Interview de Mme Michèlle Demessine, secrétaire d'Etat au tourisme, dans "L'Humanité" du 27 juin et dans "Regards" de juillet 1998, sur la politique du tourisme et le développement du tourisme.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : L'Humanité - REGARDS

Texte intégral

L'HUMANITE : 27 juin 1998

Q - Alors qu'une bonne partie de nos concitoyens s'apprêtent à prendre la tangente pour des vacances bien méritées, nous avons rencontré, entre deux visites sur le terrain, la secrétaire d'Etat au Tourisme. Pour faire avec elle le point de son action, évoquer sa perception du secteur, connaître ses projets pour l'avenir. Avec, bien sûr, une première et incontournable question sur les retombées touristiques de la Coupe du monde de football.

La tenue en France de la Coupe du monde a été présentée comme un espoir pour notre tourisme, mais aussi comme un handicap possible. A mi-parcours, quel premier bilan tirez-vous ?

Le secrétariat d'Etat au Tourisme l'a toujours envisagée comme une chance. Cet événement mondial nous offre une vitrine internationale. Il nous permet d'engager une vaste opération de promotion de notre pays. La campagne « La France accueille le monde » a permis de mobiliser l'ensemble de la famille touristique avec des initiatives dans tout le pays visant à faire découvrir le plus beau visage de la France, à montrer aux 14 millions de vacanciers français et étrangers présents sur notre sol que la France restait non seulement accessible pendant cette Coupe, mais aussi plus festive, plus disponible. Les échos en provenance de nos représentations touristiques à l'étranger et de plusieurs de nos régions nous indiquent des taux de réservation supérieurs à ceux de l'année dernière à la même époque. Sans tirer de bilan prématuré, je pense que nous sommes sur la bonne voie. Nous récolterons les fruits de ce travail dans les douze à dix-huit mois qui viennent.

Q - Il y a eu cependant ces scènes de violence !

Aucun mot ne peut exprimer avec suffisamment de force l'indignation que j'éprouve face à cette violence. Je pense avant tout au gendarme dans un état critique au centre hospitalier de Lille. Il faut saluer les forces de l'ordre qui accomplissent actuellement une tâche difficile.

Q - En devenant, il y a un an, secrétaire d'Etat au Tourisme, vous entriez dans un monde en grande partie inconnu. Quels enseignements tirez-vous ?

Soulignons d'abord le fait que ce secrétariat d'Etat n'existait plus depuis plusieurs années. Je me suis engagée en étant persuadée que le tourisme est un secteur économique d'avenir, riche de promesses, notamment en matière d'emplois. Il ne peut évidemment marcher tout seul. Dès mes premières rencontres, je me suis aperçue du rôle important de ce ministère en liaison avec tous les acteurs du tourisme qui sont divers et nombreux. C'est un secteur en pleine expansion. Il rapporte 170 milliards de francs de devises et engendre un excédent de 66,6 milliards de francs au solde du poste voyage de la balance des paiements. Les fruits de cette croissance ne peuvent rester uniquement entre les mains du marché et du libéralisme. Le rôle de l'Etat est déterminant pour l'avenir touristique de notre pays.

Q - Quelles ont été vos premières mesures ?

Dès mes premières semaines, je suis intervenue pour que le calendrier scolaire des vacances de février revienne à une semaine pleine, du samedi au samedi. Ensuite, il a fallu répondre à tous ceux qui travaillent au développement du tourisme. J'ai rencontré, c'est ma façon de travailler des centaines de professionnels, d'élus, de responsables syndicaux ou associatifs, de bénévoles. Les problèmes ne manquent pas. De plus, on sait que 40 % de nos concitoyens ne partent pas en vacances, le plus souvent faute de moyens financiers. Il reste beaucoup à faire pour l'accès de tous aux vacances. Dans son article premier, la charge du Bureau international du tourisme stipule que l'accès au tourisme « doit être considéré comme un droit inaliénable de l'individu ». Je partage pleinement cette position en ajoutant : au même titre que le droit au travail, aux soins, au logement.

Q - Vous vous définissez comme la ministre de tous les touristes, mais certains ne souffrent-ils pas plus que d'autres ?

Il ne faut pas opposer la diversité des formes de tourisme. Elles sont complémentaires. Le tourisme social et associatif a eu à souffrir de la politique menée antérieurement et du désengagement de l'Etat. En particulier pour ce qui est de l'aide à la pierre permettant de soutenir la réhabilitation des structures et des villages de vacances. Dès le budget 1998, j'ai doublé cette aide. Je souhaite aussi que l'on revienne à l'aide à la personne, notamment pour les familles en difficulté. Les caisses d'allocations familiales peuvent oeuvrer dans ce sens, avec notamment les bons-vacances. Il y a également le chèque-vacances. Je propose de l'étendre aux 7 millions de salariés des PME ne disposant pas d'un comité d'entreprise et n'en bénéficiant donc pas. Il sera examiné fin juillet en Conseil des ministres et dès la rentrée par l'Assemblée nationale. Avec tous les acteurs du tourisme social, je tiendrais d'ailleurs, début 1999, des états généraux. L'ensemble de ce secteur représente plus de 80.000 lits, soit le quart des disponibilités du pays. Il emploie quelque 66.000 salariés et a accueilli 8 millions d'usagers en 1997. Il y a aussi tous les bénévoles. Tout cela compte dans la vie sociale et économique du pays.

