2. Le chef de l'Etat souhaite définir les voies d'une rénovation aussi consensuelle que possible. Dans cette optique, je vois mal Le Pen participer à la modernisation d'une vie publique qu'il rejette. De la même façon, l'extrême gauche n'a pas été sollicitée.
QUESTION 3. Parti protestataire, le FN est, il est vrai, à la limite de l'illégalité… Mais il ne sert à rien, lorsqu'on a de la fièvre, de casser le thermomètre. Le FN existe : il faut le combattre avec des idées, des principes et de la crédibilité politique. C'est la stratégie défendue par Philippe Séguin.
QUESTION 4. Ces électeurs ne doivent pas être méprisés. Il nous faut les convaincre en affirmant fortement nos valeurs et en démontrant notre capacité à développer un projet collectif pour la France. Je ne connais pas d'autre façon de réduire le FN qu'en ralliant ses électeurs à notre cause.
> Hue(PC)
QUESTION 1. Cette condamnation est totalement justifiée, et je m'en félicite. Mais, plus que la carrière de Le Pen, ce qui m'importe c'est l'affaiblissement sensible du Front national. Pour cela, les tribunaux n'y suffiront pas.
QUESTION 2. Le président de la République a eu parfaitement raison de ne pas l'inviter. Tout ce qui peut légitimer ce parti raciste, xénophobe, antisémite est une menace pour les valeurs démocratiques qui fondent la République.
QUESTION 3. Face à la multiplication de ses provocations racistes et à ses actes de violence, la question peut se poser. Mais, aujourd'hui, cette interdiction risquerait de le conforter dans le rôle de victime qu'il tente de se donner. Ce qu'il faut, c'est l'isoler, c'est réduire son influence en montrant qu'il conduit à une impasse dangereuse. Cette bataille a des dimensions indissociablement morales, sociales et politiques. Et c'est très encourageant que la jeunesse y soit si fortement engagée. Le cas échéant, il faut appliquer sans faiblir au FN la loi quand il l'enfreint, comme c'est le cas lorsque ses responsables tiennent des propos racistes ou révisionnistes sur l'Holocauste, ou que ce parti a des comportements violents.
QUESTION 4. Il y a plusieurs sortes d'électeurs. Certains sont ouvertement fascinants, nostalgiques de vichy ou de l'OAS. D'autres sont des électeurs de droite qui se retrouvent dans les choix ultralibéraux de Le Pen et Mégret, quand ils demandent la suppression du Smic, de l'impôt sur les grandes fortunes et l'augmentation de la TVA. D'autres, enfin, notamment dans les milieux populaires, expriment leur colère et leur désespérance sociale. Il n'est pas sûr, d'ailleurs, qu'ils soient dupes encore longtemps. Je note que, d'ores et déjà, dans plusieurs villes, le Front national est en perte de vitesse. Le pire serait alors de laisser à l'abandon ces femmes et ces hommes. Sur le terrain, quotidiennement, les militants communistes, les élus s'emploient à créer les conditions d'une reconquête de la dignité en retissant les liens de solidarité, en aidant à l'exercice de la citoyenneté. Il nous faut le faire mieux encore. Surtout, il faut que la gauche apporte les réponses qui s'attaquent efficacement au chômage, aux défis de l'éducation, à l'insécurité. Il y a urgence.
> Hollande (PS)
QUESTION 1. Jean-Marie Le Pen vient d'être condamné à deux ans d'inéligibilité et à trois mois de prison avec sursis pour avoir violemment agressé une candidate du PS aux élections législatives. Cela prouve la gravité d'un acte qui justifierait, à lui seul, sa mise à l'écart du débat démocratique.
QUESTION 2. Lors de son intervention télévisée, Jacques Chirac avait qualifié, à juste raison, le FN de parti « xénophobe et raciste ». Il paraissait dès lors difficile pour le chef de l'Etat de convier ses représentants aux consultations sur la modernisation de la vie politique. Ils ne l'ont d'ailleurs jamais été par aucun président de la République et sur quelque sujet que ce soit.
QUESTION 3. Le FN a des électeurs. L'interdire ne les ferait pas disparaître pour autant. Par ailleurs, c'est la vertu de la démocratie que de donner la parole au vice. Il faut refuser de mettre en cause les principes qui sont au cœur même de notre pacte républicain au nom du combat contre l'extrême droite. Attaquons-nous à la racine du mal plutôt qu'à ses représentations, même les plus épouvantables ! La lutte contre le FN doit être, d'abord, politique. En revanche, chaque fois que les leaders d'extrême droite tiennent des propos ou se livrent à des agissements qui tombent sous le coup de la loi, il faut que ceux-ci soient sanctionnés par les tribunaux.
QUESTION 4. La meilleure façon de lutter contre le FN, c'est d'agir sur les causes de ce vote. Le chômage, la fragilisation d'une partie des salariés, les difficultés de vie dans les villes, l'insécurité, les inégalités constituent le terreau sur lequel prospère l'extrême droite. C'est l'un des enjeux de la politique menée par le gouvernement de Lionel Jospin. Nous devons également mettre en évidence la nature même du programme du FN. Au-delà des thèses d'exclusion et de haine, qui vont bien au-delà des immigrés pour concerner les pauvres et les faibles, ses propositions économiques relèvent d'un extrême libéralisme : suppression du Smic et du RMI ; démantèlement de la Sécurité sociale ; privatisation des services publics et éclatement de l'Education nationale ; abolition de l'impôt sur la fortune, et même de l'impôt sur le revenu. Bref, le projet du FN est fondé sur l'inégalité des races comme des individus.
> Mamère (Vert)
QUESTION 1. Ce jugement, c'est la juste sanction d'un geste de voyou. Ce qu'a fait Le Pen montre sa vérité. Comme Mégret, son probable successeur, c'est un imposteur : il se prétend démocrate, il ne l'est pas. J'espère que cette condamnation permettra, enfin, de mettre fin à sa « carrière ».
QUESTION 2. Avant même de répondre à cette question, on ferait mieux de se demander pourquoi, depuis dix ans, on a banalisé les idées du FN. Quel est l'homme, quand il était maire de Paris, qui nous parlait des « odeurs » des immigrés ? Et qui, à gauche, a parlé des « charters » pour les immigrés si ce n'est Edith Cresson ? Et Laurent Fabius n'a-t-il pas expliqué que « le FN pose de bonnes questions, mais apporte de mauvaises réponses » ? Qu'on reçoive Le Pen ou non, on l'a bien aidé à s'installer dans le paysage !
QUESTION 3. Ce serait un aveu de notre impuissance. Supprimer le FN ne supprimerait pas ses électeurs. L'interdiction, ce serait le comble de l'idiotie.
QUESTION 4. Il faut, d'abord, que les hommes politiques se rendent respectables. Bref, il faut sortir de cette période au cours de laquelle une partie du personnel politique donne de mauvais exemples sur le plan éthique. Lionel Jospin me paraît emblématique de cette nouvelle génération. Il faut donc moraliser la vie publique, mais il faudra aussi répondre à la souffrance sociale. Ça, c'est le boulot de la gauche. Mais, pour y parvenir, il faut mener une autre politique. Ce n'est pas en marchant sur les plates-bandes du FN, comme le fait Jean-Pierre Chevènement, qu'on y arrivera. Il faut relever les minima sociaux et s'attaquer au chômage. On va dans la bonne direction, mais la gauche doit prendre garde de résister à la tentation centriste.