Q - Qu'en est-il de la lutte contre les exclusions.

Nous allons créer une bourse solidarité-vacances, opérationnelle dès 1999, afin de rapprocher professionnels du tourisme, associations caritatives et comités de chômeurs, pour une mise en commun des moyens disponibles en matière de transport et d'équipements de vacances au service des familles en difficulté.

Il existe, en matière de tourisme, de réels besoins d'emplois nouveaux, stables, qualifiés, accompagnés d'une véritable formation

Q - Vous travaillez aussi à élargir l'accès aux vacances des personnes handicapées.

Ce projet me tient à coeur. Je vais mener, dès septembre, une campagne de sensibilisation, en pilotant des expériences concrètes sur plusieurs sites, en partenariat avec les acteurs du tourisme et les associations de personnes handicapées. Ces opérations, qui seraient reconduites chaque année, intégreront toutes les formes de loisirs et de pratiques d'activités culturelles propres aux vacances.

Q - Les créations d'emplois que vous évoquez ne risquent-elles pas d'être très précaires ?

L'emploi étant au centre de mon action, mon ministère s'est inscrit pleinement dans le dispositif emploi-jeunes. Nous avons signé emploi-jeunes. Nous avons signé des accords-cadres avec nombre d'associations et de fédérations de tourisme. Il existe de réels besoins d'emplois nouveaux, stables, qualifiés, accompagnés d'une véritable formation. Actuellement, ce sont 12.000 emplois qui se créent chaque année dans les métiers du tourisme. La tendance historique à la réduction du temps de travail, la démocratisation des moyens de transport ouvrent un champ extraordinaire au développement du tourisme. On estime que les flux touristiques devraient tripler au niveau mondial dans les vingt prochaines années. Il est vrai que ces professions souffrent de la précarité. C'est pourquoi j'ai chargé Anicet Le Pors d'une mission. Il doit me formuler des propositions afin d'améliorer la situation sociale et professionnelle des travailleurs saisonniers, intégrant les conditions de vie, de logement, de santé et de travail.

Q - Où en sont vos relations avec les collectivités territoriales ?

Depuis la décentralisation, régions, départements et communes ont une compétence directe en matière de tourisme. La France reçoit 67 millions de touristes étrangers et 80 % des Français y passent leurs vacances. Derrière ces chiffres, les collectivités réalisent un travail énorme de promotion, de commercialisation, d'information, d'accueil. C'est un secteur déterminant pour l'aménagement du territoire et le développement local. Or, 80 % de la fréquentation touristique se concentre sur 20 % de notre espace. Le secrétariat d'Etat au Tourisme mène donc un travail quotidien avec les élus et les acteurs du tourisme pour mettre en place une véritable stratégie d'aménagement et de développement touristique, respectueuse de l'environnement et des populations. Nous mettons en place de nombreux partenariats et élaborons les futurs contrats de plan Etat-Région qui détermineront la politique menée par les pouvoirs publics dans ce secteur dans les années qui viennent. C'est aussi pour cette raison que le rôle du secrétariat d'Etat au Tourisme est déterminant et que je consacre beaucoup de temps aux visites sur le terrain. C'est à l'écoute de tous et en travaillant ensemble que nous construirons l'avenir touristique de la France.

Q - Avez-vous réellement les moyens de vos ambitions ?

Je participe à ce gouvernement de la gauche plurielle avec ma sensibilité de communiste et surtout avec une seule volonté, celle de travailler à ce que la gauche réussisse dans l'intérêt de la France et de sa population. Un certain nombre de choses allant dans le bon sens ont déjà été faites. Mais il reste beaucoup à faire. Il y a encore trop de souffrances, d'inquiétude, de chômage. Et les attentes sont très fortes. Au sein du gouvernement, nous débattons des moyens à mettre en oeuvre pour aller de l'avant. Le budget 1999, en préparation, doit être le reflet de cette volonté. Je m'inscris donc dans ce débat pour donner à mon ministère les moyens de cette politique voulue par les Français et que j'essaie de réaliser avec tous les acteurs du tourisme. C'est aussi pour cela que j'en parle avec passion car je les sens mobilisés. Il ne faut pas les décevoir pour qu'avec eux nous allions de l'avant.


REGARDS : juillet 1998

Q - Les côtes françaises attirent l'été des millions de touristes. Quelles tendances prévoyez-vous dans cette activité économique ?

Michelle Demessine : La France reste la première destination touristique mondiale. L'année dernière, 66,8 millions de touristes étrangers l'ont visitée. Elle est dotée d'atouts naturels et culturels aussi riches que variés et les Européens en sont les premiers amoureux, puisque 55 millions d'entre eux ont parcouru nos terroirs en 1996. Les Français, pour leurs vacances, choisissent en majorité leur propre pays. Le rythme de croissance des arrivées de clientèles lointaines est, lui aussi, depuis quelques années extrêmement soutenu. L'Organisation mondiale du tourisme prévoit même un triplement des flux touristiques dans les vingt années qui viennent. La France doit pouvoir s'inscrire dans cette croissance et faire ainsi conjuguer tourisme avec emploi stable et développement harmonieux du territoire.

Dans ce large panorama de clientèles, le littoral reste la destination préférée des étrangers et des Français avec près du quart des séjours. Les bords de mers disposent d'un fort pouvoir attractif, d'activités typées et diversifiées.

Q - Dans le même temps, les comportements se modifient. Les voyageurs partent moins longtemps, fractionnent leurs séjours, aspirent à des formes de tourisme différentes. Le tourisme rural, par exemple, est l'objet d'une demande accrue, sans que cela pâtisse, d'ailleurs, au tourisme sur les côtes. L'expansion des ensembles urbains a engendré une envie nouvelle d'espace et d'environnement naturel. Les amateurs de campagne sont de plus en plus tentés par la découverte du patrimoine, la pratique des activités en pleine nature. Très prisé par l'Europe du Nord, le tourisme vert fait désormais gagner des parts de marché à l'économie touristique française. D'où le soin à apporter à une organisation efficace de l'offre touristique. Car ces attentes nouvelles peuvent permettre le déploiement d'une pluri-activité de certaines professions et avoir, bien entendu, des répercussions en terme d'accroissement de l'emploi. L'affluence massive saisonnière peut mettre en dangers les écosystèmes fragiles des zones côtières. Comment se prémunir de ce risque ?

M.D. : Les touristes sont de plus en plus sensibles à l'environnement, et ils ont besoin, en montagne comme le littoral ou l'espace rural, de mieux connaître l'écosystème et les règles qui régissent la nature. Des campagnes d'information réalisées par les pouvoirs publics et le milieu associatif permettent de les sensibiliser au respect de notre patrimoine commun : la terre, la mer, l'air. Il est incontournable de mieux gérer la fréquentation et l'extension des activités touristiques dans les espaces naturels. La loi littorale, même si elle n'a pas montré une égale efficacité sur tout le territoire, a fourni un cadre législatif pour le respect des sites et de l'environnement. De ce point de vue, on peut noter le remarquable travail des départements et des régions en association avec le Conservatoire national du littoral ou avec les parcs régionaux. Outre la conservation des espèces protégées, ces initiatives invitent à la découverte de ces richesses : pistes cyclables du littoral, observatoire, sentiers, balises, tables d'orientation, etc.

Q - Le tout-tourisme ne peut assurer à lui seul l'expansion d'une région mais dans bien des zones côtières, les autres activités économiques déclinent. Quelles propositions d'équilibre entre ces différentes activités avancez-vous ?

M.D. : Si, effectivement, on enregistre un déclin de certaines zones, ce n'est pas le fait, loin de là, de l'émergence du tourisme, mais de choix politiques néfastes. Le tourisme, lui, s'est développé ces dernières années. Il représente aujourd'hui 7,5 % du PIB et son apport en devises et en rentrées fiscales est décisif pour notre économie. C'est un secteur en croissance susceptible de créer plus de richesses et plus d'emplois, et dans lequel l'efficacité économique et le progrès social me paraissent étroitement liés.

Le tourisme est un facteur essentiel de l'aménagement du territoire, dans la mesure où il contribue à l'organisation et à la valorisation des espaces littoraux, ruraux, et de montage, à vocation touristiques, en s'appuyant sur leurs potentialités naturelles, économiques, ou sur les infrastructures dont ils disposent.

Un territoire touristique, c'est un lieu que l'on a envie de visiter ; c'est aussi un lieu où l'on a envie de vivre et donc de travailler. Un territoire mis en valeur attirer d'autant mieux les industriels. Des études récentes ont montré que les régions et les pays qui ont investi dans le tourisme ont obtenu parallèlement des résultats économiques encourageants.

L'activité touristique ne s'étendra pas au détriment d'autres secteurs plus traditionnels que constituent l'agriculture, la pêche, le commerce ou l'artisanat, bien au contraire. Elle doit soutenir ces éléments constitutifs de l'économie locale. Evidemment, face à des secteurs économiques en difficulté, le développement du tourisme ne va pas régler à lui tout seul tous les problèmes. Il s'inscrit dans une dynamique gouvernementale d'ensemble.

Ce sont des situations que nous examinons avec les collectivités locales. A ce titre, notre travail avec les conseils régionaux, au travers des contrats de plan Etat-régions, est essentiel pour harmoniser le développement touristique de notre pays. Il faut savoir que 80 % des touristes se répartissent sur 20 % du territoire. Une collaboration forte entre l'Etat, les collectivités et les acteurs du tourisme permettra à l'avenir de mieux répartir l'offre touristique nationale.